« Le clan Snæberg » de Eva Björg Ægisdóttir

J’avais besoin de souffler entre deux lectures complexes, baignant dans la psychiatrie avec « à ma sœur et unique » de Guy Bolay consacré à Nietzsche et sa sœur d’un côté et « Le danger de ne pas être folle » de Rosa Montero, (mais, vous ne perdez rien pour attendre !) alors je suis allée faire un petit tour en Islande et ses magnifiques et énigmatiques paysages avec le polar dont je vous parle aujourd’hui :

La famille Snæberg au grand complet s’est donnée rendez-vous pour fêter l’anniversaire fictif du patriarche qui est décédé quelques années auparavant. Il aurait eu cent ans. Les enfants, petits-enfants, neveux, nièces, conjoints, tout le monde est là, en serrant les dents pour la plupart car les liens se sont parfois distendus, et les retrouvailles sont source d’angoisse. Bienvenue donc dans la péninsule isolée de Snæfellsnes, où tout est propice au mystère et au drame sur fond de coulées de lave, falaises, rochers, lacs…

Pour cela, ils ont privatisé un hôtel de grand luxe, bétonné au maximum, minimaliste, où tout fonctionne via une application à télécharger sur son téléphone. On peut ouvrir ou fermer les portes (et les baise vitrées) régler l’intensité de la lumière etc. La patronne est fière de son établissement, et de recevoir ce clan célébrissime, ainsi que le personnel dévoré par la curiosité, notamment Irma qui est un peu trop obsédée par la famille, pour qu’on puisse parler de fascination.

On fait ainsi la connaissance de Petra, designer d’intérieur réputée, ainsi que son époux, et ses deux enfants : Lea adolescente à fleur de peau, addict aux réseaux sociaux pour fuir sa solitude intérieure et son frère qui semble se poser moins de questions sur ses parents et la famille. On rencontre aussi un ancien alcoolique, Trygve compagnon toléré de Oddny, la tante de Petra dont l’enfance à l’ombre de ses deux frères a été très rude, violente même.

Le déroulement des festivités excursions, repas, est raconté tour à tour par un protagoniste, qui parle en son propre nom, Petra, Lea, Trygve et Irma, livrant ce qui se passe dans sa vie, son ressenti en fonction du déroulement des festivités.

On comprend très vite, qu’il y a eu une victime car l’entrée en scène de la police est rapide, avec l’inspecteur Saevar et son supérieur Hördur, l’auteure ayant choisi d’alterner les scènes entre la police et le déroulement du week-end, mais on ne saura de qui il s’agit lors du dénouement.

Eva Björg Ægisdóttir nous brosse un superbe tableau de cette famille dysfonctionnelle obsédée par la réussite et l’argent, méprisant toute personne qui n’en a pas, (prolos, vulgum pecus, comme on veut) et qui n’accorde aucune attention, même minime au personnel qui les sert. Chacun boit, à qui mieux, mieux, voire se drogue, ou se réfugie dans les anxiolytiques, on se jette au passage des remarques acerbes, sur fond de secrets plus ou moins mal gardés.

L’auteure parle très bien de l’influence des réseaux sociaux sur les adolescents mal dans leur peau, qui croient se confier à des jeunes de leur âge : quand les parents ne sont plus à l’écoute, trop obnubilés par leur vie personnelle, leur ego surdimensionné.

Ce roman m’a beaucoup plu, j’avais déjà bien aimé Les filles qui mentent et « Les garçons qui brûlent » de l’auteure, que je trouvais « un peu lents », ce qui n’est pas le cas avec le clan Snæberg où le rythme est soutenu, l’histoire entre les protagonistes beaucoup plus aboutie. Il semblerait que ce roman soit antérieur à Elma que je n’ai toujours pas lu.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions de la Martinière qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure

#LeClanSnæberg #NetGalleyFrance !

8,5/10

Le froid s’insinue jusque dans la moelle de ses os. Elle a beau resserrer les pans de son manteau et tirer sur son bonnet, le vent semble toujours trouver un nouveau chemin à travers ses vêtements.

Chaque cellule de son corps lui hurle de faire demi-tour. S’enfuir au beau milieu de la nuit dans cette région qu’elle connaît mal ne peut mener qu’à la catastrophe. Ses pensées se dirigent vers sa famille, qui continue de faire la fête bien au chaud dans l’hôtel. Étant donné leur état, ils ne vont pas remarquer son absence immédiatement. Si quelque chose arrivait, personne n’appellerait les secours avant le lendemain matin.

Pourtant, elle baisse la tête et s’obstine à avancer. Elle essaie de remuer les doigts et les orteils, mais c’est à peine si elle les sent. Croyant apercevoir un mouvement du coin de l’œil, elle jette un rapide regard de côté. Son pouls s’accélère lorsqu’elle distingue les contours d’une silhouette à quelque pas…

« Reykjavík » de Ragnar Jónasson et Katrín Jakobsdóttir »

Aujourd’hui, je vous emmène en Islande, respirer un peu de fraicheur, car chez moi on est dans la canicule depuis 15 jours (42° et des poussières hier à Grenoble !) avec ce thriller :

Août 1956, une jeune adolescente de quinze ans disparaît sans laisser de traces sur une petite île au large de Reykjavík.

Trente ans plus tard, l’Islande n’est plus la petite nation timide de l’après-guerre et se prépare à recevoir un grand sommet réunissant les USA et l’Union soviétique. Mais aucun Islandais n’a oublié cette énigme, jamais résolue.

Alors que Reykjavík s’apprête à fêter son 200e anniversaire, une journaliste décide de remonter aux sources de cette mystérieuse affaire – aux conséquences imprévisibles.

Lára Marteinsdottir a disparue, s’est littéralement évaporée alors qu’elle travaillait au domicile d’un avocat influent sur l’île de Videy. Âgée de quinze ans, elle semblait satisfaite de ce « job d’été » et appelait ses parents tous les samedis. Sans nouvelles d’elle, ce week-end là ils contactent le couple qui leur apprend qu’elle a décidé de quitter son travail, et de repartir chez elle le vendredi…

Un jeune policier enquête mais son supérieur refuse qu’il creuse davantage la piste des employeurs. En effet, cet avocat a des amis en haut lieu et se plaint d’avoir dû subir un interrogatoire de la part du jeune policier qui néanmoins procédera à une fouille consciencieuse de l’île.

Dix ans plus tard paraît un article dans le journal local, rappelant que Lára n’a toujours pas été retrouvé, accompagné d’une photographie. Ceci ravive la frustration de Kristján Kristjánsson, devenu depuis policier reconnu, mais cela ne révèlera rien. Et trente plus tard, ce cold case revient faire la une d’un journal.

Comme souvent, dans les polars nordiques, l’intrigue démarre lentement, puis le rythme s’accélère et on ne lâche plus le livre. L’histoire de Lára démontre que les gens influents cherchent souvent à manipuler l’enquête, se croyant tout permis (« Selon que vous serez puissant ou misérable… »). J’ai apprécié la ténacité de Valur, le jeune journaliste qui pense réussir à élucider ce qu’il considère comme l’affaire de sa vie et le lien très fort qui le lie à sa sœur Sunna.

Le coup de maître, dans ce thriller, c’est d’explorer l’histoire de l’Islande : la célébration du 200e anniversaire de Reykjavík en grande pompe, et surtout la rencontre historique entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev que j’avais complètement oubliée. J’aime beaucoup quand la petite histoire vient se mêler à la grande.

J’aime bien retrouver la plume et l’univers de Ragnar Jónasson et son association avec la première ministre d’Islande, Katrín Jakobsdóttir, passionnée de littérature policière, pour écrire ce roman à quatre mains est une belle réussite. Peut-être les retrouvera-t-on dans un autre thriller ?

