« La rue des silences » d’Olivier Darrioumerle

Retour sur une lecture ancienne avec ce roman découvert grâce à une opération masse critique de Babelio en 2013 :

Résumé

Ce livre nous raconte l’histoire de Roméo, dont la mère prostituée est morte très jeune d’une maladie honteuse et dont le père a disparu sans laisser d’adresse. Il a été élevé par Maria Santa, une mère maquerelle reconvertie dans la boulangerie et qui n’est du tout gentille avec l’orphelin qu’elle rabroue sans cesse et exploite au travail.

Roméo est rouquin, celui qui porte malheur et on l’appelle Ragondin  n’est pas très heureux, il est souvent dans les rues de Naples, avec son copain Ciro qui improvise des chansons et un vieux clochard anglais Somerset. Il mime les gens dans la rue choisis au hasard et il est très doué. Ils sont des « Scugnizzi » : gosses des rues.

Il n’a vu son père qu’en photo mais il sait que c’était un chef de la Camorra surnommé Syracuse le Millionnaire, de son vrai nom Paulo Siragusa et qu’il est mort assassiné.

Un jour, alors qu’il se livre à sa pantomime habituelle, il se fait agresser par des délinquants plus âgés. C’est un chef de clan, Joe qui le tire de leurs pattes et Ragondin s’aperçoit que Joe connait tout de lui.

Maria Santa va en profiter pour le mettre porte sous prétexte qu’il ne travaille pas assez. Maria Santa va faire circuler la rumeur qu’il fréquente les camorristes via Joe, et de ce fait, tout le monde se met à rejeter Ragondin même son ami de toujours Ciro, ce qui lui fait beaucoup de peine. Il erre dans les  rues de Naples, sa valise à la main, à la recherche de son identité. Il croise, dans cette errance, Sara dont il est amoureux.

 Somerset l’aide à ne pas se contenter d’être une marionnette mais à devenir un vrai mime et lui explique qu’il a un beau prénom : Roméo. Il ne l’appellera jamais autrement car il déteste le surnom de Ragondin dont on l’a affublé. Cf. citation. Il se révèle  excellent dans son rôle de mime dont il vit depuis que Maria Santa l’a mis dehors. Jusqu’au jour où elle le voit.

Elle va trouver Joe et on apprend alors que c’est Mimi-Canin qui lui a financé sa pâtisserie et qu’il la paye depuis des années pour éduquer Ragondin car il voulait le protéger de la Camorra et éviter qu’il devienne délinquant. On apprend aussi, au passage, qu’il est le meurtrier du père de Ragondin. Elle exige de l’argent pour disparaître car elle a rompu le pacte passé avec Mimi-canin (surnommé ainsi à cause des deux molosses agressifs qui l’accompagnent partout et qui n’est autre que le cousin de Joe.

Joe, ancien garagiste qui règne sur le quartier espagnol de Naples à la demande de son cousin,  comprend donc que cet enfant est l’héritier du royaume, le futur « roi de Naples ». Il va donc le faire récupérer dans la rue par ses hommes de main et lui faire tatouer un ange avec de petites ailes portant un parchemin enroulé sur lequel est inscrit en lettres gothiques O.R.F.A.N.O, « orphelin »(p131) par un  médecin tandis qu’un prêtre lui donne l’absolution. Après ce rituel initiatique il entre dans le clan et une autre vie commence pour l’orphelin, que je vous laisse découvrir….

Ce que j’en pense :

 J’ai eu beaucoup de mal à m’accrocher à l’histoire durant les cinquante premières pages car je cherchais la lettre dont l’auteur a décidé de se passer volontairement comme Perec dans le temps, et après j’ai été séduite. Il y a l’histoire de cet adolescent malheureux rejeté  par tout le monde car les roux portent malheur. Roméo Ragondin orphelin est attachant car il essaie de se construire dans cette ville de Naples dominée par le Vésuve et la Camorra.

On est frappé d’emblée par la présence des couleurs surtout les jaunes, les rouges ou les violets qui sont cités très souvent par l’auteur et également pas les odeurs qui émanent, les rues avec leurs dédales, leurs croisements, leur revêtement qui résulte de la lave qui donne cette couleur noire. Les gamins qui jouent avec les sacs d’ordure.

Au début, c’est plutôt gai, lumineux, l’odeur des pâtisseries, la mer est tout près ; les gens ne sont pas très gentils mais, on se sent à l’aise ; puis, peu à peu, au fur et à mesure que l’histoire se déroule, le tableau s’assombrit, avec Maria Santa qui devient de plus en plus odieuse, marâtre, la violence qui émerge avec les délinquants qui apparaissent et qui contrastent avec la douceur du mime (pantomime, comédia del arte). C’est insidieux, ça monte tout doucement au fur et à mesure que l’on en apprend davantage sur Roméo.

Puis entrent en scène, les trafics, la cocaïne, les autres drogues aussi d’ailleurs, et les règlements de comptes, les tueries.

Naples tient une place importante dans le roman, elle est liée à la violence quelque soit l’époque, l’éruption du Vésuve, Vulcain y règne en maître avec sa forge. A tout instant, il pourrait y avoir une nouvelle éruption qui étendrait ses tentacules noirs sur les rues, comme les tentacules de la Camorra, tout aussi noire et brutale. On a d’un côté les quartiers pauvres et de l’autre, les propriétés des mafieux dont l’une surplombe la ville avec une vue magnifique sur la mer.

Je retiendrai aussi l’importance de la Madone, omniprésente, et tous ces parrains qui vont à la messe et tuent tout le monde. Tous ses assassinats laissent un silence impressionnant derrière eux, tout se tait soudain, alors que la vie s’agitait quelques instants auparavant.

Les couleurs refont leur apparition plus tard, dans le livre pour atténuer la violence qui monte. Il y a des scènes hilarantes comme les discussions avec le Christ ou le cauchemar de Roméo, ses dessins pour tenter de mettre de l’ordre dans ses idées.

C’est difficile pour cet adolescent de trouver un but, un sens dans sa vie. Il se pose souvent la question de savoir qui il est vraiment. Il cherche avant tout à être aimé, respecté. Sa sexualité est très éveillée, stimulée par ce qui l’entoure : Sara, Sofia… on espère tout au long du livre qu’il va sortir.

Ce livre est aussi une réflexion sur violence et aussi sur la mort, et j’ai beaucoup apprécié l’évocation du film le bon la brute et le truand : «Tu vois Tuco, le monde se divise en deux : il y a ceux qui ont le flingue chargé et ceux qui creusent (p224).

Enfin, on note que l’auteur a apporté beaucoup de soin à la couverture du livre : on retrouve toutes ces couleurs chaudes dont il parle dans le roman et le bleu de la mer. La mise en page est originale ainsi que la numérotation des pages.

 C’est le premier roman d’Olivier Darrioumerle et cet auteur est, à mon avis,  très prometteur. Ce livre fait beaucoup réfléchir même si, petit bémol, les quarante dernières pages sont dures à lire. Par contre, on oublie très vite de chercher la lettre manquante, je vous la laisse trouver…

❤️ ❤️ ❤️ ❤️

Qu’en reste-t-il aujourd’hui?

Je garde un très bon souvenir de ce roman, à la fois violent et très coloré, autant que l’est sa couverture. La description de Naples est restée dans ma mémoire, de même que l’écriture pétillante d’Olivier Darrioumerle et pourtant le sujet était loin d’être simple. Je n’ai qu’un seul regret, n’avoir pas lu un autre livre de l’auteur depuis car ma PAL suffoque sous les tentations …

Extraits

Naples était sa mère, une mère sans âge. A chaque coin de rue elle l’interpellait. Lui qui était orphelin inconsolé, lui qui ‘avait rien d’autre que cette terre sous les plis de la pierre entre lesquels il aurait voulu se glisser. Retourner se cacher dans les entrailles de sa mère, cette vierge fantôme. Sa vraie mère était une figure floue, quelques souvenirs, un sein généreux, des formes grossières, des odeurs de cuisine de sueur, de lessive (p39).

Ragondin n’avait pas eu de père pour le défendre, ni de mère pour le consoler, il avait alors consciemment décidé de gratifier de son mépris complet les expressions collectives sous toutes leurs formes. C’était sa règle. Il s’y tenait. Un modèle paternel aurait  pu lui suggérer quelques règles. Mais Ragondin, son père il ne le connaissait qu’en photo (p 40).

De là où il était, Ragondin apercevait le Vésuve qui dominait le golfe de Naples. Il aurait pu adorait sa ville comme l’adoraient Ciro et la plupart des Napolitains, mais ce Vésuve lui signifiait seulement misère et destruction, illusion et désespoir. Ils étaient donc condamnés à vivre sous la menace de ce monstre et de toutes les peurs qu’il engendrait. Quelle idée de poser la première pierre sur les enfers ! (p56)

La fierté est l’honneur du suicidaire ou la ruine du prince. En l’occurrence, Ragondin n’était ni l’un ni l’autre ! à cet instant, la fierté n’était plus pour lui qu’une cicatrice de guerre, une sorte de médaille qu’il avait gagné dans la rue en défendant son maillot de Maradona, sa deuxième peau. Et elle lui restait coincée dans la gorge.il fallait la cracher dans la minute. L’affreux l’attendait, un sourire sur les lèvres. Ragondin toussota, se racla l’arrière-gorge et rangea les poings dans ses poches (p74).

Il n’y avait aucune place pour lui, nulle part. Il était condamné à revivre sa tragédie, sans pardon ni grâce de personne. On lui avait collé une étiquette. Point de rédemption. Il haïssait ces familles qui montraient toujours une heureuse image, mais qui n’ouvraient jamais vraiment leur porte à personne ; ces familles agitées pas la peur que l’on puisse découvrir leurs petits secrets (p-87).

Ce visage vierge et innocent s’appelait Roméo. Il retenait dans ses yeux tristes de l’amour à l’état pur. Ce garçon était fait d’une colère sauvage et indomptée mais tellement créative. S’il avait tendance à gesticuler, il apprenait petit à petit à anticiper les gestes du modèle, les émotions à imiter, et par la force des choses, à maîtriser les siennes. Le miroir qui montre reflet inversé des existences devait être d’une finesse et  d’une délicatesse particulière (p97).

Joe était un gestionnaire aux méthodes spéciales, mais elles apportaient des résultats. De peur de mal faire, il avait calqué son nouveau métier sur l’ancien. Garagiste, parrain, c’était la même chose. Il avait conservé les attitudes et les gestes de sa vie antérieure. Ainsi, il stockait les flingues et les munitions comme les vis et leurs écrous, huilait les rouages de la police lorsqu’il sentait que ça grinçait un peu, et vidangeait de temps en temps les ordures ménagères pour l’entretien de son quartier (p107).

A mesure qu’il fréquentait le monde de la nuit, le petit Ragondin se découvrait. Il était en quête de reconnaissance, mais d’une essence particulière, quasi-divine, comme s’il devait prouver quelque chose à quelqu’un qui n’existait pas ; il n’était qu’un enfant sans père. Cette révélation lui été apparue tandis qu’il risquait de casser les verres avec lesquels il était en train de jouer (p 156).

