Retour sur une lecture ancienne avec ce roman découvert grâce à une opération masse critique de Babelio en 2013 :

Résumé
Ce livre nous raconte l’histoire de Roméo, dont la mère prostituée est morte très jeune d’une maladie honteuse et dont le père a disparu sans laisser d’adresse. Il a été élevé par Maria Santa, une mère maquerelle reconvertie dans la boulangerie et qui n’est du tout gentille avec l’orphelin qu’elle rabroue sans cesse et exploite au travail.
Roméo est rouquin, celui qui porte malheur et on l’appelle Ragondin n’est pas très heureux, il est souvent dans les rues de Naples, avec son copain Ciro qui improvise des chansons et un vieux clochard anglais Somerset. Il mime les gens dans la rue choisis au hasard et il est très doué. Ils sont des « Scugnizzi » : gosses des rues.
Il n’a vu son père qu’en photo mais il sait que c’était un chef de la Camorra surnommé Syracuse le Millionnaire, de son vrai nom Paulo Siragusa et qu’il est mort assassiné.
Un jour, alors qu’il se livre à sa pantomime habituelle, il se fait agresser par des délinquants plus âgés. C’est un chef de clan, Joe qui le tire de leurs pattes et Ragondin s’aperçoit que Joe connait tout de lui.
Maria Santa va en profiter pour le mettre porte sous prétexte qu’il ne travaille pas assez. Maria Santa va faire circuler la rumeur qu’il fréquente les camorristes via Joe, et de ce fait, tout le monde se met à rejeter Ragondin même son ami de toujours Ciro, ce qui lui fait beaucoup de peine. Il erre dans les rues de Naples, sa valise à la main, à la recherche de son identité. Il croise, dans cette errance, Sara dont il est amoureux.
Somerset l’aide à ne pas se contenter d’être une marionnette mais à devenir un vrai mime et lui explique qu’il a un beau prénom : Roméo. Il ne l’appellera jamais autrement car il déteste le surnom de Ragondin dont on l’a affublé. Cf. citation. Il se révèle excellent dans son rôle de mime dont il vit depuis que Maria Santa l’a mis dehors. Jusqu’au jour où elle le voit.
Elle va trouver Joe et on apprend alors que c’est Mimi-Canin qui lui a financé sa pâtisserie et qu’il la paye depuis des années pour éduquer Ragondin car il voulait le protéger de la Camorra et éviter qu’il devienne délinquant. On apprend aussi, au passage, qu’il est le meurtrier du père de Ragondin. Elle exige de l’argent pour disparaître car elle a rompu le pacte passé avec Mimi-canin (surnommé ainsi à cause des deux molosses agressifs qui l’accompagnent partout et qui n’est autre que le cousin de Joe.
Joe, ancien garagiste qui règne sur le quartier espagnol de Naples à la demande de son cousin, comprend donc que cet enfant est l’héritier du royaume, le futur « roi de Naples ». Il va donc le faire récupérer dans la rue par ses hommes de main et lui faire tatouer un ange avec de petites ailes portant un parchemin enroulé sur lequel est inscrit en lettres gothiques O.R.F.A.N.O, « orphelin »(p131) par un médecin tandis qu’un prêtre lui donne l’absolution. Après ce rituel initiatique il entre dans le clan et une autre vie commence pour l’orphelin, que je vous laisse découvrir….
Ce que j’en pense :
J’ai eu beaucoup de mal à m’accrocher à l’histoire durant les cinquante premières pages car je cherchais la lettre dont l’auteur a décidé de se passer volontairement comme Perec dans le temps, et après j’ai été séduite. Il y a l’histoire de cet adolescent malheureux rejeté par tout le monde car les roux portent malheur. Roméo Ragondin orphelin est attachant car il essaie de se construire dans cette ville de Naples dominée par le Vésuve et la Camorra.
