« Le secret de la reine soldat » de Lorraine Kaltenbach

Un détour par l’Histoire, notamment celle du XIXe aujourd’hui avec ce livre que j’ai pris mon temps pour bien déguster et faire durer le plaisir :

Résumé de l’éditeur :

Marcel Proust, qui l’idolâtrait, l’avait baptisée la « reine soldat ». Luchino Visconti rêvait de la porter à l’écran. Reine déchue du royaume de Naples et des Deux Siciles, Marie-Sophie en Bavière s’est toujours dérobée aux historiens qui n’ont pressenti son secret qu’à demi.

Marie-Sophie était la plus romanesque des sœurs de Sissi. Aussi rebelle que l’illustre impératrice, elle fut autrement plus vivante, charnelle et intrépide. A vingt ans, elle subjugua l’Europe en abandonnant ses somptueuses crinolines pour traverser la Révolution italienne du Risorgimento. A trente ans, elle devint une figure du Paris de la Belle Époque. Que cachait son attirance pour la Ville Lumière ? La nostalgie de sa passion pour un zouave pontifical français, mais surtout Daisy, leur enfant, dont elle ne put jamais faire l’aveu public. Le pape, les rois de Bavière, de Naples et des Deux-Siciles, avaient trop à perdre si ce scandale était divulgué.

Cette mère qu’on avait arrachée à l’attachement le plus sacré imposera son droit de renouer avec sa fille et se vengera par les armes de ceux qui l’avaient outragée. C’est ce que nous dévoile Lorraine Kaltenbach, dans le récit, riche en aventures, de son enquête pour retrouver sa cousine Daisy, la fille de la reine soldat et la nièce cachée de Sissi.

Ce que j’en pense :

Lorraine Kaltenbach nous raconte le destin de Marie-Sophie de Wittelsbach, la sœur cadette d’Elizabeth, rendue célèbre par la saga des « Sissi » qui a épousé François II de Bourbon, roi de Naples et des Deux Siciles. Un mariage particulier, car il n’était en « présentiel » pour employer une expression tristement à la mode de nos jours. Ils ne sont jamais vus, tout a été décidé par les familles.

Le mariage se déroulant sous de tels auspices, ne pouvait qu’être promis à des catastrophes, ou des péripéties selon le degré de gravité des évènements.

A peine une année après le mariage, la couronne commence à tanguer sur leurs têtes : c’est le Risorgimento, qu’on appelait « L’Unité Italienne » dans nos livres scolaires, avec les Chemises rouges, révolutionnaires sous la houlette de Garibaldi, alors qu’en coulisse, Victor-Emmanuel II tire les ficelles en attendant patiemment son heure.

Nos deux époux se trouve retranchés, assiégés dans la forteresse maritime de Gaète, où leurs fidèles vendront cher leur peau. Marie-Sophie est active durant ce siège, on la voit se rendre auprès des soldats, les encourager, les soigner, tandis que François brille par son inaction.

Inutile de préciser qu’ils vont perdre. Ils seront « recueillis » par le Pape Pie IX, qui leur fait aménager des appartements au Quirinal et mèneront la belle vie, si l’on regarde les choses de l’extérieur…

Marie-Sophie s’ennuie, son mariage est un échec, il n’a même pas été « consommé », le roi étant atteint d’un phimosis qu’il refuse de faire opérer… Alors, quand un beau Zouave, Français, vient officier auprès du pape, une idylle se noue : retrouvailles en secret, avec quelques complicités, car ils sont sous étroite surveillance. Lorsque la grossesse commence à se voir, Marie-Sophie va se réfugier chez son frère Louis, on parle de maladie, la tuberculose commençant à faire des dégâts.

« Daisy était le fruit des amours entre la reine de Naples et notre cousin, Emmanuel de Lavaÿsse (prononcer Lava-ï-sse), un Français enrôlé dans les zouaves pontificaux à Rome, au début des années 1860. »

Et Daisy, pointe le bout de son nez, et il faut trouver une solution, Marie-Sophie préfère la confier à son père, qui a bravé le froid, en se cachant pour ne pas être reconnu, afin de la rejoindre en Bavière. Elle ne la gardera pas longtemps près d’elle, car tout le monde fait pression pour qu’elle retourne en Italie, Sissi, entre autres, mais aussi sa plus jeune sœur Mathilde qui a épousé le demi-frère de François…

Lorraine Kaltenbach est une descendante de Daisy, l’enfant cachée de Marie-Sophie que Marcel Proust surnomme la reine soldat car il l’admire profondément. Elle a entendu l’histoire de Daisy car un jour sa grand-mère a décidé de lui raconter ce destin compliqué, funeste. Ensuite, elle a fait un important travail de recherche pour retrouver des preuves, l’acte de naissance, mais aussi l’endroit où Daisy a été enterrée…

On suit en même temps le destin des deux familles, celle d’Emmanuel, et celle de Marie-Sophie, l’une n’ayant rien à envier à l’autre en ce qui concerne les deuils et les souffrances : la triste fin de Louis de Bavière, l’assassinat de Sissi, le drame de Mayerling, puis l’assassinat de François Ferdinand, qui déclenchera la première guerre mondiale… Et du côté d’Emmanuel, famille de Huguenots, un ancêtre a joué un rôle dans l’affaire Calas, les exils à cause de la Révolution,car ils étaient nobles entre autres.

Le début de ma lecture a été difficile, car il fallait mémoriser les noms de tous les protagonistes. Comme tout le monde je connaissais le destin tragique d’Elizabeth, via la saga cinématographique et via l’Histoire, car le XIXe siècle me passionne, celui de son frère Louis, un peu moins les autres membres de la tribu Wittelsbach. Napoléon III, son rôle et celui de son épouse Eugénie, cela allait encore, la politique politicienne, également.

L’Unité Italienne, par contre, c’était plus flou car les cours de seconde ou première remontaient à… des années, Garibaldi et les chemises rouges, Victor-Emmanuel II et son conseiller Cavour, n’étaient pas trop tombés dans les oubliettes, mais, en ce qui concerne François II roi de Naples et des Deux Siciles, c’était le trou noir…

J’ai beaucoup aimé me replonger dans cette époque, et accompagner l’auteure dans ses recherches (travail considérable, vues la quantité de notes et l’épaisseur de la bibliographie) mais aussi accompagner Marie-Sophie qui va mener une vie hors du commun, surtout en France, où elle a rencontré les artistes de la Belle Epoque.

Tout au long du livre, Lorraine Kaltenbach fait des références Giuseppe Tomasi di Lampedusaqui évoque cette période dans « Le Guépard » ou à Alexandre Dumas, avec des citations de Chateaubriand, de Proust, Voltaire pour ne citer qu’eux.

Cette Reine soldat m’a beaucoup plu et plonger dans sa vie et celle de sa famille a été un plaisir, riche en émotions, car il faut reconnaître qu’elle force le respect, contrairement à la « couardise »de son royal époux. La famille d’Emmanuel est également riche en couleurs et ce livre permet de revisiter toute l’Histoire de l’Europe de la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’en 1925.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Rocher Elidia qui m’ont permis de découvrir ce livre très intéressant ainsi que son auteure qui est une ancienne plume de ministres.

#Lesecretdelareinesoldat #NetGalleyFrance

9/10

L’auteure :

Ancienne « plume » de ministres, Lorraine Kaltenbach est l’auteure de Championnes (Arthaud), des Chibret, une saga auvergnate (JC Lattès) et de Filles à papa (Flammarion).

Extraits :

Le choix a été difficile car j’ai énormément de notes, de marque-pages…

Garrevaques, c’est un vieux château de famille dans le midi de la France, assis au milieu d’une plaine qui frôle les collines de Puylaurens et s’enfuit vers la Montagne Noire ; une contrée où souffle le torrent chaud du vent d’autan, un pays de cocagne où l’on vit à souhait et où l’on jouit de tous les plaisirs gourmets.

C’est la fille d’Hélène, ma grand-mère paternelle, qui m’avait appris l’existence de cette mystérieuse nièce cachée de Sissi. Et, à la vérité, c’est en son hommage que j’allais me lancer dans cette enquête…

Mamy était un petit chef-d’œuvre de civilisation…

… Quatre-vingts ans auparavant, cette vieille dame ridée comme une pomme d’hiver, avait connu l’ambiance frénétique du Montparnasse des Années Folles. Elle portait alors du Mitsouko, des colliers jusqu’au nombril et un chapeau cloche enfoncé sur ses yeux pâles.

Contrairement à la plupart des jeunes filles, élevées derrière les murs épais d’un château, bien à l’abri avec les autres trésors de la famille, les petites Wittelsbach avaient poussé comme des herbes folles. Personne n’avait songé à dompter leur tempérament ni à leur enseigner leur strict devoir de soumission.

Sissi, qui suffoquait depuis cinq ans sous le protocole empesé de vienne, l’avait longuement chapitrée sur la vie de cour, ses servitudes imbéciles et sa pompe aux minuties remplies de pièges…

Le Risorgimento, c’est ainsi qu’on allait appeler, désormais, la conquête de l’unification des territoires et la renaissance de l’Italie. Un jour, tout le monde se le promettait, la lumière de la liberté chasserait les ombres grimaçantes du passé. Rêve de Dante et de Machiavel, songe de Pétrarque et de Leopardi, frisson de vingt siècles, l’unité exaltait toutes les têtes…

L’épopée du Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, adaptée au cinéma par Luchino Visconti, offrirait un jour une fresque magistrale de ces bouleversements : le cadavre d’un partisan des Bourbons en putréfaction sous un citronnier qui plane sur toute l’évocation, les coups de boutoirs des Chemises rouges, fanées par le soleil de Sicile ; l’Église se sentant menacée dans son pouvoir temporel, un jeune aristocrate, plein d’allant et d’opportunisme, qui rejoint les garibaldiens ; et enfin, la rêverie d’un prince lucide contemplant le déclin de sa caste, à la fois suprêmement désintéressé et prêt à transiger pour sauvegarder sa tranquillité.

Par quel mystère mes aïeux, calvinistes bon teint, ont-ils eu un cousin zouave pontifical ? Le XIXe siècle était encore un temps où catholiques et protestants ne s’alliaient guère. Pour deux époux, en particulier, il n’y avait point de salut possible sans conformité parfaite en fait d’opinions religieuses.

Paris a tout pour plaire à Marie-Sophie. Bien sûr, c’est la ville des peintres, des savants, des poètes et des rêveurs, mais pour elle, c’est d’abord la ville des amoureux, la ville d’Emmanuel…

… Ici, Marie-Sophie sait qu’elle pourra se libérer de ses chaînes et de ses ténèbres, mener une vie plus intime et plus simple. Elle ne se sentira pas sans cesse mouchardée, espionnée, traquée, par une population soupçonneuse et hostile.

Cette femme accablée de deuils et de revers semble avoir trouvé une consolation dans le respect et l’estime universelle pour une des infortunes les plus dignement supportées qu’on ait jamais connues.

On peut être ambitieux de coucher dans le lit des autres, mais on ne doit pas espérer d’y dormir tranquille.

Le temps fait peu sur la vengeance des femmes, car chez elles la mémoire, attachée au service du cœur, ne perd aucun souvenir.

