« Tu seras mon père » de Metin Arditi

Restons en Italie, avec le roman d’un de mes auteurs fétiches, et promenons-nous dans l’Histoire assez récente du pays avec les Brigades Rouges en toile de fond pour raconter une belle histoire :

Résumé de l’éditeur :

Vérone, 1978. Renato, sept ans, entretient avec son père une relation merveilleuse, que bouleverse l’enlèvement de l’homme d’affaires par un commando des Brigades rouges. Lorsqu’elles le relâchent après paiement d’une rançon, il n’est plus qu’une ombre. Laminé, honteux, il met fin à ses jours. Renato et sa mère s’exilent en Suisse. Le jeune garçon y développe le goût des hautes cimes et celui du théâtre, où il excelle. Mal entendant, il se sent à l’aise dans cet univers où les mots sont connus par avance et où son handicap peut être caché,

 Dix ans plus tard, pour sa dernière année de scolarité, il est inscrit dans un internat de Lausanne. Il y vit des moments difficiles, croise le professeur Paolo Mantegazza, un Italien, responsable des activités théâtrales, comme lui passionné de haute montagne. Une amitié elle aussi merveilleuse s’établit entre les deux, faite d’admiration réciproque et de grande estime.  Renato voit en lui un père de substitution. Très vite, pourtant, on apprend que Paolo Mantegazza n’est nul autre que Paolo Rivolta, un ancien des Brigades rouges dont il était le principal théoricien. Onze ans plus tôt, c’était lui qui avait machiné l’enlèvement du père de Renato.

 Que va faire le maître ? Comment va réagir l’élève ? Qu’adviendra-t-il de cette amitié foudroyée ? Quel jeu jouera la belle Josy, maîtresse de l’Italien, qui enseigne le hip-hop à l’Institut ? Une paternité peut-elle se reconstruire ?

Ce que j’en pense :

L’histoire s’ouvre en 1978 sur l’enlèvement de Francesco Barro, glacier réputé, patron sympathique qui prend le café avec ses ouvriers, dont certains même le tutoient. Il ne se croit pas menacé par les Brigades Rouges qui s’en prennent aux patrons qui exploitent leurs ouvriers et s’enrichissent sur leurs dos. Après d’âpres négociations (quand il s’agit de payer une rançon c’est compliqué, on voudrait négocier). C’est un homme brisé qui va être libéré, il est resté attaché sur un matelas nourri de sardines en boîtes… Sardines qui vont avoir du bon, car achetées en quantité, on pourra remonter jusqu’aux ravisseurs !

Le « cerveau », l’éminence grise des Brigades, est Paolo Rivolta qui a établi une liste des patrons à enlever, mais on ne remontera pas jusqu’à lui pour cet enlèvement ; il purge une peine de prison pour une autre affaire, et à sa sortie, nouvelle identité : Paolo Mantegazza qui s’exile en Suisse pour enseigner.

Paolo Rivolta, devenu Mantegazza enseigne à l’internat et monte chaque année une pièce de théâtre. Renato est passionné par le théâtre, mais il va y avoir une rivalité avec un autre élève, fils d’un magnat grec, à qui revient chaque année le premier rôle. Mais Paolo se sent coupable et, ayant compris qu’il était responsable de la mort du père de Renato, va ruser pour lui attribuer le meilleur rôle.

Il est tombé sous le charme du garçon, et inconsciemment voudrait se racheter. Une relation de type père-fils s’installe entre eux : Renato cherche en lui l’image du père, alors que Paolo se sent une âme de père.

Nadelmann qui, lui, a dû quitter Vienne à cause de l’antisémitisme régnant à l’université, donne aussi des cours au pensionnat. Il a deviné qui se cachait derrière Mantegazza… chacun se réfugie dans une œuvre qui le conduit à se dépasser : traduire Nietzsche pour Paolo, se plonger dans Höderlin pour Nadelmann.

Peu à peu, Paolo entre dans la vie de Renato, dans le cœur duquel une place et à prendre, et dont la mère vient de se remarier. Il lui propose des cours de danses avec sa compagne Josy ; mais peut-on construire une relation authentique sur le mensonge, même par omission ? Peut-on rattraper le mal qu’on a fait autrefois, sous l’effet d’une idéologie à laquelle on a cru ?