Sa haute stature carrée, ses cheveux frisés, son nez droit et ses yeux translucides lui avaient fait penser, dans les premiers temps, à une statue gréco-romaine. Mais, s’il avait eu l’impression que les grandes eaux jaillissaient de son esprit, dès qu’il avait commencé à vivre au quotidien  avec le drogué, ses yeux tellement vides n’étaient devenus que le reflet vitreux d’un aquarium où Ragondin s’attendait, à tout moment, à voir passer un poisson rouge.

Lu en octobre 2013

« La cuisinière de Himmler » de Franz Olivier Giesbert

Retour sur une lecture ancienne aujourd’hui avec ce roman qui m’avait bien plu à l’époque:

La cuisinière de Himmler de Franz Olivier Giesbert

 

Mon résumé :

 

Rose, âgée de 105 ans, tient un restaurant à Marseille : « la petite Provence » où elle propose à ses clients une carte très originale avec des plats inspirés de tout ce qu’elle a vécu dans sa vie, de tous les gens qu’elle a rencontrés. Elle décide alors d’écrire ses mémoires sur un carnet car sa vie à été mouvementée.

Elle naît en Arménie le 18 juillet 1907, près de la mer Noire, à Kovata, capitale mondiale de la poire, dans des conditions rocambolesque car sa mère accouche contre un cerisier, « c’est ainsi que je vins au monde, en dégringolant ».

A Constantinople, le chef des Sunnites ordonne la purification donc le génocide des Arméniens commence. Un jour, sa famille est arrêtée et exécutée et elle en réchappe en se cachant dans le jardin. Elle découvre une salamandre jaune qu’elle prénomme Théo et à qui elle confie ses émotions et ses pensées.

Mais elle est rattrapée et mise dans un « petit harem », tenu par Selim Bey auquel elle doit faire des fellations. Selim Bey la garde deux ans et la donne à un de se amis qui l’embarque sur son bateau, quittant Trébizonde pour gagner Barcelone.

Elle ne pense qu’à s’enfuir et à se venger. Il lui restera de son enfance que le souvenir d’un plat que préparait sa grand-mère : le « Plaki » à base de haricots.

Elle profite d’une escale à Marseille pour s’échapper. Pour échapper aux sbires de Chapacan Ier, en argot « voleur de chiens », un truand local, qui l’oblige à faire les poubelles, elle se réfugie chez Barnabé Bartavelle, qui tient un restaurant où elle apprend à cuisiner les aubergines. Le truand la retrouve et elle fuit à nouveau avec Théo toujours pour se retrouver enfin chez Emma Lempereur qui l’accueille chez elle et avec son mari décide de l’adopter.

Elle est bien chez eux, elle fait des études, mais les Lempereur meurent l’un dans un accident l’autre de chagrin et les héritiers, pingres, la transforment en esclave, lui faisant faire toutes les choses ingrates et bien-sûr décident qu’elle n’a plus besoin de faire des études (l’année du bac) et décident au passage de lui détourner l’argent de son héritage car elle est mineure et ils deviennent ses tuteurs légaux.

Rose rencontre ensuite Gabriel Beaucaire dont elle tombe amoureuse et qu’elle finit par épouser et part s’installer à Paris chez lui (pendant ce temps ses tuteurs font croire à sa disparition). Elle part avec Théo et la liste de toutes les personnes dot elle souhaite se venger. Ils auront deux enfants ensemble : Edouard et Garance. A Paris, elle ouvre un restaurant qu’elle baptise « la petite Provence ».

Gabriel écrit des articles dans les journaux pendant que Rose invente ses plats dans sa cuisine, brandade de morue, soufflé au caramel et son fameux flan au caramel. Ils sont heureux et Rose ne pense qu’à leur petite vie douillette sans voir la montée de l’antisémitisme s’installer. On commence traquer les Juifs en allant chercher dans leur arbre généalogique les noms pouvant être d’origine juive et à les arrêter, à incendier les synagogues, à piller les magasins semant la terreur.

Mais, peu à peu, la presse antijuive se déchaîne et tout le monde s’en prend à Gabriel par articles interposés.

Tout en devisant avec Théo, Rose décide d’aller régler ses comptes avec le premier de la liste, celui qui a tué son père, et pour ce faire, part donc en Turquie. Gabriel est considéré comme Juif car il porte le nom d’un village et souvent les Juifs qui venaient en France changeaient de nom : soit on essayer de traduire le leur, soit on leur donnait le nom d’un village par exemple.

Après avoir régler son compte à celui qui a tué son père, Rose comprend que Gabriel est en danger et l’aide à se cacher alors qu’ils se sont séparés car elle l’a trompé. Mais il sera arrêté avec les deux enfants sur dénonciation et conduit au Vel d’Hiv.

Rose ne sait pas où ils sont. Pour s’occuper l’esprit elle se met à étudier les plantes et se lance dans la phytothérapie proposant ses tisanes aux clients. Dans son restaurant, se côtoient les têtes pensantes de l’époque, le gratin de la société la police aussi.

Un jour Himmler entre sans son restaurant, après un défilé des troupes allemandes sur les Champs Élysées. A la fin du repas, il demande à la voir pour la féliciter pour sa cuisine et en particulier sa brandade de morue. Elle lui explique l’origine de la phytothérapie, lui parlant de Claude Galien, des écrits de Sainte Hildegarde et il repart les poches pleines de tisane de Ginseng car c’est un travailleur acharné, infatigable.

Il est attiré par elle, sa beauté, sa truculence et finit par tomber amoureux. Elle va se servir de lui pour savoir où sont Gabriel et les enfants. Elle est toujours dans la démarche de la vengeance et quand cela devient critique pour elle, il lui propose de l’emmener à Berlin en étant sa cuisinière. Je vous laisse découvrir la suite…

 

Ce que j’en pensais :

 

J’ai beaucoup aimé ce livre. L’histoire est rocambolesque car Rose a une vie très active (un peu comme le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire), elle échappe au génocide arménien par miracle et elle va connaître tous les génocides du XXe siècle, l’extermination des Juifs, les dictatures, mais aussi les travers de l’Amérique et un clin d’œil à Marseille…

Elle est généreuse, drôle, amoureuse (ses coups de cœurs sont quand même caricaturaux) et pourtant même si l’auteur nous parle de sa beauté, je ne la trouve pas féminine, je n’ai pas réussi à la voir autrement qu’en Franz-Olivier Giesbert en jupons avec un tablier, parlant comme un charretier souvent…

Ce livre se déguste, au propre comme au figuré. On alterne les atrocités et les recettes de cuisine qui mettent en appétit, excitant nos papilles. En fait, la cuisine est un héritage de toutes ses rencontres tout comme ses lectures : Byron avec sa grand-mère, le poète John Keats avec Emma Lempereur entre autres. De chaque étape de sa vie restent une (ou plusieurs) recette de cuisine et un enrichissement de sa bibliothèque.

On voit défiler Sartre et Simone de Beauvoir qui ne jurent que par Staline et le communisme. Elle parle très bien d’ailleurs du fonctionnement si particulier de ce couple avec qui elle ira en Chine. On rencontre aussi Mao, et un beau Chinois Liu dont elle tombe amoureuse.

Chaque fois qu’il y a des difficultés dans sa vie, elle part trucider quelqu’un, cela soulage sa colère ou son impuissance. C’est en cela qu’elle est attachante d’ailleurs. Chaque fois qu’une épreuve survient, elle en fait quelque chose de positif qui la fait avancer dans la vie, et même parfois, la maintient en vie.

On note aussi l’importance de Théo la salamandre qui est un peu sa conscience car elles ont un dialogue imaginaire et Théo lui reproche sa conduite, ses erreurs, ses dérapages.

On découvre aussi Félix Fersten, Estonien, qui est le masseur d’Himmler, personnage particulier formé par un grand maître tibétain. Il soulage Himmler de ses terribles maux d’estomac, en lui faisant signer des papiers annulant des déportations. On retrouve cet homme dans un livre excellent de Kessel : « les mains du miracle ».

On visualise sans peine sa rencontre avec Hitler, végétarien, qui se termine par une beuverie phénoménale non sans conséquences.

On reconnait l’érudition et le talent du journaliste qui sait parler de la grande Histoire et la combine bien avec la petite histoire de Rose.

Enfin, je retiens l’importance de Marseille, de la Provence et surtout de la Méditerranée qui apportent de la lumière à ce livre comme la cuisine amène des parfums exotiques ainsi que les personnes, hautes en couleurs aussi, qui font partie de sa vie d’aujourd’hui.

Donc, un bon livre que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire et que je recommande.

 

Et aujourd’hui, qu’en reste-t-il?

 

Je pense qu’il me plairait autant, car on traverse l’histoire du XXe siècle, avec cette truculente cuisinière, on rencontre des personnages intéressants dans tous les domaines.

La scène où elle tente d’expliquer la phytothérapie, les théories de Claude Galien, à Himmler est très drôle, de même que sa manière de « philosopher dans le boudoir »…

La réflexion sur le couple Jean-Paul Sartre Simone de Beauvoir que l’on rencontre dans son restaurant me plaît toujours autant:

« Ce qu’il y avait de mieux chez Sartre, c’était Beauvoir. Qu’aurait-il été sans elle ? Une girouette péremptoire. Un mauvais écrivain. Enfin, pas grand-chose. C’est elle qui a écrit sa légende. »

Je maintiens quand-même l’expression « Franz-Olivier Giesbert en jupons », que j’ai employer pour évoquer Rose,  car c’est vraiment ainsi que je me la représentais.

J’avais mis 4 étoiles à l’époque…

 

Extraits :

 

Le grand âge qui est le mien m’a appris que les gens sont bien plus vivants en vous une fois qu’ils sont morts. C’est pourquoi mourir n’est pas disparaitre, mais, au contraire, renaître dans la tête des autres.

           

Les humains sont comme les bêtes d’abattoirs. Ils vont à leur destin, les yeux baissés, sans jamais regarder devant ni derrière eux. Ils ne savent pas ce qui les attend, ils ne veulent pas savoir, alors que rien ne serait plus facile : l’avenir, c’est un renvoi, un hoquet, une aigreur, parfois le vomi du passé.

           

A mon âge, je sais que c’est incongru et même idiot, mais s’il fallait chasser tous nos fantasmes de nos têtes, il ne resterait plus grand-chose à l’intérieur. Quelques uns des dix commandements nageant dans du jus de cervelle et c’est à peu près tout. La vie serait à mourir. Ce sont nos folies qui nous maintiennent debout.

 

Il se dégageait de Marseille un sentiment de grandeur que résumait bien l’inscription en latin que l’on pouvait lire jadis, ai-je appris plus tard, sur la façade de l’hôtel de ville :

« Marseille est fille des Phocéens ; elle est sœur de Rome ; elle a rouvert ses portes à Jules César et s’est défendue victorieusement contre Charles Quint. »

 

Paris, 1939. Après que Gabriel eut quitté la maison avec nos enfants, une grosse boule a commencé à pourrir dans mon ventre. J’ai donné un nom à cette douleur qui vous mange les chairs et que chacun d’entre nous subit deux ou trois fois dans sa vie : le cancer du chagrin.