Terminé en mai 2021

« Carmen et Teo » de Olivier Duhamel et Delphine Grouès

Je vous parle aujourd’hui d’un livre passionnant, découvert grâce à NetGalley : en lisant le résumé, je savais que c’était un livre pour moi!

Résumé de l’éditeur :

Une femme et un homme, nés au mitan du XXe siècle au Chili. Elle, Carmen, fille de la bourgeoisie, vit à Santiago ; lui, Teo, a grandi dans les mines de salpêtre au nord du pays. Tout les oppose. Mais voilà que le Chili gronde. Les mouvements révolutionnaires des années soixante secouent les corps et les consciences. Après l’élection d’Allende et la ferveur de l’Unité populaire, viendra le coup d’État du 11 septembre 1973, et avec lui, la violence de la dictature. Pour Carmen et Teo, la vie rime avec engagement, lutte, épreuves et exil. En ligne de mire un ennemi : Pinochet. Et un espoir : la liberté.

Flamboyant, enlevé et virtuose, voici le roman vrai de deux héros qui n’ont jamais renoncé à leurs idéaux et continuent de nous inspirer aujourd’hui.

Ce que j’en pense :

La famille de Téo est originaire de l’Atacama, où l’on travaillait à extraire le salpêtre destiné à fertiliser les campagnes du monde entier mais qui tuaient ceux les travailleurs, jusqu’au jour où une explosion fait de terribles dégâts. La famille quitte alors la région pour la ville.

« En cette année 1959, des centaines de familles partaient en errance, cœurs étreints par l’angoisse du lendemain. »

Toute sa vie, Téo gardera dans le cœur ces Indiens Ayramas, vivant sur les hauts plateaux des Andes et cherchera à cultiver leur culture, leurs coutumes. Son père est un loser, alcoolique et violent, c’est la mère Atina qui fait tourner la maison. Du fait de leur pauvreté, Téo se fera maltraiter à l’école.

Carmen Castillo vient d’un milieu bourgeois ; elle a un caractère affirmé comme ses parents Fernando et Monica, car elle doit trouver sa place dans la famille. Son arrière-grand-père maternel était président du Sénat, et dirigeait un des principaux journaux politiques de l’époque, jusqu’à ce qu’un colonel prenne le pouvoir et le contraigne à l’exil.

Deux milieux complètement différents, donc, mais un engagement politique quasi identique. Carmen est proche de Beatriz Allende, fille aînée de Salvador Allende, admiratrice de Guevara et du régime castriste.

On va assister à la lutte de chacun pour que Salvador Allende arrive au pouvoir, certains plus violents que les autres adhèrent aux méthodes controversées du MIR le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire.

Mais, pour la CIA et Nixon en tête, il est inenvisageable qu’un autre pays d’Amérique du Sud devienne « communiste », pour eux, le mot socialisme signifie communisme, œil de Moscou etc… qu’à cela ne tienne, Nixon va dépenser des milliards de dollars pour finance la campagne de candidat de la droite dure, Eduardo Frei, allant jusqu’à envoyer des armes…

En effet Salvador Allende, contrairement aux sondages de la CIA a fini par être élu, dans la liesse populaire et tenter de redistribuer les richesses détenues par les familles catholiques : augmentation des salaires, nationalisations… Mais, l’inflation galopante se profile, les denrées alimentaires se font rares, le général qui était un peu trop « favorable » au président finit par démissionner et l’armée fait appel à « un général discret et obéissant » : Augusto Pinochet pensant qu’il était facilement manipulable (comme un certain KGB fit plus tard appel à Vladimir Poutine, le pensant suffisamment peu futé pour être manipulable !!!

On assiste à un soulèvement de l’armée, télécommandé par Nixon et ses sbires, Salvador Allende refusant de quitter le palais présidentiel va se suicider sur place enregistrant un message d’adieu très fort et émouvant, et la dictature de Pinochet se met en place avec ses arrestations, ses tortures, des milliers de personnes vont ainsi « disparaître », on va jusqu’à les jeter du haut d’un avion en haute mer (technique très appréciée et largement utilisée par Salazar au Portugal)

Ce roman retrace l’histoire du Chili durant la brève présidence de Salvador Allende et les années de la dictature. Teo va être arrêté et torturé mais tiendra bon, les arrestations et les disparitions parmi leurs proches vont se multiplier et Carmen sera contrainte à l’exil. Mais les plus convaincus ne renonceront jamais à résister, avec des commandos formés à Cuba par exemple comme ce fut le cas pour Teo.

A travers l’histoire de ces deux familles, on a l’histoire de la résistance à la dictature et la douleur de l’exil. Carmen se persuade qu’elle amoureuse d’Andrés Pascal Allende, et confond l’amour avec l’admiration pour son militantisme ; elle finit par l’épouser tout en sachant qu’elle s’enferme dans une autre cage, car le statut des femmes n’est pas terrible…

 « Révolutionnaire ou non, la domination masculine était bel et bien une réalité. Elle admirait Andrés qui l’avait initiée à nombre de découvertes, à la militance active. Depuis qu’elle s’était plongée dans l’aventure du Mir, elle aspirait à plus encore d’intensité, plus d’espace pour s’épanouir… »

Comme Carmen, Teo rejoindra le Mir, en quête de ce qu’il appelle une communauté, une autre famille en somme.

J’ai beaucoup aimé ce roman historique, surtout pour tout le rappel du contexte politique du Chili, mais les héros sont très intéressants (ce qui n’est pas toujours couru d’avance, car il y a souvent un décalage entre l’Histoire et la petite histoire et là je trouve que les auteurs s’en sortent très bien.

J’ai suivi de près la période « Pinochet » au Chili, comme celle de toutes les dictatures qui se sont succédé en Amérique du Sud d’ailleurs : comment ne pas se souvenir de tous ces dictateurs dans leurs habits de lumière trônant aux obsèques de Paul VI par exemple !) et Pinochet ne sera jamais jugé de son vivant, malgré des initiatives courageuses, conduisant à son arrestation en Grande-Bretagne en 1998. Comment oublier que ce vieillard diminué en fauteuil roulant, a envoyé promener le fauteuil dès qu’il a posé le pied sur le sol chilien à sa descente d’avion, bras d’honneur au monde entier ! il ne sera jamais inquiété et s’éteindra en 2006 ! avec un détail croustillant : pas si à l’aise que cela, le vieillard soi-disant amnésique,  il a demandé à être incinéré pour être sûr que sa tombe ne soit pas profanée !

Certains des protagonistes m’ont un peu dérangée par leurs méthodes ultra-violentes, et leur militantisme forcené sans concession leur jusqu’au-boutisme mais on voit Teo évoluer, prendre ses distances avec eux, il est capable d’entendre les idées des autres sans les rejeter de manière systématique comme il le faisait au début.

L’écriture est belle, très rythmée, on ne s’ennuie pas une seconde et la couverture est très bien choisie!

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock Arpège qui m’ont permis de découvrir ce livre passionnant ainsi que les deux auteurs et d’apprécier la qualité de leur travail.

#CarmenetTeo #NetGalleyFrance

Coup de cœur donc !

Les auteurs :

Olivier Duhamel, professeur émérite, spécialiste des institutions et de la vie politique, intervient sur Europe 1 et LCI. Il a publié en 1974 « Chili ou la tentative », de nombreux essais et manuels, et un premier roman, « Colette et Jacques » (Plon, 2019 ; Pocket, janvier 2020). Il est le fils de l’homme politique, Jacques Duhamel

Delphine Grouès, directrice de l’Institut des compétences et de l’innovation de Sciences Po, est autrice d’une thèse sur la protestation populaire chilienne, « Cris et écrits de l’opprimé », et d’une pièce de théâtre, « La Lueur de l’ombre », sur les silences mémoriels.

Extraits :

Le salpêtre du Chili, connu du monde entier, le salpêtre qui viendrait fertiliser les campagnes anglaises, françaises, allemandes russes, et de quelques autres pays encore. Le salpêtre, toujours le salpêtre qui brûle les poumons et rompt les corps.

A quoi bon en perler, les frères se moqueront, et le père… le père, à quoi bon ? Et la mère, la mère courait, se courbait pour soutenir la famille ; les soucis d’un petit garçon de douze ans seraient dérisoires au regard des siens, ou pire, s’ajouteraient au fardeau qu’elle portait déjà sur les épaules.

L’insouciance des premières années de Teo sur sa terre natale s’était brisée. Sa terre du Nord… la nostalgie de la nature et du désert l’envahissait. Est-ce qu’un jour il parviendrait à retrouver ses grands espaces, la liberté, le lien avec la lune, les étoiles et le soleil, comme le grand-père aymara le lui avait appris ? Et le silence ? Combien il aspirait à retrouver quelques secondes de silence. Voulant échapper au vacarme, Teo s’isolait comme un oiseau blessé.

Pire encore, ce pays du bout du monde ne devait pas révéler que l’alliance entre le socialisme et la démocratie était envisageable. Un président socialiste légalement élu ? Impossible. Inacceptable.

Les messages enflammés du Mir, l’euphorie de l’espérance, la certitude que tous pourraient jouer un rôle dans a transformation de la société, séduisaient de nombreux jeunes gens qui se lançaient à corps perdu dans le mouvement. Ils voulaient rejoindre ce collectif, cette nouvelle famille, se rapprocher d’une flamme qui donnerait un sens à leur avenir.

Teo s’épanouissait. Il s’épanouissait enfin. La fin de son adolescence portait le sceau de l’engagement. Il avait trouvé un sens à l’exil que la compagnie du salpêtre avait imposé à sa famille. Rejoindre le Mir, c’était s’insérer dans une communauté. Une communauté d’intention et aussi de protection. Trouver une place, posséder une identité.

Il s’agissait d’un axe central de la stratégie de Nixon et Kissinger pour renverser Allende : créer un mouvement social d’opposition dans les classes moyennes secteur par secteur. Le mouvement s’étendit à nombre d’avocats, médecins, patrons de PME… les chauffeurs de taxis et les pilotes de ligne furent aussi de la partie…

Une part grandissante de la bourgeoisie souhaite un coup d’État pour retrouver ses privilèges, la caste militaire pour améliorer les siens, et les États-Unis pour empêcher toute contagion en Amérique latine…

Les présidents se succédaient, Pinochet, lui, demeurait Commandant en chef des Armées. Les exilés rentraient au pays, et plusieurs d’entre eux choisissaient quelques mois, quelques années plus tard de repartir vers les terres qui les avaient protégés. Le temps et les espaces avaient été brisés. L’exile ne s’arrêtait pas, ce qu’ils avaient perdu ne pourrait être retrouvé. Ils ne reconnaissaient plus la nation de leurs souvenirs, ils y avaient perdu leur place…

L’impunité exerçait sa violence et sa terreur au quotidien. L’incompréhension, le dégoût et la révolte submergeaient les victimes. La bataille ne faisait que commencer.

Lu en juin 2020

« La rafle des notables » : Anne Sinclair

Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui est un témoignage particulièrement émouvant avec :

Résumé de l’éditeur :

« Cette histoire me hante depuis l’enfance… »

S’interrogeant sur la manière dont son grand-père paternel, Léonce Schwartz, a échappé à la déportation, Anne Sinclair découvre un chapitre méconnu de la persécution sous l’Occupation : la « rafle des notables ».