Un grand merci à NetGalley et aux éditions La Martinière qui m’ont permis de découvrir, en avant-première ce roman dont la sortie est prévue le 6 octobre prochain et retrouver la plume de Ragnar Jónasson

#Reykjavik #NetGalleyFrance !

8/10

Le maître du polar islandais, Ragnar Jónasson, est devenu l’un des romanciers internationaux les plus reconnus. Et c’est en France, un pays qu’il aime profondément, qu’il remporte le plus grand succès : plus d’un 1,1 million de livres vendus. Il est l’auteur de la série mettant en scène l’enquêteur Ari Thór (dont le roman-phénomène Snjór) et de la trilogie à succès La Dame de Reykjavík. Grand lecteur d’Agatha Christie, il a aussi traduit la plupart de ses romans en islandais.

Le parcours de la première ministre d’Islande, Katrín Jakobsdóttir, passionnée de littérature policière, n’est rien de moins que singulier. Après des études de lettres à l’université de Reykjavík et un mémoire sur l’écrivain islandais Arnaldur Indridason, elle devient conseillère linguistique et écrit pour plusieurs médias islandais. Écologiste, féministe et antimilitariste, elle est nommée première ministre d’Islande en 2017, devenant ainsi la seule écologiste à la tête d’un gouvernement dans le monde.

Il y a dix ans, Kristján Kristjánsson s’est vu confier l’enquête sur la disparition de Lára Marteinsdottir. Selon le policier aujourd’hui aguerri, cet évènement continue de faire planer une ombre sur la société islandaise. Lara travaillait comme employée de maison sur l’île de Videy, chez Ottar Oskarsson, avocat à la cour suprême, et son épouse Olöf Blöndal, lorsqu’elle a disparu sans laisser de traces. Âgée de seulement quinze ans, elle était appréciée de tous ceux qui la connaissaient. Une décennie plus tard, le mystère reste entier.

La photo floue d’une jolie jeune fille aux cheveux et aux sourcils sombres, vêtue d’une robe en velours avec un col haut, accompagnait l’article. Figurait également le portrait de Kristján Kristjánsson, avec ses lunettes en écaille et ses tempes éclaircies. Malgré un visage chaleureux, il avait les traits fatigués, comme si la recherche de Lára avait épuisé toutes ses forces. La femme fixa les deux photos quelques instants avant de refermer le journal et de se lever, sans finir ni son café ni sa gaufre. Un malaise s’était emparé d’elle, comme chaque fois qu’elle entendait parler de l’adolescente, et elle avait perdu l’appétit. Il fallait qu’elle concentre son énergie sur autre chose.

La foule s’agita. Quelque chose était sur le point de se passer. Un véhicule noir s’arrêta devant l’édifice, et nul autre que Ronald Reagan en sortit. Sunna s’immobilisa, inspirant profondément. Jamais elle n’avait imaginé voir un jour le président des États Unis de ses propres yeux, être témoin d’un évènement historique comme celui-ci.

Un instant plus tard, le silence s’abattit sur l’assemblée lorsqu’un nouveau véhicule se gara devant Höfdi. C’était évidemment Mikhaïl Gorbatchev. Reagan réapparut sur le perron et salua le Secrétaire général de l’Union Soviétique. Sunna resta pétrifié à observer la scène. Tout cela semblait si irréel.

« Les garçons qui brûlent » : Eva Björg Ægisdóttir 

Aujourd’hui, intermède polar, et direction l’Islande avec ce roman que j’ai lu il y a quelques mois et que j’ai dû relire pour rédiger ma chronique car je ne me souvenais pas de l’énigme et par cette chaleur, le dépaysement m’a fait du bien (alerte orange canicule, 37° à l’ombre aujourd’hui !!!)

Résumé de l’éditeur :

Le troisième volet époustouflant de l’étoile montante du polar islandais.

Après Elma, le polar aux 100 000 lecteurs en France, et Les Filles qui mentent, Eva Björg Ægisdottir revient.

Dans la petite communauté d’Akranes, où les secrets et les faux semblants sont de mise, l’inspectrice islandaise Elma se retrouve en danger de mort alors qu’elle enquête sur la disparition d’un homme dans un mystérieux incendie… Un roman d’atmosphère prenant et angoissant, qui a tout pour séduire les lecteurs du genre. 

Ce que j’en pense :

Le roman s’ouvre sur une personne, ivre, la bouteille de vodka à la main, qui contemple un corps sans vie, n’hésitant pas à le toucher et réfléchit au meilleur moyen de s’en débarrasser. Après cette courte « réflexion » pleins feux sur les funérailles de l’épouse du chef de la brigade.

Une nouvelle affaire se profile pour Elma, avec l’incendie d’une maison, mettant le feu à un homme au passage… incendie criminel ? Suicide ? Tout ce qu’on sait, c’est qu’il y a eu dans cette maison, une soirée arrosée où une bande de jeunes a fait tellement de bruit que les voisins ont appelé la police.

Donc, peu d’indices, ce qui permet de partir dans tous les sens, pour établir ce qui s’est réellement passé, ce qui nous permet de rencontrer des familles, en apparence unies, trop parfaites, trop lisse, des couples soi-disant amoureux, sur fond de trahisons, adultère, jeunes filles au pair qu’on ne respecte pas forcément…

J’ai aimé retrouver Elma dont j’ai fait la connaissance dans le précédent opus « Les filles qui mentent » (qui m’avait laissée sur ma faim), ses relations avec sa famille, ses collègues dans la petite ville d’Akranes, et les paysages de l’Islande, ce qui rend le récit sympathique. J’ai pris plus plaisir avec ce tome 3 malgré les lenteurs : on se croirait dans Colombo, ou Derrick (que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître !). Vue ma patience légendaire, j’ai eu souvent envie de les secouer…

J’ai apprécié la réflexion sur la pyromanie, ainsi que celle du médecin légiste sur la mort et le devenir du corps…

Néanmoins, cette lecture m’a donné envie de lire le premier tome « Elma » pour mieux connaître l’héroïne et son passé.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions de la Martinière qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#Lesgarçonsquibrûlent #NetGalleyFrance !

7/10

L’auteure :

Née à Akranes en 1988, Eva Björg Ægisdóttir vit à Reykjavík avec son mari et ses trois enfants. Ses romans sont des best-sellers en Islande – et désormais en France. Son premier roman, Elma, a été récompensé du Blackbird Award de la révélation du roman policier islandais.

Extraits :

La pyromanie s’accompagne souvent de troubles psychiatriques. C’est une pulsion irrépressible, pas si lointaine de l’addiction au jeu ou à la drogue. Les pyromanes sont fascinés par tout ce qui a trait au feu. Ça va des systèmes de prévention contre les incendies, qu’ils connaissent dans les moindres détails, au travail des pompiers etc. la vision des flammes leur procure une sorte d’apaisement, c’est une manière de libérer la tension en eux. Lorsque le feu s’éteint l’obsession renaît. Ils doivent rejouer une partie. Obtenir leur dose de drogues.

Mais donner la mort par le feu peut avoir une tout autre signification. Un acte pareil révèle un sentiment de haine, un désir de vengeance. Ce n’est pas forcément synonyme de troubles psychiatriques. Vouloir tuer quelqu’un, profaner son corps de la sorte ; pour moi, c’est de la haine…

Hannes Hreidar Thornsteinsson se préoccupait sans doute beaucoup plus de la mort que la plupart des gens. Pas tant de la sienne, ni de ce qu’il pourrait advenir de son âme – il ne croyait pas à tout cela – mais plutôt de ce qu’on pourrait appeler la biologie de la mort. La manière dont le corps se transforme, dont les circonstances et l’environnement influent sur ce processus naturel.