 Il avait semé des métastases partout et d’abord dans mon cerveau qui, refusant de s’arrêter ou de se concentrer, tournait à vide et en rond. Sans oublier les poumons qui respiraient mal, ni le gosier où plus rien ne passait, ni les tripes que tordaient souvent des crampes atroces.

 

 La vengeance est certes une violence faite au code civil et aux préceptes religieux, mais c’est aussi un bonheur dont il me semble stupide de se priver. Quand elle a été consommée, elle procure, comme l’amour, un apaisement intérieur. Justice faite, c’est la meilleure façon de se retrouver en paix avec soi-même et avec le monde.

 

 J’ai décidé de le suivre le jour même quand, après être venu tester ma cuisine dans la gargote de la 44e Rue, il m’a proposé de reprendre une affaire avec lui. L’Amérique est un pays où on n’arrête pas de refaire sa vie jusqu’à la mort. C’est pourquoi elle a fini par se croire éternelle. C’est sa faiblesse. C’est aussi sa force.

 

 Les États-Unis sont une société de carnivores qui a besoin de son content de viande saignante ; elle marche au bifteck haché comme d’autres à l’espoir ou à la trique. J’avais le sentiment de vivre tout le temps dans le péché. J’empestais même le péché.

 

Je ne ma lasserai jamais de répéter ce qui fut une des grandes leçons de ma vie : il n’y a rien de plus stupide que les gens intelligents. Il suffit de flatter leur ego pour les manipuler comme on veut. La crédulité et la vanité marchant de paire, elles se nourrissent l’une de l’autre, même chez les plus grands esprits : j’eus l’occasion de le vérifier tout au long du voyage.

 

L’institut néerlandais Clingendael, spécialisé dans les relations internationales, a chiffré à 231 millions le nombre de morts provoqués par les conflits, les guerres et les génocides de ce XXe siècle qui n’a cessé de repousser les limites de l’abjection.

Quelle est l’espèce animale qui s’entretue à ce point, avec autant de férocité ? En tout cas, ni les singes ni les cochons dont nous sommes si proches, pas davantage les dauphins ni les éléphants. Même les fourmis sont plus humaines que nous.          

 

Lu en octobre 2013

« La sirène » de Camilla Läckberg

Puisqu’on est toujours dans la série retour vers les anciennes chroniques, je vous propose ce cinquième opus de l’auteure:

 

 

Résumé

 

Un homme, Magnus a brusquement disparu à Fjällbacka où vivent nos héros habituels, l’inspecteur Patrick Hedström et son épouse Erika, journaliste et écrivain.

Personne ne sait ce qu’il est devenu, sa femme vient toutes les semaines au commissariat pour voir où en sont les recherches jusqu’au jour où on retrouve son corps sous la glace assassiné.

Un ami de Magnus, Christian qui vient de publier son premier roman sous le titre « la sirène » et on apprend qu’il reçoit des lettres anonymes depuis plusieurs mois. Deux autres personnes reçoivent ce genre de courriers avec menaces de mort : Erik un pervers narcissique qu’on déteste dès la première minute, Kenneth son associé qui se conduit comme un toutou, car bien sûr Erik a un ascendant énorme sur lui.

Erika et Patrick connaissent les protagonistes puisque Erika a aidé Christian à publier son livre, ce qui rajoute un peu de piment.

Bien-sûr on comprend très vite que ces quatre personnes ont un lien peut-être même un secret mais je vous laisse découvrir.

 

Ce que j’en pensais :

 

 Ce cinquième roman de Camilla LÄCKBERG est moins abouti que « l’enfant allemand ». Les personnages sont un peu essoufflés . Erika est toujours aussi attachante avec sa curiosité qui la pousse à s’immiscer dans les enquêtes de Patrick son inspecteur de mari. On ne sait pas bien qui est le héros : Erika journaliste écrivain reconnue ou Patrick inspecteur consciencieux qui doit subir un patron nul grotesque même, mais qui devient attachant au fil des romans. Pour ma part, je dirais que c’est le couple le héros du livre tant ces deux là sont complémentaires mais cette fois un bémol car si ce sont plutôt des antihéros qui nous amusent, ici cela devient trop caricatural.

L’intrigue atroce est superbe, pleine de rebondissement et comme souvent chez Camilla Läckberg, on alterne le passé et le présent. D’un côté le meurtre, de l’autre l’histoire du meurtrier sans qu’on ne devine jamais son identité. Les personnages sont étudiés avec beaucoup de finesse, leurs personnalités sont analysées, passées au crible avec une très bonne connaissance de la pathologie mentale.

Erika est pour moi le miroir de Camilla. Elle reconstruit le puzzle mis en place et dispersé aux 4 vents par l’auteur. Son instinct et ses connaissances psychologiques font qu’elle trouve les liens que Patrick pourra ensuite prouver.

Il y a des scène hilarantes, avec les coups de pieds des jumeaux dans son ventre qui viennent adoucir le tragique de la situation présente et lui rappelle la douceur de la vie dans ce monde de cruauté, ou encore la scène où le commissaire change les couches du bébé de la fille de la femme de sa vie dont l’homosexualité est notoire…

Nos héros sont faillibles, le stress les rongent, ce qui en fait des êtres comme vous et moi. J’ai passé un bon moment avec ce livre car j’avais besoin de ne pas trop réfléchir après mes récentes lectures et aussi parce que j’aime les intrigues où la psychiatrie est à l’honneur.

Attention seulement à ne pas entrer dans la facilité comme cela s’est produit avec Marie Higgins-Clarke par exemple. Néanmoins je lui maintiens mes 3 étoiles car Camilla Läckberg ne joue pas dans la même cour que Joël Dicker ou Elizabeth George.

 

Et aujourd’hui, qu’en reste-t-il?

 

C’est le premier polar de Camilla Läckberg dont je rédigeais la critique, ayant lu les quatre premiers avant de commencer mon premier blog.

Lorsque j’ai découvert l’auteure avec son premier opus : « La princesse des glaces », j’ai adoré alors j’ai continué à explorer, le couple formé par le flic sympa, un peu long à la détente, et sa journaliste de femme qui devient de plus en plus exubérante, mais on peut encore mettre cela sur le compte des hormones…

Cette intrigue tient encore la route, mais on s’éloigne de ce qui faisait le charme de l’auteure au début.

Mon préféré reste « L’enfant allemand », j’en ai encore lu deux ou trois avant de jeter l’éponge, tant je trouvais Erika insupportable, envahissante…

 

Extraits :

           

Parfois, elle aurait voulu qu’il soit mort sous ses yeux. Qu’il ait eu un infarctus ou se soit fait écraser par une voiture. N’importe quoi, pourvu qu’elle sache et qu’elle puisse s’occuper de l’enterrement, de la succession et de tous les détails pratiques qui accompagnent un décès. Le deuil lui aurait d’abord fait mal, l’aurait consumée, pour s’estomper petit à petit et ne laisser qu’une sensation lourde de manque mêlée aux souvenirs joyeux.

 

Toute sa vie Erik avait su garder le contrôle. Il avait été celui qui décidait, il avait été le chasseur. Maintenant, quelqu’un était à ses trousses, un inconnu qui restait dans l’ombre. C’était plus effrayant. Tout aurait été plus facile s’il avait pu s’expliquer qui cherchait à l’atteindre. Mais, il l’ignorait totalement.

 

Il n’avait personne vers qui se tourner. Il comprit qu’il avait lui-même créé son isolement, et il se connaissait suffisamment bien pour savoir qu’il n’agirait pas autrement s’il pouvait recommencer. Le goût du succès était trop doux. Le sentiment d’être exceptionnel et adulé était vraiment trop grisant. Il ne regrettait rien , mais il aurait quand même bien aimé avoir quelqu’un.

 

 

Lu en septembre 2013

« La vérité sur l’affaire Harry Quebert » de Joël Dicker

Retour sur un roman qui a fait couler beaucoup d’encre sur la blogosphère et  que j’avais dévoré en 2013  :

 

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Quatrième de couverture:

 

À New York, au printemps 2008, lorsque l’Amérique bruisse des prémices de l’élection présidentielle, Marcus Goldman, jeune écrivain à succès, est dans la tourmente : il est incapable d’écrire le nouveau roman qu’il doit remettre à son éditeur d’ici quelques mois.

Le délai est près d’expirer quand soudain tout bascule pour lui : son ami et ancien professeur d’université, Harry Quebert, l’un des écrivains les plus respectés du pays, est rattrapé par son passé et se retrouve accusé d avoir assassiné, en 1975, Nola Kellergan, une jeune fille de 15 ans, avec qui il aurait eu une liaison.

Convaincu de l’innocence d’Harry, Marcus abandonne tout pour se rendre dans le New Hampshire et mener son enquête. Il est rapidement dépassé par les événements : l’enquête s’enfonce et il fait l’objet de menaces. Pour innocenter Harry et sauver sa carrière d écrivain, il doit absolument répondre à trois questions : Qui a tué Nola Kellergan ? Que s’est-il passé dans le New Hampshire à l’été 1975 ? Et comment écrit-on un roman à succès ?

Sous ses airs de thriller à l’américaine, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert est une réflexion sur l’Amérique, sur les travers de la société moderne, sur la littérature, sur la justice et sur les médias.

 

Ce que j’en pensais à l’époque :

 

Ce livre est fascinant car il nous raconte beaucoup de choses en même temps. En effet le thème central est le meurtre d’une jeune fille de seize ans qui a une aventure avec un homme plus âgé qu’elle et que tout le monde prend pour un grand écrivain quand il arrive dans la petite ville d’Aurora après avoir publié à compte d’auteur un livre dont le succès est très discret.

Il a une auréole, une table réservée dans un snack où tout le monde pense qu’il écrit. On est dans les années 70 et la vie et les mœurs de cette époque sont bien décrites avec le puritanisme qui règne à l’époque. On comprend vite qu’une histoire d’amour entre deux êtres séparés par une différence d’âge importantes, cela signifie que Harry ne peut être qu’un pervers sexuel, pédophile…

Il y a un va et vient entre 1975 et 2008 où la campagne électorale bat son plein avec un candidat (inenvisageable trente ans plus tôt) noir Barak Obama donc un contraste saisissant entre 2 époques….

Il y a un autre personnage dans le roman : c’est le livre et les questions qu’il soulève : comment écrit-on un bon roman, qu’est-ce qu’un bon roman ? Comment savoir si ce qu’on écrit sera un bon roman. Chaque chapitre constitue une des 31 leçons pour écrire un bon roman telles que Harry les a enseignées dans le temps à Marcus.

Donc, dans chaque chapitre, il y a une première page avec une leçon ou un échange entre Marcus et Harry sur la fameuse leçon. Ce qui est vraiment génial…

Qui dit roman dit travail et imagination donc Joël Dicker nous décrit bien les affres de la page blanche, les doutes quand plus rien ne vient à l’esprit, que l’écrivain a les yeux fixés en vain sur son ordinateur.

L’auteur aborde aussi un autre thème : le milieu de l’édition. Jusqu’où peut-on aller pour vendre ? Détruire la notoriété d’un homme que l’on a jugé avant de savoir s’il était ou non coupable (cela n’a aucun intérêt pour l’éditeur pourri, pour lui seul compte l’argent qu’il va se mettre dans les poches.

