Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi lors de la dernière opération « masse critique, spéciale jeunesse et adulte jeune » avec :
Résumé de l’éditeur :
Bergen, Norvège.
Tout allait bien pour Tiril. Des amis formidables, un petit-ami respectueux et une vocation : devenir chanteuse. Jusqu’à cet accident de voiture avec sa mère, il y a deux ans.
Depuis, tout a changé.
Désormais atteinte d’aphasie partielle, elle n’arrive plus à parler comme elle le souhaite. Amis et petit-copain se sont volatilisés, même Mikkel, son meilleur ami s’est éloigné. Sa future carrière musicale s’est envolée. L’injustice, la colère et le ressentiment se sont installés en elle.
Mais, l’espoir vient parfois de là où on ne l’attend pas…Et s’il venait d’Amena, cette élève à qui Tiril n’a jamais parlé ? Cette nouvelle amitié lui permettra-t-elle de retrouver sa voie … et sa voix ?
La prise de parole poignante d’une adolescente qui n’arrive plus à s’exprimer.
Ce que j’en pense :
Tiril a été victime d’un accident de la circulation, alors que sa mère conduisait. Depuis, elle présente une aphasie de Broca. Malgré la rééducation, les séances d’orthophonie, la récupération promise n’est pas au rendez-vous. Elle en veut à ses parents car ils lui ont menti en disant qu’elle pourrait reparler comme avant et de surcroît ils la surprotègent.
C’est d’autant plus dramatique que, fan de Bob Dylan, Tiril chantait, dans un groupe, et composait (compose toujours même si c’est plus compliqué) des chansons. Peu à peu, elle fait le vide autour d’elle, rejetant les autres avant d’être rejetée, se dissimulant derrière une carapace, au propre comme au figuré : habillé en noir corbeau intégral, elle a même teint ses cheveux, et son corps est raidi comme dans une armure.
A l’école, elle n’a plus d’amis, subit les moqueries sur son handicap. Même, Mikkel, son ami qui tente de la protéger fait les frais de cette mise à distance. Seule Amena, immigrée syrienne arrive à s’approcher d’elle, non sans mal. Le fait de mal s’exprimer en norvégien car elle n’est là que depuis un an, permet d’établir un lieu de proximité :
« Amena est une émigrée syrienne. Elle a fui la guerre et a trouvé refuge avec sa famille à Bergen il y a un peu plus d’un an. C’est-à-dire qu’elle parle le norvégien presque aussi bien que moi. C’est-à-dire que nous sommes les deux filles anormales de cette classe. »
Tiril n’arrive plus aussi bien à écrire ses textes de chanson, comme si elle butait autant sur l’écrit que sur la parole. La colère l’a envahie et elle peut devenir violente, mais comment laisser sortir ses émotions quand la parole ne fonctionne plus. Une prof lui proposera de s’initier aux chants des Same ou Sami (autochtones vivant au nord de la Scandinavie) : le joik, travail sur les sons pour retrouver son être intérieur, son âme. Ce qui lui permet de se plonger aussi dans l’histoire de sa grand-mère Sami qui a fui sa communauté au péril de sa vie pour échapper à un mariage intracommunautaire.
L’auteur a très bien exprimé la manière dont la maladie pousse à l’isolement, à la victimisation parfois même, quand on ne s’identifie plus qu’à sa maladie, sans tomber dans les clichés.
J’ai beaucoup aimé la manière dont Fabien Fernandez a construit son récit : on a une alternance entre la narration de Tiril, et celle de A qui n’est autre que son aphasie, du moins c’est ce qu’on croit au départ, mais c’est beaucoup plus subtile, du genre dialogue avec ma conscience ou avec mon surmoi, car A est du genre a refroidir les ardeurs, pose des interdits, : tu n’y arriveras pas, tu es nulle… en plus, la police d’écriture varie selon qui s’exprime, celle de A est un peu tremblotée, style ancien.
