Comme j’avais plutôt apprécié « Lettres d’amour sans le dire », le précédent roman de l’auteure, je n’ai pas hésité à me plonger dans son dernier livre :

Résumé de l’éditeur :
« Lorsqu’on commande un café à Naples, on peut en régler un second qui sera offert à qui n’aura pas les moyens de s’en payer une tasse. Il est indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso : un café suspendu. Voici un récit composé de sept histoires que j’ai recueillies par bribes au café Nube pendant les quarante dernières années. Toutes sont liées par ce fil invisible qu’est le café suspendu. Du côté de celui qui offre comme de celui qui reçoit, la vie passe dans cette tasse… »
Le narrateur, Jacques Madelin, un Français installé à Naples après une déception amoureuse, passe le plus clair de son temps installé au café, juste en bas de chez lui, à prendre des notes en observant les personnes qui se croisent, se cachent ou se cherchent, les rencontres amoureuses ou amicales qui se tissent. La peau d’un crocodile de légende transformée en un étrange sac, une femme trompée qui s’arrange avec la maîtresse de son mari pour garder ce dernier, une jeune femme qui doit se débarrasser du foulard légué par sa grand-mère pour retrouver le goût de vivre, un écrivain aux mille visages, un homme qui a peur de dormir, et même un médecin chinois qui veut soigner les gens en bonne santé…
Tout en racontant des histoires pleines d’humanité, de fantaisie, de souvenirs, de récits historiques, légendaires ou imprégnés de psychanalyse, Jacques dessine au fil des pages un bouleversant autoportrait. C’est aussi un livre sur la charité, sur la manière dont la prodigalité se répercute sur nos destins.
Le talent de conteuse d’Amanda Sthers fait merveille, alliant grâce poétique, peinture des sentiments et évocation d’une ville à l’atmosphère unique.
Ce que j’en pense :
Jacques Madelin a quitté la France, lorsqu’il était jeune pour tenter de retrouver la femme dont il était amoureux. Hélas, sa dulcinée ne l’avait pas attendu. Le chagrin qui s’abat sur lui va très vite se trouver balayé, relativisé mais pas oublié, car survient le tremblement de terre. Il va alors porter secours aux victimes et fait la connaissance de Maurizio le propriétaire du café Nube qu’il va suivre et donc s’installer à Naples pour une nouvelle vie. Jacques constitue le fil rouge de cette série de sept nouvelles.
Autre fil rouge, bien sûr, le café suspendu : lorsqu’un client commande un café, il peut en offrir un sur l’ardoise pour une personne qui n’a pas l’argent pour s’en offrir un. Le café sospeso autant que le café Nube devient ainsi un lieu où les gens peuvent se rencontrer, vraiment, pas simplement se croiser pour s’oublier aussi vite.
On fait ainsi la connaissance de personnages attachants, des femmes de caractère, telle cette femme mariée qui propose un étrange marché à la maîtresse de son mari, l’argent permet tout n’est-ce pas ? Cette histoire est loin d’être banale, car elle est sous-tendue par une histoire de sac confectionné à partir de la peau d’un crocodile.
Certaines nouvelles m’ont plus intéressée que d’autres, telle l’histoire du Docteur Chen, qui a fui son pays natal, la Chine, caché dans la cale d’un bateau. Il exerce la médecine comme dans son pays, en privilégiant la prévention, l’alimentation, les différents équilibres, les pouls… et conseille aux patients d’aller le voir « avant d’être malade », ce qui les surprend parfois.
J’ai beaucoup aimé « L’écrivain sans visage » hommage à Naples et aussi à Elena Ferrante dont on ne connaît pas l’identité et à son « Amie prodigieuse ». Au passage, Amanda Sthers nous propose l’interprétation de l’amitié toxique qu’elle prête à l’auteure.
J’ai demandé à rester anonyme, et ça n’a pas l’air de poser de problème puisque tout le monde se fout de mes romans. J’écris quand même, je n’ai pas le choix. C’est en moi comme je respire. Mais c’est violent. Un livre qui n’est pas lu n’existe pas, il n’est même pas écrit. Il n’est pas un fantôme, il est le néant.