L’auteur met en évidence aussi la recherche de la vérité, celle avec un V majuscule, et toutes les autres petites vérités de chacun d’entre nous. Et cette vérité doit-on la taire, la cacher car elle risque d’être compromettante, de ruiner la réputation, la vie des autres.

On assiste aussi à une belle démonstration d’amitié : Marcus aime Harry comme un père car il a fait de lui un homme et pas une minute il ne doute de lui et il fera tout pour prouver son innocence même si parfois il a des doutes en découvrant peu à peu ce qui s’est passé.

 Et, bien sûr, tout au long du roman, l’auteur nous parle admirablement bien de l’amour qui est la toile de fond de l’histoire.

Donc, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, car il y des rebondissements, jusqu’au dernier chapitre presque jusqu’à la dernière page et l’auteur sait vraiment bien nous tenir en haleine. Et comme il le dit si bien : « Un bon livre, Marcus, est un livre qu’on regrette d’avoir terminé. »

 

Et aujourd’hui?

 

Je me souviens bien de l’histoire et des allers-retours entre le présent et le passé qui en général me plaisent dans les livres. A l’époque, je terminais ma chronique en disant « j’espère que ce roman vous plaira autant qu’à moi!!! »

Cet écrivain, auréolé de gloire et qui n’a pas réussi à écrire un autre roman après son best-seller qui a fait de lui un homme riche et célèbre, est attachant de même que sa relation quasi filiale avec son élève… Certes, c’est l’histoire d’une belle amitié et une belle  réflexion sur le métier d’écrivain et ses aléas.

L’écriture est légère, entrainante, donc on s’y laisse prendre.

On flirte avec le polar avec la découverte du corps de la jeune fille qui avait disparu à l’époque et c’est ce qui pimente l’histoire. On se retrouve devant une histoire d’amour entre une jeune fille et un écrivain plus âgé, thème d’actualité ces derniers temps, alors l’accueil serait-il le même et parlerait-on de perversion?

Je pense que le fait d’avoir vu la série récemment à la télévision m’a beaucoup aidée à me souvenir de ce que j’avais ressenti lors de le lecture, mais cela a accentué l’impression qu’on nageait dans la romance. Peut-être Patrick Dempsey a-t-il faussé la donne, par son interprétation de Harry, le rendant trop glamour…

J’ai lu « Le livre des Baltimore » à sa sortie et j’ai été déçue, car cela me confortait dans l’idée que l’auteur était vraiment dans la facilité, donc je n’ai pas continué à le lire.

 

 

Extraits :

 

Il ne s’était pourtant écoulé que douze petits mois depuis mon livre : un laps de temps ridiculement court à mes yeux mais qui, à l’échelle de l’humanité, correspondait à une éternité.

 

Les pages blanches sont aussi stupides que les pannes sexuelles liées à la performance : c’est la panique du génie, celle-là même qui rend votre petite queue toute molle lorsque vous vous apprêtez à jouer à la brouette avec une de vos admiratrices et que vous ne pensez qu’à lui procurer un orgasme tel qu’il sera mesurable sur l’échelle de Richter. Ne vous souciez pas du génie, contentez-vous d’aligner les mots ensemble. Le génie vient naturellement.

 

En venant ici, Marcus, vous saviez que vous seriez ce personnage invincible que vous avez créé de toutes pièces, ce personnage qui n’est pas réellement armé pour affronter la vraie vie. Ici, vous saviez d’avance que vous ne risquiez pas de chuter. Car, je crois que c’est ça votre problème : vous n’avez pas encore saisi l’importance de savoir tomber. Et, c’est ce qui causera votre perte si vous ne vous ressaisissez pas.

 

L’amour, c’est très compliqué. C’est à la fois la plus extraordinaire et la pire chose qui puisse arriver. Vous le découvrirez un jour. L’amour, ça peut faire très mal. Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber, et surtout pas de tomber amoureux, car l’amour, c’est aussi très beau, mais comme tout ce qui est beau, ça vous éblouit et ça vous fait mal aux yeux. C’est pour ça que souvent, on pleure après.

 

Au fond, Harry, comment devient-on écrivain ?

En ne renonçant jamais. Vous savez, Marcus, la liberté, l’aspiration à la liberté est une guerre en soi. Nous vivons dans une société d’employés de bureau résignés, et il faut, pour se sortir de ce mauvais pas, se battre à la fois contre soi-même et contre le monde entier. La liberté est un combat de chaque instant dont nous n’avons que peu conscience. Je ne me résignerai jamais.

 

Si les écrivains sont des êtres si fragiles, Marcus, c’est parce qu’ils peuvent connaître deux sortes de peines sentimentales, soit deux fois plus que les êtres humains normaux : les chagrins d’amour et les chagrins de livre. Ecrire un livre, c’est comme aimer quelqu’un : ça peut devenir très douloureux.

 

Chérissez l’amour, Marcus. Faites-en votre plus belle conquête, votre seule ambition. Après les livres, il y a d’autres livres. Après la gloire, il y a d’autres gloires. Après l’argent, il y a encore de l’argent. Mais après l’amour, Marcus, après l’amour, il n’y a plus que le sel des larmes.

 

 

Lu en juin 2013

 

 

« La femme de nos vies » de Didier Van Cauwelaert

Retour sur un coup de cœur de l’été 2013 avec:

 

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Résumé de l’éditeur:

 

Elle m’a sauvé la vie en m’offrant le plus fascinant des destins. J’avais quatorze ans, j’allais être éliminé en tant qu’attardé mental, mais grâce à elle on m’a pris pour un génie précoce. J’étais gardien de vaches, et je suis devenu le bras droit de plusieurs prix Nobel. Je lui dois tout : l’intelligence, l’idéal, l’insolence, la passion.
Cette héroïne de l’ombre, d’autres l’ont fait passer pour la pire des criminelles. Je viens enfin de retrouver sa trace, et je n’ai que quelques heures pour tenter de la réhabiliter.

Un Didier van Cauwelaert au meilleur de sa forme qui sait jouer de l’histoire, des grandes découvertes scientifiques sous le nazisme, de l’épopée des anti-nazis allemands, de la solution finale pour les handicapés décrétée par le IIIe Reich en 1941, et qui renoue avec ses grands thèmes romanesques, la substitution d’identité, le grand amour né dans l’adolescence, le dépassement de soi et le combat écologique.

 

Ce que j’en pensais alors :

 

Ce livre est magnifique. L’amour infini que David portait à Ilsa qui était teinté de sexualité bien sûr puisqu’il avait 14 ans en 1942 et sa reconnaissance envers celle qui lui a sauvé la vie le pousse a convaincre à tout prix Marianne que c’était quelqu’un de bien. Un devoir de mémoire et de réhabilitation.

Mais le malheur et la haine se transmettent hélas de génération en génération. La mère de Marianne est décédée d’un cancer, elle était rongée par la haine de cette mère nazie criminelle et par la colère aussi et qui a rejeté sa propre fille Marianne car elle ressemblait trop à Ilsa. La haine et la colère peuvent maintenir en vie mais souvent elles conduisent à la mort.

On trouve aussi le mythe de la culpabilité : le comportement anorexique de Marianne est là pour en attester, (je me punis, j’expie en en mangeant pas) de même que le désir de payer, de réparer par le biais de son travail d’avocat et sa lutte contre les algues tueuses les paysans de Bretagne lui ont envoyé une photo de Ilsa posant à côté des dignitaires du régime nazi !!! Pour la faire taire car elle avait trouvé un sanglier mort sur la plage…

On retrouve aussi la quête de l’identité chère à l’auteur, et qu’il analyse à travers nos deux héros mais aussi avec Ilsa bien sûr, on ne sait vraiment jamais qui sont les gens qui nous entourent, ils ont leur part de mystère, leur faiblesse et leur force et ils sont à la recherche de qui ils sont vraiment (leur légende personnelle dirait Paolo Coelho).

On peut se demander aussi jusqu’où on peut prendre la place de quelqu’un d’autre : David a eu une brillante carrière mais il a toujours été en second derrière les autres, chacune de ses découvertes ayant été attribuée à un autre scientifique, tel le Boson de Rosfeld que Ilsa lui avait demandé de mettre en évidence et qui a été attribué à Higgs. (C’est en apprenant cela que Ilsa a jeté son téléviseur par la fenêtre). On est redevable quand on est un survivant. On doit rester dans l’ombre de celui dont on a « usurpée la place » même si c’est lui qui vous l’a demandé.

On retrouve aussi dans ce livre l’importance de l’amour : David est amoureux de Ilsa, ce sont ses premiers émois d’adolescents, et il va faire tout ce qu’il peut pour ne pas la décevoir, pour réussir ce qu’elle attend de lui, il va se transcender et se comporter comme un surdoué. En fait il devient quelqu’un d’autre, comme si la façon dont l’autre le regarde modifiait sa personnalité.

Peu à peu, ils vont découvrir la vie de Ilsa que tout le monde aimait bien car elle était gentille et ne dérangeait personne, son appartement, ses secrets et cela va leur donner à tous les deux l’occasion d’orienter leur vie autrement tout en la réhabilitant.

Une belle histoire et en même temps une belle leçon de vie. Didier Van Cauwelaert sait très bien décrire les états d’âme de chacun des 2 héros, leur sensibilité à fleur de peau, on s’amuse avec les expériences amoureuses d’Einstein ou la sensualité de David mais en fait cela détend l’atmosphère et ramène à l’aspect humain des héros, on peut être un génie et avoir une libido farfelue, il n’y a pas la tête d’un côté et le corps de l’autre sinon on serait en face de stéréotypes et cela enlèverait du sel à cette belle histoire.

Il y a beaucoup de tendresse dans ce livre, malgré la violence de l’histoire et c’est très bien écrit comme d’habitude…

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Et aujourd’hui:

 

Ce roman est toujours très présent dans ma mémoire, parce qu’il traite de sujets qui m’intéressent depuis toujours: le poids de secrets de famille, le nazisme et la difficulté des enfants de nazis à « assumer » l’héritage et à garder des liens avec des parents qui ont commis des horreurs, sans être envahis par la honte, la culpabilité.

Au passage, l’auteur pose une question d’actualité : le pardon est-il possible? et à quelles conditions, car il faudrait déjà que les bourreaux se repentent et demandent pardon aux victimes.

Je pense que ce serait toujours un coup de cœur aujourd’hui, car cette période de l’Histoire me passionne toujours autant et les démons du passé sont en train de revenir partout, alors que les témoins des horreurs de la Shoah ne sont plus très nombreux et qu’il faut absolument reprendre le flambeau.

 

 

Extraits :

 

C’est très difficile de choisir des citations car j’aurais eu envie de recopier tout le livre….

 

On n’attend plus rien de la vie et soudain, tout recommence. Le temps s’arrête, le cœur s’emballe, la passion refait surface et l’urgence efface tout le reste. Il a suffit d’une alerte sur mon ordinateur pour que, dès le lendemain, je me retrouve à six mille kilomètres de chez moi, l’année de mes quatorze ans. L’année où je suis mort. L’année où je suis né.