Lu premier semestre 2023

« Le roi et l’horloger » d’Arnaldur Indridason

Aujourd’hui, je vous propose un petit voyage à travers le temps et l’espace : direction l’Islande (et le Danemark) au XVIIIe siècle avec ce roman :

Résumé de l’éditeur :

Arnaldur Indridason met tous ses talents d’auteur de roman noir mondialement reconnu, sa maîtrise de l’intrigue, du découpage, du rythme de l’action ainsi que du suspense, au service d’un grand roman historique et d’une œuvre littéraire magnifique sur la paternité et sur les relations des hommes qui ne savent pas se parler. 

Au XVIIIe siècle, l’Islande est une colonie danoise, gérée par les représentants de la Couronne qui souvent usent de leur autorité pour s’approprier des biens, en profitant en particulier des lois qui condamnent les adultères à la peine de mort. Le roi Christian VII, considéré comme fou et écarté du pouvoir, traîne sa mélancolie à travers son palais jusqu’au jour où il rencontre un horloger islandais auquel a été confié un travail délicat. Une amitié insolite va naître entre les deux hommes. À travers la terrible histoire du père de l’horloger, le souverain va découvrir la réalité islandaise et se sentir remis en cause par la cruauté qui s’exerce en son nom.

Des ateliers du palais aux intrigues de la cour et aux bas-fonds des bordels de Copenhague, nous accompagnons ces héros dans leur recherche tragique et vitale.

Un grand roman captivant et violent qui émeut le lecteur et le trouble en un crescendo qui va le laisser ébloui et inquiet devant la complexité du monde des sentiments que nous révèle Arnaldur Indridason. 

Ce que j’en pense :

On fait la connaissance de Jon Siversten, horloger de son métier, au talent reconnu, qui a décidé de réparer, à ses heures perdues, une horloge très ancienne et qui est abandonnée sous la poussière dans le palais. Un soir, il voit arriver un homme en bonnet de nuit, une bouteille de madère à la main, déjà bien entamée et la « conversation » s’engage.

On assiste à une rencontre surprenante entre cet horloger qui a fui l’Islande, alors colonie danoise, pour se réfugier dans la capitale, fuyant ainsi un drame familial, et un souverain que l’on dit fou, car il a des crises d’agitation alternant avec des périodes de prostration qui ont permis à sa famille de le tenir à distance du pouvoir.

A la demande de Christian VII, Jon raconte son histoire, tout en démontant les pièces de l’horloge, pour les restaurer, retrouver celles qui ont été vendues, restaurer celles qui ont été abimées. Mais, il n’est pas toujours facile de raconter le passé, répondre aux questions d’un monarque qui veut savoir mais n’admet pas vraiment la contestation et ce d’autant plus que la famille royale ne voit pas cela d’un bon œil.

Cette rencontre permet une réflexion sur le temps, sa nature, ce qu’il signifie, ce qu’il dit de nous, ou encore la vérité, ce qu’on en fait, comment on l’interprète mais aussi sir la vie en général, le roi est-il plus heureux, plus épargné que notre horloger ?

Une nouvelle fois, Arnaldur Indridason nous propose un roman, totalement différent des polars dans lesquels il excelle avec un style bien à lui, lenteur oblige, pour nous parler d’Histoire, de politique, du sort terrible que l’on réservait aux couples adultères, autrefois, avec des sanctions prises par un bailli lui-même débauché, soumis au Roi du Danemark avare en « absolution » …

Ce roman est très intéressant, riche, bien écrit et les talents de conteur de l’auteur m’ont entraînée avec lui dans cette aventure et captivée car j’aime particulièrement ce genre de réflexion existentielle, mêlée d’Histoire… j’ai retrouvé ce qui m’avait plu dans « Le livre du roi »

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur qui me plaît toujours autant.

Sortie le 03/02/2023

#LeRoietlhorloger #NetGalleyFrance !

9/10

Extraits :

Le temps s’était arrêté. Le chef-d’œuvre façonné à la gloire de Dieu et de la Vierge Marie deux cents ans plus tôt n’avait, de mémoire d’homme jamais sonné les heures du jour et de la nuit, ni indiqué les phases de la lune ou la course des planètes. Ce butin de guerre acquis lors d’un conflit oublié depuis longtemps reposait sous une épaisse couche de poussière dans une remise du palais royal de Christiansborg, les monarques et leurs règnes avaient passé sans que le temps reprenne sa course.

Dès que cette idée lui fut venue, il lui sembla vivre une expérience mystique, son cœur s’emplit d’une allégresse qui faisait tressaillir tout son corps, c’était là une joie qu’il éprouvait pour la première fois et qu’il ne pouvait interpréter autrement que comme une révélation.

Est-ce autre chose qu’une accumulation de souvenirs ? poursuivit tristement Christian VII en regardant les pièces du chef-d’œuvre éparpillées devant lui. Comme tous ces morceaux qui sont à l’intérieur de cette horloge ? Un passé que nous ne retrouverons jamais ? Maudit temps qui nous projette dans l’oubli !

Y a-t-il des moments où il ne nous échappe pas ? demanda le monarque. Il passe, nous en saisissons quelques fragments épars avant qu’il ne sombre dans le passé puis ne disparaisse avec nous sans épargner rien ni personne. Absolument rien. Tout cela ne sert à rien…

Evidemment, l’humanité progressait avec le temps ? Il en avait fait l’expérience avec sa profession. Il y avait toujours des évolutions… Il avait alors compris que chaque pas qu’il faisait vers son domicile et vers sa boutique le ramenait un peu plus vers le passé…

Mais, dans ce cas, de quel genre de vérité s’agit-il ? N’y a-t-il qu’une seule et unique vérité, extérieure à ceux qui pensent le mieux la connaître ?

Monsieur l’horloger promet de dire la vérité, mais la vérité, qu’est-ce que c’est ? Est-ce que tu le sais ? Y a-t-il quelqu’un qui sache ?

Jon connaissait d’autres histoires de gens qui avaient refusé d’écouter ceux qui les avaient mis en garde face aux éléments, mais ces derniers avaient poursuivi leur route, ignorant les voix de la raison, et on ne les avait jamais retrouvés. On disait d’eux qu’ils étaient voués à une mort certaine et qu’aucun pouvoir humain n’aurait pu les sauver. C’était là une piètre consolation pour ceux qui les avaient perdus et qui pensaient peut-être n’avoir pas agi assez vigoureusement pour les arrêter…

Lu en janvier 2023

« A qui la faute » de Ragnar Jonasson

Petit intermède thriller, direction l’Islande aujourd’hui, avec :  

Résumé de l’éditeur :

Quatre amis d’enfance pensent se retrouver le temps de quelques jours paisibles. Une simple chasse à la perdrix dans les hauts plateaux de l’est de l’Islande…

Mais le voyage tourne vite au cauchemar. Une tempête de neige violente et inattendue s’abat sur eux et les oblige à se réfugier dans un pavillon de chasse abandonné. À l’intérieur, une découverte… macabre qui changera à jamais le cours de leur existence – et de leur amitié.

C’est le début d’une longue nuit dans ce que l’Islande a de plus âpre. Un huis clos dans un froid redoutable, où les quatre amis, coupés de toute civilisation, voient ressurgir ce qu’ils ont de pire en chacun d’eux. Les tempéraments explosent. Les aversions, les soupçons et les haines du passé remontent à la surface.

Seront-ils tous assez forts pour survivre à cette nuit ?

Ce que j’en pense :

Quatre amis décident de passer un week-end ensemble, dans le but de se retrouver et de chasser la perdrix. Ils marchent en direction d’un refuge, mais une tempête s’annonce que le guide expérimenté du quatuor n’a pas évaluer à sa juste valeur. Faute de pouvoir atteindre le refuge prévu, ils font halte dans un petit refuge, plus proche mais difficile à trouver dans les conditions météorologiques. Quand ils y arrivent enfin, la serrure refuse de s’ouvrir, il faut la casser et une surprise les attend à l’intérieur.