En décembre 1941, les Allemands arrêtent 743 Juifs français, chefs d’entreprise, avocats, écrivains, magistrats. Pour parvenir au quota de mille détenus exigé par Berlin, ils adjoignent à cette population privilégiée 300 Juifs étrangers déjà prisonniers à Drancy.
Tous sont enfermés au camp de Compiègne, sous administration allemande : un vrai camp de concentration nazi d’où partira, en mars 1942, le premier convoi de déportés de France vers Auschwitz (avant la Rafle du Vél’ d’Hiv de juillet 1942).

En reconstituant la coexistence dans ce camp de bourgeois assimilés depuis des générations et de Juifs étrangers familiers des persécutions, ce récit très personnel raconte avec émotion une descente aux enfers.

« Essayer de redonner un peu de chair aux disparus est devenu pour moi une obsession », écrit l’auteur, dont le fardeau intime sert de fil rouge à une œuvre de mémoire collective.
De sorte que l’enquête familiale sur le destin énigmatique de Léonce se fait peu à peu enquête historique sur la tragédie de Compiègne, puis hommage à ceux qui n’en sont pas revenus.

Ce que j’en pense :

La légende familiale disait que le grand-père d’Anne Sinclair avait été sauvé de manière presque rocambolesque par son épouse. En cherchant à en savoir plus, elle s’est rendue compte que c’était beaucoup plus complexe et a tenté de reconstituer les évènements malgré le peu de documents à sa disposition au départ. Ce qui nous donne ce récit captivant.

Le 12 décembre 1941 commence ce qu’on va appeler la rafle des notables. On a longtemps (Vichy) affirmé que les Juifs français avaient été pris pour cible à partir de la fin 1942, ce qui est faux : cette rafle est la première. Elle est composée de 743 notables et comme les SS exigeaient un compte rond : mille personnes, d’autres Juifs ont été arrêtés dans les rues. Il s’agissait de personnes ayant subi des pogroms depuis des générations, habitués à fuir, aux antipodes des notables qui étaient en France depuis très longtemps et n’avaient jamais subi de persécution.

Les notables sont arrêtés au petit matin, ils ont à peine le temps de s’habiller de prendre une petite valise et sont embarqués, interrogés, emmener d’un endroit à un autre dans Paris et pour finir le train pour les emmener à Compiègne qu’ils traverseront à pieds sur 5 km, sous les coups bien sûr : près de 24 heures se sont déroulées, sans manger ni boire et entasser dans un camp, dans un bloc spécial qu’on appellera le « camp des Juifs ». Dans d’autres blocs sont incarcérés des communistes ou des Russes arrêtés (offensive sur Moscou, car le pacte germano-soviétique a été rompu par Hitler en mai 1941).

Ils sont soumis à un régime spécial, visant à les faire mourir de faim (la soupe où trois navets se courent après, mais donnant parfois lieu à des conflits, tant ils sont affamés) une hygiène déplorable, avec les poux dans les paillasses… Tout est fait pour les humilier et les détruire, mais ils résistent autant qu’ils peuvent, les plus valides organisant des conférences dans leurs domaines respectifs : René Blum (le frère de Léon) sur Alphonse Allais par exemple, ou encore Louis Engelmann, le voisin de Léonce sur l’électricité…

En fait, ils auraient dû être envoyés dans les camps de l’Est (Auschwitz) mais, les trains étaient réquisitionnés pour les permissions de Noël des soldats allemands. On apprend aussi, au passage que René Blum sera jeté vivant dans les fours crématoires à son arrivée.

Je précise que Léonce Schwartz était commerçant dans la dentelle, d’origine alsacienne, et tentant de remonter dans l’historique de la famille, Anne Sinclair a pu retrouver un ancêtre aux alentours de 1600 en Alsace !  Donc Français depuis très longtemps. Pour lui, comme pour ses codétenus, il se considérait avant tout Français.

« Léonce Schwartz, en effet, n’est pas un intellectuel. Il vend de la dentelle en gros, qu’il fait tisser à Bruges…« 

Serge Klarsfeld a fourni à Anne Sinclair, la liste exacte de ces notables et de leurs professions, certains étaient des officiers de l’armée, décorés pour leur bravoure pendant la première guerre mondiale. C’est impressionnant!

Anne Sinclair étaye son récit, citant les travaux de Klarsfeld, mais aussi les témoignages de compagnons d’internement de son grand-père, elle ne laisse rien dans l’ombre car elle savait peu de choses sur lui, qui a réussi à être sauvé de la déportation car il était trop mal en point, il est mort quelques jours après l’armistice, en ayant pu revoir son fils Résistant engagé auprès du Général de Gaulle.

J’ai beaucoup apprécié ce livre, récit détaillé sans concession de l’enfer qu’ont vécu ces hommes, dans un camp tenu par des Allemands. Je connaissais très peu choses au sujet de ce camp de Royallieu (vestige de la Royauté comme son nom l’indique) situé près de Compiègne, et pas loin du fameux wagon de Rotondes… et Anne Sinclair m’a profondément touchée et donné l’envie d’en savoir plus et d’aller fouiller pour trouver les témoignages qu’elle cite dans son livre.

En refermant ce livre qui est un uppercut, je me suis rendue compte qu’il y avait encore beaucoup de choses que je connaissais mal, alors que j’ai lu énormément d’ouvrages sur la seconde guerre mondiale, le nazisme, la barbarie du troisième Reich mais devant la montée des intégrismes, des populismes, ce que l’on pensait à jamais dans les oubliettes peut refaire surface…

J’ai très envie de lire l’ouvrage que l’auteure a consacré à sa famille maternelle : « 21, rue de la Boétie »

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce livre.

#Larafledesnotables #NetGalleyFrance

9/10

Extraits :

J’ai pleuré aux récits des rescapés, de Primo Levi à Imre Kertesz ou Marceline Loridan, mais à Auschwitz, je n’ai pas été submergée par l’émotion à laquelle je m’attendais. Compiègne non plus ne m’évoqua rien, sinon une incroyable proximité avec Paris, par la nationale qui passe en bordure du camp, aujourd’hui avenue des Martyrs de la Liberté, hier, simplement route de Paris à Saint Quentin.

J’ajoute que ce chapitre si lourd du XXe siècle me ronge, et plus l’âge avance, plus il me semble obscur. Face à l’antisémitisme renaissant, l’extrémisme et le populisme se développant en Europe et en France comme on ne l’aurait jamais imaginé dans ma jeunesse, j’ai été de plus en plus habitée par les années d’Occupation et le trou noir de la Shoah qui semble toujours inatteignable à la raison.

Ce fut la procédure décidée pour cette rafle : la police française suivie de deux Feldgendarmes, et parfois d’agents de la Gestapo.

La sale guerre est entrée au domicile de mes grands-parents. Nous sommes le vendredi 12 décembre 1941 et ils ne savent pas que la « rafle des notables » vient de commencer.

L’antisémitisme hitlérien reposait sur une conception raciale du judaïsme et la volonté de prouver qu’être citoyen de la République Française ne protégeait aucun Juif. J’ajoute que la propagande avait habitué les Français à considérer les Juifs comme des ennemis de la France avec, par exemple ; l’exposition « Le Juif et la France ».

C’est la particularité de cette rafle (où 13 des hommes arrêtés sont polytechniciens et 55 portent l’insigne de la Légion d’honneur) de rassembler une population socialement homogène. Les professions libérales sont sur-représentées. Ainsi que des commerçants, comme mon grand-père.

Que ressentent ces hommes dont la majorité ont plus de cinquante ans et sont moulus de fatigue ? Sans doute de la détresse et déjà un sentiment d’indignité d’être conduits ainsi comme du bétail, dans le noir. Ce n’est que le début.

C’est aussi de ce camp que partiront, tout au long de l’Occupation, tous les convois de déportation dits de « répression » pour les prisonniers, Juifs ou Résistants arrêtés en représailles des attentats antiallemands.

Léonce comprend vite que la résistance commence par celle du corps, qu’il s’agit de maintenir en bon état le plus longtemps possible, en s’astreignant notamment à une certaine hygiène.

Presque chaque soir eurent lieu des conférences, dans quelques chambrées, autour du poêle, avant l’extinction de la lumière. Les orateurs, sans papier ni crayon, faisaient une causerie sur leur spécialité, les détenus encore vaillants réussissant à se maintenir debout, les plus affaiblis se regroupant sur les lits de leurs camarades.

Ils refusèrent de se regarder comme tels (Juifs) et jugeaient offensant pour eux qu’on les considérât comme un groupe à part de la société française auquel aurait été attribuée une identité.

Ainsi, Léonce était-il chevalier de la Légion d’Honneur – ce dont il était très fier et qui signifiait beaucoup à l’époque pour les Juifs soucieux de leur intégration dans la vie nationale.

« Mes compagnons comme moi ne savaient penser que français. Ils ne savaient pas penser juif. » disait Jean-Jacques Bernard dans son livre

« C’était un acheminement implacable vers la mort selon une méthode pour humilier, avilir, abrutir, épuiser, jusqu’à complète extinction de toute personnalité humaine, … une sorte de pogrom à froid » a écrit Roger Gompel

Lu en mai 2020

« Louis XIV, l’enfant roi » de François-Guillaume Lorrain

Petit détour par l’Histoire aujourd’hui, notamment un roi qui m’a toujours intéressée, avec ce livre :

Résumé de l’éditeur :

On connaît le Roi-Soleil, mais comment le jeune Louis est-il devenu ce monarque qui fit briller si haut la grandeur de la France ?

L’enfance de Louis XIV est aussi romanesque que douloureuse. Écrasé de professeurs, surveillé par Mazarin qui l’initie aux intrigues et à l’art d’être roi, fouetté par sa mère Anne d’Autriche, qui ne lui passe rien, il reçoit une éducation qui s’apparente à un dressage.

Souverain à cinq ans, il se retrouve projeté dans l’une des périodes les plus tourmentées de notre histoire, la Fronde. Le Parlement le malmène, les princes le défient, le peuple envahit son palais. Louis est à la fois un enfant, capricieux, buté, et un jeune roi qui doit subir en silence le mépris de ses aînés.

Parce qu’il fut très humilié, Louis XIV ne songera ensuite qu’à démontrer toute sa puissance. Avant que le soleil ne se lève, il y avait un « petit homme ». Et c’est à cette intimité que François-Guillaume Lorrain, en romancier passionné d’histoire, redonne vie sous nos yeux.

Ce que j’en pense :

Les années passent, Louis XIII et Anne d’Autriche n’arrive pas à avoir d’enfants, ce qui excite la gourmandise de Monsieur le frère du ROI, et d’autres princes. Un jour, à la suite d’un orage, sorte de bénédiction, le Roi retrouve la porte de la chambre de la Reine qu’il avait délaissé.

Miracle, le Dauphin pointe le bout de son nez en 1638, suivi deux ans après par Philippe, dit le petit Monsieur, au grand dam de certains.

On va suivre ainsi l’enfance de Louis, qui a peur de son père, un homme distant et froid, sa mère n’est guère plus chaleureuse avec lui car c’est un futur roi, donc, il faut l’élever selon le protocole, ne pas en faire une mauviette.

