Je vous emmène en Royaume Uni avec le livre dont je vous parle aujourd’hui, sur les traces d’une femme qui a marqué son époque, dans tous les sens du terme :

Résumé de l’éditeur :
« Le Royaume-Uni des années 1980. Les années Thatcher. Elles sortent toutes de là, les voix qui courent dans ce livre, elles plongent au creux de plaies toujours béantes, tissent un récit social, la chronique d’un pays, mais plus que cela, elles laissent voir le commencement de l’époque dans laquelle nous vivons et dont nous ne savons plus comment sortir.
C’est l’histoire d’un spasme idéologique, doublé d’une poussée technologique qui a bouleversé les vies. Ici s’achève ce que l’Occident avait tenté de créer pour panser les plaies de deux guerres mondiales. Ici commence aujourd’hui : les SOS des hôpitaux. La police devenu force paramilitaire. L’information tombée aux mains de magnats multimilliardaires. La suspicion sur la dépense publique quand l’individu est poussé à s’endetter jusqu’à rendre gorge. La stigmatisation de populations entières devenues ennemis de l’intérieur.
Londres. Birmingham. Sheffield, Barnsley. Liverpool. Belfast. Ancien ministre. Leader d’opposition. Conseiller politique. Journaliste. Écrivain. Mineur. Activistes irlandais. Voici des paroles souvent brutes qui s’enchâssent, s’opposent et se croisent. Comment ne pas entendre ces quelques mots simples venus aux lèvres de l’ancien mineur Chris Kitchen comme de l’écrivain David Lodge : une société moins humaine était en gestation ?
Comment ne pas constater que le capitalisme qui prétendait alors incarner le monde libre face au bloc soviétique en plein délitement, est aujourd’hui en train de tuer la démocratie ?
Quand la mémoire prend forme, il est peut-être trop tard, mais il est toujours temps de comprendre. » J.P.
Ce que j’en pense :
Le livre s’ouvre sur l’annonce du décès de Margaret Thatcher, la Dame de Fer et c’est l’occasion de revenir pour les plus jeunes qui ne l’ont pas connue sur son enfance dans l’épicerie paternelle à Grantham, la précarité, les études, l’obligation de réussite, et son parcours comme premier Ministre…
Après une enfance austère auprès d’un père prédicateur, qu’elle accompagnait le dimanche et qui a inculqué la rigueur, elle candidate pour la première fois aux législatives en 1950 : elle a 24 ans ! elle devient cheffe de l’opposition en 1976 et fait remporter les élections à son parti en 1979… parcours exceptionnel pour l’époque…
Parvenue au 10, Downing Street, elle retrousse ses manches, s’en prend aux syndicats qui ont trop de pouvoir et paralyse régulièrement le pays, la honte devant les autres pays !
Elle va faire une gestion comptable, donnant la part belle au libéralisme, favorisant les plus riches, et faisant basculer une grande partie du peuple dans la précarité, au nom de son aversion pour le communisme (tout ce qui est social signifie assistanat et communisme pour elle). Sa relation avec Ronald Reagan est intéressante sur ce plan et sur d’autres d’ailleurs.
L’auteure aborde ses méthodes pour faire plier tous ceux qui ne pensent pas comme elle : les grévistes de la faim en Irlande, qu’elle laisse mourir sans état d’âme, les mineurs en grève qui vont tout perdre, l’Europe dont elle redoute l’évolution vers le fédéralisme, le grand marché économique lui suffisant largement : comment oublier ses éclats : I want my money back son célèbre « mantra » qu’elle ne cessera de répéter à Bruxelles.
Qu’aurait-elle pensé du Brexit ? Pas sûr qu’elle ait approuvé !
Elle a eu des fulgurances avec Gorbatchev, l’intégration des pays de l’Europe de l’Est, des combats gagnés, par chance parfois telle la « guerre des Malouines » …
J’ai vécu à l’époque de la Dame d e Fer, quand je suis entrée dans la vie active, elle était 1er ministre et j’ai suivi de très près son parcours, son intransigeance, ce que certains appelaient rigueur mais qui relève plus de la rigidité pour moi, et ce qui m’a le plus révolté c’est son attitude avec Bobby Sands, en Irlande du Nord : en prison, où il était torturé, et faisait une grève de la faim, elle l’a laissé mourir avec ses amis (10 sont morts ainsi) avec une police qui faisait régner la terreur, faisant des pressions sur les familles, ce n’était plus des policiers, ils se comportaient comme des militaires au combat !