 

La vieillesse n’est pas un naufrage ; c’est un lent travail de rouille en cale sèche. Jamais je ne finirai comme ça. Dès que je ne me sentirai plus en état de naviguer, je me saborderai. Mais, ce que je désire pour moi, comment accepter qu’on l’impose à la personne à qui je dois la vie, au moment même où le destin nous remet en présence.

 

  • Ce ne sont pas des douches normales qu’ils on construites, Jürgen : il y a du gaz à la place de l’eau. Vous serez tous euthanasiés.
  • Eutha… quoi ?

Il traduit avec une rage sèche :

  • tués pour votre bien. Vous coûtez trop cher à votre patrie, et vous ne lui apportez rien, alors elle abrège vos souffrances. C’est ça leur logique. Moi, ils veulent me mettre dans une école pour développer mon intelligence. Peu importe que je sois juif, avec le résultat de mes tests. Mais je n’ai pas envie de survivre dans leur monde. Il n’est pas fait pour moi et je ne veux pas le servir. Je refuse d’être le meilleur dans une société sans âme qui tue ceux qu’elle juge inférieurs.

 

Il y avait une ironie douloureuse dans sa voix, une dérision résignée. J’ai mis plus de soixante ans à savoir ce que c’était, Marianne : un amour de vieillard qui a fait le tour de sa vie. L’effet secondaire de la précocité. Je n’ai su répondre que merci.

 

Je me suis placé à côté du grand cèdre, au centre de la cour, la valise entre mes pieds, et j’ai attendu. Je ne sentais presque pas le froid. Il tombait des copeaux de cendres qui s’accrochaient à ma veste. Je me disais : c’est mon ami qui neige sur moi, pour me tenir chaud.

 

C’était quoi, cette intelligence supérieure qui me sauvait la vie, qui me valait un traitement de faveur ? L’intelligence pour cet Aryen bodybuildé comme pour tant d’autres copies conformes issues du moule des Jeunesses Hitlériennes, l’intelligence, c’était le calcul, la ruse, la fourberie : un trait de caractère juif. Comment une tare qui désignait les adversaires du Reich pouvait-elle soudain devenir un critère de valeur ?

 

Ma femme faisait souvent ce genre de chose (Marianne est en train de jouer avec la nourriture dans son assiette faisant semblant de manger). Mais elle, c’était une question de poids, par rapport à la caméra qui grossit toujours. Vous, ça doit être depuis l’adolescence, j’imagine. La révélation du secret de famille. Le syndrome des enfants de nazis. L’anorexie comme repentance.

 

L’idée maîtresse de votre grand-mère, Marianne, c’est la solidarité complémentaire entre chercheurs de chaque discipline. Son rêve, c’est de reconstituer avec des enfants et des adolescents le modèle de Goëttingen, l’université mythique où, à la fin du XIXème siècle, toutes les découvertes scientifiques majeures sont nées d’un seul et même principe philosophique – celui qui, selon Leibniz, a créé l’univers : l’harmonie préétablie. Le fondement de ce que nous appelons aujourd’hui le Big-Bang. Cette fraction de seconde où quelque chose va structurer les atomes.

 

Il faut dire que la pédagogie et la sensualité de votre grand-mère ont développé de manière spectaculaire mes ressources naturelles : la joie de faire plaisir, la faculté d’adaptation et le recours à l’imaginaire. Sa méthode est la même pour chacun de ses élèves, et elle tient à une phrase : « qu’avez-vous à m’apprendre aujourd’hui ? »

 

Vous semblez si à l’aise lorsque j’évoque les atrocités, le désespoir, la barbarie… c’est le monde dans lequel on vit, d’accord – épargnez-moi ces lieux communs, voulez-vous ? Le bonheur est un contrepoids, Marianne. C’est justement quand tout le reste vous alourdit qu’il devient indispensable.

 

Quelle vie tragique a-t-elle eu ? (à propos de la mère de Marianne) Élevée par des gens formidables, qui lui ont laissé le choix entre l’amour adoptif et la rancune biologique. La faute à qui, sa vie tragique ? Bien-sûr que si, Marianne ! il arrive qu’on soit responsable des malheurs qu’on subit comme de ceux qu’on provoque, désolé si ça vous choque. Ce qui m’énerve, c’est qu’elle vous l’ait transmis, ce sens du malheur. Cela dit, si c’est son côté victime de naissance qui a fait de vous une redresseuse de torts, c’est très bien, je m’incline.

 

C’est tout de même étrange comme le cœur réagit. On se laisse encore surprendre à mon âge, vous verrez. Je suis triste d’avoir perdu la femme de ma vie, (Ilsa) bien-sûr – au sens propre : la femme qui a fait ma vie. Mais je suis tellement heureux de l’avoir retrouvée. Et de la faire revivre par vous.

 

On sentait bien que, dans ce monde de brutes fanatiques où le sang versé donnait de l’honneur, c’en était fini des galaxies, des plantes à musique, des pattes de grenouilles régénérées, et de l’intelligence initiale qui avait organisé la vie sur Terre. On aurait voulu être des chiens pour avoir un avenir.

 

Avant d’être considérée comme la plus grande découverte du siècle, depuis quinze jours, elle a fait d’Higgs la cible des railleries pendant plus de cinquante ans. La vérité, Marianne, ce n’est qu’une question de temps. Quand votre milieu vous discrédite au lieu de vous contredire, c’est toujours la preuve que vous avez raison. Le tout est de survivre aux censeurs. Mais, on n’y parvient hélas qu’en se faisant oublier. Celui qui s’acharne au nom de la vérité ne peut que desservi sa cause.

 

 

Lu en juin 2013

« Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire » de Jonas Jonasson

Plongée dans un pavé passionnant sur la guerre d’Espagne et ses liens avec l’Allemagne nazie j’en profite pour avancer dans la récupération de mes chroniques d’autrefois avec:

 

 

Résumé de l’éditeur:

 

Alors que tous dans la maison de retraite s’apprêtent à célébrer dignement son centième anniversaire, Allan Karlsson, qui déteste ce genre de pince-fesses, décide de fuguer. Chaussé de ses plus belles charentaises, il saute par la fenêtre de sa chambre et prend ses jambes à son cou.

Débutent alors une improbable cavale à travers la Suède et un voyage décoiffant au cœur de l’histoire du XXe siècle. Car méfiez-vous des apparences ! Derrière ce frêle vieillard en pantoufles se cache un artificier de génie qui a eu la bonne idée de naître au début d’un siècle sanguinaire.

Grâce à son talent pour les explosifs, Allan Karlsson, individu lambda, apolitique et inculte, s’est ainsi retrouvé mêlé à presque cent ans d’événements majeurs aux côtés des grands de ce monde, de Franco à Staline en passant par Truman et Mao…

 

Ce que j’en pensais alors :

 

C’est le premier roman  de l’auteur Suédois Jonas Jonasson, et c’est une réussite. Plus c’est gros, plus on adhère. Comme dirait Forest Gump : « quand, on ouvre une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.

Les ficelles sont grosses, avec Allan revisitant l’histoire en y ajoutant sa touche. Certaines scènes, notamment la cuite avec Hoover et la prestation de Staline, sont à mourir de rire. Allan et ses contradictions : il est pacifiste en manipulant avec plaisir les explosifs, et son amour immodéré de tout ce qui contient de l’alcool avec un joli parasol dans le verre, sous le soleil des Tropiques si possible.

Sa phrase préférée est : « les choses sont ce qu’elles sont et elles seront toujours ce qu’elles seront »

Comme toujours, j’aime bien les histoires à deux voix qui font alterner 2005 et le passé toujours à un moment crucial. Quand on entre dans ce livre, on ne veut plus en sortir tellement on s’amuse, tellement c’est jubilatoire…

Herbert Einstein est à croquer aussi avec ces attaques de paniques, où il bafouille n’importe quoi, (sa compagne Amanda qui va devenir dictateur sous les tropiques) toute sa vie il ne veut qu’une seule chose : mourir car sa vie n’a pas de sens, il n’est qu’un pâle reflet de l’illustre Albert et probablement atteint du syndrome d’Asperger.

J’aime l’humour farfelu, complètement déjanté de Jonas Jonasson qui nous fait passer un très bon moment en nous faisant réviser l’Histoire au passage. J’attends son prochain livre avec impatience.

Ah bon, il y avait 500 pages, je ne m’en suis pas rendue dompte tellement j’étais plongée avec délice dans ce livre. C’est vrai certains l’ont comparé à un antidépresseur mais c’est tout à fait ça.

 

Et aujourd’hui:

 

Bof! C’est terrible, il ne m’en reste rien!

Je ne suis pas certaine que ce roman me plairait aujourd’hui. C’était une lecture d’été, donc opération « neurones en vacances » ce qui explique peut-être l’engouement. Ou alors mes goûts ont changé…

Je lui avais quand même attribué quatre étoiles à l’époque.

Une chose est certaine: ce n’est pas un livre que je relirai et ce n’est ma PAL démentielle qui s’en offusquera!

Je n’avais même pas vu qu’il y avait une adaptation en film:

 

 

Extraits :

 

Il se dit qu’il avait eu bien tort de penser à mourir quand il était encore à la maison de retraite. Parce que, même perclus de rhumatismes, c’était beaucoup plus rigolo d’être en cavale, loin de sœur Alice, que couché immobile, six pieds sous terre.

La vengeance ne sert à rien, le sermonna Allan. Il en est de la vengeance comme de la politique. L’une mène à l’autre et le mauvais conduit au pire qui aboutit en fin de compte à l’intolérable.

 

Cette rousse à forte poitrine qui jurait en permanence, aurait pu sortir tout droit d’un roman de Paasilinna ! Il est vrai que, l’auteur finlandais n’avait jamais écrit d’histoire incluant un éléphant, mais selon Benny ce n’était qu’une question de temps.

 

Allan s’était tout de suite bien entendu avec Sonja. Il est qu’ils avaient une multitude de points communs. L’un avait un jour sauté par une fenêtre, donnant ainsi une nouvelle trajectoire à son existence, et l’autre avait fait exactement la même chose en sautant dans un lac. Tous deux avaient eu le temps de parcourir le monde avant cela. En plus, Allan trouvait qu’avec toutes ses rides sur la tête, Sonja ressemblait à un vieillard plein de sagesse.

           

Certes Allan était expert en explosifs, et il était devenu en très peu de temps et quelques verres un bon ami du futur président des États-Unis, mais il était suédois. Si Allan avait eu le moindre intérêt pour la politique, il aurait demandé à Hoover pourquoi c’était lui qui avait été choisi. Le Président avait une réponse tout prête à cette question : il aurait expliqué à Allan que les USA ne pouvaient pas mener en même temps, en Chine deux offensives militaires potentiellement contradictoires. Officiellement, ils soutenaient Tchang Kaï-Chek.

 

L’épisode (le renvoi de son père de la compagnie des chemins de fer alors qu’il avait causé la mort de quelqu’un en étant ivre) avait donné l’occasion à sa mère de lui inculquer un sage conseil : « méfie-toi des ivrognes, Allan, c’est ce que j’aurais dû faire »

Le petit garçon avait grandi et ajouté sa propre expérience à celle de ses parents. Il avait logé les prêtres et les politiciens à la même enseigne, qu’ils soient communistes, fascistes, capitalistes ou quoi que ce soit d’autre en « iste ».