Il s’en suit un huis-clos assez intense où les relations amicales prennent une drôle de tournure et on se rend vite compte qu’il s’est produit autrefois un évènement dramatique.

Je me suis laissée prendre au jeu et j’ai trouvé ce roman plus abouti que les précédents que j’ai lus de l’auteur. L’intrigue est intéressante, avec des rebondissements, et le plaisir de repartir en Islande mais je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages, les « bons » comme les « méchants », leurs personnalités sont restées hermétiques pour moi.

Bon moment de lecture quand même. Je précise que j’ai lu ce roman en avant-première car il sera publié en janvier prochain.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions La Martinière qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur dont il me reste à découvrir la trilogie « La dame de Reykjavik.

#Aquilafaute #NetGalleyFrance ! 

7/10

Lu en octobre 2022

« Froid comme l’enfer » de Lilja Sigurdadottir

Je suis bientôt à jour dans mes chroniques, il ne m’en reste qu’une à rédiger, qui ne va pas être simple, alors je vous propose encore un petit détour par l’Islande aujourd’hui avec ce livre :

Résumé de l’éditeur :

Avoir une sœur c’est la meilleure et la pire des choses, on se trouve coincée dans des rôles depuis l’enfance. Aurora n’a aucune envie de quitter l’Angleterre pour aller en Islande s’occuper de la disparition d’Ísafold, mais difficile de résister à une mère qui ne veut pas comprendre qu’une enquêtrice financière n’est pas un détective privé. Ce qu’elle sait bien faire, elle, c’est démasquer les fraudeurs et les faire payer en se servant au passage. Et comme l’Islande a une réputation établie pour ce genre de problème, elle va y aller. Et tester ses compétences ainsi que sa séduction. 

Mais Ísafold est introuvable. Il semble que son mari la battait, ce qu’elle niait farouchement. Au fil des témoignages qu’Aurora recueille dans ce pays baigné dans la lumière magique d’un soleil de minuit éblouissant, des personnages inquiétants émergent. Au cours de son enquête elle met au jour des détails subtils sur les façons de vivre et de se parler, et par ce travail de dentellière elle nous fait entrer dans un monde plus complexe qu’il n’en a l’air.

Un livre sombre et imprévisible.

Ce que j’en pense :

Le roman s’ouvre sur la scène de crime : un homme vient de déposer le cadavre d’une femme, enfermé dans une valise, après lui avoir ôté sa bague, et enfoui quelque part dans la lave. Qui ? A nous de spéculer !

Ísafold n’a pas de donner de nouvelles depuis environ quinze jours. En Angleterre, sa mère commence à s’inquiéter et charge son autre fille, Aurora, de se rendre en Islande pour tenter de découvrir ce qui se passe. Cette dernière s’y rend à contre-cœur car Ísafold est victime de violences conjugales, mais chaque fois qu’Aurora a tenté de l’aider, de lui trouver un lieu refuge, elle retourne toujours chez son époux qui jure de ne plus recommencer.

Tout le monde est au courant dans leur immeuble car Ísafold a l’habitude de se réfugier chez les voisins après chaque accès de violence de son époux. Le couple vit en marge de la société, petits boulots, trafics en tous genre.

Lors de leur dernière entrevue, Ísafold a sommé sa sœur de s’occuper de ce qui la regardait et une brouille s’en est suivie, d’où le peu d’enthousiasme d’Aurora qui a une vie stable en Angleterre, où elle est enquêtrice financière, traquant les magouilles, l’argent détourné puis caché dans des paradis fiscaux… Elle va être aidée dans son enquête sur la disparition d’Ísafold (qu’elle estime être une énième tentative pour attirer l’attention sur elle) par un oncle par alliance, policier de son état et qui n’est pas insensible à son charme.

L’enquête est intéressante, malgré sa lenteur (si typique aux polars islandais, ce qui fait leur charme), l’auteure prenant un malin plaisir à nous orienter sur des fausses pistes, sur fond de migrants en situation illégale, ou de voisin amoureux transis. L’auteure évoque aussi, au passage, les mariages mixtes : le père d’Aurora est Islandais, sa mère Anglaise, et cette dernière est retournée vivre en Angleterre. Les deux filles ont également fait un choix, seule Ísafold a choisi de rester à Reykjavik.

Le dénouement m’a beaucoup plu, même si je l’avais quelque peu anticipé. Le dépaysement est toujours garanti, avec ces polars nordiques, champs de lave, soleil qui ne se couche jamais (ou l’inverse selon la saison), les noms aussi mystérieux qu’imprononçables…

C’est le premier roman de Lilja Sigurdardottir que je lis, alors qu’il s’agit de son cinquième opus, sa trilogie Reykjavík Noir connaissant un certain succès et je dois reconnaître que c’est une agréable surprise.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

J’ai encore quelques polars en réserve, mais l’enthousiasme est en train de baisser, je reviens, peu à peu, à mes centres d’intérêt habituels, c’est comme le chocolat, il ne faut pas en abuser…

#Froidcommelenfer #NetGalleyFrance !

7/10

L’auteure :

Lilja SIGURDARDÓTTIR est née en 1972, elle est auteur de théâtre et de romans noirs, et participe à l’organisation du Festival Iceland Noir de Reykjavík. Elle vit entre l’Islande et Glasgow. Sa trilogie Reykjavík Noir est traduite en huit langues et a rejoint la liste des best-sellers dans de nombreux pays. Elle est aussi choriste du groupe de rock Fun Lovin’ Crime Writers.

Extraits :

Cet instant constituait un véritable tournant dans son existence. Accablé de chagrin, il était mû par une détermination nouvelle, aussi vive et acérée qu’une lame d’acier. Désormais, tout serait différent. Il n’était plus le même homme. Désormais, il était capable de tuer.

Ils marchaient dans une direction bien déterminée, contrairement aux touristes, et beaucoup plus vite, dans une attitude indiquant qu’ils étaient en retard pour leur travail. C’était tellement islandais, de toujours vivre dans la précipitation, de toujours tout faire à la dernière minute.

Voilà une des choses qui lui avaient manqué de l’Islande, enfant, après que sa famille s’était installée en Angleterre. Ces matins d’été porteurs d’une promesse. Le soleil déjà haut et le vent marin encore à peine perceptible permettant aux petites maisons recouvertes de tôle ondulée bigarrée d’absorber la chaleur des rayons lumineux.

Il était souvent envahi de ce même sentiment en démarrant une enquête, et en général cette petite lueur qui clignotait dans sa tête, ce petit caillou dans sa chaussure, ce petit sifflement ô combien agaçant se révélaient fondés. Une sorte d’intuition qu’il avait sans doute toujours possédée mais à laquelle il avait appris à se fier avec l’âge et qui n’annonçait jamais rien de bon.

Lu en avril 2022

« Les filles qui mentent » de Eva Björg AEgisdottir

Intermède polar et voyage en Islande, on s’évade comme on peut, avec le roman dont je vous parle aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :

Une jeune mère désespérée se tient immobile dans une maternité, incapable de regarder son propre enfant qui vient de naître. C’est le début d’une relation étrange et brisée entre la mère et l’enfant, qui mènera à une tragédie redoutable.

Quinze ans plus tard, en effet, le corps d’une femme est retrouvé gisant dans un champ de lave… Cela fait sept mois que cette mère célibataire avait disparu, ne laissant qu’un simple mot d’excuses sur la table de la cuisine. Que s’est-il passé durant tout ce temps ? Le nouveau quotidien de sa fille Hekla, désormais choyée par sa famille d’accueil, ne cache-t-il pas une réalité plus sombre ? Au fur et à mesure que la liste des suspects s’allonge pour le meurtre, de nouvelles lumières sont jetées sur le passé de la mère,­ et sur l’enfance d’une fille qui n’a jamais été comme les autres… Elma, inspectrice de police dans la petite ville d’Akranes, est chargée d’enquêter.

