Je vous parle aujourd’hui d’un livre dont la lecture n’a pas été simple car le thème est difficile :
Résumé de l’éditeur :
C’est la fin de l’été et Wallace retrouve ses camarades au sein d’une prestigieuse université du Midwest. Mais parmi ces jeunes gens blancs et insouciants, Wallace peine à trouver sa place. Le veut-il vraiment ? Hanté par son passé, troublé par de récents événements, le jeune homme garde sans cesse une distance avec ceux qui l’entourent. Le temps d’un week-end, entre les fêtes et les discussions qui refont le monde, Miller va tenter de se rapprocher de lui. Leur liaison va pousser Wallace dans ses derniers retranchements. Comme si James Baldwin rencontrait Sally Rooney,
Real Life est un campus novel et un roman d’apprentissage d’un ordre nouveau, porté par une prose élégante et un regard tranchant. D’une maturité impressionnante, Real Life pointe sans manichéisme le diable caché dans les détails d’une jeunesse américaine faussement apaisée, et dresse le portrait sensible et touchant d’un homme en crise d’identité. Un premier roman intense et politique qui marque la naissance d’un auteur puissant, finaliste du Man Booker Prize et du Dylan Thomas Prize.
Ce que j’en pense :
C’est la fin de l’été et Wallace retrouve ses « amis » , si on peut appeler amis des personnes, étudiant comme vous dans une université prestigieuse, plus ou moins insouciants, n’ayant pas de problèmes financiers, ni de difficultés à s’adapter…
Mais voilà, Wallace est Noir et homosexuel, alors c’est plus dur. Il s’efforce de passer inaperçu le plus possible, noyé dans la masse, courbant le dos, souvent trop d’ailleurs. Il travaille dans un laboratoire, sur les nématodes, analyse, culture etc. Malgré son application, son zèle, les heures qu’il ne compte pas (il est boursier alors on lui en demande encore plus : obligation de résultats, sous l’œil intransigeant de Simone la directrice du labo.
Mais Dana, une jeune étudiante aux dents longues devient la protégée de Simone. Et tous les coups bas seront permis pour miner son travail. C’est le genre de personnalité narcissique, un ego surdimensionné, qui n’a jamais tort : tout est de la faute des autres, notamment celle de Wallace car Dana est raciste pour compléter le tableau.
Wallace désire se faire accepter par les autres étudiants, mais parle peu de lui car son passé est trop lourd à porter, il a préféré l’enfouir. Mais également parce qu’il redoute que des confidences puissent lui rendre la vie encore plus impossible. Ce qui l’a amené à ne par leur dire que son père est décédé quelques jours plus tôt. Mais, comment expliquer, que cette mort ne le touche pas car il y a bien longtemps qu’il a dû en faire le deuil, celui-ci ne l’ayant jamais soutenu, aidé durant l’enfance.
Brandon Taylor nous décrit très bien, avec une précision chirurgicale, microscope à l’appui, la difficulté de s’intégrer, voire de trouver sa place, quand on est pauvre, Noir, boursier et homosexuel et d’un autre côté comment les souffrances endurées dans l’enfance (les coups, les abus sexuels, la solitude) que l’on a pris soin d’enfouir peuvent refaire surface de manière inopinée et violente risquant de remettre en question certains choix.
Mais, car il y a un mais, le récit est cru, l’auteur nous racontant avec moult détails des scènes sexuelles violentes, sadomasochistes qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour lire, ce qui est loin d’être mon cas.
Il y a aussi une avalanche de détails qui ne sont pas forcément nécessaires : je suis devenue spécialiste en nématodes et boîte de Pétri (je n’en avais plus entendu parler depuis si belle lurette !) ou sur le système universitaire américain… Ce qui explique pourquoi j’ai mis si longtemps à arriver à bout de cette lecture qui va, je pense, hanter durablement ma mémoire, certaines phrases étant vraiment percutantes…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions La Croisée qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure
#RealLife #NetGalleyFrance !
7,5/10
Brandon Taylor est un écrivain américain. Il est titulaire de diplômes d’études supérieures de l’Université du Wisconsin-Madison et de l’Université de l’Iowa et a reçu plusieurs bourses pour ses écrits. Ses nouvelles et essais ont été publiés dans de nombreux médias et ont été acclamés par la critique.