 

Allan dut admettre que la frontière entre la folie et le génie était parfois aussi fine que le cheveu d’un nourrisson.

 

Les Indes britanniques étaient déjà en train d’éclater en morceaux. Les hindouistes et les musulmans n’arrivaient pas à se mettre d’accord et entre les deux, il y avait ce satané Mahatma Gandhi qui s’arrêtait de s’alimenter dès que quelque chose le contrariait. Tu parles d’une stratégie guerrière ! Winston Churchill aurait bien aimé le voir affronter les bombes nazies au dessus de l’Angleterre.

 

Allan constata qu’il avait réussi à être à la fois un rat et un chien en moins d’une minute ; Staline devait être fou s’il pensait encore obtenir son aide. De toute façon, il en avait assez de se faire insulter. Il était venu à Moscou pour rendre service, pas pour se faire engueuler. Staline n’avait qu’à se débrouiller tout seul.

–j’ai pensé à un truc, dit Allan.

— Ah oui, quoi donc ? demanda Staline, furieux.

— tu ne trouves pas que tu devrais raser cette moustache ?

La soirée se termina sur cette question. L’interprète avait perdu connaissance.

 

Staline se demanda comment un conteneur de couvertures pouvait prendre feu tout seul par moins quinze ou moins vingt degrés. Quelqu’un était forcément responsable… et ce salopard allait… allait… Staline s’écroula sur son tapis. Crise cardiaque. Il resta là vingt-quatre heures car on ne dérangeait pas le camarade Staline quand celui-ci avait demandé à ne pas être dérangé.

 

« La première décision prise par Gorbatchev, le petit jeune qui avait pris la barre, avait été de lancer une campagne contre la consommation excessive de vodka dans le pays. Ce n’était pas comme cela qu’on séduisait les masses, n’importe quel imbécile était capable de le comprendre »

 

Lu en août 2013

« 22/11/63 » de Stephen King

 

Je suis toujours dans la récupération des anciennes chroniques de mon ancien blog, ce qui me permet de me rafraîchir un peu la mémoire.

Tout le monde connaît ce superbe ouvrage de Stephen KING qui m’a beaucoup  plu lors de cet été 2013, je ne rappellerai donc pas l’histoire:

 

22 11 63 de Stephen King

 

 

Résumé de l’éditeur:

 

Imaginez que vous puissiez remonter le temps, changer le cours de l’Histoire. Le 22 novembre 1963, le président Kennedy était assassiné à Dallas.

À moins que… Jake Epping, professeur d’anglais à Lisbon Falls, n’a pu refuser la requête d’un ami mourant : empêcher l’assassinat de Kennedy. Une fissure dans le temps va l’entraîner dans un fascinant voyage dans le passé, en 1958, l’époque d’Elvis et de JFK, des Plymouth Fury et des Everly Brothers, d’un dégénéré solitaire nommé Lee Harvey Oswald et d’une jolie bibliothécaire qui deviendra le grand amour de Jake…

 

Ce que j’en pensais alors :

 

 C’est le 2ème livre de Stephen King que je lis, (le 1er étant « la petite fille qui aimait Tom Gordon » donc un style tout à fait différent). C’est un chef d’œuvre, pour moi. Entraîné dans cette histoire avec ivresse, les presque mille pages ne font même pas peur, on est plongé dedans et on n’a pas envie d’en sortir tellement on veut savoir. Pour moi il y aurait pu avoir 500 pages de plus le plaisir aurait été le même. On ne se lasse à aucun moment.

 La description des années soixante a excellente et rappelle beaucoup de bons souvenirs (j’avais 13 ans quand JFK a été assassinée et comme toutes les filles de ma classe j’avais le béguin pour lui, et le côté glamour du couple qu’il formait avec Jackie était fascinant.

Toute cette époque, avec ses musique, les relations entre Blancs et Noirs, les tabous de la société américaine de l’époque (cela a-t-il vraiment beaucoup changé ?) très puritaine. La crainte du communisme, la violence dans les couples ou dans la rue sont très bien décrits. Et la belle histoire d’amour avec « sa pépette » Sally est crédible, on a envie que ce soit possible, que cela finisse bien entre eux, c’est tellement séduisant à l’esprit qu’un homme de 2011 puisse être amoureux d’une femme qui a 20 ans en 1958. Cela prouverait que quand on aime tout est possible.

La traque de Lee Harvey Oswald est passionnante aussi, crédible. D’emblée le personnage est antipathique, borné, violent et on a envie que George/Jake réussisse à l’arrêter à temps et que cela modifie le monde ensuite

 J’aime cette idée que l’on peut changer l’histoire, ce mythe de l’effet papillon, même s’il a été souvent utilisé dans la littérature, dans ce livre, on le voit sous un autre angle.

Bref, ce livre est génial, je l’ai lu avec avidité, passionné par le texte (l’écriture est belle, les phrases se déroulent au même rythme que l’énigme). Tout m’a plu, et la fin est superbe, Stephen King ne tombe jamais dans le pathos ou le côté fleur bleue du happy-end hollywoodien.

 

Et aujourd’hui?

 

J’aime toujours autant cette histoire, que je relirai sûrement un jour, dans cette vie ou dans une autre, vu l’embouteillage permanent de ma PAL.

J’aime particulièrement cette période de l’Histoire américaine, j’avais treize ans lorsque J.F.K. a été assassiné, et j’ai suivi toutes les théories farfelues ou non pour expliquer cet acte. Par conséquent, l’alchimie marcherait encore: l’idée de pouvoir empêcher cet assassinat, c’est trop tentant.

Comme j’ai vu le film plusieurs fois, j’ai toutes les images des voitures de l’époque, de la manière dont les gens s’habillaient, notamment les femmes, ce qui donne une petite note Kitsch en plus, même si le film est très décevant par rapport à la magie de l’écriture du King. Depuis j’ai lu d’autres romans de l’auteur que je découvre tranquillement, à mon rythme…

Je rappelle au passage que la science-fiction n’est pas mon genre préféré, mais je suis rarement déçue par Stephen King. Et je lui donne la même note!

❤️ ❤️ ❤️ ❤️ ❤️

 

 

 

Extraits :

 

A la porte, je me suis arrêté pour jeter un regard en arrière. Deux employés travaillaient sur des machines à calculer, mais sinon, les transactions se faisaient toutes à la plume et à l’huile de coude. Il m’est venu à l’esprit qu’à quelques détails près, Charles Dickens se serait senti ici comme chez lui. Il m’est également venu à l’esprit que vivre dans le passé, c’était un peu comme vivre sous l’eau et respirer avec un tuba.

 

Ne jamais regarder en arrière. Combien de fois se donne-t-on ce genre d’injonction après avoir vécu une expérience exceptionnellement bonne (ou exceptionnellement mauvaise) ? Souvent j’imagine. Et l’injonction reste généralement lettre morte. Les êtres humains sont ainsi faits qu’ils regardent en arrière, c’est même pour cela que nous avons cette articulation pivotante dans le cou.

 

Tous les jours matin et soir, quand l’eau était calme, je prenais un canoë et allais pagayer. Je me souviens, par une de ces soirées, du lever silencieux de la pleine lune au dessus des arbres et du sentier qu’elle illumina sur l’eau tandis que le reflet de mon canoë flottait au dessus de nous comme son frère siamois immergé…. Relevant ma pagaie, je suis resté assis là, à 300m du rivage, à contempler la lune et à écouter les huards converser. Je me rappelle avoir penser que si le paradis existait et qu’il ne ressemblait pas à ça, alors je n’avais pas envie d’y aller.

 

Mes débuts en qualité de remplaçant me permirent de renouer avec un élément fondamental de ma personnalité : j’aimais écrire et j’avais découvert que j’étais doué pour ça, mais ce que j’aimais le plus, c’était enseigner. Cela me comblait d’une façon que je ne saurais expliquer. Ou que je ne souhaite pas expliquer. Les explications, c’est de la poésie trop bon marché.

 

Être chez soi, c’est regarder la lune se lever sur la vaste terre endormie et pouvoir appeler quelqu’un à la fenêtre pour la contempler ensemble.

On est chez soi quand on danse avec les autres. Et quand la vie est une danse.

 

Mais Internet est une arme à double tranchant. Pour chaque information trouvée qui vous réconforte (comme découvrir que la femme que vous aimiez a survécu à son cinglé d’ex-mari) il y en a deux qui ont le pouvoir de vous blesser. Comme par exemple une personne qui chercherait des nouvelles d’une autre personne pourrait découvrir que cette personne a été tuée dans un accident. Ou qu’elle est morte d’un cancer du poumon à force de fumer. Ou qu’elle s’est suicidée, et dans le cas de cette personne en particulier, très probablement à l’aide d’un cocktail alcool-somnifères.

 

Lu en juillet 2013

« Elle s’appelait Sarah » de Tatiana de Rosnay

Retour sur une lecture ancienne avec:

 

Elle s'appelait Sarah de Tatiana de Rosnay

 

Résumé de l’histoire:

 

            L’histoire commence le 16 juillet 1942, dans un appartement parisien où habite une petite fille, Sarah avec ses parents et son petit frère Michel. Les policiers frappent à la porte violemment alors que son père est caché quelque part dans une cave car la rumeur court qu’il va peut-être y avoir des arrestations dans les familles juives.

            Prise de panique, elle cache son petit frère dans un placard dérobé, invisible pour qui ne le connaît pas en lui promettant de revenir le chercher plus tard.

            Bien sûr c’est le début d’un épisode sombre de la guerre : la rafle du Vel d’Hiv, tristement célèbre où vont être déportés des milliers de Juifs dont 400o enfants.

            Julia Jarmond est une Américaine, vivant à Paris depuis ses études, mariée à un Français issu d’un milieu bourgeois, architecte, très imbu de lui-même avec lequel elle a eu une petite fille prénommée Zoé âgée d’une dizaine d’années. Elle travaille pour un journal américain destiné aux américains vivant en France et son patron lui demande d’écrire un article sur la rafle du Vel d’Hiv dont cela ca être le 60ème anniversaire.

            Son mari l’emmène dans l’appartement de sa grand-mère entrée depuis peu en maison de retraite car il a le projet de le refaire pour aller l’habiter. Cette idée de plaît pas trop à Julia.

            Les deux histoires se déroulent en parallèle. Julia ne connaît pas ce qui s’est passé en juillet 1942 et elle va chercher sur Internet tout les documents qu’elle peut trouver, rencontrer des gens qui s’intéresse au sort des Juifs et aux camps de concentration, d’autres dont la famille a été déportés et a péri dans les chambres à gaz. Elle découvre avec surprise que c’est la police française qui a organisé, planifié avec minutie la rafle. Elle découvre l’horreur.