L’histoire d’Aldo, avec son insomnie rebelle, est intéressante aussi, car il attache tellement d’importance aux signes que lui envoie le destin, le numérologue qui meurt d’un infarctus lorsqu’il arrive à son rendez-vous, les rencontres ratées avec un mage, ou lorsqu’il quitte en courant le cabinet du Dr Chen (quelle idée de se faire soigner avant d’être malade ? Il est sûrement fou ce médecin !) tant et si bien qu’il passe à côté de tout, de la jolie brune qu’il côtoie sans la remarque alors qu’il cherche l’amour…
Se pourrait-il qu’il n’ait pas de destin ? Que rien ne soit inscrit pour lui ? Cela ferait-il de lui un homme libre ou, au contraire, abandonné par les dieux ?
Les récits s’étalent entre le début des années quatre-vingt-dix et l’époque actuelle, englobant les conflits sociaux, gilets jaunes en France, élections en Italie qui font cohabiter le mouvement cinq étoiles de Luigi Di Maio et la Ligue du Nord de Matteo Salvini, sous fond d’immigration, de racisme, pour aboutir à la crise du Covid avec ses peurs, ses décès et ses confinements qui vont encore isoler, désocialiser davantage les gens.
Ceci nous donne un livre intéressant, sensible, très humain, où les personnages de fiction sont bien intégrés dans leur époque et donc une réflexion psycho-sociologique.
C’est le deuxième livre d’Amanda Sthers que je lis, après l’avoir longtemps snobée, et il m’a permis de passer un bon moment, car elle sait bien raconter des histoires et on se laisse bercer par son écriture autant que par son propos. Elle fait une déclaration d’amour à la ville de Naples, et donne envie d’aller s’y promener.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.
#Lecafésuspendu #NetGalleyFrance !
8/10
Extraits :
Lorsqu’on commande un café à Naples, on peut en régler un second indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso : un café suspendu offert à qui entrera sans avoir les moyens d’en payer une tasse…
La vérité, c’est qu’il y a toujours trois vérités. Celle de l’un, celle de l’autre et celle de Dieu.
Il se retrouva dans le Centro Storico. Jadis lieu de la noblesse et de la bourgeoisie de Naples, les palais ont été abandonnés dans les années cinquante, après le tremblement de terre, au profit de la banlieue plus chic… On peut regarder le centre comme une belle femme qui a vieilli. Naples est encore belle, pour son âge…
Elle n’était pas de ces filles qui battaient des cils devant chaque prétendant. Elle n’attendait pas l’amour, mais l’exceptionnel. Une route, un signe, le déclencheur. A ses yeux, qu’on définisse une femme par le bras auquel elle s’agrippait était une chose insultante. Elle voulait devenir quelqu’un, pas la femme de quelqu’un.
Les mots n’existent que s’ils sont entrecoupés de silence ; le vide compose aussi nos corps, ainsi, il y a, en nous, l’inscription invisible du destin que nous trimballons comme les bosses qui restent des blessures passées.
Elle m’expliqua que Naples était le personnage central de son roman et que ses personnages étaient tous truffés de défauts car c’était la seule manière de donner un sentiment de vérité, elle aimait à répéter que les êtres avaient tous l’âme boiteuse et que Naples, ville schizophrène, sale et sublime, vieille, défigurée et majestueuse était la représentation de l’essence humaine, et un portrait fidèle de celle qu’elle pensait être.
A vrai dire à chaque histoire d’amour, on pense ne plus faire qu’un avec l’autre et la vie se charge de nous rappeler qu’on est toujours seul face à nos voyages. Et parfois, parfois… Et j’espérais être ce parfois…
Toutes les grandes amitiés sont toxiques. Elles en sont le fondement. On est attiré par ce qui nous fascine et ce qui nous fascine nous met en danger. Tous les rapports humains sont des rapports de force.
Chaque génération croit être une exception mais nous sommes la même pierre qui roule.
Tu sais comme on s’abstrait de ce qu’on est quand on lit et comme à la fois on est profondément soi-même ? Eh bien c’est cela le sommeil. Les livres, ce sont les rêves que quelqu’un d’autre nous prête.