Extraits :
« C’était ton père Wallace », fit Emma. Le rire de Wallace s’éteignit dans sa gorge. Il se sentit un peu humilié par ses mots. Oui, c’était son père. Il le savait. Mais le problème avec ces gens, avec ses amis, avec le monde, c’était qu’ils pensaient que les choses devaient être d’une certaine façon, avec la famille. Ils pensaient qu’on devait éprouver quelque chose pour ses parents, et de préférence la même chose que tout le monde, sans quoi, c’était qu’on s’y prenait mal.
Une obscurité profonde, dense. Pourquoi lui revient-elle maintenant ? Tous ces kilomètres parcourus. Ces années. Son ancienne vie tranchée comme une cataracte. Rejetée. Mais ici, retrouvée au fond de son esprit comme un détritus qui surnage. Ici. En ce lieu. Dans la solitude du labo. Il fait presque un bond de frayeur, tant le souvenir est complet. Son corps se souvient. Son corps traître…
Dana, essoufflée, halète comme un animal blessé. Elle s’est mise dans une rage écumante, une colère violente… Elle a de la bave au coin des lèvres. Ses yeux plissés jettent des éclairs. Il la reconnait dans le feu futile, destructeur, de sa colère. Le plus injuste, se dit-il, c’est que ce moment où elle vide son sac, elle peut se le permettre ? Elle n’aura pas de problème. Elle s’en sortira très bien. Elle est douée, et il est seulement Wallace.
Rien de tout cela n’est juste. Rien de tout cela n’est bon, il le sait. Mais, il sait aussi que la justice n’est pas la question. Ce qui compte n’est pas d’être traité justement, ou d’être bien traité. Ce qui compte, c’est de faire son travail. Ce qui compte, c’est obtenir des résultats…
C’est injuste parce que les Blancs ont un intérêt direct à sous-estimer le racisme, sa quantité, son intensité, sa forme et ses effets. Ils sont les renards dans le poulailler.
Dans l’ensemble, ça va . C’est pour ça que Wallace ne dit jamais rien à personne. C’est pour ça qu’il garde la vérité pour lui, parce que les gens ne savent pas quoi faire de vos bagages, de la réalité des sentiments des autres. Ils ne savent pas quoi faire quand ils entendent une perspective qui ne cadre pas avec leur propre perception des choses…
La mémoire passe au crible. La mémoire élimine l’horrible. La mémoire fait avec ce qu’on lui donne. La mémoire n’est pas une affaire de faits. La mémoire est une mesure peu fiable de la douleur d’une vie.
Ce dont parle Roman, c’est d’un déficit de blancheur, d’un manque de ressemblance requise. Cette déficience-là ne peut être comblée. Le fait est que, quels que soient l’ampleur des efforts fournis, les savoirs acquis et le nombre de techniques maitrisées, il sera toujours provisoire aux yeux des gens, même s’ils ont de l’affection pour lui et lui témoignent de la gentillesse.
La gentillesse est une dette, se dit Wallace. La gentillesse est quelque chose qu’on doit et qu’on rembourse. La gentillesse est une obligation.
Il y aura toujours des gentils Blancs qui l’aiment et lui veulent du bien mais qui ont plus peur d’autres Blancs que de le laisser tomber. C’est plus facile pour eux de laisser faire et d’analyser ensuite la blessure plutôt que d’introduire un élément inconnu dans la situation. Aussi gentils soient-ils, aussi aimants, ils seront toujours complices, un danger, une blessure en puissance.
Le passé n’est pas un horizon qui s’éloigne. Au contraire, il progresse un instant à la fois, il marche d’un pas régulier vers l’avant jusqu’à ce qu’il ait tout réquisitionné, que nous redevenions qui nous avons été ; nous devenons des fantômes quand le passé nous rattrape. Je ne peux pas vivre tant que vit mon passé. C’est lui ou moi.
De fait, le potentiel sexuel n’est que l’ombre de la possibilité sexuelle menée à son terme par projection ; nous savons que nous désirons quelqu’un en le rencontrant à cause de ce qui pourrait se produire si nous nous avançons simplement pour le dire : « Hé, regarde-moi »
Lu en juillet- août 2022