Chacun des personnages a sa dose de souffrance et de contradictions et fait comme il peut pour vivre avec. Josy est née dans le Bronx, elle donne des cours de hip-hop en Suisse, où elle se sent exister, par rapport à son pays d’origine où règne la ségrégation : être Noir c’est déjà compliqué, mais femme de surcroît et qui danse sur une musique où règnent les garçons…

Renato doit aussi affronter une vérité, qu’il voudrait ne pas voir, perdre des illusions sur la nature humaine et faire un pas vers la tolérance et le pardon, mais est-ce si facile à son âge ?

C’est la force de MetinArditi de nous faire réfléchir sur les relations interhumaines, la faute, la réparation, la rédemption en nous racontant une belle histoire. J’ai intégré le « club des groupies » de l’auteur en lisant « Le Turquetto » que j’ai adoré et depuis je lis chacun de ses livres au fur et à mesure de leur parution. J’ai un peu moins aimé celui-ci qui les précédents, on devient exigeant quand un auteur nous envoûte ! mais c’est une belle histoire et il ne faut pas être tenter de comparer. On n’est pas dans le même registre que « Le peintre d’icônes » par exemple ! Mais je chipote ! Il suffit de regarder la note que j’ai donné à cette lecture.

Comment résister quand Metin Arditi propose une de mes citations préférées de Nietzsche : « Je ne crois qu’en un dieu qui sache danser » ? impossible…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume d’un auteur que j’aime vraiment beaucoup et dont je guette avec impatience chaque nouveau roman.

#Tuserasmonpère #NetGalleyFrance !

9,5/10

Écrivain francophone d’origine turque, Metin Arditi est l’auteur d’essais et de romans, parmi lesquels Le Turquetto(Actes Sud, 2011, prix Jean Giono), et chez Grasset, L’enfant qui mesurait le monde (2016, prix Méditerranée), Mon père sur mes épaules (2017) et L’homme qui peignait les âmes (Grasset, 2021). En 2022, il a publié le Dictionnaire amoureux d’Istanbul (Plon-Grasset).

Extraits :

« A chaque instant, l’être recommence » disait Zarathoustra. Il avait traduit ces mots par Ad ogni istante, l’essere rinasce. A chaque instant, l’être renaît. C’était plus qu’une traduction, un besoin de garder l’espoir. D’autres réflexions lui apportaient du réconfort. « Je ne crois qu’en un dieu qui sache danser », disait Nietzsche. Il célébrait la joie de vivre, sans juger ni condamner.

A l’université de Vienne, l’antisémitisme était une banalité. Après avoir subi d’inqualifiables humiliations de la part de ses collègues, il avait décidé de ne plus revoir la ville. Jamais. Ce n’était pas qu’il n’aimait plus Vienne. Il l’aimait trop. Impossible de s’imaginer au Prater ou au Ring sans souffrir…

Il l’aimait bien, Mantegazza. Il l’avait vu à l’œuvre aux répétitions, c’était un homme sensible, généreux, un Mensch, qui avait voulu changer l’ordre des choses dans l’Italie d’après-guerre. Le pays avait beau être prospère et chantant, lui-même ne ressentait pas à son égard un amour immodéré. Il n’avait pas oublié les années trente et quarante, l’axe Rome-Berlin, les amitiés hitlériennes de Mussolini, ses lois raciales, calquées sur celles de l’Allemagne nazie.

Sa vie avait été un sentier escarpé chargé de ronces sur lesquelles ses illusions s’étaient accrochées, l’une après l’autre. Au moins se trouvait-il à son sommeil débarrassé d’elles, libre, pour le temps qu’il lui restait à vivre, d’écouter le vent siffler, dépouillé de toute illusion. Sans doute avait-il fallu qu’il s’appauvrisse ainsi, pour être heureux comme il l’était à cet instant…

Elle (Josy) était née dans le Bronx… Le hip-hop avait surgi sous ses yeux. Il offrait aux garçons de son quartier une façon de canaliser leurs frustrations et leur colère. S’il s’était répandu dans le monde entier, c’était la preuve qu’il avait en lui une composante artistique. Mais il ne fallait pas s’y tromper, cette danse était chargée de violence.

Qu’avait imaginé Paolo, grand bienfaiteur des masses laborieuses ? Que l’on pouvait kidnapper un homme et le renvoyer chez lui une fois la rançon payée ? Du donnant donnant ? Des dommages collatéraux ? Vous n’y pensez pas Monsieur le président.