Cruauté adolescente, préjugés de petite ville, mensonges d’enfants qui souffrent pour les péchés de leurs parents. Les filles qui mentent est un thriller psychologique saisissant à l’enquête policière sophistiquée, qui porte Eva Björg Ægisdottir au rang des nouveaux grands noms du roman policier contemporain.

Ce que j’en pense :

Je ne reviendrai pas sur l’intrigue : le corps d’une femme disparue quelques mois auparavant est retrouvée dans un champ de lave. Il s’agissait donc d’un assassinat. L’enquête est confiée à Elma, inspectrice et à son collègue Saever, sous la houlette du chef Hördur…

Il s’agit donc de Marianna Törstdottir et curieusement cela n’a pas l’air d’affecter outre mesure sa fille Hekla, mais les relations entre la mère et la fille n’ont jamais été au beau fixe : l’association drogue alcool et autres, l’ayant conduite à laisser plusieurs fois sa fille seule sans soin à la maison : 3 jours lorsqu’elle n’avait que 4ans et plus tard plus d’une semaine. Tout ceci s’étant terminé par un placement en famille d’accueil. Famille qui désire l’adopter et dans laquelle Hekla se sent aimée…

Le récit alterne entre passé et présent ce que j’apprécie en général, quoi que dans ce roman, il m’a fallu du temps pour identifier la narratrice, j’étais partie sur une fausse piste.

Il s’agit du deuxième opus de l’auteure, mais ce n’était pas gênant pour la lecture, dans les relations entre les policiers, leurs échanges, quelque chose m’échappaient mais cela n’a pas posé de problème, à part l’envie d’en savoir plus…

L’auteure nous emmène dans le parcours de ces femmes, les grossesses non désirées, l’instinct maternel qui ne fonctionne pas, les relations plus ou moins toxiques, la manière dont on compense l’absence de tendresse par des cadeaux ou de l’argent facile parfois…

J’ai apprécié ces mensonges qui se répètent au fil des années, entraînant des drames, l’aplomb de ces femmes qui finissent toujours par retomber sur leurs pieds et le dénouement que je n’avais pas vu venir m’a épatée. Quand à l’écriture, notamment la syntaxe, je préfère m’abstenir.

J’ai aimé retrouver l’Islande, les champs de lave, les paysages, la nature, les noms imprononçables qui font déjà rêver et la lenteur de ses polars mais, même si j’ai passé un bon moment, je ne suis pas sûre que ce livre me laisse un souvenir impérissable d’où la note mitigée (je ne vais pas me faire des amis vue sa côte de popularité sur Babelio par exemple, mais tant pis j’assume)…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions La Martinière qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#LesFillesquimentent #NetGalleyFrance !

7/10

L’auteure :

Née à Akranes en 1988, Eva Björg Ægisdóttir vit à Reykjavík avec son mari et ses trois enfants. Elma, son premier roman, a été numéro 1 des ventes en Islande. Il a été récompensé du Blackbird Award, un prix créé par Yrsa Sigurðardóttir et Ragnar Jónasson pour promouvoir les nouvelles révélations du polar islandais.

Extraits :

Enfant, Elma adorait aller se promener sur la plage elle-aussi. Elle emportait un petit récipient pour accueillir les coquillages et passait des heures à observer tout ce que la mer avait à offrir. Ces sons, ces odeurs avaient toujours un effet apaisant. Comme si les problèmes du monde se tenaient à distance de l’océan.

Il (Hördur) devrait en toucher un mot à ses enfants. Leur demander d’épargner leur mère les semaines où elle avait une séance de rayons. Il lui faudrait juste prendre garde à ce que sa femme n’en entende pas parler, sinon il risquait de se faire remonter les bretelles.

Il ne savait pas quoi dire ni faire, en face d’eux. Il se sentait stupide quand il prenait une petite voix comme la plupart des gens le faisaient…

Les sage-femmes me disaient que ce serait plus facile avec le temps, et j’imagine qu’elles avaient raison. Certaines choses le sont, à présent que j’ai un emploi. On se réveille, je l’habille et je l’emmène chez sa nounou. Pendant huit heures, je ne pense à rien d’autre qu’à moi et à mon travail que j’adore.

Je n’ai pas envie de la consoler. Pas envie de la voir ni de l’entendre. A cet instant, je voudrais qu’elle soit le problème de quelqu’un d’autre. J’ai honte de penser une chose pareille, je ne le dirai jamais à voix haute, mais c’est ainsi, je n’arrive pas à aller la voir…

La culpabilité m’assaille fréquemment lorsque je la regarde, car c’est ma faute si elle est pas comme ça. Toutes ces années où je l’ai privée de la tendresse dont elle avait besoin ont dû avoir un impact. Parfois, je me demande ce que serait ma vie si je n’étais pas tombée enceinte…

Lu en avril 2022

« Ton absence n’est que ténèbres » de Jon Kalman Stefansson 

Embarquement pour l’Islande aujourd’hui pour retrouver un auteur que j’apprécie de plus en  plus et découvrir son dernier livre :

Résumé de l’éditeur :

Un homme se retrouve dans une église, quelque part dans les fjords de l’ouest, sans savoir comment il est arrivé là, ni pourquoi. C’est comme s’il avait perdu tous ses repères. Quand il découvre l’inscription « Ton absence n’est que ténèbres » sur une tombe du cimetière du village, une femme se présentant comme la fille de la défunte lui propose de l’amener chez sa sœur qui tient le seul hôtel des environs. L’homme se rend alors compte qu’il n’est pas simplement perdu, mais amnésique : tout le monde semble le connaître, mais lui n’a aucune souvenir ni de Soley, la propriétaire de l’hôtel, ni de sa sœur Runa, ou encore d’Aldis, leur mère tant regrettée. Petit à petit, se déploient alors différents récits, comme pour lui rendre la mémoire perdue, en le plongeant dans la grande histoire de cette famille, du milieu du 19ème siècle jusqu’en 2020.

Aldis, une fille de la ville revenue dans les fjords pour y avoir croisé le regard bleu d’Haraldur ; Pétur, un pasteur marié, écrivant des lettres au poète Hölderlin et amoureux d’une inconnue ; Asi, dont la vie est régie par un appétit sexuel indomptable ; Svana, qui doit abandonner son fils si elle veut sauver son mariage ; Jon, un père de famille aimant mais incapable de résister à l’alcool ; Pall et Elias qui n’ont pas le courage de vivre leur histoire d’amour au grand jour ; Eirikur, un musicien que même sa réussite ne sauve pas de la tristesse – voici quelques-uns des personnages qui traversent cette saga familiale hors normes. Les actes manqués, les fragilités et les renoncements dominent la vie de ces femmes et hommes autant que la quête du bonheur. Tous se retrouvent confrontés à la question de savoir comment aimer, et tous doivent faire des choix difficiles.


Ton absence n’est que ténèbres frappe par son ampleur, sa construction et son audace : le nombre de personnages, les époques enjambées, la puissance des sentiments, la violence des destins – tout semble superlatif dans ce nouveau roman de Jón Kalman Stefánsson. Les récits s’enchâssent les uns dans les autres, se perdent, se croisent ou se répondent, puis finissent par former une mosaïque romanesque extraordinaire, comme si l’auteur islandais avait voulu reconstituer la mémoire perdue non pas d’un personnage mais de l’humanité tout entière. Le résultat est d’une intensité incandescente.