A la mort de Louis XIII, Anne d’Autriche devient régente et tient d’une ferme les rênes du pouvoir avec le cardinal Mazarin. L’enfant est trop protégé par sa dame de compagnie, Madame de Lansac, qui lui passe tous ses caprices car elle a perdu un fils, et elle donne au petit roi l’affection dont elle déborde. Qu’à cela ne tienne, on la renvoie dans explication, Louis n’a même pas l’occasion de lui dire au revoir.

C’est un enfant solitaire, il joue avec Marie, une petite fille de son âge, dont la mère est domestique auprès de la reine. Ils sont très complices tous les deux, imitent les « manières » des courtisans avec les dames de la cour. Scandale, il se courbe devant la fillette et fait semblant de tenir sa traîne, un roi ne doit pas s’abaisser ainsi. Exit la fillette, comme la nounou…

Il est temps de lui trouver des garçons de son âge et dignes de lui, et de l’entourer de professeurs, qui se disputent les compétences mutuelles, devant Louis qu’ils ont complètement oublié au passage.

Plus il grandit, plus la situation devient compliquée, les guerres avec l’Espagne, la révolte du parlement, la fronde. Tout cela est très lourd pour Louis, qui devient très vite un enfant trop sage, malgré des accès de colère, il devient adulte trop tôt, apprend à se méfier de son entourage, car certains rêvent d’être calife à la place du Calife. Mais Mazarin veille, et lui apprend les ficelles du pouvoir.

François-Guillaume Lorrain nous entraîne dans les pas du futur roi soleil et son enfance peu enviable. Les relations avec Philippe, le Petit Monsieur, sont assez harmonieuses pendant ses années-là. Il évoque les stratagèmes politiques de Mazarin, son lien avec la Reine, ses promesses non tenues, qui vont provoquer la haine du peuple, les railleries, avec les fameuses mazarinades.

Un épisode savoureux : la Grande Mademoiselle, qui veut à tout prix se marier, et qui va le poursuivre de ses assiduités, très tôt, car Anne d’Autriche avait suggéré qu’elle pourrait devenir la femme du roi plus tard. Elle n’hésitera pas à faire n’importe quoi pour tenter de le séduire…

J’ai passé un bon moment avec ce livre, mais j’ai une frustration quand même car cette période de la vie de Louis XIV me semble relever un peu trop de la romance, j’aurais aimé que l’auteur creuse davantage et j’avais encore des souvenirs d’une autre lecture, concernant l’enfance de Louis, il y a très longtemps : « Petit Louis dit XIV, l’enfance d’un roi » de Claude Duneton qui était beaucoup plus détaillé. Ici, on survole un peu trop à mon goût.

Ce roman serait intéressant pour les collégiens, lycéens pour leur faire aborder de manière moins austère cette partie de la vie du Roi.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions XO qui m’ont permis de découvrir ce livre et son auteur

#LouisXIVLENFANTROI #NetGalleyFrance

8/10

L’auteur :

François-Guillaume Lorrain est journaliste et écrivain. Normalien, agrégé de lettres, il est l’auteur d’une dizaine de romans et d’enquêtes. Il a reçu en 2019 le Prix du Livre d’histoire contemporaine.

Extraits :

A trente-six ans, Anne d’Autriche n’était plus dans la plénitude de la beauté qui avait, autrefois, affolé le Duc de Buckingham. Mais ses yeux jetaient encore des éclairs couleur d’émeraude et sa bouche, fine et délicat, s’avançait dans une moue charmante.

Sa Majesté n’avait rien perdu. Elle priait. De fort dévotes prières rendant grâce au Créateur de lui avoir envoyé un Dauphin qui serait, s’Il le voulait bien, son successeur. Car voilà tout ce qu’était cet enfant, en fin de compte.

Louis éprouvait de la fierté. Il était son chevalier servant, elle était sa princesse. Elle n’avait aucun quartier de noblesse ? Quelle importance ! Il se sentait seul, et pour partager sa solitude, il n’avait trouvé que cette fillette du peuple vite effarouchée mais qui, pour l’essentiel, lui ressemblait. Comme lui, elle était une enfant, ce qui l’emportait encore sur le reste.

Du temps du roi votre père, il m’a coûté assez cher de garder des liens avec ce frère. Ma famille est désormais ici. Mon pays est le vôtre. L’Espagne eut beau être le pays de mon enfance, elle est devenue aussi mon ennemie. Vous vous ferez à ces subtilités en suivant les leçons que le cardinal et moi vous réservons.

Les esprits s’étaient échauffés si fort qu’on en avait oublié la présence du petit roi qui vit cependant le bon côté des choses. Il n’allait pas s’ennuyer. Il découvrait l’ardeur des courtisans à briller devant sa personne, leur zèle à démontrer leur importance.

Même au plus fort de leurs jeux, Louis ne quittait jamais un air grave. Si Brienne appréciait sa vivacité et son honnêteté, il l’aurait aimé plus riant. Il lui manquait le goût de la confidence. Les enfants d’ordinaire se livrent sans mal à un ami. Louis semblait déjà résigné à la solitude, la seule compagne des rois.

Je crois que je m’emporte facilement. Sur ce point, il me semble que je puis faire des progrès. Mais on me répète toute la journée que je suis le roi et puis, quand je veux l’être, je ne le serais plus ?

De retour dans ses appartements, il redevenait l’enfant qu’il n’avait cessé d’être. L’habit qu’on l’obligeait à porter était bien lourd. S’en dégageant d’un violent coup d’épaule, il se montrait à nu avec ses lubies et ses sautes d’humeur.

Le roi oscillait entre la satisfaction de voir son détestable cousin évincé et le sentiment désagréable d’être mis devant le fait accompli. Pourtant il dut se faire une raison : il n’était encore qu’un roi de papier.

Parler, c’est risquer de se trahir. En vous taisant, vous donnez à penser. Vous occupez les esprits, vous les incitez à s’interroger. Mieux, vous les obligez à l’incertitude.

Non pas une fuite, Majesté, mais un compromis. Il faut donner à vos adversaires l’illusion de la victoire. Repensez à notre guerre avec l’Espagne. Il y eut des retraites qui préparaient nos triomphes à venir. Condé libre est moins dangereux qu’en prison. Il n’est plus un martyr, il redevient un prince orgueilleux…

Apprenez à courber l’échine, vous constaterez que cela l’assouplit tout en l’endurcissant…

Telle était l’éthique subtile que le cardinal, nouvel Aristote, dispensait à son filleul. Mazarin voyait loin, malgré les craintes qui l’animaient et qu’il taisait. Il n’avoua rien non plus de sa fatigue. La haine qu’on lui vouait et dont il s’était fait une carapace menaçait de l’étouffer.

Contrairement à la réputation attachée aux gens de sa région, d’Artagnan était avare en promesses, à la différence aussi du cardinal, qui pour survivre avait beaucoup promis. D’Artagnan, lui, préférait agir.

Lu en mars 2020

« Le libraire de Cologne » de Catherine Ganz-Muller

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai eu la chance de recevoir via une opération masse critique spéciale de Babelio et dont la couverture est splendide :

Quatrième de couverture :

Quand l’amour des livres et plus fort du la haine…

Cologne, Allemagne, 1934.

Poussé à l’exil par les lois anti-juives, le libraire Alexander Mendel est obligé de partir vivre en France avec sa famille. Il confie se Librairie à son jeune employé : Hans Schreiber.

Par fidélité à son mentor et par haine du régime nazi, Hans décide de se battre pour que la Librairie survive dans cette période tragique, malgré les menaces et les bombes.

Le combat d’un libraire, héros d’un pays où règnent la haine et la terreur, qui tente de faire triompher les livres… et la liberté.

Ce que j’en pense :

Nous sommes le trente-et-un décembre 1933 à Cologne. Ludwig Brodski arrive en retard au réveillon chez son oncle Alexander Mendel et sa tante Clara. Il doit y retrouver tous les membres de la famille, sa mère Martha, la sœur d’Alexander comme tous les ans. Mais cette année, l’ambiance n’est pas à la fête, même si Clara a mitonné un bon repas.

Hitler a été nommé chancelier, son parti étant arrivé en tête (42% des voix) et la propagande nazie bat son plein via son ministre Goebbels et l’antisémitisme aussi.

La discussion s’installe : doit-on rester en Allemagne et résister, ou se résoudre à l’exil, Paris, la Palestine, l’Amérique… une chose est sûre, chacun sent bien que c’est le dernier réveillon en famille.

Alexandre finit par vendre sa Librairie à son employé, Hans Schreiber, à qui il a enseigné depuis des années, la littérature : il lui a fait connaître toutes sortes de livres, et partagé son amour des auteurs de tous les pays, de l’Antiquité à ce jour. Dans sa Librairie, il avait installé une partie bibliothèque, une collection de livres anciens protégée sous clés. Tout avait été conçu pour que tout le monde puisse lire…

Il sait que Hans fera tout son possible pour préserver la Librairie. Celui-ci les accompagne jusqu’au train qui les emmène vers la France, le pays des droits de l’homme et de la liberté… Leur fille Liese va entretenir une relation épistolaire avec lui, afin de ne pas perdre le lien précieux qui les unit.

Mais, même si Hans n’est pas juif, la Librairie est vue d’un mauvais œil par les nazis : pour eux, c’est un magasin juif et on lui n’épargnera rien : les descentes pour confisquer tous les livres qui ne plaisent pas au régime, pour saccager tout.

Ce roman nous livre le combat d’un homme pour sauver, au péril de sa vie, la Librairie, les livres, et à travers eux, la liberté de penser, dans un régime où la propagande lobotomise tout le monde (enfin beaucoup de personnes) et entretient la haine via la désinformation.

Il y a des passages très forts sur la nuit de cristal : comment Hitler a manipulé les gens pour qu’ils aillent tout briser. Hans a été un résistant aux nazis, comme son voisin de palier, Herr Becker, un vieux professeur de français, avec qui il pouvait parler, échanger en écoutant en douce la BBC, ou le vendeur de glaces. Des gens ont tenté de résister, tel Ludwig Brodski, par exemple, et malgré la clandestinité….

Catherine Ganz-Muller, s’adresse aux adolescents, et montre de très belle manière la désinformation, la réécriture de l’Histoire, car la perte de la guerre en 1918 a traumatisé beaucoup d’Allemands, ainsi que la crise économique. Elle a construit son récit de manière chronologique pour que les ados comprennent bien comment les faits se sont enchaînés, comment l’antisémitisme a gagné les cerveaux : c’est tellement plus simple de désigner un coupable et c’est toujours en vogue…

Elle évoque la vie des Colonais, dans toutes les périodes : l’euphorie des nazillons, les oriflammes qui tapissent la ville, mais aussi les retombées quand le régime commence à battre de l’aile, les bombardements de Cologne, le refuge dans les abris.

Catherine Ganz-Muller évoque aussi tous les auteurs chers au cœur du libraire et à celui du lecteur : Herman Hesse, Thomas Mann, Tolstoï, Balzac, Stendhal, Dostoïevski et bien d’autres… et les lettres échangées entre Liese et Hans sont des moments plus légers pour permettre au lecteur de reprendre son souffle et de continuer à espérer.