Lu en juin 2022

« La soustraction des possibles » de Joseph Incardona

Je vous parle aujourd’hui d’un livre sur lequel je lorgnais depuis un bon moment déjà, et le hasard fait bien les choses :  impossible de me connecter à 7h au rendez-vous de masse critique, car mon corps ne suit plus, il était encore disponible deux heures plus tard…

Résumé de l’éditeur :

On est à la fin des années 80, la période bénie des winners. Le capitalisme et ses champions, les Golden Boys de la finance, ont gagné : le bloc de l’Est explose, les flux d’argent sont mondialisés. Tout devient marchandise, les corps, les femmes, les privilèges, le bonheur même. Un monde nouveau s’invente, on parle d’algorithmes et d’OGM.

À Genève, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo. Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en matière d’argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi.

De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi brillante qu’implacable.

Pour le monde de la finance, l’amour n’a jamais été une valeur refuge.

Ce que j’en pense :

Bienvenue dans les années 80 ! tout commence en douceur avec la rencontre d’Aldo et Odile, sur un court de tennis. Aldo, dont la carrière de futur champion de tennis est partie en fumée, s’est transformé en gigolo qui profite de son statut de « prof » pour draguer tout ce qui bouge, et peut lui rapporter quelque chose.

Odile, la cinquantaine triste et solitaire, qui s’ennuie dans sa grande maison, et l’aisance sans limites dans laquelle elle vit, va lui tenter de combler ses besoins d’argent, le couvrir de cadeaux, de bons restaurants, bref l’entretenir. Mais, elle pense amour, alors qu’il veut aller jouer dans la cour des grands, des riches de la société genevoise.

Elle propose à son époux de confier à Aldo le transport des valises de fric entre la France et la Suisse, argent sale bien sûr, mais l’argent n’a pas d’odeur c’est connu.

Svetlana, jeune fondée de pouvoir dans une banque qui participe à l’évasion fiscale, qui a quitté sa Tchécoslovaquie natale pour réussir à l’Ouest (l’URSS existe encore, même si le bateau tangue sérieusement) a, elle-aussi, les dents longues, alors entre Aldo et elle, naît une histoire d’amour improbable, et le désir de « monter un coup » pour faire partie eux-aussi de la cour des grands.

Ce roman, qui démarre en douceur, sous fond d’histoire d’amour, va progressivement évoluer vers le mode thriller, car tous les coups sont permis, dans ce milieu dominé par l’argent, le pouvoir que celui-ci procure, et où l’honnêteté a depuis longtemps disparu.  On rencontre des mafieux de tous ordres qui n’en ont jamais assez, les magouilles en tous genres, les soirées où l’on met à disposition des prostituées venant de l’Est, des petits malfrats qui pèsent peu à côté des gros bonnets.

Les banques et leurs méthodes peu orthodoxes en prennent pour leur grade, notamment UBS. « Je n’ai qu’un ennemi, le monde de la finance » clamait, non sans conviction, un candidat devenu Président…

Joseph Incardona a un style bien particulier, prenant le lecteur à témoin, citant Balzac (côté ambition, notre ami Eugène de Rastignac est battu !)au passage, n’hésitant pas à donner quelques éléments sur l’avenir de ses personnages.Il nous propose ici un portrait au vitriol et sans concession sur le monde le la finance (qui n’est pas allé en s’arrangeant depuis les années 80 !)

J’ai beaucoup aimé ce roman, au rythme de plus en plus endiablé, à un point tel qu’il en devient addictif, et toutes les réflexions qu’il porte, mine de rien, sur la société des années 80, les gens qui ont planqué leur argent en Suisse, à cause de l’élection de Mitterrand, la politique en général, le capitalisme… la fièvre de l’argent fait penser aussi à « Wall Street » le fabuleux film d’Oliver Stone sur les dérives de la finance (clin d’œil aussi au passage au « Loup de Wall Street » de Martin Scorcèse sur le pouvoir de l’argent, les femmes, la drogue).

Un grand merci à Babelio et aux éditions Pocket qui m’ont permis de découvrir enfin ce roman et son auteur, grâce à cette opération masse critique.

9/10

L’auteur :

Joseph Incardona a 50 ans, il est Suisse d’origine italienne, auteur d’une douzaine romans, scénariste de BD et de films, dramaturge et réalisateur (un long métrage en 2013 et plusieurs courts métrages).


