Restons en Italie, avec le roman d’un de mes auteurs fétiches, et promenons-nous dans l’Histoire assez récente du pays avec les Brigades Rouges en toile de fond pour raconter une belle histoire :

Résumé de l’éditeur :
Vérone, 1978. Renato, sept ans, entretient avec son père une relation merveilleuse, que bouleverse l’enlèvement de l’homme d’affaires par un commando des Brigades rouges. Lorsqu’elles le relâchent après paiement d’une rançon, il n’est plus qu’une ombre. Laminé, honteux, il met fin à ses jours. Renato et sa mère s’exilent en Suisse. Le jeune garçon y développe le goût des hautes cimes et celui du théâtre, où il excelle. Mal entendant, il se sent à l’aise dans cet univers où les mots sont connus par avance et où son handicap peut être caché,
Dix ans plus tard, pour sa dernière année de scolarité, il est inscrit dans un internat de Lausanne. Il y vit des moments difficiles, croise le professeur Paolo Mantegazza, un Italien, responsable des activités théâtrales, comme lui passionné de haute montagne. Une amitié elle aussi merveilleuse s’établit entre les deux, faite d’admiration réciproque et de grande estime. Renato voit en lui un père de substitution. Très vite, pourtant, on apprend que Paolo Mantegazza n’est nul autre que Paolo Rivolta, un ancien des Brigades rouges dont il était le principal théoricien. Onze ans plus tôt, c’était lui qui avait machiné l’enlèvement du père de Renato.
Que va faire le maître ? Comment va réagir l’élève ? Qu’adviendra-t-il de cette amitié foudroyée ? Quel jeu jouera la belle Josy, maîtresse de l’Italien, qui enseigne le hip-hop à l’Institut ? Une paternité peut-elle se reconstruire ?
Ce que j’en pense :
L’histoire s’ouvre en 1978 sur l’enlèvement de Francesco Barro, glacier réputé, patron sympathique qui prend le café avec ses ouvriers, dont certains même le tutoient. Il ne se croit pas menacé par les Brigades Rouges qui s’en prennent aux patrons qui exploitent leurs ouvriers et s’enrichissent sur leurs dos. Après d’âpres négociations (quand il s’agit de payer une rançon c’est compliqué, on voudrait négocier). C’est un homme brisé qui va être libéré, il est resté attaché sur un matelas nourri de sardines en boîtes… Sardines qui vont avoir du bon, car achetées en quantité, on pourra remonter jusqu’aux ravisseurs !
Le « cerveau », l’éminence grise des Brigades, est Paolo Rivolta qui a établi une liste des patrons à enlever, mais on ne remontera pas jusqu’à lui pour cet enlèvement ; il purge une peine de prison pour une autre affaire, et à sa sortie, nouvelle identité : Paolo Mantegazza qui s’exile en Suisse pour enseigner.
Paolo Rivolta, devenu Mantegazza enseigne à l’internat et monte chaque année une pièce de théâtre. Renato est passionné par le théâtre, mais il va y avoir une rivalité avec un autre élève, fils d’un magnat grec, à qui revient chaque année le premier rôle. Mais Paolo se sent coupable et, ayant compris qu’il était responsable de la mort du père de Renato, va ruser pour lui attribuer le meilleur rôle.
Il est tombé sous le charme du garçon, et inconsciemment voudrait se racheter. Une relation de type père-fils s’installe entre eux : Renato cherche en lui l’image du père, alors que Paolo se sent une âme de père.
Nadelmann qui, lui, a dû quitter Vienne à cause de l’antisémitisme régnant à l’université, donne aussi des cours au pensionnat. Il a deviné qui se cachait derrière Mantegazza… chacun se réfugie dans une œuvre qui le conduit à se dépasser : traduire Nietzsche pour Paolo, se plonger dans Höderlin pour Nadelmann.
Peu à peu, Paolo entre dans la vie de Renato, dans le cœur duquel une place et à prendre, et dont la mère vient de se remarier. Il lui propose des cours de danses avec sa compagne Josy ; mais peut-on construire une relation authentique sur le mensonge, même par omission ? Peut-on rattraper le mal qu’on a fait autrefois, sous l’effet d’une idéologie à laquelle on a cru ?