A la fin du roman, elle fait un récapitulatif de la chronologie de l’arrivée des nazis au pouvoir jusqu’à la fin de la guerre et elle propose un glossaire, où elle revient sur des thèmes qu’il faut hélas encore marteler de nos jours : autodafés, pogroms, Shoah, déportation, camps…

Cette Librairie a bien existé et le nom de Hans a été modifié, bien-sûr mais certains personnages ont existé, tel Herr Denker, le marchand de glaces qui aide Hans à transporter ses livres pour éviter leur destruction. Et côté français, la vie ne sera pas rose non plus pour Alexander…

Passionnée par cette période de l’Histoire, ce livre me tendait les bras. Bien-sûr, je n’ai rien appris de plus sur les évènements tragiques, mais j’ignorais l’existence de cette Librairie et j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire.

Un immense merci à Babelio, et aux éditions Scrineo qui m’ont permis de découvrir ce roman lors qu’en opération masse critique spéciale, roman qui mérite d’être lu par un maximum d’ados pour ne jamais oublier…

Un petit mot sur les éditions Scrineo, que je découvre avec ce roman et qui propose des titres très intéressants parmi lesquels :

« Un ado nommé Churchill », et « Pour qui meurt Guernica de Sophie Doudet, « L’enfant d’Oradour » de Régis Delpeuch ou encore « Rosa Parks, elle a dit non au racisme » de Florence Lamy par exemple pour expliquer l’Histoire et les personnalités qui l’ont marquée, aux ados. Une collection mythologie est en cours…

https://www.scrineo.fr/

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L’auteure :

Après des études de lettres, Catherine Ganz-Muller devient monteuse dans le cinéma.
Passionnée de littérature, elle ouvre une librairie à Paris puis se tourne vers le métier de bibliothécaire. Elle a écrit des articles pour des magazines, des nouvelles, des romans pour les adolescents, un roman pour enfant lauréat du Prix Chronos 2010, et des romans pour adultes.

http://www.catherineganzmuller.fr/

Extraits :

Aussi loin qu’il remonte dans son enfance, les souvenirs, bons ou mauvais, sont toujours accompagnés des siens, comme ils sont encore là dans sa vie de jeune homme. Ludwig ne peut concevoir un avenir sans cette famille, rassemblée ce soir de réveillon dans l’appartement de la Budengasse.

En fait, beaucoup d’Allemands, déçus par la défaite de 1918, puis victimes de la crise, se sont sentis abandonnés par le gouvernement Hindenburg. Ils se sont tournés vers le national-socialisme qui leur a fait croire qu’il serait un régime fort, capable de résoudre tous leurs problèmes. Ils sont maintenant à leur merci.

Ils fuient. La famille Mendel fuit devant les lois promulguées par l’état nazi. Les Mendel sont aussi peu pratiquants d’une religion que le sont bien des Allemands. Mais pour Hitler, avant d’être Allemands, ils sont juifs.

Hans a du mal à maîtriser son émotion. Le cœur serré, les larmes aux yeux, il traverse une ville qui a changé de visage. Il lui semble qu’elle est devenue totalement grise, écorchée par la seule couleur qui émerge comme autant de balafres : le rouge des oriflammes nazis. Le cœur de Hans bat de plus en plus vite. Des images de la librairie saccagée brouillent sa vue.

La chaussée n’est plus qu’un cimetière de vies brisées. La police tente de faire circuler les véhicules dans un dédale d’objets hétéroclites. Hans entend tout au long de son parcours les commentaires haineux à l’encontre des juifs. Beaucoup ont été arrêtés et déportés dans des camps.

Deux jours plus tard, la presse appellera cette nuit du 9 novembre, la « nuit de cristal », Reichkristallnacht. Jusqu’à ce jour, le cristal était pour Hans un verre pur et limpide, donnant un son mélodieux. Il n’ose pas croire que l’épuration de tant de juifs soit associée à la pureté dans l’esprit des nazis !

« L’homme ne vit pas seulement sa vie personnelle comme individu, mais consciemment ou inconsciemment, il participe aussi à celle de son époque et de ses contemporains » Thomas Mann dans la montagne magique.

Que suis-je au milieu de tout cela ? se demande-t-il. Un jeune libraire qui tente de sauver quelques livres pour l’amour d’un homme qui n’est même pas mon père. Pour la passion de la littérature, de cette liberté incomparable qu’elle offre aux lecteurs. Et pour tenir tête aux nazis.

Le quartier est en feu. Hans se précipite dans un abri avec les autres locataires de son immeuble. Transis de peur, ils y passent une nuit d’angoisse. Le silence qui règne entre les réfugiés de cet espace souterrain est plus terrifiant encore que le vacarme du dehors. « Ce silence, pense Hans c’est celui du déshonneur, celui de la fin d’une Allemagne qui s’est vendue au nazisme »

Le silence inonde les vestiges de la ville. Hans est sur le seuil de la Librairie. « Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre ». Cette citation de Dostoïevski lui revient en mémoire en regardant les Colonais reprendre leur vie en main…

Lu en février 2020

« Les égéries de la Révolution » de Jean et Marie-José Tulard

Je vous parle aujourd’hui d’un livre choisi dans le cadre d’une opération masse critique organisée par Babelio :

 

Les égéries de la Révolution de Jean et Marie-José Tulard

 

Quatrième de couverture

 

Séduire au risque d’en mourir : tel fut le sort de plusieurs héroïnes de ce livre dont le rôle politique sous la Révolution s’acheva sur l’échafaud. Ainsi d’Olympe de Gouges ou de Mme Roland…

On l’a oublié ou négligé : de grandes figures féminines tentèrent d’infléchir le cours de la Révolution dans un sens ou dans un autre. La plupart s’efforcèrent d’influencer des hommes politiques du temps – de là leur nom d’« égéries » – faute de pouvoir se faire entendre à la tribune et participer aux grandes décisions. Une revendication que les révolutionnaires ne cessèrent d’étouffer. Et pourtant, n’étaient-ce pas les femmes qui avaient ramené le roi de Versailles à Paris ou contribué à la chute de la monarchie ?

Voici l’histoire de la Révolution vue sous un autre jour, expliquant, entre autres, le renoncement du duc d’Orléans à la régence après la fuite du roi ou la chute inattendue de Robespierre le 9 Thermidor.

Dans les coulisses de la scène politique, ne fallait-il pas chercher l’égérie ?

 

Ce que j’en pense

 

J’ai choisi ce livre car mon intérêt pour l’Histoire est connu, et j’ai mis beaucoup de temps à lire, et à rédiger ma critique, car difficile de réaliser une synthèse…

Les auteurs ont choisi de découper leur ouvrage en plusieurs parties, des origines de la Révolution, à l’hypothèse de création d’une monarchie constitutionnelle, pour aborder ensuite la Terreur et pour finir le Directoire, en nous dressant pour chacune un portrait des femmes qui ont été influentes.

Certaines sont très connues et j’ai retrouvé avec plaisir une femme que j’admire : Olympe de Gouges qui s’est battue pour le statut des femmes et des minorités (les Noirs par exemple). Le portrait de Madame Roland est intéressant également car je connaissais fort peu de choses sur elle.

Autre chapitre intéressant, celui consacré à Charlotte Corday, dont bien-sûr on connait l’épilogue, Marat assassiné dans sa baignoire… la manière dont Charlotte construit son acte avec précision, force le respect.

Les auteurs évoquent également, ces femmes qui ont joué un rôle dans le déclenchement des évènements, les soulèvements, la marche des femmes pour ramener le Roi de Versailles et dont on connaît si peu de choses, à peine a-t-on entendu leur nom ci ou là…  Louise-Renée Leduc, alias, Reine Audu car elle régnait sur les Halles, centre d’approvisionnement de Paris, par exemple, ou encore Pauline Léon clubiste, qui voudrait bien convaincre les hommes que les femmes ont aussi des idées

« Devant les menaces qui pèsent sur le pays, elle exhorte les législateurs à permettre aux femmes de s’armer, car « l’amour de la patrie en danger et la haine des tyrans leur feront aisément braver tous les dangers ». Cela ne signifie pas rassure-t-elle, que les femmes abandonneront leurs tâches d’épouses et de mères de famille… »

Une de ces femmes m’a plutôt fascinée ; il s’agit de Theresia Cabarrus, qui prend position énergiquement pour les droits des femmes, qui lui vaudront des railleries, et un emprisonnement qui lui permettra de faire la connaissance de Tallien dont elle deviendra la maîtresse, ce qui au passage lui attirera les foudres de Robespierre le vertueux. Elle participera à sa chute ce qui lui vaudra « le surnom de Notre Dame de Thermidor, ce surnom suggérant que c’est elle qui aurait renversé Robespierre ».

Certaines, je l’avoue, m’étaient totalement inconnues : Mme de Polastron, Mme de Sapinaud pour ne citer qu’elles.

Je remercie vivement Babelio et les éditions Robert Laffont qui m’ont permis de lire ce livre, de découvrir certaines de ces égéries, dont le destin fut trop souvent funeste, et grâce à la bibliographie proposée par les auteurs, je vais pouvoir approfondir…

 

Les auteurs

 

Marie-José Tulard, haut fonctionnaire, puis avocate, a enseigné l’histoire des institutions à l’Université et publié plusieurs ouvrages juridiques.

Jean Tulard, membre de l’Institut, professeur émérite à la Sorbonne, est spécialiste de l’histoire de la Révolution et de l’Empire, période à laquelle il a consacré de nombreux livres.

Ensemble, ils ont aussi écrit « Napoléon et quarante millions de sujets ».

 

 

Extraits

 

Certes Mme Necker parait parfois un peu rigide – elle est fille de pasteur – du moins à ses débuts, mais elle est prête à tout sacrifier à la carrière de son mari.

Aux dîners du vendredi, elle reçoit Diderot et d’Alembert, Helvétius et Buffon qui vient spécialement de province, tant il est fasciné par la maîtresse des lieux, Marmontel et l’abbé Raynal qui ne fait que quelques apparitions. Tout ce qui compte alors dans la sphère des Lumières se retrouve dans son salon.

 

Olympe de Gouges avait voulu faire du droit de monter à la tribune la contrepartie équitable du « droit » de monter à l’échafaud. Pour avoir oser exprimer librement ses opinons au fil des évènements révolutionnaires, elle s’est effectivement vu appliquer sans ménagements le second de ces droits, sans avoir pu obtenir pour les femmes la reconnaissance du premier. Ayant payé de sa vie ses revendications, il était juste qu’elle devienne pour la postérité leur meilleur porte-drapeau.

 

Déçue par la tonalité générale des débats et l’œuvre de la Constituante, Mme Roland juge, comme Brissot et Robespierre qu’il faut faire pression sur les représentants en s’appuyant sur l’opinion. Elle devint assidue du Cercle social qu’anime l’abbé Fauchet, ardent promoteur des idées de Rousseau. Elle le qualifie « d’excellent et vigoureux apôtre de la meilleure doctrine »

 

Femme politique dans l’âme, à laquelle son époque ne permet pas d’agir directement, Mme Roland va jouer de son formidable pouvoir de séduction et d’influence en avançant masquée derrière la fonction éminente qu’exerce désormais son mari. Pour ce faire, elle joue de trois cordes : conseillère éclairée du ministre, hôtesse écoutée des Girondins et stratège inspirée.

 

Digne des héroïnes tragiques offertes à son imagination par son illustre aïeul, elle (Charlotte Corday) ne craint pas de s’immoler pour une noble cause.