Ses derniers livres, Derrière les panneaux, il y a des hommes (Finitude 2015), Grand Prix de littérature policière, et Chaleur(Finitude 2017), Prix du polar romand, ont connu un beau succès, tant critique que public.

Extraits :

Ce qui l’oblige à certaines manœuvres pour que ses clients puissent continuer à échapper au fisc depuis que Mitterrand est au pouvoir. Dans le fond et après coup, on se dit qu’ils ont exagéré la crainte de ce président socialiste. Fondamentalement, la gauche une fois au pouvoir est faite pour décevoir ses électeurs.

Tu sais quoi, René ? J’ai décidé que ma seule patrie, le seul drapeau auquel faire allégeance est le pognon. Et quand il y a le pognon, on est tous copains, on n’est pas raciste, ni rien. Il n’y a jamais de problèmes dans les hôtels cinq étoiles, jamais, t’as remarqué ?

… Car derrière l’humain, il y a l’argent qui cache la forêt du désarroi ; ce désarroi qui n’est autre que l’indifférence.

A bien y réfléchir, le club libertin illustre un dernier sursaut de mutinerie bourgeoise. L’allégeance au pouvoir étant scellée, le sexe apparait comme l’ultime revendication libertaire. Le dernier espace d’autonomie et de rébellion. Le prolétariat ne partouze pas, il se reproduit.

Mais, quand on veut faire carrière dans la banque, la Suisse, c’est un peu comme le Brésil pour le football.

Svetlana se dépense dans la nuit qui avance. Depuis une salle de sport anonyme surplombant la ville. Ses désirs, ses rêves, ses espoirs. Ses peurs profondes. Le sens à chercher. L’ennui à remplacer par de la joie. L’ennui et la dépression auxquels il faudrait substituer l’enthousiasme et l’exaltation. Elle a besoin de courir. Elle a besoin de se purifier.

La libération vient d’une porte dérobée. L’espoir vient de la possibilité d’un bouleversement. Nous sommes tout à fait capables de vivre l’espace du temps et de l’espace réunis. De penser, de vouloir très fort que cette chose arrive, de nous mobiliser tout entier pour que cela advienne.

L’Humanité est lâche. L’Humanité a peur. L’Humanité est triste. Aller vers ce qui nous constitue, vers ce que nous voulons. Le problème, c’est que, souvent, on veut tout. Et tout vouloir, c’est ne rien vouloir du tout.

Et, avec le temps, on s’aperçoit qu’il est plus difficile de tenir l’idéal de gauche que celui de droite. Le corps s’affaiblit, on se fatigue, on a besoin de confort. La peur s’installe. Sans doute que la gauche s’accommode mieux de la jeunesse et de l’indigence, quand on n’a rien d’autre que soi-même, qu’on n’a rien à perdre. On en a vu des gens de gauche dériver vers la compromission du fameux confort, il est plus difficile d’aller vers l’idéal que vers une solution à l’amiable. Où alors, l’idéal est-il une forme d’extrémisme ? Comment savoir où s’arrêter ?

Pour ce qui est du destin des femmes, de leur condition, on n’a pas fini d’en parler. Et pour certaines, rien n’a changé depuis des siècles…

… Elles ne sont plus que de la chair, de la convoitise. De la simple marchandise. Il suffit de s’emparer de la chair, de la tordre, de la déchirer, de la menacer, de la terroriser, et la chair obéit, devient molle et docile, devient succube. Devient esclave.

Quand est-ce que ça a commencé à dérailler, exactement ? Est-ce qu’on porte en soi cette défaite dès le début ? Est-ce que tout est destiné à l’oubli, quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise ?

Lu en octobre 2021

« Mangoustan » de Rocco Giudice

J’ai choisi ce roman pour sa couverture et aussi parce qu’une des protagonistes n’est autre que Melania Trump, alors la curiosité l’a emporté :

 

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Après trente ans de vie commune, Laure est larguée par son mari, parti avec une employée de maison.

Ukrainienne ambitieuse, Irina est l’épouse d’un Genevois de bonne famille, qui ne manque pas une occasion de lui faire sentir sa basse extraction.

Ex mannequin slovène, Melania a épousé un Priape à la crinière de feu et se retrouve First Lady contre son gré.

Quels liens unissent ces trois femmes qui ne se connaissent pas ?