On est frappé d’emblée par la présence des couleurs surtout les jaunes, les rouges ou les violets qui sont cités très souvent par l’auteur et également pas les odeurs qui émanent, les rues avec leurs dédales, leurs croisements, leur revêtement qui résulte de la lave qui donne cette couleur noire. Les gamins qui jouent avec les sacs d’ordure.
Au début, c’est plutôt gai, lumineux, l’odeur des pâtisseries, la mer est tout près ; les gens ne sont pas très gentils mais, on se sent à l’aise ; puis, peu à peu, au fur et à mesure que l’histoire se déroule, le tableau s’assombrit, avec Maria Santa qui devient de plus en plus odieuse, marâtre, la violence qui émerge avec les délinquants qui apparaissent et qui contrastent avec la douceur du mime (pantomime, comédia del arte). C’est insidieux, ça monte tout doucement au fur et à mesure que l’on en apprend davantage sur Roméo.
Puis entrent en scène, les trafics, la cocaïne, les autres drogues aussi d’ailleurs, et les règlements de comptes, les tueries.
Naples tient une place importante dans le roman, elle est liée à la violence quelque soit l’époque, l’éruption du Vésuve, Vulcain y règne en maître avec sa forge. A tout instant, il pourrait y avoir une nouvelle éruption qui étendrait ses tentacules noirs sur les rues, comme les tentacules de la Camorra, tout aussi noire et brutale. On a d’un côté les quartiers pauvres et de l’autre, les propriétés des mafieux dont l’une surplombe la ville avec une vue magnifique sur la mer.
Je retiendrai aussi l’importance de la Madone, omniprésente, et tous ces parrains qui vont à la messe et tuent tout le monde. Tous ses assassinats laissent un silence impressionnant derrière eux, tout se tait soudain, alors que la vie s’agitait quelques instants auparavant.
Les couleurs refont leur apparition plus tard, dans le livre pour atténuer la violence qui monte. Il y a des scènes hilarantes comme les discussions avec le Christ ou le cauchemar de Roméo, ses dessins pour tenter de mettre de l’ordre dans ses idées.
C’est difficile pour cet adolescent de trouver un but, un sens dans sa vie. Il se pose souvent la question de savoir qui il est vraiment. Il cherche avant tout à être aimé, respecté. Sa sexualité est très éveillée, stimulée par ce qui l’entoure : Sara, Sofia… on espère tout au long du livre qu’il va sortir.
Ce livre est aussi une réflexion sur violence et aussi sur la mort, et j’ai beaucoup apprécié l’évocation du film le bon la brute et le truand : «Tu vois Tuco, le monde se divise en deux : il y a ceux qui ont le flingue chargé et ceux qui creusent (p224).
Enfin, on note que l’auteur a apporté beaucoup de soin à la couverture du livre : on retrouve toutes ces couleurs chaudes dont il parle dans le roman et le bleu de la mer. La mise en page est originale ainsi que la numérotation des pages.
C’est le premier roman d’Olivier Darrioumerle et cet auteur est, à mon avis, très prometteur. Ce livre fait beaucoup réfléchir même si, petit bémol, les quarante dernières pages sont dures à lire. Par contre, on oublie très vite de chercher la lettre manquante, je vous la laisse trouver…
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Qu’en reste-t-il aujourd’hui?
Je garde un très bon souvenir de ce roman, à la fois violent et très coloré, autant que l’est sa couverture. La description de Naples est restée dans ma mémoire, de même que l’écriture pétillante d’Olivier Darrioumerle et pourtant le sujet était loin d’être simple. Je n’ai qu’un seul regret, n’avoir pas lu un autre livre de l’auteur depuis car ma PAL suffoque sous les tentations …
Extraits
Naples était sa mère, une mère sans âge. A chaque coin de rue elle l’interpellait. Lui qui était orphelin inconsolé, lui qui ‘avait rien d’autre que cette terre sous les plis de la pierre entre lesquels il aurait voulu se glisser. Retourner se cacher dans les entrailles de sa mère, cette vierge fantôme. Sa vraie mère était une figure floue, quelques souvenirs, un sein généreux, des formes grossières, des odeurs de cuisine de sueur, de lessive (p39).
