« Ce que diraient nos pères » de Pascal Ruter

Place aujourd’hui à un livre « jeunesse », que j’ai choisi pour son titre, son résumé et après avoir vu passer quelques critiques sympathiques…

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

La vie d’Antoine a basculé le jour où son père, chirurgien, s’est laissé accuser à tort d’une erreur médicale. Depuis, sa mère est partie et le quotidien est devenu plutôt morose. Peu à peu, le garçon se laisse entraîner malgré lui par une bande d’ados accros à l’adrénaline : il est complice de vandalisme, de cambriolage… jusqu’à un braquage, où tout bascule. Dans ce crescendo de violence, il ne se reconnaît plus. Pourtant, il peut encore se battre pour sortir de cette situation infernale.

Pascal Ruter s’essaie à un ton intimiste et bouleversant, pour nous surprendre une fois encore.

 

 

Ce que j’en pense :

 

Tout allait bien dans la vie d’Antoine : un père chirurgien réputée, une mère aimante, un couple qui s’entend bien, une belle maison. Les études se passent bien, il dévore les livres : il en a toujours qui dépassent de ses poches, ce qui lui permet de supporter les moqueries des camarades de classe.

Soudain, tout bascule : une intervention chirurgicale qui dérape, ce n’est pas la faute de son père, mais il va porter le chapeau à la place d’un autre qui avait commencé à opérer en état d’ébriété. Cet homme est puissant et impose le silence à tous ceux qui étaient là.

Procès, où il se défend mal, et se retrouve radié à vie ! disputes… la mère d’Antoine finit par s’en aller à l’autre bout de la France, à Montpellier, soleil garanti, loin de la grisaille…  Antoine choisit de rester avec son père pour le soutenir.

Mais, c’est dur de supporter le regard des autres, alors Antoine décroche, et décide d’abandonner les études et d’apprendre la mécanique. Il s’occupe les mains, donc il pense moins, du moins le croit-il.

Et ensuite, mauvaise rencontre avec des petits loubards, et c’est l’escalade. Dans le quatuor, il y a Stéphane fils de notaire, en rébellion qui rêve d’être artiste, Gaëtan qui a choisi le CAP mécanique comme lui, mais par défaut, et pour finir Arnaud.

Cela commence par un défi idiot qui aurait pu coûter la vie à quelqu’un, puis le saccage d’une maison et pour finir une tentative de vol, qui se termine mal, tout cela pour des décharges d’adrénaline…

En parallèle, on rencontre des migrants qui tentent de relier l’Angleterre, au péril de leur vie, et que l’on traque en premier quand quelque chose de grave se produit. C’est tellement plus simple…

L’auteur raconte de fort belle manière la facilité avec laquelle on peut basculer quand on vit une situation difficile, quand les parents ne sont pas là pour rassurer, guider, mettre les limites. La recherche d’amour, de reconnaissance, est présente tout au long du roman, où l’on croise des adultes qui sont prêts à s’investir pour leur venir en aide.

Devant le danger, Antoine va retrouver sa mère, mais la fuite n’est jamais une solution… il ne peut pas parler avec elle de toute manière…

Pascal Ruter exprime bien, la prise de conscience possible ou non chez ces gamins paumés. Soit, on peut tellement centrés sur soi-même que la seule solution est de sauver sa peau. Soit, on assume et on tente de rectifier le tir.

On peut être ado et prendre conscience de l’injustice, de la souffrance d’autrui et agir. J’ai beaucoup aimé Lucia, qui était dans la même classe qu’Antoine et ne comprend pas pourquoi il a changé, elle fait penser un peu à Greta Thunberg, par son côté tenter de sauver le monde, lutter contre l’injustice. « La maison brûle, et nous regardons ailleurs » , cela peut s’appliquer à la planète en danger, comme aux populations qui sont obligées de tout quitter à cause des guerres, du changement climatique…

Elle fait découvrir à Antoine un roman de Siegfreid Lenz : « Une minute de silence », auquel l’auteur rend un hommage appuyé, ce qui bien-sûr m’a immédiatement donné envie de le lire…

L’écriture de Pascal Ruter est belle ; il n’y a pas d’emphase, les mots sonnent juste, il n’y a pas de jugement de valeur, il ne se pose pas en adulte savant qui aurait tout compris. Il n’y a jamais de condescendance.