Des maris dominateurs et la volonté de s’émanciper ? Sans doute. Mais aussi un typhon répondant au doux nom de Mangoustan.

Il s’apprête à balayer Hong Kong le week-end où chacune d’elle est venue s’y ressourcer.

 

Ce que j’en pense

 

On assiste à un épisode de la vie de trois femmes qui n’ont pas été choisies au hasard : tout d’abord, Melania, oui, oui, la first lady dont le mari a accédé à la présidence des USA à son grand dam car elle était tellement persuadée qu’il ne serait pas élu… en fait, cette femme gagne à être connue car elle n’est pas dupe et réussit à trouver la parade pour suggérer ce qu’elle pense réellement :

« Un tailleur-pantalon pour affirmer votre autorité, des lunettes noires pour mettre de la distance, un col lavallière, dit pussy bow, pour dénoncer les propos machistes et ainsi de suite. C’était exactement ce qu’il lui fallait : une tactique de communication qui lui permette d’en dire beaucoup sans jamais ouvrir la bouche. Cela recelait, par ailleurs, un avantage certain : le textile n’a aucun accent slovène. »

Ensuite, nous avons Laure, BOBO habituée à vivre dans le luxe et qui vient d’être larguée par son mari pour une jeunette de trente ans de moins qu’elle, qui était sa bonne. Comment accepter à cinquante-cinq ans d’être balayée ainsi, sans travail, puisque le cher mari ne voulait pas qu’elle travaille, pour s’occuper de sa famille. Bien-sûr, il a eu « l’élégance » d’attendre que les enfants partent de la maison pour mettre un terme au contrat.

Enfin, nous avons Irina, beauté slave, qui a fui son pays l’Ukraine, la misère et son enfance sordide pour tenter sa chance en Occident. Pour elle il s’agit de prendre sa revanche, mettre la main sur un homme riche, en  « couchant utile », ce qui provoque bien des désillusions, mais elle finit par trouver l’homme idéal : Édouard, Suisse plein aux as, mais dont la famille lui est hostile.

Trois femmes donc, qui ont un peu le même profil : la femme objet, bourgeoise, qui épouse un compte en banque, qui risque de la renvoyer dans sa misère originelle quand elle cesse d’être un faire-valoir pour leur carrière professionnelle autant que socialement.

Nos trois héroïnes vont se retrouver à Hong-Kong, alors qu’un super-typhon, Mangoustan, se profile à l’horizon… Rien de tel qu’une catastrophe pour prendre conscience de sa vie, de ce qui est important et surtout de ce qu’on veut en faire.

Rocco Giudice dresse un portrait un peu trop caricatural de ces trois femmes, donc à l’amusement du début succède le ronron et les plaintes de Laure qui s’est victimisée finissent par devenir exaspérantes…

J’ai bien aimé son portrait de Melania beaucoup moins superficielle qu’il n’y paraît : elle enflamme la toile lorsqu’elle refuse de tenir la main de son époux en signe de représailles et à partir de ce moment-là chacun va guetter les signaux qu’elle envoie sans jamais avoir besoin d’ouvrir la bouche : tailleur pantalon blanc pour affirmer son soutien à la cause des femmes victimes de harcèlement…

Je ne sais pas si les éléments que livre l’auteur sur le fonctionnement du couple Trump sont vrais ou romancés mais on se laisse prendre en tout cas…

Les conversations sans filtre, entre Melania et son père Viktor, sont assez truculentes. Les oreilles de Donald doivent souvent siffler.

J’ai passé un bon moment avec ce roman, ce n’est pas le roman du siècle mais il est rempli son rôle, divertir le lecteur, tout en dressant un tableau haut en couleurs du machisme. Pour un premier roman, c’est prometteur, car le rythme est enlevé, mais le style laisse quand-même à désirer, l’auteur gagnerait à être un peu plus littéraire. Il s’exprime dans un langage « d’jeune » avec des termes argotiques… donc laissons-lui le temps de découvrir son style…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Allary qui m’ont permis de découvre ce roman et son auteur.

 

#Mangoustan #NetGalleyFrance

 

L’auteur

 

Ecrivain suisse, né en 1982 d’un père italien et d’une mère espagnole, Rocco Giudice vit entre Hong-Kong et Genève.