Chacun a sa manière de s’exprimer, Tiril utilise peu la ponctuation, Mikkel est dysorthographique quand il envoie des SMS et non quand il écrit sur du papier (avec là encore une autre subtilité dans la police d’écriture…
Ce roman m’a énormément plu, même quand Fabien Fernandez, qui a bien travaillé son sujet nous explique les travaux sur la neuroplasticité ou les différentes formes d’aphasie, tout est simple et parfaitement abordable par des ados. D’autre part, les textes de chansons de poèmes qu’il noua propose à chaque chapitre m’ont beaucoup plu.
Quant à la manière d’aborder la musique, les chants traditionnels, le joik, la musique pop ou rock, et leurs vertus sur les maux et les mots du corps, c’est très bien présenté aussi. On ne dira jamais assez l’importance de la musique et de la musicothérapie dans la souffrance physique et mentale. Personnellement j’adore le joik sami…
J’ai eu du mal à rédiger ma chronique, comme toujours quand un livre me plaît beaucoup, et je l’ai même relu avant tant le message pouvait être pris à un nombre de degrés différent.
Un immense merci à Babelio et aux éditions Scrineo qui m’ont permis, grâce à cette opération « masse critique jeunesse et adulte jeune » de découvrir ce roman et son auteur.
La musicothérapie m’est d’une grande aide dans ma maladie chronique, via le site Music Care, chapeauté Centre anti douleur de Montpellier.
https://www.music-care.com/fr/seances
9/10
L’auteur :
Fabien Fernandez est écrivain, mais également illustrateur, scénariste de BD et concepteur de jeux de rôle.
Il a publié de nombreux pour adolescents et jeunes adultes chez plusieurs éditeurs jeunesse
« Le fracas du silence » est son premier roman chez Scrineo.
Extraits :
Je me suis retrouvée tétanisée devant cette œuvre miroir. Le Cri. Je ne peux pas la décrire en détail. Ce sont juste des ressentis. Peu importe : sans le savoir, Munch m’a volé une partie de mon âme pour l’exposer. Je l’ai fixée du regard durant une bonne demi-heure avant que mon père vienne me récupérer. Il m’avait emmenée au musée pour me changer les idées, alors, quand je me suis pétrifiée, il m’a laissé le temps de m’imprégner en allant se promener.
En cet instant, je n’ai pas besoin de canaliser ma frustration. Juste trouver le bon mot pour terminer cette ligne. J’ai presque sa formulation, elle passe d’un neurone à l’autre, tourne tourne et tourne encore à proximité du stylo mais je ne peux pas m’en emparer.
Réveille-toi, Tiril, tu échoues dans presque tout ce que tu entreprends. Tu repousses tout le monde, tu n’es qu’une gamine capricieuse. Tes options s’amenuisent. Tu es un poids mort pour tous. Tu es ennuyeuse, encombrante et personne ne te comprend plus.
Voilà où tu en étais, ma grande. Voilà l’origine de ton armure noir corbeau, de ton casque sur les oreilles. Je te remémore ça pour ton bien, car ta grand-mère semble tout faire pour briser cette coquille protectrice. Pour que tu doutes. Pour que tu te laisses aller à de nouveaux augures bienveillants qui seront quoi, au final : une déception ?
Lorsque l’on souffre, on a tendance à oublier que les autres peuvent nous aider et qu’il n’y a aucune honte à cela.
Ce n’est pas une fatalité, c’est l’aboutissement de mes réflexions après la lecture de Norman Doidge : si je fais face, je me bloque dessus, si je l’accepte, j’apprends à contourner mon handicap. Spécialisé dans le domaine de la neuroplasticité.
Je vais joiker. En effet, on ne chante pas le joik, on joike. J’ai appris que ce chant ancestral était auparavant majoritairement pratiqué par les noaidis – les chamans. Ils rythmaient leur voix avec un tambourin. Mais pour nous, pas d’instruments. Pas pour l’instant.
Le langage universel, celui qui franchit les frontières et les handicaps : la musique. Ces vibrations qui parlent directement à l’âme, ces histoires que l’on peut raconter en quelques couplets ou sons profonds. Ce chemin vers la guérison.
Dylan est intemporel, Dylan ma’ sauvée, Dylan m’a ouvert les portes des cahiers que je noircis. On ne touche pas à Bob Dylan.
« Tout ce que je peux être, c’est moi-même – qui que cela puisse être. » Bob Dylan