J’ai adoré ce roman que je n’ai pas lâché, dès la première seconde où je m’y suis plongée. C’est une pépite ! J’aime bien lire des romans jeunesse et celui-ci est particulièrement réussi. Le titre est génial : « ce que diraient nos pères » va rester longtemps dans ma tête, bien ancré dans ma mémoire.

Cerise sur le gâteau : l’éditeur propose des extraits d’autres livres de Pascal Ruter, ainsi que quelques pages d’autres de leurs auteurs…

« Le cœur en braille » est déjà dans ma PAL…

Un immense merci à NetGalley et aux éditions Didier Jeunesse qui ont bien voulu me permettre de découvrir cette pépite et son auteur.

Mon premier coup de cœur de l’année 2020!

#CeQueDiraientNosPères #NetGalleyFrance

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PS : une de mes grandes décisions pour l’année 2020 était de faire baisser ma PAL, et elle ne va pas faire long feu car pour un livre qui en sort, il y a deux ou trois qui entrent… Très honnêtement, je dois reconnaître que je ne me berçais pas trop d’illusions….

 

L’auteur :

 

Pascal Ruter est né en 1966, dans la banlieue sud de Paris. Depuis qu’il a découvert l’œuvre de Gustave Flaubert, il considère que s’il a des yeux, c’est pour lire, et deux mains (surtout la droite) pour écrire. Il ne voit d’ailleurs pas bien ce qu’il peut y avoir de plus intéressant à faire que de disposer des mots sur une page.

À l’extrême rigueur, il accepte de regarder des films comme ceux de Charlie Chaplin, de Buster Keaton, de Jacques Tati ou de quelques autres. Il aime, par-dessus tout, les livres où le malheur et la sévérité de la vie sont dynamités par la cocasserie et la drôlerie de situations loufoques. Il est bon public et rit très facilement…

Il vit actuellement dans un minuscule village, au beau milieu de la forêt de Fontainebleau. « Le Cœur en braille « est son premier roman publié.

https://didier-jeunesse.com/auteurs/pascal-ruter

 

Extraits :

 

Et ses camarades de classe de l’année dernière ? Pendant quelques secondes, il s’obstine à tenter de retrouver des visages pour y coller un nom, mais toute cette période s’enfuit dans le brouillard. La pluie délave ses souvenirs et les emporte dans la terre.

 

La mélancolie l’empoigne à la gorge.  Qu’est-ce qu’il fout son père ? Pourquoi ne rentre-t-il pas ? Merde, pourquoi est-ce que c’est toujours à lui de s’inquiéter ? C’est pas à lui de conduire ce radeau en perdition sur lequel ils se sont embarqués tous les deux.

 

Toutes les murailles qui la (sa vie) protégeaient ont volé en éclats. En quelques semaines. Quelques mois. Maintenant il n’y a autour de lui que des gravats. Le passé. C’était peut-être ça qu’elle voulait dire Lucia, être vieux, c’est être le prisonnier du passé.

 

 La sterne de Dougall. Comment savoir ce qu’il y a de vrai dans cette histoire familiale léguée par le grand-père d’Antoine ? Où est la vérité ? Où est l’illusion ? On pose sur la réalité les sparadraps qu’on peut.

 

En fit, on ne vaut pas mieux que l’autre enflure. Aussi lâches que lui. Tout pour notre gueule, et le mec, là, qui n’a rien demandé à personne, il est en train de crever et on s’en fout.

 

Il n’y a rien de plus beau que l’amour, tu sais… L’amour et les livres.