Or, l’inéluctable progression de la guerre civile, qu’elle perçoit comme un danger mortel pour le peuple français est, à ses yeux, imputable au seul Marat. Avec sa disparition, la France serait sauvée.  Plus de guillotine, plus de crimes, plus de Terreur.

 

A l’image de Mme Roland, Theresia salue la Révolution et adresse même une pétition en faveur des droits des femmes. Maçonne, elle fait partie d’une loge en vue, adhère au club de 1789 et prend des positions qui lui valent les critiques des feuilles royalistes et de plusieurs pamphlets… la jeune femme que découvre Tallien (elle est née en 1773), malgré les privations de l’emprisonnement, est plus que ravissante. « Coup de foudre » immédiat. Sans difficulté, Tallien fait libérer Theresia et sans résistance Theresia devient ma maîtresse de Tallien.

 

Lu en juillet-août 2019

« Lisbonne, dans la ville musulmane » de Marc Terrisse

Je vous parle aujourd’hui d’un livre choisi dans le cadre de l’opération masse critique de février de Babelio :

 

Lisbonne, dans la ville musulmane de Marc Terrisse

 

Quatrième de couverture

 

D’Olisipo, nom antique de la capitale lusitanienne, auquel succéda Al Usbûna, dénomination attribuée pendant quatre siècles de domination musulmane, en passant par les liens établis avec le Maroc dès le XVe siècle, c’est ce voyage sur le temps long que ce récit se propose de faire parcourir en révélant une relation tissée entre Lisbonne et la culture islamique restée   méconnue.

A travers des balades agrémentées de belles rencontres, ce livre exhume les traces de la culture luso-arabo-islamique présentes au cœur de la Lisbonne contemporaine, révélant ainsi des siècles d’influences réciproques. Les itinéraires proposés se fondent dans un vaste travail à caractère historique et anthropologique et présentent tout un pan du patrimoine immatériel intégré de façon inconsciente au quotidien des Portugais (gastronomie, littérature, musique, langue, etc.

Faire découvrir les relations fécondes entre ces civilisations, sans mettre de côté les tensions ou les guerres, est le fil qui a guidé cette exploration et qui ravira tous ceux qui désirent connaître un aspect nouveau de la multiculturalité lisboète.

Ce que j’en pense

 

Ce livre va nous emmener successivement dans la Lisbonne antique connue sous le nom d’Olisipo, qui devient sous la domination musulmane Al Usbûna, pour la retrouver ensuite sous la Reconquista. L’auteur aborde enfin les protections lusitaniennes au Maroc, ainsi que la Lisbonne musulmane actuelle.

La légende veut que Lisbonne ait été fondé par des marins en provenance de Tyr. La ville va donc sous influence phénicienne, puis grecque et romaine, puis sous influence musulmane durant les conquêtes et revenir dans le giron chrétien, avec la prise de la ville en 1147 par le roi du Portugal.

Marc Terrisse nous emmène dans une visite extraordinaire de la ville pour y retrouver les traces de l’influence musulmane, ce qu’il en reste dans l’architecture de la ville pour en retrouver le cœur.

On part d’abord à la découverte de la ville phénicienne avec la Praça da Figueira, sous laquelle il y a eu des trouvailles archéologiques attestant cette période où la ville se nommait Olisipo ; on circule dans les rues de l’Alfama, avec tout près l’actuel musée national de l’Azulejo ou encore le musée du fado, mélancolie de l’Orient…

L’auteur nous apprend aussi que Alfama dérive de Al hamma qui désigne les sources. Il évoque aussi le Nord avec les Lusitaniens « les gaulois du Portugal » et le sud du Tage lié à l’Andalousie : le Gharb Al Andalus qui va donner son nom à l’Algarve.

Marc Terrisse nous emmène ensuite à la recherche des vestiges de la période musulmane où Lisbonne s’appelait Al Usbûna, ce qu’était le quartier musulman, avec l’enceinte de la Casbah, la mosquée, les différentes portes (Bab en arabe) d’entrée dans la cité, où l’on peut se repérer sur des plans d’époque, mais aussi la culture de l’époque en faisant référence au passage au livre de Saramago « Le siège de Lisbonne ». L’auteur parle  aussi de Camoes qui évoque «  dans « Les Lusiades », épopée à la gloire du Portugal des Grandes Découvertes, il célèbre le Portugal de la « Reconquista », royaume chrétien par excellence »

Il est encore difficile d’explorer cette « période musulmane » de Lisbonne, notamment sur place, car elle est souvent réduite à peau de chagrin par les guides, car la dictature de Salazar, et son successeur avait rayé cette notion de la mémoire avec son « Estato novo ».

On étudie ensuite un chapitre important que l’auteur intitule : des Moçarabias à la Mouraria d’hier à aujourd’hui, une ville multiconfessionnelle » et dans lequel il évoque les trois quartiers où se regroupaient les Mozarabes, la première, autour de l’église Santa Maria de Alcacim, la deuxième dans le périmètre de l’église Santa Cruz do Castelo, et la troisième autour de la grande mosquée

« Mozarabe est le nom donné aux Chrétiens en terre d’Islam de même que les Musulmans restés sous la coupe chrétienne sont dénommés Mudéjars. »

La Mouraria, elle, correspond, au quartier maure de la ville, où sont regroupés une partie « des vaincus de 1147   ainsi que quelques chrétiens mozarabes » ; ce sont, en fait, des minorités dont on veut limiter les contacts avec les Chrétiens. Il y a pendant cette période des conversion forcés, des tributs à payer comme il y en a eu pendant la période musulmane, et des Marocains viendront aussi se réfugier dans la ville au XVIe siècle  car il y avait alors des guerres et des émeutes au Maroc (notamment la défaite de Ksar el Kébir en 1578)  et on parlera de « Mouriscos marocains ».

Marc Terrisse découvre au cours de ses visites un projet appelé « Marhaba » (le Moyen Orient à table) qui vient en aide aux personnes fragiles, notamment les migrants Érythréens.

L’auteur mêle dans ce récit la culture, l’architecture, l’histoire, l’archéologie, la cuisine, la musique, tout ce qui est venu enrichir cette ville dont la multiculturalité est impressionnante.

J’ai choisi ce livre dans le cadre de l’opération Masse critique organisée par Babelio, et il m’a passionnée, j’ai aimé mettre mes pas dans ceux de l’auteur qui nous brosse un tableau très complet et très alléchant. J’ai appris beaucoup de choses sur le plan historique, culturel car je connais peu cette ville.

Je connais beaucoup mieux l’Algarve, d’où est originaire mon mari et que j’ai beaucoup visitée. En apprendre davantage sur le Gharb Al Andalus me tentait, car je suis fascinée depuis longtemps par l’Andalousie. Je me rends compte que mes connaissances sur l’Histoire lusitanienne sont limitées et qu’il va falloir y remédier !

Pas de doute, je l’emmènerai dans mes bagages la prochaine fois que j’irai à Lisbonne. Je remercie les éditions Chandaigne qui m’ont fait découvrir « Le Mandarin » de Eça de Queiros et qui proposent aussi dans leur catalogue (très intéressant) des livres sur l’Histoire du Portugal. Ce catalogue propose aussi des textes sur le Brésil, Cap Vert, des auteurs de ces pays, ou les voyages, découvertes, contes…

Cet ouvrage est passionnant et j’espère que ma petite démonstration, qui m’a demandé beaucoup d’énergie pour la rendre la plus légère possible,  vous a intéressés et donner envie de le découvrir.

 

L’auteur

 

Marc Terrisse est docteur en Histoire et titulaire d’un master Management des organisations culturelles de Paris Dauphine. En tant que chercheur associé au CNRS, il a publié plusieurs recherche se focalisant sur le patrimoine islamique et s’intéresse plus largement aux questions des minorités et de leur place dans l’histoire et la culture occidentales dans un cadre pluridisciplinaire faisant écho aux « minority sturies »

 

Extraits

 

Lisbonne est donc le fruit d’un brassage, d’un melting-pot intérieur et ultramarin multiséculaire au sein duquel les différentes populations musulmanes ont occupé une place importante et influente.

 

Les Phéniciens nomment Lisbonne Alis Ubbo qui signifie la « rade tranquille ». Les Grecs et les Romains attribuent par la suite à la ville le nom d’Olisipo. A ce jour, les chercheurs ne sont néanmoins pas certains que les deux appellations aient la même signification. Le Tage aurait été, quant à lui désigné par le nom de Dagui qui se traduit par « pêche abondante » dans l’idiome parlé par les Tyriens.

 

On assiste à l’implantation de familles arabes, d’origine Yéménite notamment dans le sud du Gharb Al Andalus tandis que les territoires situés au-delà de Lisbonne, dans la région de Coimbra et plus au nord vers Porto et la Galice bénéficient d’une présence berbère…

 

Al Usbûna n’a certes pas eu un rôle intellectuel intemporel. Néanmoins des esprits éclairés y sont nés et ont souvent exercé leurs talents ailleurs.

 

Les poètes du Gharb Al Andalus ont vraisemblablement inspiré les troubadours s’exprimant en galaïco-portugais. Plus globalement, la poésie hispano-arabe a eu une influence sur les aèdes catalans et occitans. Le « fin amor » ou amour courtois a été probablement inspiré par Ibn Hazm, poète fidèle aux Omeyyades, né dans l’actuelle province de Niebba en Andalousie et non loin de la frontière avec le Portugal.

 

Je signale ici cette allusion savoureuse : « il n’est que trop évident que les habitants du quartier Saint-Crispin n’aiment pas la gent canine, ils sont peut-être encore les descendants directs des Maures qui détestèrent ici les chiens de leur époque par devoir de religion, bien qu’ils fussent tous, les uns et les autres, frères en Allah »

 

Al Usbûna et ses faubourgs couvraient une superficie comprise entre 50 et 60 hectares. La médina devait représenter environ un tiers de cette surface, soit un espace compris entre 15 et 20 hectares. Avec ses faubourgs et ses zones urbanisées le long du Tage, la ville devait totaliser entre 25 et 30 mille habitants au XIIe siècle au moment de sa conquête.

 

Malgré certaines limites inhérentes aux mentalités de l’époque, le maintien de communautés religieuses musulmanes et juives atteste de la persistance d’un multi-confessionnalisme dans les royaumes médiévaux ibériques après la Reconquista. L’islam ne s’est par conséquent pas arrêté avec la conquête chrétienne. Il se maintient officiellement jusqu’en 1496-1497 au Portugal avec l’édit d’expulsion des juifs et musulmans, promulgué par le roi Manuel 1er suivi d’un processus de conversion forcée à la foi catholique.

 

 

Lu en mars 2019

« Par deux fois, tu mourras » par Eric Fouassier

Je partage aujourd’hui un roman historique, découvert sur NetGalley :

 

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Palais de Rouen, 569. Galswinthe, la jeune épouse de Chilpéric, l’un des trois petits-fils de Clovis, meurt étouffée dans sa chambre. Juste après, son assassin est retrouvé poignardé… Quatre ans plus tard, la sœur de Galswinthe, la reine Brunehilde d’Austrasie, est persuadée que toute la lumière n’a pas été faite sur cette tragique affaire. Elle charge Arsenius Pontius, un jeune lettré gallo-roman, de se rendre à Rouen pour enquêter en toute discrétion.