Ce que j’en pense :

Le récit commence dans une église, avec un homme qui a perdu la mémoire : il n’a plus de repère, tout le monde semble bien le connaître alors qu’il ne reconnaît personne. Sur une tombe, au cimetière, une inscription l’intrigue : « ton absence n’est que ténèbres ». Il rencontre une femme, Soley, qui a semble-t-il compté dans sa vie et en la suivant, l’histoire va se tisser…

Le narrateur, notre homme, essaie d’écrire sur des feuilles volantes, tout ce qu’il peut glaner, ça et là, pour sortir des ténèbres de sa mémoire, ce qui nous entraîne dans des rencontres étranges qui s’étalent sur plusieurs générations, des personnages dont on va faire la connaissance au rythme que nous impose l’auteur, quitte à nous perdre au passage.  

Tout d’abord, fin XIXe avec la rencontre entre Petur, pasteur marié et Gudridur qui vient d’écrire un article sur le ver de terre indispensable à l’équilibre du sol va faire chavirer leur vie à tous les deux : Petur a plongé dans une sombre mélancolie quand Eva, sa fille, est décédée : il l’avait emmenée avec lui en forêt sous la pluie et elle n’avait pas pu se remettre du « refroidissement » d’où la culpabilité du pasteur. Il écrit sa souffrance sous forme de lettres à Hölderlin…

Petur écrit à un poète allemand enterré depuis plusieurs décennies, un poète qui était déjà mort à sa naissance 

On revisite un peu l’histoire et la géographie, de l’Islande, les dures conditions de vie dans les fermes, les femmes qui ne se plaignent pas, les pêcheurs qui partent durant des mois, l’argent difficile à gagner, l’alcool, l’exil au Canada de certains.

J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’histoire, car il y a énormément de personnages, de noms à mémoriser, trouver des points de repères pour assimiler, les prénoms masculins, et les noms féminins (je n’ai pas de problèmes avec les patronymes, mais les prénoms c’est plus compliqué) : Jon,Petur, Hulda, Gudridur Eirikur, Pall, Halldor, Skuli, et pardon d’avance à ceux que j’oublie.

En fait, j’ai décidé de me laisser porter par la réflexion de Jon Kalman Stefansson, sans chercher à mémoriser à tout prix et ensuite la magie a opéré comme avec ses précédents romans.

L’auteur nous livre une réflexion sur le temps qui passe, la mémoire individuelle et collective, les secrets de famille et les dégâts qu’ils engendrent, la répétition des scenarii de vie… Jon Kalman Stefansson aborde aussi avec brio, le passé, comment il nous aide à nous construire, et son poids sur le présent, les relations de cause à effet, le destin et tout simplement, la vie, la mort, la place qu’occupent les défunts dans nos vies…

Est-ce l’existence qui façonne le destin ou le destin qui façonne l’existence : Dieu a-t-il créé le monde ou est-ce le monde qui a inventé Dieu ?

Certains n’ont pas eu vraiment le choix, comme Pal qui a fait des études supérieures, une thèse sur Kierkegaard et doit retourner à la ferme. J’ai appris au passage que Kierkegaard signifiait cimetière !

Soren Kierkegaard. D’ailleurs, Kierkegaard signifie cimetière… quel fardeau ! Un nom empli de morts, de croix, de défunts. Ce n’est pas étonnant qu’il ait parfois été un peu éteint.

La manière de raconter, avec des allers et retours sans cesse entre présent et passé, qui m’avait un peu désorientée dans ses précédents romans, ne pas gênée, au contraire, cela permettait d’assimiler tous les messages de l’auteur. L’écriture est belle, pleine d’images et la magie de l’Islande a parfaitement fonctionné cette fois-ci encore.

Autre effet de style : Jon Kalman Stefansson se répète souvent dans sa narration, les mêmes phrases reviennent, à la virgule près, comme si la répétition venait au secours de la mémoire défaillante

Le texte est, d’autre part, ponctué de phrases de chansons de Bob Dylan, Léonard Cohen les Beatles, Elvis Presley Ella Fitzgerald, en passant par Bach et Satie par exemple et l’auteur nous propose à la fin d’une compilation dont je vais m’inspirer pour une play-list.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur, ce qui est toujours un plaisir.

#Tonabsencenestqueténèbres #NetGalleyFrance !

9/10

Extraits :

Nous portons perpétuellement en nous le passé, continent invisible et mystérieux qui affleure parfois, quelque part entre le sommeil et la veille. Un continent dont les montagnes et les océans influent en permanence sur les couleurs du temps et les chatoiements de lumière que nous abritons.

Celui qui doit, quelle qu’en soit la raison, entreprendre de démonter son foyer, vis après vis, pièce après pièce, se retrouve nécessairement confronté à ses souvenirs, il revit les instants qui ont jusque-là constitué son existence et met sa vie dans la balance.

Les morts nous suivent toujours. A la fois ténèbres et lumière, consolation et reproche.

En Islande, le temps était presque immobile et aussi statique qu’un tableau de maître depuis mille ans, il avait si peu bougé pendant la plus grande partie du XIXe siècle qu’on aurait pu croire que nous habitions sur une autre planète.

Car la nuit est la seule à pouvoir unir des mondes que la vie et le jour ne sauraient relier. Elle s’infiltre dans l’interstice qui les sépare, transportant les mots et la nostalgie au-delà des frontières.

Certains disent qu’au bout du compte, une fois qu’on a examiné les choses sous toutes les coutures et qu’on les a bien pesées, on ne peut qu’un déduire que l’homme est une vermine. Plus on se penche sur son histoire, plus on suit l’actualité, plus on est tenté de souscrire à cette conclusion. Il faut sans doute une bonne dose de cynisme et d’égoïsme doublés d’un incorrigible optimisme pour ne pas céder au découragement. Il faut probablement être sous antidépresseurs pour aimer l’humanité et avoir foi en elle…

Considère les mots comme autant de cargos que tu charges de tes désirs et que tu envoies ensuite voguer sur l’océan ?

C’est peut-être, avais-je suggéré, le diable qui a créé l’homme et quand Dieu a vu qu’il était trop tard pour l’effacer, il nous a donné la mauvaise conscience et la musique.

Peu de choses sont aussi désolantes que les maisons abandonnées sur lesquelles le temps accomplit son œuvre – elles ressemblent à des gens mélancoliques qu’on abandonne au milieu de nulle part simplement pour les laisser mourir.

Il y a d’abord des mots pour tout, mais ils se révèlent totalement inutiles s’ils ne sont pas suivis d’une étreinte.

Tu n’es pas sans savoir que Dieu et le diable se sont unis pour façonner l’être humain ? La dernière faculté dont Dieu l’a doté, c’est la conscience—avant de déclarer que, désormais, sa création était parfaite. Puis le diable est venu ajouter l’inconscient.

Dieu seul connaît les réponses, lit-on quelque part, mais Dieu n’a pas dit un mot depuis deux mille ans et les questions, les doutes, la peur de vivre en vain, nous restent sur les bras.

Pardonner, cela revient parfois à s’accepter tel qu’on est. Celui qui pardonne se trouve. Et celui qui se trouve, trouve la liberté.

Lu en janvier 2022

« Dix âmes, pas plus » de Ragnar Jonasson

Intermède polar avec le livre dont je vous parle aujourd’hui d’un livre, lu en avant-première grâce à NetGalley car la sortie est prévue en janvier prochain :

Résumé de l’éditeur :

« Recherche professeur au bout du monde. » Lorsqu’elle voit passer cette annonce pour un poste d’enseignant dans le minuscule village de Skálar, Una, qui ne parvient pas à trouver un emploi stable à Reykjavík, croit saisir une chance d’échapper à la morosité de son quotidien.