Ragondin n’avait pas eu de père pour le défendre, ni de mère pour le consoler, il avait alors consciemment décidé de gratifier de son mépris complet les expressions collectives sous toutes leurs formes. C’était sa règle. Il s’y tenait. Un modèle paternel aurait pu lui suggérer quelques règles. Mais Ragondin, son père il ne le connaissait qu’en photo (p 40).
De là où il était, Ragondin apercevait le Vésuve qui dominait le golfe de Naples. Il aurait pu adorait sa ville comme l’adoraient Ciro et la plupart des Napolitains, mais ce Vésuve lui signifiait seulement misère et destruction, illusion et désespoir. Ils étaient donc condamnés à vivre sous la menace de ce monstre et de toutes les peurs qu’il engendrait. Quelle idée de poser la première pierre sur les enfers ! (p56)
La fierté est l’honneur du suicidaire ou la ruine du prince. En l’occurrence, Ragondin n’était ni l’un ni l’autre ! à cet instant, la fierté n’était plus pour lui qu’une cicatrice de guerre, une sorte de médaille qu’il avait gagné dans la rue en défendant son maillot de Maradona, sa deuxième peau. Et elle lui restait coincée dans la gorge.il fallait la cracher dans la minute. L’affreux l’attendait, un sourire sur les lèvres. Ragondin toussota, se racla l’arrière-gorge et rangea les poings dans ses poches (p74).
Il n’y avait aucune place pour lui, nulle part. Il était condamné à revivre sa tragédie, sans pardon ni grâce de personne. On lui avait collé une étiquette. Point de rédemption. Il haïssait ces familles qui montraient toujours une heureuse image, mais qui n’ouvraient jamais vraiment leur porte à personne ; ces familles agitées pas la peur que l’on puisse découvrir leurs petits secrets (p-87).
Ce visage vierge et innocent s’appelait Roméo. Il retenait dans ses yeux tristes de l’amour à l’état pur. Ce garçon était fait d’une colère sauvage et indomptée mais tellement créative. S’il avait tendance à gesticuler, il apprenait petit à petit à anticiper les gestes du modèle, les émotions à imiter, et par la force des choses, à maîtriser les siennes. Le miroir qui montre reflet inversé des existences devait être d’une finesse et d’une délicatesse particulière (p97).
Joe était un gestionnaire aux méthodes spéciales, mais elles apportaient des résultats. De peur de mal faire, il avait calqué son nouveau métier sur l’ancien. Garagiste, parrain, c’était la même chose. Il avait conservé les attitudes et les gestes de sa vie antérieure. Ainsi, il stockait les flingues et les munitions comme les vis et leurs écrous, huilait les rouages de la police lorsqu’il sentait que ça grinçait un peu, et vidangeait de temps en temps les ordures ménagères pour l’entretien de son quartier (p107).
A mesure qu’il fréquentait le monde de la nuit, le petit Ragondin se découvrait. Il était en quête de reconnaissance, mais d’une essence particulière, quasi-divine, comme s’il devait prouver quelque chose à quelqu’un qui n’existait pas ; il n’était qu’un enfant sans père. Cette révélation lui été apparue tandis qu’il risquait de casser les verres avec lesquels il était en train de jouer (p 156).
Sa haute stature carrée, ses cheveux frisés, son nez droit et ses yeux translucides lui avaient fait penser, dans les premiers temps, à une statue gréco-romaine. Mais, s’il avait eu l’impression que les grandes eaux jaillissaient de son esprit, dès qu’il avait commencé à vivre au quotidien avec le drogué, ses yeux tellement vides n’étaient devenus que le reflet vitreux d’un aquarium où Ragondin s’attendait, à tout moment, à voir passer un poisson rouge.