            Tandis que l’enquête de Julia avance, l’histoire de Sarah continue. La petite fille explique ce qu’elle voit, ce qu’elle comprend dans les événements qui s’enchaînent : le départ des cars vers le Vel d’Hiv, l’entassement sans manger sans boire, sans sanitaires, les suicides, les pleurs, la peur. Puis le parcours à pied pour se rendre à la gare pour les emmener à Drancy, la séparation les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre, puis une deuxième séparation, on arrache les enfants à leur mère. Sarah pense sans cesse à son petit frère à qui elle a promis de revenir le chercher, elle l’a trahi comment va-t-il s’en sortir…..

            Dans la famille de Julia, il y a d’autres souffrances, enfin d’une autre sorte, elle a fait de multiples fausses couches, au fur et à mesure que ses recherches avancent, elle sent qu’il y a un secret dans la famille de son mari.

            On va découvrir peu à peu qu’il existe un lien entre la famille de Sarah et celle du mari de Julia, Bertrand. Mais le poids du secret est là. Le  couple de Julia bat de l’aile. Et elle s’aperçoit qu’elle est enceinte et je vous laisse découvrir la suite.

 

Ce que j’en pense :

 

          Ce roman repose sur deux histoires qui se déroulent en parallèle, un chapitre consacré à l’histoire de Sarah, le suivant consacré à celle de Julia comme un concerto à deux instruments type le concerto pour violon et harpe de Mozart, à 60 ans d’écart. Celle de Sarah est poignante, elle nous plonge dans l’horreur, on a beau savoir ce qui s’est passé, cela reste en quelque sorte abstrait pour nous qui n’avons pas vécu à cette époque.

          Ici, la petite fille nous raconte les choses avec ses mots à elle, percutants, dans l’émotion au départ et après avec de plus en plus de froideur car c’est la seule façon pour elle de s’en sortir.

          En quelques jours, la petite fille de 10 ans est devenue une adulte. Elle résiste car elle a promis à son frère de revenir le chercher.

          Julia est l’américaine type, elle laisse sortir ses émotions au fur et à mesure de ce qu’elle découvre. Parfois, elle est énervante car elle semble donner des leçons, elle nous pousse à nous sentir coupable de n’avoir rien fait, de n’avoir pas voulu savoir et c’est pour cela qu’elle est attachante. (C’est vrai, j’avoue je ne connaissais pas les camps du Loiret notamment Beaune-la-Rolande.)

          Elle est extravertie alors que nous traînons cette vieille culpabilité due à notre éducation judéo-chrétienne avec le cortège des secrets de famille, des émotions tues car on ne doit pas se donner en spectacle et ça nous dérange. Et surtout elle pose la question qui hante (et que Jean-Jacques Goldman à si bien exprimé dans sa chanson « si j’étais né en 17 à … aurais-je été meilleur ou pire que ces gens…» » , de quel côté aurait-on été : résistants ou collabo ? « on ne saura jamais vraiment ce qu’il y a dans nos ventres… »

          J’aime ce personnage, car je la comprends et j’aime son combat pour la justice, la reconnaissance de ces crimes sur lesquels Jacques Chirac s’exprimera, ce sera la première fois qu’un Président de la République française osera reconnaître que la France a eu des responsabilités en 1942.

          Elle mène en parallèle un autre combat : alors qu’elle est plongée dans la mort des enfants juifs, elle se retrouve enfin enceinte et son mari lui demande froidement d’avorter car il ne veut pas de bébé, il veut vivre en bon égoïste qu’il est.

          Tous les personnages du roman sont intéressants, la grand-mère Mamé haute en couleur et en énergie, le père de Bertrand dont la personnalité se modifie à mesure que Julia découvre des choses du passé et une complicité s’installe entre eux d’ailleurs, Zoé qui soutient sa mère dans ses recherches avec de plus en plus d’enthousiasme.

 

Et aujourd’hui:

 

J’ai beaucoup aimé ce livre. Ce sujet me tient particulièrement à cœur. J’avais été séduite par le film où Kristin Scott-Thomas est éblouissante et c’est le film qui m’avait poussée à lire le roman.

Je suis plus nuancée qu’à l’époque, car Tatiana de Rosnay joue avec nos émotions, l’héroïne se posant parfois en donneuse de leçon, mais c’est important de le lire, et de le faire lire aux ados…

L’émotion est donc toujours là , ce livre est très présent dans ma mémoire, surtout avec les populismes qui montent inexorablement, le négationnisme qui surfe allègrement sur la vague…

 

 

Extraits :

 

         « C’est dans mon adolescence que j’ai senti les premiers appels de la France, une fascination insidieuse qui grandissait à mesure que le temps passait. pourquoi la France ? Pourquoi Paris ? La langue française m’avait toujours attirée. Je la trouvais plus douce, plus sensuelle que l’allemand, l’espagnol ou l’italien..

 

            Quand j’ai découvert Paris pour la 1ère fois, ce sont ses contrastes qui m’ont ensorcelée. Les quartiers rudes et populaires me parlaient autant que les quartiers haussmanniens. Je voulais tout savoir de ses paradoxes, de ses secrets, de ses surprises. J’ai mis vingt ans à me fondre dans cet univers, mais j’y suis parvenue. »

 

            « Dans la vie douce et protégée d’avant, qui semblait à présent si lointaine, la fillette aurait cru sa mère. Elle croyait tout ce que disait sa mère. Mais dans ce monde nouveau et cruel, la fillette semblait plus grande, plus mûre. Elle avait la sensation d’être plus âgée que sa mère. Elle était sûre que les autres femmes disaient la vérité. Elle savait que les rumeurs étaient fondées. Elle ignorait en revanche, comment expliquer cela à sa mère. Sa mère, qui était devenue une enfant. »

 

            « Des enfants avaient déjà quitté le camp, escortés par les policiers. Elle les avait suivis du regard, frêles créatures en haillons au crâne lisse. Où les emmenait-on ? Etait-ce loin ? Allaient-ils rejoindre les mères et les mères ? Elle en doutait. Rachel aussi en doutait. Si tout le monde devait aller au même endroit, pourquoi la police avait-elle séparés les parents des enfants ? Pourquoi tant de souffrance, tant de douleur ? C’est parce qu’ils nous haïssent lui avait dit Rachel de sa drôle de voix éraillée. Ils détestent les Juifs. Pourquoi cette haine ? elle n’avait jamais haï personne dans sa vie, à l’exception d’un institutrice »

           

 

Lu en août 2013

« No et moi » de Delphine de Vigan

Retour aux anciennes lectures avec:

No et moi de Delphine de Vigan

 

Je le rapatrie aujourd’hui car sur Canalblog j’ai encore trouvé des spams en russe, anglais, chinois …

Cela fait quand même du boulot pour tout recueillir, je ne voudrais pas oublier toutes ces analyses de mes lectures d’alors.

 

Mon résumé de l’histoire:

 

C’est l’histoire de Lou Bertignac, âgée de 14 ans. Intellectuellement précoce, elle est en classe de seconde avec des adolescents plus âgés qu’elle et notamment Lucas qui s’est mis en échec scolaire car personne ne s’intéresse à lui. Lou est différente des autres de la classe, elle ne pense pas de la même façon, se livre à des expériences bizarroïdes dans sa chambre, essaie de tout maîtriser par le mental. Elle est loin des préoccupations des filles de sa classe.

Un jour, un professeur demande de faire un exposé et Lou brillante à l’écrit peine à s’exprimer oralement et devant les sourires plutôt moqueurs des autres, elle se lance encouragé du regard par Lucas dont elle est sous le charme, elle fera son exposé sur les SDF car elle en croise une le matin en venant en cours.

Le professeur est surpris par ce choix difficile et promet de l’aider.

Paralysée par le trac elle va à la rencontre de No (Nolween en fait) et lui dit qu’elle veut l’interviewer pour son exposé et pour cela mieux la connaître autour d’un café, c’est tout ce qu’elle peut lui offrir avec son argent de poche.

Peu à peu elle entre dans la vie de No, qui dort dans la rue la nuit, fait la manche dans l’indifférence générale, elle est sale, mal habillée mange quand elle peut… entre elles, un lien fort se noue, No arrive à faire confiance à Lou car elle est différente et accepte de la suivre un jour chez ses parents.

Après être passées chez Lucas, pour se laver et se montrer sous un jour plus propre dans la famille de Lou qui en fait ne raconte qu’une partie de la tragédie de No, sinon ils auraient dit non, elle va entamer une autre vie. Au début elle dort des jours entiers car elle dormait d’un œil jusqu’ici, participe aux travaux de la maison..

La mère de Lou est dépressive depuis qu’elle a perdu son deuxième enfant (mort subite du nourrisson) et depuis elle est en mode survie, les rôles sont inversés, c’est Lou qui la protège, qui joue la maman alors que le père fait ce qu’il peut comme il dit. La mère de Lou se réveille au contact de la détresse de No, enfin elle s’intéresse à quelqu’un (et ce n’est pas Lou) donc sort de la torpeur où la plongent ses médicaments. No finit par trouver un travail, très dur et peu à peu commence à boire. Et d’autres problèmes vont commencer….

 

Ce que j’en pensais alors :

 

         Delphine de Vigan nous raconte l’histoire de 3 solitudes : celle de Lou enfermée dans son « surdouement » qui intellectualise tout, raisonne sans cesse mais est incapable de nouer ses lacets et qui pense pouvoir sauver No parce que rien ne doit être impossible. Elle est seule dans sa famille, face à la dépression, aux silences, au manque d’intérêt de sa mère qu’elle défend pourtant quand la famille ne supporte pas qu’elle ne fasse pas d’effort. Elle est enfermée dans un monde sans émotion, les adultes et les autres lycéens ne comprennent pas son mode de pensée.

            Puis la solitude de No, que sa mère a abandonnée quand elle était enfant car issue d’un viol collectif et qui a eu une vie à peu près normale tant que sa grand-mère a été là. Sa mère qu’elle cherche à retrouver mais qui la repousse toujours comme si elle voulait l’effacer de sa vie. Elle doit essayer de survivre quand les autres vivent, avec la cigarette dans une main la bière dans l’autre, dans le dénuement le plus absolu et l’indifférence générale.

            Il y a aussi une troisième solitude, celle de Lucas, jeune homme rebelle de 17 ans qui passe son temps à se faire renvoyer d’un lycée à un autre, qui se fait expulser des cours car il est dans la provocation. Il vit tout seul dans l’appartement d’un de ses parents. Son père est parti à l’étranger et vit sa vie, sa mère habite avec un autre homme et passe de temps en temps remplir le frigo et laisser de l’argent pour se donner bonne conscience.

            Delphine de VIGAN nous décrit superbement bien ces trois êtres paumés, réunis par leur vie solitaire et qui trouvent, en aidant No qui est encore plus abîmée qu’eux par la vie, un sens à la leur par l’empathie. Ils sont révoltés par l’indifférence générale vis-à-vis des SDF et refusent de restés passifs devant cette misère.

            Un beau livre bien écrit, qui m’a encore plus touchée que « rien ne s’oppose à la nuit » où je trouvais que les émotions étaient bridées.

 

Et aujourd’hui:

 

En relisant cette chronique l’émotion et l’enthousiasme sont toujours là. Je ne change pas un iota…

Ce livre est un de mes préférés, peut-être mon préféré parmi tous les livres de Delphine de Vigan que j’ai lus.