 

Il repense à la nuit de la veille, aux quelques mètre parcourus sur le fil, collé à Stéphane. Juste une dizaine de pas, une poignée de secondes dans le vide. A voler, presque. Il ne voyait rien d’autre que les deux mètres de fil éclairés par sa frontale. Le fil apparaissait, puis replongeait brusquement dans le noir. A chaque seconde, il pouvait se passer n’importe quoi ; un rien de vent ou un soubresaut aurait suffi à les faire basculer dans le vide.

 

Entre la vie et la mort, il n’y avait que ce fil. Le shoot d’adrénaline était tellement puissant qu’il brûlait immédiatement la moindre pensée, même la peur n’avait pas le temps de naître. La mort frôlée, domptée, pour se sentir en vie.

 

Lu en janvier 2020

« Journal d’un amnésique » de Nathalie Somers

Je vous parle aujourd’hui d’un roman jeunesse, pour varier les plaisirs, avec ce livre choisi sur NetGalley pour le thème abordé ainsi que la couverture…

 

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

À 15 ans, le quotidien de Romain se transforme en film catastrophe. Il est incapable de reconnaître ses parents ni même son reflet dans une glace… le voilà amnésique, au secours ! Il décide de compiler chaque épisode de sa nouvelle vie dans un journal, et de se lancer dans une (en)quête d’identité.

Entre ses parents cachottiers, l’éblouissante Morgane, l’énigmatique Adeline, le populaire Elias et sa bande calamiteuse, il est vite perdu… Perdu mais pas fichu, car l’un ou l’une d’entre eux pourrait bien l’aider d’une manière inattendue… Et si ce nouveau départ lui permettait enfin de vivre sa vie ?

 

 

Ce que j’en pense

 

Romain commence à tenir son journal sur les conseils du médecin qui l’a examiné aux urgences à la suite d’une chute avec perte de connaissance qui lui a laissé une amnésie, afin de décrire ce qu’il ressent et tenter de retrouver des souvenirs.

Ses parents, notamment son père ne le croient pas et pensent qu’il simule pour échapper à la réalité ou manipuler son entourage. Alors, Romain a recours à la phrase magique : « Céledocteurkiladi » pour tenter de se retrouver.

Son journal commence le 22 mai et s’étend jusqu’au 11 juin, et Romain lui confie tout sans tricher.

Première difficulté : il ne reconnait pas ses parents et décide de les appelle par leurs prénoms, ce qui en dit long sur les relations dans la maison. Un père autoritaire, intransigeant, une mère effacée qui lui cuisine du quinoa, du tofu, ou pilpil galettes de riz…

La maison reluit de sol au plafond, la chaîne Hi-Fi est la propriété exclusive du père et il est interdit d’y toucher et cerise sur le gâteau, on entre dans sa chambre comme dans un moulin, il n’a aucune intimité. Ambiance terrible donc.

Le médecin lui ayant conseillé d’imaginer qu’il est le héros d’un film, il se plonge dans « Le comte de Monte-Cristo » et s’identifie à Edmond Dantès, comparant leur prison respective…

« Moi aussi je suis prisonnier. Mon château d’If, c’est ce corps. Cette vie. Et de cette geôle-là, on ne s’efface pas. »

Ensuite il faut affronter le retour au lycée, où il ne reconnaît personne, les amis, les ennemis ? à qui doit-il faire confiance ?

Ce roman explore, on l’aura deviné, le harcèlement à l’école, car on comprend très vite que l’amnésie permet à Romain de fuir une réalité. Maltraitance des gens qui sont différents, telle Adeline, surnommée « grosse vache », l’auteure utilise une phrase lourde de signification :

« C’est drôle comme les gens vous évitent quand vous êtes différent. On dirait qu’ils ont peur d’attraper votre problème. »

Romain est subjugué par Morgane, une belle adolescente aux cheveux d’or « la fée Morgane » dont il est persuadé d’avoir entretenu une relation privilégiée avant ? il se rapproche du meneur, Elias et de ses « valets », car il veut se faire des amis à tout prix…

L’auteure explore au passage la différence, le piège des réseaux sociaux (dans lequel Elias et ses acolytes le font tomber et pour cause), les vidéos qu’on y poste, les « amis » virtuels, et par voie de conséquence une autre forme de harcèlement, et tout au bout le chantage.