Sur place, Wintrude, une ancienne princesse thuringienne devenue esclave des Francs, lui apporte des informations essentielles. La jeune femme, indirectement mêlée au meurtre de Galwsinthe, a dû se placer sous la protection de l’Église pour échapper à des proches de Chilpéric, qui cherchent à la réduire au silence… Victime lui-même d’une tentative de meurtre, Arsenius apprend qu’un conflit est sur le point d’éclater entre Neustrie et Austrasie. Dès lors, Wintrude et lui n’ont plus le choix : ils doivent faire éclater la vérité avant que le jeu des trônes n’embrase toute la Gaule mérovingienne.

Ressuscitant avec brio cet âge sombre qui fonda la France, où le meurtre, le sexe et la vengeance sont autant d’instrument de pouvoir, Éric Fouassier allie rigueur historique et inventivité romanesque pour emporter le lecteur dans une enquête trépidante.

 

Ce que j’en pense

 

Ce roman propose une immersion complète au royaume des Francs, dans les conflits qui opposent les fils de Clotaire (dernier fils survivant de Clovis) : Chilpéric qui règne sur la Neustrie, Sigebert roi d’Austrasie et Guntramn, roi de Burgondie.

Galswinthe, la femme de Chilpéric a été assassinée, ce qui arrange bien ce dernier car il va pouvoir épouser Frédégonde, sa concubine. Seulement, Brunehilde, la sœur de Galswinthe   et épouse de Sigebert, ne l’entend pas de cette oreille et veut élucider ce meurtre, tâche qu’elle confie à un jeune aristocrate gallo-romain du nom d’Arsenius Pontius, fin lettré filleul de Grégoire évêque de Tours. Officiellement il est chargé d’écrire un long poème pour rapprocher les trois frères.

Quoi qu’il en soit la mission sera compliquée, car tout sera mis en œuvre pour le mettre en échec, chacun avançant ses pions sur l’échiquier, car il doit trouver qui avait intérêt à maquiller la mort de Galswinthe : certes elle a été poignardée mais ses blessures n’ont as saigné donc elle était déjà morte avant. Frédégonde a pris soin de faire constater le décès par un druide gaulois tout acquis à sa cause : Crixegatos qui contredit les premières constatations faites par le médecin officiel Marileif.

Arsenius part donc pour la Neustrie, chevauchant en compagnie de Gontran-Boson qui cherche à savoir quelle est vraiment la mission.

Arsenius rencontre chez l’évêque de Rouen, Pretextat une jeune fille, Wintrude : princesse thuringienne, esclave de la cour de Neustrie, qui pourchassée par des sbires du palais, a trouvé refuge chez lui. C’est le frère de celle-ci, Arrbald, retrouvé mort quelques jours plus tôt, qui avait été chargé du meurtre de la reine, en échange de leur liberté à tous les deux.

Tous les deux vont s’entraider pour tenter d’élucider le « double meurtre ». Pour simplifier, j’ai écrit les noms des personnages réels en caractères gras et les héros fictifs en caractères normaux.

Nous avons d’un côté le récit des luttes acharnées que se livrent Chilpéric et Sigebert pour s’emparer chacun des terres de l’autre, tandis que Guntramn laisse ses frères se déchirer, comme par exemple à la mort de Charibert qui possédait Paris, il préfère les compromis, la discussion, car il sait qu’il dispose de moins de troupes qu’eux. Il complote en douce avec le clergé pour s’imposer. Il préfère s’occuper de sa terre burgonde.

« A presque quarante et un ans, l’aîné des fils survivants du roi Clotaire était loin de partager le caractère belliqueux de ses frères Sigebert et Chilpéric. Il ne se résolvait à faire appel à son armée que lorsqu’il s’y trouvait contraint. »

Les ravages des guerres sur les terres et les populations sont bien évoqués, ainsi que la lourdeur des combats, les haines fratricides, ou le rôle du haut clergé, chacun ayant son évêque, et ceux-ci ne sont pas en reste pour peser de tout leur poids sur les évènements. Trois royaumes c’est forcément deux de trop ! les épouses ont aussi de fortes personnalités et se détestent cordialement, chacune voulant jouer un rôle important. Ce sont des amantes fougueuses qui ne reculent devant rien…

Parmi les personnages fictifs, plus ou moins « mouillés » dans l’affaire, on rencontre Timoléon, un prêtre, fou de Dieu, auto-flagellant qui veut à tout prix se débarrasser de la belle Thuringienne, suppôt de Satan, le druide gaulois, Crixegatos qui anime des cérémonies païennes en compagnie de Frédégonde, dans la forêt, ou encore Holgunn : palefrenier, ami d’Arrbald…

Arsenius et Wintrude sont deux héros, très sympathiques, même s’ils sont un peu trop des gentils par rapport à tous les autres, et la manière dont ils mènent leur enquête est très intéressantes. Comment résister à cette fille impétueuse, qui refuse de se laisser faire ou à ce jeune homme, un lettré qui cite Terence, « La fortune sourit aux audacieux » ou encore

« Comme l’affirme Terence, « il n’est rien qu’une fausse interprétation ne puisse détourner du droit sens »

Eric Fouassier se base sur tous les travaux consacrés à la mort de Galswinthe, avec une bibliographie intéressante et propose au début la liste des personnages réels ou fictifs de chaque royaume.

Je suis férue de romans historiques, je suis tombée dans la marmite (de potion magique) avec « Les Rois maudits », il y a fort longtemps et ce livre m’a beaucoup plu. Il est un peu de la même veine, en ce qui concerne les personnages historiques. Je ne connaissais pas l’auteur, je vais m’empresser de découvrir son œuvre.

Très bon moment de lecture pour les amateurs d’Histoire et d’histoires…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Lattès qui m’ont permis de le découvrir.

 

#ParDeuxFoisTuMourras #NetGalleyFrance

 

 

Extraits

 

Au nombre des spectateurs, mais s’abstenant de toute manifestation, figurait une jeune femme aux traits altiers, affichant un air de dignité qui tranchait avec ses vêtements de laine grossière. Grande, blonde, les cheveux noués en une longue queue de cheval. Des yeux couleur de miel, étirés vers les tempes comme ceux des félins, des pommettes hautes, des attaches solides et une silhouette nerveuse.

 

Il était son aîné, sa seule famille. L’unique soutien sur lequel elle avait pu compter depuis qu’ils avaient été enlevés par les Francs, encore enfants. Cela s’était passé à l’issue d’une campagne particulièrement meurtrière contre les Saxons et les Thuringes. En 560, sous le règne de Clotaire, le dernier fils survivant du grand roi Clovis.

 

Mais Arsenius avait passé le plus clair de sa jeunesse dans la riche province d’Arverne, pour partie épargnée par de tels fléaux. Ce voyage à travers le nord de la Gaule lui permettait de constater l’état de désolation dans lequel se trouvait plongé le pays, naguère si florissant, de ses ancêtres. Et cet amer constat ajoutait à son affliction.

 

Si on vous demandait quelle est la situation actuelle de la « Francia », que répondriez-vous, mon frère ?

Trois rois, trois royaumes, probablement deux de trop.

Parfaitement résumé et si cruellement vrai ! approuva Sapaudus en branlant du chef. La paix actuelle ne saurait durer. Chilpéric, Sigebert et Guntramn sont aussi éloignés l’un de l’autre que le sont désormais leurs capitales respectives.

Chacun cherche à étendre son pouvoir au détriment des deux autres.

 

J’ignore comment il s’y est pris pour tuer la reine, mais il s’est débrouillé pour que nul ne puisse soupçonner une mort violente.

 

Les seules blessures que Marileif a relevées sur le cadavre correspondaient aux coups de poignards portés post mortem. C’est donc que Galswinthe avait été exécutée de façon beaucoup plus discrète.

 

Seule femme au sein de cette assemblée des hommes les plus influents du royaume, Brunehilde avait pu mesurer l’étendue de son pouvoir tout neuf à l’admiration ou à la méfiance qu’elle avait lu dans leurs regards.

 

Un amant réjoui est un allié qui ne s’appartient plus…  Dixit Brunehilde

 

Ainsi, c’était donc cela qu’on appelait « régner » ! cela passait nécessairement par le mensonge, la duplicité et le reniement de la parole donnée. La circonstance qu’un homme d’Église aussi respecté que l’évêque Grégoire apportât son concours actif à d’aussi basses manigances ne faisait que rendre la chose encore plus détestable.

 

Le poète Térence avait écrit : « La vie des hommes est comme le jeu de dés : si ce qu’on obtient en les lançant n’est pas exactement ce dont on aurait eu besoin, il faut y remédier par son habilité à jouer ». Pour une fois, il se sentait en désaccord avec l’un de ses auteurs favoris. Lui avait fait un autre choix, celui de se retirer purement et simplement du jeu, et il entendait bien dorénavant s’y tenir.

 

Il était capable, d’un jour sur l’autre, voire d’un instant à l’autre, de passer du plus profond désespoir au plus fol enthousiasme… pense Wintrude à propos de Chilpéric

 

 

Lu en mars 2019

« Ces rêves qu’on piétine » de Sébastien Spitzer

Pour rester dans une de mes périodes deuxième guerre mondiale ou nazisme, je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’avais mis au sommet de ma pile   « période convalescence » …

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer

 

 

Quatrième de couverture :

 

Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme la plus puissante du IIIe Reich se terre avec ses six enfants dans le dernier refuge des dignitaires de l’Allemagne nazie. L’ambitieuse s’est hissée jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir sans jamais se retourner sur ceux qu’elle a sacrifiés. Aux dernières heures du funeste régime, Magda s’enfonce dans l’abîme, avec ses secrets.

Au même moment, des centaines de femmes et d’hommes avancent sur un chemin poussiéreux, s’accrochant à ce qu’il leur reste de vie. Parmi ces survivants de l’enfer des camps, marche une enfant frêle et silencieuse. Ava est la dépositaire d’une tragique mémoire : dans un rouleau de cuir, elle tient cachées les lettres d’un père. Richard Friedländer, raflé parmi les premiers juifs, fut condamné par la folie d’un homme et le silence d’une femme : sa fille.

Elle aurait pu le sauver.

Elle s’appelle Magda Goebbels.

 

Ce que j’en pense :

 

Nous suivons, dans ce roman, l’histoire de Magda Goebbels, son enfance, ses mariages, ses liens avec le parti nazi jusqu’au final dans le fameux bunker.

On rencontre d’autres personnages auxquels on a à peine le temps de s’attacher qu’ils disparaissent tragiquement : les déportés que l’on a obligés à quitter les camps et qu’on fait marcher jusqu’à l’épuisement pour les exterminer ailleurs, froidement (je devrais dire chaudement, car ils meurent embrasés dans une grange, dans une obscure clairière, à laquelle on a mis le feu après les avoir obligés à s’entasser !) avec la complicité des paysans du coin, bien-sûr car il fallait cacher le charnier, gommer les traces du génocide.

On croise ainsi Aimé, Judah, Fela et sa petite Ava, bébé miraculé des camps.

Ces récits alternent avec l’histoire de Magda, qui a pourtant eu une enfance heureuse, avec un beau-père qui lui a fait découvrir les arts, les lettres et qu’elle déteste parce que juif qu’elle n’hésitera pas à faire déporter.