Mais une fois sur place, la jeune femme se rend compte que rien dans sa vie passée ne l’a préparée à ce changement radical. Skálar n’est pas seulement l’un des villages les plus isolés d’Islande, il ne compte que dix habitants. Les seuls élèves dont Una a la charge sont deux petites filles de sept et neuf ans. Les villageois sont hostiles. Le temps maussade. Et, depuis la chambre grinçante du grenier de la vieille maison où elle vit, Una est convaincue d’entendre le son fantomatique d’une berceuse. Est-elle en train de perdre la tête ?

Quand survient un événement terrifiant : juste avant noël, une jeune fille du village est retrouvée assassinée. Il ne reste désormais plus que neuf habitants. Parmi lesquels, fatalement, le meurtrier.

Ce que j’en pense :

Una est mal dans sa peau dans son petit appartement de la capitale ; elle se sent à l’étroit et sa mère, veuve, a trouvé un nouveau compagnon avec lequel elle a un projet de voyage. C’est son unique lien semble-t-il avec son amie Sara, alors elle a brusquement elle-aussi une envie d’ailleurs.

Elle décide de répondre à une petite annonce recherchant un enseignant à Skálar , village de dix âmes, situé dans une péninsule à l’autre bout du pays. Elle n’aura que deux élèves, deux fillettes et sera logée dans un appartement sous les combles chez la mère de l’une d’elle.

Étant donné qu’elle était la seule candidate, elle a été embauchée, mais elle va vite se rendre compte que les autres habitants ne la voient pas arriver d’un bon œil, se demandant pourquoi elle a voulu s’éloigner autant de la capitale, affrontant le vent glacial, la nuit islandaise, et la solitude.

En parallèle, Ragnar Jónasson nous raconte l’arrestation d’une jeune femme quelques années auparavant et la manière dont elle a été traquée par les policiers lors de la disparition de son petit ami.

Très vite, Una va se rendre compte qu’il se passe des choses bizarres dans le village et dans la maison, que l’on dit hantée. Est-elle en train de perdre la raison, car sa consommation de vin rouge est relativement importante ?

J’ai beaucoup aimé, ce côté quelque peu paranormal, avec les esprits, les fantômes, sur fond de légendes, la lenteur la manière d’affronter la vie rude de cette contrée perdue et je me suis vite laissée emporter par le caractère envoûtant du récit. Est-ce la magie des contes, l’approche de Noël, ce que j’avais trouvé trop lent, voire un peu soporifique dans les autres livres de l’auteur, m’a plu cette fois. Peut-être aussi la solitude, et l’envie d’ailleurs, avec tous ces confinements et, il faut bien le reconnaître, la magie de l’Islande a fonctionné, une fois de plus, à merveille…

L’auteur donne, dans la préface, des renseignements sur la manière dont il a étudié les habitants (ainsi que les contes) avec ce livre : « L’histoire des habitants de Langanes » de Fridrik G. Olgeisson que je n’ai pas réussi à trouver sur Internet…

Je n’avais lu, jusqu’à présent, que « Snjor » et « La dame de Reykjavik », le premier tome de la trilogie de Ragnar Jónasson,qui m’avait un peu laissée sur ma faim, mais ma fascination pour l’Islande a été la plus forte et j’ai eu, à nouveau, envie de me laisser tenter. J’ai passé un bon moment, dans ce village perdu que j’ai cherché sur la carte et j’ai fini par m’attacher à ses habitants taiseux, relativement peu accueillants avec leurs secrets.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions de la Martinière qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur, ce qui m’a donné envie de terminer la trilogie…

8/10

L’auteur :

Ragnar Jónasson est né à Reykjavik en 1976. Grand lecteur d’Agatha Christie, il entreprend, à dix-sept ans, la traduction de ses romans en islandais. Découvert par l’agent d’Henning Mankell, Ragnar a accédé en trois ans seulement au rang des plus grands auteurs internationaux de polars. Avec plus d’un million de lecteurs, la France occupe la première place parmi les trente pays où est traduit Ragnar Jónasson.

Extraits :

Una se réveilla en sursautIl faisait un froid glacial. Elle se redressa doucement. Prise d’un léger vertige, elle se ressaisit rapidement et se souvint tout à coup d’où elle était. Le village de Skálar, sur la péninsule de Langanes. Seule, abandonnée dans son petit appartement sous les combles.

Recherche enseignant au bout du monde. Una relut l’annonce pour le moins singulière, assise à la table de la cuisine de son petit appartement en sous-sol niché au cœur du quartier ouest de Reykjavik. Elle l’avait acheté quatre ans plus tôt, après avoir réuni de quoi constituer un apport. Sa famille –ou, plus précisément sa mère – ne bénéficiant que de modestes ressources, elle n’avait pu compter que sur elle-même, comme d’habitude…

Una eut soudain la sensation d’être seule au monde. Déménager, faire de nouvelles rencontres aurait sans doute un effet bénéfique sur elle. Sortir des sentiers battus, suivre son instinct et vivre une aventure excitante.

Elle avait juste besoin de respirer, de prendre son envol. Quelle meilleure solution que de devenir enseignante dans un village si petit qu’il méritait à peine ce qualificatif ? Dix âmes, pas plus. Comment une société de cette taille pouvait-elle fonctionner ?

Lu en novembre 2021

« Lumière d’été, puis vient la nuit » de Jon Kalman Stefansson

J’avais plutôt apprécié le précédent roman de l’auteur alors celui-ci était évidemment à mon programme et comment résister à la tentation quand je l’ai vu sur NetGalley :

Résumé de l’éditeur :

Dans un petit village des fjords de l’ouest, les étés sont courts. Les habitants se croisent au bureau de poste, à la coopérative agricole, lors des bals. Chacun essaie de bien vivre, certains essaient même de bien mourir. Même s’il n’y a ni église ni cimetière dans la commune, la vie avance, le temps réclame son dû.

Pourtant, ce quotidien si ordonné se dérègle parfois : le retour d’un ancien amant qu’on croyait parti pour toujours, l’attraction des astres ou des oiseaux, une petite robe en velours sombre, ou un chignon de cheveux roux. Pour certains, c’est une rencontre fortuite sur la lande, pour d’autres le sentiment que les ombres ont vaincu – il suffit de peu pour faire basculer un destin. Et parfois même, ce sont les fantômes qui s’en mêlent…

En huit chapitres, Jón Kalman Stefánsson se fait le chroniqueur de cette communauté dont les héros se nomment Davíð, Sólrún, Jónas, Ágústa, Elísabet ou Kristín, et plonge dans le secret de leurs âmes. Une ronde de désirs et de rêves, une comédie humaine à l’islandaise, et si universelle en même temps. « Lumière d’été, puis vient la nuit » charme, émeut, bouleverse.

Traduit de l’islandais par Éric Boury.

Ce que j’en pense :

L’histoire s’ouvre sur un petit village, comme tant d’autres, perdu dans les fjords, avec sa poste (surtout sa postière en fait !) sa coopérative agricole mais qui a cependant une particularité : il n’y a ni église ni cimetière.

« Il semble cependant qu’il y ait un point par lequel notre village se distingue des autres – nous n’avons pas d’église. Non plus que de cimetière. On a pourtant maintes fois tenté de remédier à ce manque, une église donnerait indéniablement de l’allure à notre environnement, le doux tintement des cloches rejoint les âmes en peine ; le glas porte avec lui des nouvelles de l’éternité. »

On fait ainsi la connaissance d’un homme particulier, le directeur de l’Atelier du Tricot, qui tout à coup se met à rêver en latin. Alors que tout un chacun ne ferait que s’en étonner moire s’en amuser, il décide d’apprendre le latin, et donc de lire des ouvrages en latin pour ensuite s’intéresser aux grands textes et notamment à l’astronomie. Il va ainsi renoncer à son travail, faire des conférences, rencontrer d’autres personnes dans le monde qui ont la même passion. Ces voisins vont le surnommer « l’astronome ». Son épouse en profitera pour faire ses valises…

Au départ, on pense que l’auteur va raconter son histoire, alors qu’en fait, d’autres personnes vont entrer en scène et une interdépendance va ainsi s’installer entre les personnages, aussi bien que les thèmes.