Bobby Sands a tenu son journal et Judith Perrignon nous en propose des extraits très évocateurs.
Je suis un prisonnier politique. Je suis un prisonnier politique car je suis la victime d’une longue guerre qui oppose le peuple opprimé d’Irlande à un régime étranger qui nous occupe, nous persécute et refuse de se retirer de nos terres »
Je ne l’appréciais pas, mais il faut reconnaître que c’était une femme hors du commun, et la manière dont les membres de son parti l’ont obligée à partir est loin d’être fair-play : elle réussit à avaler ses larmes pour présenter son bilan à la Chambre avec toutes l’énergie dont elle était capable, comme toute Britannique qui se respecte : Never explain, never complain !
Le livre de Judith Perrignon est très étoffé, truffé de témoignages de personnes qui ont travaillé pour elle, Charles Powell, l’écrivain David Lodge, son biographe officiel, entre autres. C’est très intéressant mais c’est une lecture exigeante, alors j’ai pris mon temps, lisant et approfondissant un « chapitre » à la fois, car je connaissais bien la chronologie, donc je pouvais laisser reposer, décanter, pendant un certain temps.
Un voyage intéressant et agréable qui m’a beaucoup plu.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure
#Lejouroùlemondeatourné #NetGalleyFrance !
8/10
d’autres avis: https://pamolico.wordpress.com/2022/03/18/le-jour-ou-le-monde-a-tourne-judith-perrignon/
https://vagabondageautourdesoi.com/2022/03/22/judth-perrignon/
Extraits :
Ils sont trop jeunes pour se rappeler Margaret Thatcher mais ils sont en quelque sorte ses enfants. C’est elle qui a fait de la City la première place financière au monde. 27 octobre 1986. Assouplissement et changement des règles en un jour. BOUM ! Un big bang a-t-on dit alors. Ainsi sont nés les Golden Boys. Des créateurs de richesse, des héros nationaux, disait-elle.
Elle a délibérément décimé des régions qu’elle n’aimait pas, qui ne votaient pas pour elle.
Elle a fermé les chantiers navals. Elle a fermé les mines. Elle a fermé L métallurgie. Elle était obsédée par l’idée de briser les syndicats…
Donald Trump, le Brexit, Marine Le Pen… Ils ont tous bénéficié du vote contestataire de ces laissés-pour-compte qui considèrent les partis politiques normaux comme la cause de tous leurs maux… Ils cèdent aux sirènes de l’extrême gauche ou de l’extrême droite, de la xénophobie et du racisme.
On dit souvent que sa politique ultérieure a été influencée par ce vieux diction populaire qui dit : « qui n’épargne pas un sou n’en aura jamais deux. C’était Margaret, elle avait cette mentalité. Qui était aussi la mentalité d’une petite ville. Les gens se connaissaient tous. Il y avait de multiples réseaux locaux.
A Grantham c’était un commerçant devenu prospère et une figure politique locale. Il était pasteur méthodiste, c’était ce qu’on appelle un prédicateur laïc. Il faisait le tour des églises méthodistes du coin pour y délivrer des sermons.
Quand elle est arrivée au pouvoir, elle a fait de la réforme des syndicats une des priorités. Parce que le pays tout entier faisait grève presque chaque hiver.
La grande force de Margaret Thatcher, c’était d’agir, de mettre les choses en place. D’imposer des décisions difficiles avec une volonté d’acier. Elle tirait ses idées de différentes sources, y compris ses lectures.
Ce qui se passe autour de ce petit caillou (Les Malouines) résidu d’une toute-puissance impériale révolue, annonce les chapitres à venir, qu’ils s’écrivent en Irlande du Nord ou dans les villes minières. Elle ne négocie que dans les alcôves où se fait et se défait son pouvoir. Jamais avec l’ennemi. C’est elle ou eux.
La reine a un sceptre ou un orbe comme symboles du pouvoir, le chevalier a u bâton… Elle, elle avait un sac à main. Ce sac à main était l’instrument et le symbole du pouvoir. Elle était toujours la seule personne dans la pièce à en avoir un.
La prison pouvait mener au cimetière. Il est tout en haut de Falls Road : le cimetière de Milltown. Il est plein de vies courtes. La plus célèbres d’entre elles fut celle de Bobby Sands, mort le 5 mai 1981 au terme d’une grève de la faim de 66 jours, en laissant derrière lui un journal entamé le 1er mars 1981.