Chacun des personnages a sa dose de souffrance et de contradictions et fait comme il peut pour vivre avec. Josy est née dans le Bronx, elle donne des cours de hip-hop en Suisse, où elle se sent exister, par rapport à son pays d’origine où règne la ségrégation : être Noir c’est déjà compliqué, mais femme de surcroît et qui danse sur une musique où règnent les garçons…
Renato doit aussi affronter une vérité, qu’il voudrait ne pas voir, perdre des illusions sur la nature humaine et faire un pas vers la tolérance et le pardon, mais est-ce si facile à son âge ?
C’est la force de MetinArditi de nous faire réfléchir sur les relations interhumaines, la faute, la réparation, la rédemption en nous racontant une belle histoire. J’ai intégré le « club des groupies » de l’auteur en lisant « Le Turquetto » que j’ai adoré et depuis je lis chacun de ses livres au fur et à mesure de leur parution. J’ai un peu moins aimé celui-ci qui les précédents, on devient exigeant quand un auteur nous envoûte ! mais c’est une belle histoire et il ne faut pas être tenter de comparer. On n’est pas dans le même registre que « Le peintre d’icônes » par exemple ! Mais je chipote ! Il suffit de regarder la note que j’ai donné à cette lecture.
Comment résister quand Metin Arditi propose une de mes citations préférées de Nietzsche : « Je ne crois qu’en un dieu qui sache danser » ? impossible…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume d’un auteur que j’aime vraiment beaucoup et dont je guette avec impatience chaque nouveau roman.
#Tuserasmonpère #NetGalleyFrance !
9,5/10
Écrivain francophone d’origine turque, Metin Arditi est l’auteur d’essais et de romans, parmi lesquels Le Turquetto(Actes Sud, 2011, prix Jean Giono), et chez Grasset, L’enfant qui mesurait le monde (2016, prix Méditerranée), Mon père sur mes épaules (2017) et L’homme qui peignait les âmes (Grasset, 2021). En 2022, il a publié le Dictionnaire amoureux d’Istanbul (Plon-Grasset).
Extraits :
« A chaque instant, l’être recommence » disait Zarathoustra. Il avait traduit ces mots par Ad ogni istante, l’essere rinasce. A chaque instant, l’être renaît. C’était plus qu’une traduction, un besoin de garder l’espoir. D’autres réflexions lui apportaient du réconfort. « Je ne crois qu’en un dieu qui sache danser », disait Nietzsche. Il célébrait la joie de vivre, sans juger ni condamner.
A l’université de Vienne, l’antisémitisme était une banalité. Après avoir subi d’inqualifiables humiliations de la part de ses collègues, il avait décidé de ne plus revoir la ville. Jamais. Ce n’était pas qu’il n’aimait plus Vienne. Il l’aimait trop. Impossible de s’imaginer au Prater ou au Ring sans souffrir…
Il l’aimait bien, Mantegazza. Il l’avait vu à l’œuvre aux répétitions, c’était un homme sensible, généreux, un Mensch, qui avait voulu changer l’ordre des choses dans l’Italie d’après-guerre. Le pays avait beau être prospère et chantant, lui-même ne ressentait pas à son égard un amour immodéré. Il n’avait pas oublié les années trente et quarante, l’axe Rome-Berlin, les amitiés hitlériennes de Mussolini, ses lois raciales, calquées sur celles de l’Allemagne nazie.
Sa vie avait été un sentier escarpé chargé de ronces sur lesquelles ses illusions s’étaient accrochées, l’une après l’autre. Au moins se trouvait-il à son sommeil débarrassé d’elles, libre, pour le temps qu’il lui restait à vivre, d’écouter le vent siffler, dépouillé de toute illusion. Sans doute avait-il fallu qu’il s’appauvrisse ainsi, pour être heureux comme il l’était à cet instant…
Elle (Josy) était née dans le Bronx… Le hip-hop avait surgi sous ses yeux. Il offrait aux garçons de son quartier une façon de canaliser leurs frustrations et leur colère. S’il s’était répandu dans le monde entier, c’était la preuve qu’il avait en lui une composante artistique. Mais il ne fallait pas s’y tromper, cette danse était chargée de violence.
Qu’avait imaginé Paolo, grand bienfaiteur des masses laborieuses ? Que l’on pouvait kidnapper un homme et le renvoyer chez lui une fois la rançon payée ? Du donnant donnant ? Des dommages collatéraux ? Vous n’y pensez pas Monsieur le président.