On fait ainsi la connaissance de David le fils de l’astronome qui travaille à l’entrepôt, qui est persuadé de l’existence des fantômes ce qui lui permet de trouver des explications à certains évènements étranges, malgré le scepticisme de son collègue Kjartan, ou encore Jonas, si pâle et évanescent qu’il risque de se dissoudre dans l’espace, ou encore Benedikt. Mais n’allez surtout pas croire que les femmes sont absentes : nous avons Agusta postière qui lit tous les courriers qui arrivent à la poste et n’hésite pas à en instruire ses concitoyens, ou encore ma préférée Elizabet, au caractère bien trempée qui n’hésite pas à se frotter aux autres, hommes ou femmes). J’allais oublier Jacob qui parcourt le pays à v bord de son camion ou Matthias qui rentre au pays après des années passées à l’étranger.

J’ai bien aimé la manière dont le récit s’étoffe au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture : les thèmes s’intensifient, les nouveaux personnages sont introduits d’une manière qui rappelle « Le Boléro » de Ravel : la mélodie s’enrichit de plus en plus, le nombre de musiciens, et la vitesse d’exécution, le volume etc. Dans ce roman on trouve la même puissance, il se passe des choses mine de rien, on côtoie ainsi Galilée, Copernic, et donc la science, l’univers, l’auteur nous livre des réflexions sur la vie, la mort, le temps qui passe, la religion, la science et leur place dans la société, les préoccupations sur la planète…

« Nous nageons dans l’opulence, pourtant, nous ne sommes pas heureux, à quoi allons-nous occuper toutes ces journées, cette vie, c’est un véritable casse-tête, pourquoi vivons-nous ? »

L’histoire en elle-même n’est pas palpitante, mais on vit au rythme de l’Islande et de ses particularités, les jours ou les nuits sans fin, mais j’ai énormément aimé ses réflexions sur la vie en général, qui sont assez proches des miennes. Vous pourrez le constater en lisant les extraits ci-dessous. Je rappelle au passage que ce roman est le premier de Jon Kalman Stefansson, paru en 2005 en Islande et seulement traduit aujourd’hui chez nous, ce qui lui confère un intérêt particulier par rapport au contexte actuel de la planète et des relations interhumaines.

Ce roman me rappelle dans sa construction, le roman précédent « Asta », lequel variait les époques dans sa narration, alors qu’ici on reste dans l’ensemble dans la période actuelle, mais les chapitres s’étoffaient et s’enrichissaient les uns les autres.

Je n’ai toujours pas lu la trilogie de Jon Kalman Stefansson : « entre ciel et terre », « La tristesse des anges » et « Le cœur de l’homme » qui me narguent depuis un certain temps dans ma PAL… « ô temps suspends ton vol et vous heures propices suspendez votre cours » comme le disait si bien mon ami Alphonse de Lamartine

Un immense merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui ont bien voulu me permettre de découvrir ce roman et de retrouver son auteur ainsi que l’Islande, ce pays qui me fascine (tout comme sa littérature)

#Lumièredétépuisvientlanuit #NetGalleyFrance

8/10

Extraits :

… mais nous affirmons qu’il faut littéralement être défunt pour ne pas penser à la mort. Avez-vous réfléchi au nombre de choses qui tiennent au hasard, toute la vie peut-être ?

C’est dans le silence que se conserve l’or ; celui qui se tait, plongé dans une parfaite solitude découvre tant de choses, le silence s’infiltre dans les chairs, apaise le cœur, calme l’angoisse et emplit la pièce dans laquelle vous êtes, il résonne dans votre maison tandis qu’en dehors, le présent se déchaine, c’est un sprinter, c’est une Formule 1, un chien qui court derrière sa queue sans jamais l’attraper.

C’est si bon de s’esclaffer, un rire sincère est un étrange mélange de volupté et d’oubli de soi, nous nous désagrégeons en lui, nous tourbillonnons en surplomb du personnage que nous incarnons au quotidien, il fait de nous des êtres humains.

Les larmes ont la forme d’une barque à rames, la douleur et la peine sont tapies sous le banc de nage. Celui qui pleure à un enterrement, pleure également sa propre mort et en même temps celle du monde, parce qu’à la fin du monde tout meurt et il ne reste rien.

Oui, le monde convulse tandis que nos mains s’agrippent à la table de la cuisine.

Mais, ce qui est fait ne saurait être défait, certains évènements modifient votre paysage intérieur si profondément que les mots n’ont pour ainsi dire plus aucun pouvoir.

Les héros de chaque époque sont un miroir de l’air du temps, de nos préoccupations, de nos rêves et de nos espoirs, un héros est un objectif, un phare qui nous guide, une consolation quand les vents sont contraires, l’homme en a besoin, c’est dans sa nature.

On peut dire toutes sortes de choses concernant les gens. La plupart d’entre nous abritons à la fois beauté et abjection. L’homme est un être complexe, un labyrinthe où l’on se perd quand on cherche des explications.

C’est le genre d’agacement qui naît parfois entre les gens dans les campagnes. Peut-être vivons-nous en général si éloignés les uns des autres que nous ne savons pas vraiment nous comporter avec nos voisins, nous n’avons pas l’habitude de nous soucier d’eux, c’est sans doute là un manque de maturité sociale profondément ancré en nous.

C’est étrange, ce pouvoir qu’à le silence de distordre le temps, les minutes ne sont plus elles-mêmes, elles semblent ne jamais devoir passer, elles deviennent un ciel immobile.

Ne vous est-il jamais arrivé de vous dire que jamais dans l’Histoire nous n’avons vécu dans un tel confort, que l’individu n’a jamais eu à ce point la possibilité d’influer sur son environnement, qu’il n’a jamais été aussi simple de s’engager, mais que la volonté de le faire n’a jamais été aussi rare—comment se fait-il ? Se pourrait-il que la réponse se trouve dans une autre question : quels sont ceux qui tirent profit d’une telle situation ?

C’est la quête elle-même qui est notre but, et si nous parvenons à une réponse, elle nous privera de notre objectif. Or, évidemment, c’est la quête qui nous enseigne les mots pour décrire le scintillement des étoiles, le silence des poissons, les sourires et les tristesses, les apocalypses et la lumière d’été.

Je ne peux pas me défaire de l’idée selon laquelle c’est le hasard qui décide de tout, c’est lui qui engendre tout, y compris le sens qu’on donne à sa vie, l’oiseau continuera de voler dans les airs, dans ce cas, pourquoi s’alarmer de la fin d’une civilisation ?

Peut-être renaissons-nous chaque fois que nous ouvrons les yeux, on peut alors supposer que quelque chose se meurt lorsque nous les fermons.

Il est inutile de penser, on se contente d’exister, d’écouter, d’accueillir le réel et les sons matinaux, de pareils instants réduisent en poussière les grandes puissances de ce monde.

Il a ri de bon cœur en voyant ces singes, parfois tellement bon que les mots ne sauraient l’exprimer. Mais la vie part dans tous les sens puis s’interrompt au milieu d’une phrase ; parfois, il vaut mieux se réveiller tôt, regarder l’océan et laisser passer le temps.

L’être humain est parfois étrange, il se sent seul, aspire à un peu de compagnie, et si quelqu’un arrive, tout s’inverse, il a envie de rentrer dans sa coquille pour avoir la paix.

Lu en septembre 2020