Nathalie Somers démontre dans ce court roman, le terrain sur lequel se greffe et prospère le harcèlement : un ado peu sûr de lui qui a été élevé de façon stricte, auquel on a toujours demandé d’être parfait en tout et à travers lequel, les parents tentent de vivre la vie qu’ils n’ont pas pu vivre. Cela a donné un garçon qui ne s’est jamais révolté, s’est isolé et constitue une proie facile.

Je salue au passage les autres auteurs qui ont collaboré également à l’écriture de ce roman : Nicolo Giacomin et Lucia Calfapietra.

Ce roman jeunesse m’a bien plu, il est bien écrit, et l’auteure a bien su explorer le sujet, avec des termes qui sont propres à l’adolescence, et donc le message passe bien, même si les personnages sont parfois caricaturaux, notamment les parents qui m’ont rappelé des souvenirs…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Didier Jeunesse qui m’ont permis de découvrir ce roman.

#JournalDunAmnésique #NetGalleyFrance

 

L’auteur

 

Après un début de carrière dans l’ingénierie, Nathalie Somers s’est reconvertie dans l’enseignement.

Professeur des écoles à mi-temps, elle profite de son temps libre pour s’occuper de ses 3 enfants et de son mari, pour écrire des contes et histoires pour les plus jeunes, et parfois même des articles pour femmesaujourdhui.com.

 

 

Extraits :

 

C’est aussi pour ça que j’ai commencé ce journal. Pour m’apprivoiser, me découvrir, me structurer. En espérant qu’il y ait quelque chose à découvrir et à structurer. Pour l’instant, ma tête est comme une grande maison vide aux murs lisses.

 

Peut-être étais-je la victime d’une caméra cachée ? Pour m’en convaincre, j’ai cherché à visualiser celle qui était vraiment ma mère. Celle que j’appelais « maman ». J’ai cherché et j’ai cherché encore. Et encore et encore. Je n’ai rencontré que le vide. Un écran blanc. Un trou noir.

 

Comment pouvais-je recouvrer mes esprits (au pluriel) alors que j’avais de plus en plus l’impression de l’avoir perdu (je veux dire « l’esprit » au singulier.

 

Un conseil : vis au jour le jour. Imagine que tu es le héros d’un film. Prends les choses comme elles viennent et surtout, surtout, ne force pas ta mémoire. La mémoire, c’est comme un chat : si tu l’obliges à s’asseoir sur tes genoux, il te fuira. Ignore-le, et il viendra se lover contre toi.

 

Ça me fait penser que cette situation ne manque pas de piquant : d’habitude, la question qui se pose, c’est de savoir si le père va reconnaître son enfant. Pas si l’enfant va reconnaître ses parents.

 

Edmond Dantès n’est-il pas devenu le comte de Monte-Cristo en s’évadant de sa prison ? L’homme d’avant n’avait rien de commun avec celui d’après. Pourquoi cela ne marcherait-il pas pour moi ? Après tout, à chacun son château d’If !

 

« Des mots pour soigner des maux », oui, je l’ai déjà entendu dire. Ça m’a l’air idiot, une jolie formule qu’on agite sous le nez de ceux qui souffrent. Un os à ronger que l’on jette aux victimes qui, comme moi, s’en prennent plein la tronche…

 

Le monde, parfois, est mal fait. Il y a des gens avec des grands cœurs et des petits moyens et d’autres avec de grands moyens mais de petits cœurs.

 

La mémoire est un instrument qui se joue de lui-même. Un évènement traumatisant peut soit y être indélébilement inscrit ou à jamais dissimulé.

 

 

Lu en juin 2019