L’ombre de Richard Friedländer, ce père adoptif, est présente tout au long du roman sous la forme d’une lettre dans laquelle il évoque son amour paternel à son égard ainsi que des témoignages d’autres personnes mortes dans les camps ; tous écrivent pour persévérer, survivre, transmettre. On écrit sur des bouts de papier, sur tout ce qu’on peut trouver, le tout enfermé dans un vieux sac…

Comment Magda a-t-elle pu épouser Goebbels ? il a un pied bot, une face de rat, c’est un nain très éloigné du profil aryen… pour arriver à ses fins elle a réussi à entrer dans le parti, en tant que bénévole et approcher les personnes qu’il fallait pour arriver jusqu’à Hitler.

Ils se marient en grande pompe et mettent en scène toute leur vie de couple, c’est la mère parfaite, qui pose avec sa famille devant les photographes pour la propagande du régime. Il est attiré par les actrices qu’il tente de séduire par la force bien-sûr, et Magda vient mettre son grain de sel pour casser d’éventuelles idylles.

En fait, en dehors d’elle-même, elle n’aime personne, sauf Harald, son fils aîné, né d’une précédente union et qui s’illustre sur le front et évidemment, le pouvoir ; la manière dont elle lorgne vers Hitler, et jalouse son Eva finit par devenir grotesque : quand ils sont tous réfugiés dans le bunker, on voit un Hitler fantoche, qui baise la main des dames avec sa bouche baveuse !

« Le nabot et l’hystérique, le tremblant et le boiteux. Pour ce qui est de sa danseuse, Eva Braun, c’est de la pacotille, juste une mauvaise poudre aux yeux qui s’éparpille à la moindre brise. Magda prime. Elle le sait. » voilà ce que pense Magda coincée dans sa chambre au bunker, alors que Goebbels et Hitler ne se quittent pas.

Sébastien Spitzer a écrit un livre superbe, avec un style incisif, des phrases courtes, percutantes, des descriptions tellement vivantes qu’on n’a aucun mal à visualiser les personnages et les scènes.

La manière dont Magda a exécuté ses six enfants, empoisonnés revêtus d’une sorte d’aube blanche, tous alignés les uns à côté des autres dans une mise en scène digne d’une secte, où la manière dont le « suicide » d’Hitler est évoqué, sont magistralement évoqués.

Je connais bien la fin des Goebbels et Hitler et Eva Braun car j’ai vu plusieurs fois le film « Le bunker » avec Anthony Hopkins épatant dans le rôle d’Hitler, et pourtant ce livre m’a tenue en haleine jusqu’au bout.

Ce livre est un véritable coup de cœur.

coeur-rouge-

 

 

L’auteur

 

Sébastien Spitzer est journaliste. « Ces rêves qu’on piétine » est son premier roman.

 

 

Extraits

 

Pour survivre, il faut s’oublier. Oublier l’épuisement. Oublier les blessures. Oublier ce creux au bide. Oublier ses besoins et les odeurs d’urine et de merde qui collent à la peau parce qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se chier dessus, sans perdre la cadence.

 

Reste la nuit. Épaisse. Lourde. Vide à tous ceux qui ont peur, à ceux qui désespèrent, se trompent. Cette nuit est aussi pleine que les autres. Féconde. Mystérieuse. Imprévisible. Elle s’est insinuée de l’autre côté des murs. L’heure des souffles de vie. L’heure des silences.

 

Autour du cabanon, une brume s’étire toute en langueur, se requinque au-dessus du ruisseau et finalement cascade au dos des masses rocheuses. Cette brume est un haut-le-cœur. Un soubresaut gazeux. Un renvoi des entrailles du monde. C’est un trop-plein de cadavres dont cette terre est gavée. Et les arbres de la forêt l’en soulagent. Elle prend sa part du drame.

 

Magda savait prendre la pose, tenir son rôle de femme. Elle portait de grands colliers de perle, citait Yeats, Schiller et Goethe à la demande, avait un grand sourire et aussi assez peu de convictions pour déjouer tous les pièges de l’erreur d’opinion, du mauvais goût et de l’ignorance.

 

« Il disait qu’ils n’y arriveraient pas. Que personne n’arriverait à nous faire disparaître. Il est peut-être mort trop tôt. Il n’a pas vu ce qu’ils étaient capables de faire pour parvenir à leur but… déclare Judah.

De qui parles-tu ?

De Friedländer, l’auteur de ces lettres, dit Judah en tapant sur sa besace. Celui des camps. Ses lettres sont dans ce rouleau de cuir…

 

Adolf suivait le cortège. Elle s’habituait à ses baisemains baveux, à ses courtoisies, fin de siècle, à sa diction spécieuse quand ils étaient en petit comité, à ses éruptions suivies de longs silences. Ils se gardaient des têtes-à-têtes d’alcôve. Des moments de flamme pour lui, qui le faisaient se rouler par terre à ses pieds, à ses genoux accroché, larmoyant qu’il ne faut pas, qu’il ne peut pas…

… Il était hostile aux excès de tendresse qui ramollissent, redoutait les dangers des caresses, qu’il réservait aux chiens, prônait les vertus de l’échec et de l’adversité….

 

Le mépris, le dégoût de soi, ça vous met l’âme e, morceaux. Une marmelade d’orgueil mélangée au remords. Mais, il y a pire encore. Le blâme et l’opprobre au sein des prisonniers, le refus de la solidarité quand tout se tient là. Le dos tourné des survivants est bien plus douloureux que le mal des bourreaux. L’injustice altère. L’ignominie réduit. La soumission gangrène. Fela allait vivre les pires mois de sa survie.  

 

Et quand vient la défaite, les héros disparaissent au profit des héros ennemis. Magda sait qu’il n’y a pas d’Histoire. Il n’y a que des victoires et des défaites, les récits des vainqueurs et l’oubli des vaincus. « Memento mori ». Tout passe.

 

Elle a vu ce que le pouvoir offrait. Elle sait les abaissements des hommes qui lui sont soumis. Son fils sera plus grand qu’Adolf, plus puissant. N’est-il pas le fils de la première dame du Reich ? Et bientôt son seul héritier.

 

Lu en janvier 2019

« La mort est mon métier » de Robert Merle

Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui attendait son tour dans ma bibliothèque (encore un !) avec :

 

La mort est mon métier de Robert Merle 

 

Quatrième de couverture

 

« Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s’éclaira…

– Le Führer, dit-il d’une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.

Il fit une pause et ajouta :

– Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.

Je le regardai. Il dit sèchement :

– Vous avez l’air effaré. Pourtant, l’idée d’en finir avec les Juifs n’est pas neuve.

Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu’on ait choisi… »

 

Ce que j’en pense

 

C’est l’histoire de Rudolf Lang (alias Rudolf Hoss), officier SS qui dirigea le camp de Auschwitz et mit au point le gazage de juifs, les fours crématoires… officier zélé qui n’a fait « qu’obéir aux ordres ».

Robert Merle reconstitue son enfance, à partir de ce que Rudolf Lang a raconté au psychologue qui l’a interrogé pour le procès de Nuremberg.

On retrouve une violence familiale édifiante avec un père ultrareligieux, avec les prières assidues, à genoux, (on est plus dans l’autoflagellation que dans la foi),  fou à lier qui veut faire de son fils en prêtre. Il l’oblige à se mettre au garde à vous en sa présence, à marcher au pas.

Il s’engage à l’âge de seize ans, alors qu’il n’y est pas autorisé car trop jeune, mais l’armée, la guerre le fascinent et aussi l’amour de son pays. Il va combattre en Turquie et sa bravoure sera reconnue.

De retour à la vie civile, il participe à la mise en place des chemises brunes et adopte les idées nazies.

 Robert Merle reconstitue ensuite tout son parcours, notamment à Auschwitz et la manière dont il a accepté la mission que Himmler lui a confiée. Fonctionnaire zélé, il a mis en place le processus d’extermination des juifs comme il aurait conçu la mise ne place d’une chaîne automobile : le gazage, les ascenseurs pour acheminer les corps vers les fours crématoires…

Cet homme était marié et avait des enfants ! et si Himmler le lui avait demandé qui sait s’il n’aurait pas été capable de les tuer ? Seule comptait la mission qui lui avait été confiée et dans le meilleur délai : si Himmler le voulait, c’est qu’il avait raison !

Au procès, il répètera « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » et n’aura jamais l’ombre d’un regret, il ne considérait pas que les juifs qu’il envoyait à la mort étaient des humains, pour lui c’était des « unités » qu’il envoyait à la chambre à gaz.

Cet homme est glaçant, déshumanisé, rien ne le touche, c’est un exécutant ! lorsqu’on lui demande comment il trouvait son travail à Auschwitz, il répond « ennuyeux » !

Je connaissais l’histoire de cet homme, avant d’ouvrir le livre, car j’ai vu un film il y a longtemps, et cette phrase « je n’ai fait qu’obéir aux ordres » m’a hantée à l’époque !

J’ai beaucoup aimé ce livre, il permet de réfléchir et de ne pas oublier surtout à une époque où l’antisémitisme a fait un retour en force.

 

 

Extraits

 

Quand, par hasard, un de mes mouvements me paraissait sortir de la « Règle », une boule se nouait dans ma gorge, je fermais les yeux, je n’osais plus regarder les choses, j’avais peur de les voir s’anéantir.

 

J’arrivai mal à fixer mon attention. Je reposai le livre (de géométrie) sir la table, je pris mes chaussures, et je me mis à les cirer. Au bout d’un moment, elles se mirent à briller et j’éprouvai du contentement. Je les posai soigneusement au pied de mon lit, en veillant à aligner les talons sur les lignes du parquet. Puis, je me plaçai devant l’armoire à glace, et comme si une voix m’en avait donné l’ordre, brusquement, je me mis au garde à vous…    

 

Je n’ai pas à entrer dans ces conditions. Pour moi, la question est claire. On me confie une tâche, et mon devoir est de la faire bien, et à fond.

 

C’était lui. L’instinct de mon enfance ne m’avait pas trompé. J’avais eu raison de le haïr. Ma seule erreur avait été de croire, sur la foi des prêtres, que c’était un fantôme invisible, et qu’on ne pouvait le vaincre que par des prières, des jérémiades ou par l’impôt du culte. Mais, je le comprenais maintenant, il était bien réel, bien vivant, on le croisait dans la rue. Le diable, ce n’était pas le diable. C’était le juif.

 

Chose curieuse, c’est dans l’exemple de Père que je puisais alors, la force de mater ces défaillances. Je me disais, en effet, que si Père avait trouvé le courage de faire, quotidiennement, d’incroyables sacrifices à un Dieu qui n’existait pas, moi qui croyais à un idéal visible, incarné dans un homme de chair et d’os, je devais, à plus forte raison, me donner tout entier à ma foi, sans ménager mon intérêt, ni, s’il le fallait, ma vie.

 

A un moment donné, le Procureur s’écria : « vous avez tué 3 millions et demi de personnes ! » Je réclamai la parole et je dis : « Je vous demande pardon, je n’en ai tué que 2 millions et demi.»  Il y eut alors des murmures dans la salle et le Procureur s’écria que je devrais avoir honte de mon cynisme. Je n’avais rien fait d’autre, pourtant, que rectifier un chiffre inexact.

 

 

 

Lu en janvier 2019