« Mangoustan » est son premier roman

 

Extraits

 

En haut de l’escalier, le père apparait enfin, le veston déboutonné, une cravate bicolore raide comme un fil à plomb et les cheveux brillants comme la Toison d’or. Sa chevelure flamboie littéralement. Est-ce pour cela que Melania, sa femme, protège ses pupilles derrière des verres fumés.

 

Dans cette séquence insolite, le mannequin slovène rejette ostensiblement la main de son mari devant l’ensemble des caméras de télévision venues capter leur arrivée. Celle que tant de monde prenait, jusque-là, pour une femme de peu, une poupée arriviste et écervelée, soumise à la puissance et à la fortune, s’était réapproprié d’un seul geste une dignité niée de tous. La Vénus à l’irréprochable plastique dont on soupçonnait la détermination à grimper à genoux, si nécessaire, la pente qui, du sol à la ceinture, mène à la fortune, s’était muée en fauve.

 

Laure connaissait une autre réalité, moins manichéenne que cette vision sans nuances et réduisant l’humanité à deux clans opposés. Dans sa famille, on disait que l’échec est l’antichambre du succès, que la vie est pleine de ressources, que des trains, il en passe tout le temps. On lui avait toujours appris que la fin ne justifie pas les moyens, que la droiture d’un homme, ça compte. Elle avait retenu des livres de Zweig qu’il y a plus de plaisir à comprendre les hommes qu’à les juger

 

Melania faisait preuve d’une indulgence infinie pour l’esprit potache de son dabe. C’était un homme coquet qui vouait à son épouse et sa fille une tendresse infinie mais dont l’humour rasait le sol. Rien ne le transportait davantage que la force comique d’un prout ou les plaisanteries de Benny Hill. Il gloussait alors et son visage congestionné passait par toutes les nuances comprises entre le pourpre et le mauve.

 

Il (Donald) avait retenu la leçon ; la passion sexuelle et le projet familial devaient être strictement séparés. Il n’y avait que les prolos pour mélanger cela. Melania répondait à ses attentes ; jeunesse, beauté, modestie de l’origine et discrétion. Il en ferait son faire-valoir et une madone exemplaire, virginité mise à part. Elle élèverait un enfant, laisserait son mari dans la lumière, calerait son agenda sur celui de son époux mais se tiendrait, pour le reste, à l’écart des mondanités, clubs et autres salons. Il s’agirait d’un job et, si elle l’acceptait, il garantirait, en échange, pour elle et ses parents, une vie fastueuse. Le contrat était limpide et sans aucune compromission physique : no zob in job.

 

Melania, plus intuitive qu’analytique, se considérait simplement mariée à un enfant capricieux, un promoteur immobilier dont les projets architecturaux phalliques trahissaient, depuis longtemps déjà, les aspirations. Elle savait qu’il raisonnait comme on le fait au café du commerce à l’heure de l’apéritif.

 

Ici, monsieur, on ne vit pas ; on consomme. On ne traînasse pas à la terrasse d’un café, on ne lit pas dans les parcs, on ne se prélasse pas sur la plage. La douceur de vivre, les promenades ou le dolce farniente, ce génie européen, n’existent pas. Ici, Épicure est en Enfer ; tout y est frénétique. Le bruit vous assomme : les passages à piétons sonnent, les voitures vrombissent, les chantiers crépitent, les terminaux de cartes de crédit bipent. À tout moment, les magasins vomissent des tonnes de produits

 

Le temps passe et le sommeil, à son œuvre discrète, creuse dans l’éclat des ruches de sombres parcelles. Les agents de la nuit murmurent une berceuse ; léthargiques, les hommes progressivement renoncent et les loupiotes s’éteignent les unes après les autres. Le loup est aux portes de la ville, mais il n’y a plus rien à faire désormais.

 

Dépendre de son compagnon est un danger considérable, dit Irina. Les hommes n’ont pas de mémoire et encore moins de reconnaissance. L’égoïsme est dans leur nature. Ils ne partagent que le surplus, ce dont ils peuvent se passer, jamais ce dont ils ont besoin. Et puis, qu’est-ce qu’ils sont paternalistes ! Il nous faut constamment en appeler à leur bienveillance, flatter leur sentiment de grandeur et feindre de les penser magnanimes. La relation amoureuse est une fabrique de servitude féminine volontaire. Les femmes sortent toujours perdantes de ce jeu de dupes.

 

CHALLENGE 1% 2019

 

Lu en septembre 2019