 

Extraits :

 

            Parler, je n’aime pas trop ça, j’ai toujours l’impression que les mots m’échappent, qu’ils se dérobent, s’éparpillent, ce n’est pas une question de vocabulaire ni de définition, parce que des mots, j’en connais pas mal, mais au moment de les dire, ils se troublent, se dispersent, c’est pourquoi j’évite les récits et les discours, je me contente de répondre aux questions que l’on me pose, je garde pour moi l’excédent, l’abondance, ces mots que je multiplie en silence pour approcher la vérité.

 

            Ma mère est tombée malade. Nous l’avons vue s’éloigner petit à petit, sans pouvoir la retenir, nous avons tendu la main sans pouvoir la toucher, nous avons crié sans qu’elle semble nous entendre….     …….Maintenant, je sais une bonne fois pour toutes qu’on ne chasse pas les images, et encore moins  les brèches invisibles qui se creusent au fond des ventres, on ne chasse pas les résonances ni les souvenirs qui se réveillent quand la nuit tombe ou au petit matin, on ne chasse pas l’écho des cris et encore moins celui du silence.

 

            Elle n’aime pas parler d’elle. Elle le fait à travers la vie des autres, ceux qu’elle croise, ceux qu’elle sui, elle raconte leur dérive, et parfois avec violence, elle parle des femmes, elle précise, pas des clochardes, non, pas des timbrées, elle dit note bien ça Lou, avec tes mots, des femmes normales qui ont perdu leur travail, ou qui se sont enfuies de chez elles, des femmes battues ou chassées qui sont hégergées en centre d’urgence ou vivent dans leur voiture, des femmes qu’on croise sans les voir, sans savoir…

 

            Parfois, il me semble qu’à l’intérieur de moi quelque chose fait défaut, un fil inversé, une pièce défectueuse, une erreur de fabrication, non pas quelque chose en plus comme on pourrait le croire, mais quelque chose qui manque.

 

            Noël est un mensonge qui réunit les familles autour d’un arbre mort recouvert de lumières, un mensonge tissé de conversations insipides, enfoui sous de kilos de crème au beurre, un mensonge auquel personne ne croit.

 

            La nuit, quand on ne dort pas les soucis se multiplient, ils enflent, s’amplifient, à mesure que l’heure avance les lendemains s’obscurcissent, le pire rejoint l’évidence plus rien ne parait tranquille. L’insomnie est la face sombre de l’imagination.

 

            Je croyais que l’on pouvait enrayer le cours des choses, échapper au programme. Je croyais que la vie pouvait être autrement. Je croyais qu’aider quelqu’un ça voulait dire tout partager, même ce qu’on ne peut pas comprendre, même le plus sombre…..    la vérité c’est que je n’arrive pas à faire mes lacets et que je suis équipée de fonctionnalités merdiques qui ne servent à rien. La vérité c’est que les choses sont ce qu’elles sont. La réalité reprend toujours le dessus et l’illusion s’éloigne sans qu’on s’en rende compte. La réalité a toujours le dernier mot.

 

            Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu’elle est parfois invisible à l’œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l’enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence es ce qui ne trouve pas d’explication, ce qui à jamais restera opaque.

 

Lu en juillet 2013

 

« La trahison de Thomas Spencer » de Philippe Besson

Bessonmania oblige, voici un autre livre de Philippe BESSON qui m’a beaucoup plu aussi dans un genre différent de ceux dont j’ai parlé jusqu’à présent. Et oui, après l’uppercut de « Son frère », j’ ai enchaîné ses romans à l’époque…

 

La trahison de Thomas Spencer de Philippe Besson

 

 

Ce que j’en pensais alors :

 

Ce livre raconte l’histoire de deux enfants, Paul et Thomas, qui sont nés le même jour dans la même ville le jour où la bombe a été lancée sur Hiroshima. Cela va créer chez eux un lien très fort. Ils se considèrent comme frères jumeaux, font tout ensemble découvre la télévision ensemble, Elvis Presley…ils se protègent mutuellement à l’école.

Le grand frère de Paul est mort en héros lors de la guerre de Corée à l’âge de 18 ans. La famille tient une épicerie et elle est très rigide.

Ils vont découvrir le racisme : leurs parents leur interdisent de jouer avec un petit garçon car il est noir dans cet état du Sud où le racisme est ancré profondément, il y a les restes encore présent et actifs de l’esclavage.

Ils vont grandir ensemble et Philippe Besson met en parallèle l’évolution de « l’Amérique » l’élection d’un jeune président John Fitzgeral Kennedy les fait rêver, et l’épisode de la baie des cochons les amènent à détester le communisme. L’assassinat de JFK les traumatise: comment cela peut-il arriver dans notre pays.

Ils ont des expériences avec les filles; Thomas obtient une bourse à l’université et suit un parcours littéraire, milite contre l’injustice avec une amie de l’époque puis décide de  tout lâcher pour rentrer dans sa ville.

Leur destin commun continue avec une amitié toujours aussi solide et une fille Claire qu’ils avaient connue enfant revient dans leur vie devenant la compagne de Paul. Alors surgit un nouveau bouleversement  avec l’assassinat de  mort de Martin Luther King suivi de près de celui de Bob Kennedy, avec en toile de fond la guerre au Vietnam.

Le trio vit normalement pourrait-on dire mais Paul est rongé et finit par s’engager pour le Vietnam….

C’est un roman bouleversant sur l’amitié pure entre deux garçons et le fait que l’on peut trahir alors qu’on aime. On se jure que c’est  « à la vie à la mort » mais  ce n’est pas si simple que cela et on le découvre en grandissant.

Dans ce livre, il y a un 3ème héros qui s’appelle  le Mississippi, ce fleuve dans lequel ils ont connu leurs premiers émois et qui est aussi capricieux que la vie.

 

Et aujourd’hui?

 

Ce roman est encore très présent dans ma mémoire, car c’est l’histoire d’une belle amitié, avec ses joies, ses découvertes, ses peines aussi et Philippe Besson en parle avec une telle sensibilité… Il n’enjolive jamais, reste au plus près des émotions, des ressentis, vis-à-vis du racisme, de la lâcheté, de la manipulation de « la Grande Amérique » pour justifier ses actions. « Make America great again » répétait sans cesse tel un mantra un récent candidat aux élections ….

On traverse les évènements majeurs d’une époque qui est la mienne: j’avais quatorze ans quand J.F.K. a été assassiné, en classe, avec les copines, on pleurait, car on était toutes plus ou moins amoureuses de lui et la violence venait d’entrer brutalement dans notre vie jusque là bien protégée.

 

Extraits :

 

A dix ans j’ai appris en une seule phrase, prononcée sur un ton désolé et néanmoins badin tout le racisme du sud.

 

Il en va de la solitude comme des plantes : il en existe plusieurs variétés.

 


Première variété : la claustration. Oui, j’ai eu l’impression d’être placé en quarantaine, à l’isolement. La solitude est une prison, un cloître. On s’y sent comme entre quatre murs. On cogne contre une porte close et personne ne nous entend, personne ne vient ouvrir. On est ravitaillé régulièrement par le dehors, histoire de ne pas mourir tout à fait, de ne pas disparaître au monde. Mais même si ces rations données comme à un chien sont la mesure de notre enchaînement. Et puis, on apprend l’endurance, la résistance. Enfin, on reconnaît au premier coup d’oeil ses compagnons d’infortune car les visages des enfermés se ressemblent tous.

 


Deuxième variété : l’abandon. On est laissé, démuni. On est dans une pauvreté incroyable, on ne possède plus rien, on n’appartient plus à rien, on est un déclassé, on n’a personne à qui se raccrocher. On perd la réalité. Les alentours deviennent imprécis. On peut trouver du plaisir à se délester ainsi, à devenir aussi léger. Pourtant, on se rend compte rapidement que ce dénuement n’est que de l’inconsistance. La sensation du vide est effrayante.

 


Troisième variété : l’exil. C’est comme un bannissement, un départ obligé, une déportation, un ostracisme. On est renvoyé, relégué. On se sent importun, en excès. Il faut partir, s’éloigner, ne plus déranger. Même en accomplissant une distance infime, on se retrouve au plus loin. Et les autres, ceux qui restent, deviennent inaccessibles, intouchables. On se voit les perdre.

 


Quatrième variété : la méditation. On loge dans une tour d’ivoire, on se recueille, on réfléchit, on se persuade qu’on a décidé de son sort, on est bien là où on est, on prend du recul. Du reste, on voit mieux de loin. Vrai, cela s’apparente à une retraite, un renoncement délibéré. Il arrive souvent qu’on s’y ennuie.

 

 

Cinquième variété : la séparation. J’ai parlé de ça, ce retranchement. Cette ombre. Une sauvagerie.
(p. 117-119)

 

 

On est persuadé qu’on ne trahira jamais. On serait prêt à en faire le serment. On a cette certitude que rien ne peut ébranler. Et à ceux qui osent mettre notre parole en doute, on répond par un haussement d’épaules ou par un énigmatique « Tu ne peux pas comprendre. »
J’étais sincèrement, intimement convaincu que je ne trahirais jamais Paul. Je le savais, je le disais. Cette affirmation n’exigeait de moi aucun courage, aucun aplomb. J’avais, au contraire, le sentiment très net de proférer une évidence, d’enfoncer une porte ouverte.
[…]

 

De mon côté, j’ai découvert que je pouvais me tromper. Renoncer à mes principes, abdiquer mes certitudes, m’arranger avec ma mauvaise conscience. J’ai trahi.
[…]

 

Et certains soirs, où la tristesse est plus violente qu’à l’accoutumée, où elle vient cogner contre les parois de ma carcasse, où elle coupe ma respiration, le souvenir de cette trahison me donne envie d’ouvrir les fenêtres et de sauter dans le vide.
Mais je suis en vie. On est donc parfaitement capable de vivre avec la conscience de sa bassesse, avec le dégoût de soi.
Je suis en vie. J’écris. (p. 73-74)

 

 

 

Et, à l’instar des vrais scélérats, nous avons décidé de vivre cachés, dissimulés aux regards, dérobés aux jugements. Nous n’éprouvions pas de honte mais nous redoutions l’opprobre, le déferlement de haine et de mépris, les crachats. (p. 240)

 

 

 

 « Il y a des pans entiers de notre destin qui sont peuplés de rien, à propos desquels on n’a rien à raconter des années après, qui ne sont émaillés d’aucun évènement, d’aucun accident, qui ne laissent pas de traces. Toutefois, cette vacuité n’est pas synonyme de fadeur, insignifiance. C’est un temps apparemment sans relief mais pas sans saveur car nous y sommes tranquilles et chanceux, en paix et réjouis, cette harmonie nous satisfait.

 

 

 

Maman m’a simplement répondu qu’il fallait se garder de fréquenter le petit Carter. Comme je lui demandais la raison de cette interdiction, elle a eu ces mots, qui sont restés pour toujours gravés dans ma mémoire : »Mais parce que Franklin est noir, mon chéri. »

Voilà, à dix ans, j’ai appris, en une seule phrase, prononcée sur un ton désolé et néanmoins badin, tout le racisme du Sud.

 

Lu en juin 2013