« La leçon du mal » de Yûsuke Kishi

Petit détour par le Japon, aujourd’hui, avec ce roman culte, décliné en manga qui fait enfin son entrée chez nous :

Résumé de l’éditeur :

Culte ! Paru en 2010, adapté au cinéma en 2012 et décliné en manga, « La Leçon du mal » s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires au Japon. Rythme effréné, personnages époustouflants, narration fluide, un roman sidérant à huis clos dans un lycée de province où sévit, bien caché sous les traits d’un jeune professeur charismatique et séduisant, un véritable monstre…

De l’avis de tous, Seiji Hasumi est le professeur le plus charmant, le plus séduisant, le plus charismatique du lycée Shinkô Gakuin de Machida. Adulé de ses élèves, admiré de ses collègues, apprécié de sa direction, le jeune homme est fin, drôle, toujours prêt à voler au secours des uns, à aider les autres, à combattre les injustices et le harcèlement, à dénouer les conflits.

Hasumi est tout cela et pire encore. Hasumi est un psychopathe. Manipulateur, calculateur, pervers, prêt à tout pour prendre le contrôle et asseoir son pouvoir. Un être violent, qui n’hésite pas à éliminer quiconque se met en travers de sa route.

Trois élèves l’ont percé à jour. Commence alors une traque terrifiante, aux conséquences inimaginables…

Ce que j’en pense :

Hasumi est un professeur adoré par ses élèves, surtout les filles d’ailleurs, auxquels il enseigne l’anglais, animant en parallèle des ateliers de conversation. Il a décidé de faire également partie de l’équipe de surveillance.

Bref, en apparence, c’est le professeur idéal que tous les élèves rêvent d’avoir, son enseignement est interactif, loin du cours magistral classique. Une véritable « armée » d’élèves s’est constituée autour de lui, regroupant les fans de la première heure, prête à tout pour lui, y compris aller faire un tour dans son lit.

Toutes les filles ? Il semblerait que non, une des élèves, de nature hypersensible, sent bien que le tableau n’est pas aussi idyllique que cela et le comportement de Hasumi l’angoisse ; elle reste donc sur ses gardes.

Tout n’est pas aussi simple, en effet. Hasumi a été prié de quitter son précédent établissement pour des raisons qu’il préfère minimiser : plusieurs élèves s’étant suicidés mais il a été blanchi, mais pourtant envoyé dans un autre lycée. Il suffit aussi de voir le sort qu’il réserve à un couple de corbeaux qui s’approche trop près de lui, ou encore son comportement avec le chien du voisin, qui lui a bien flairé la personnalité trouble du professeur…

Certes, il est compréhensible que les élèves pour la plupart, soient en admiration devant ce professeur charismatique, car les autres enseignants sont ternes sinon monstrueux : le professeur de sport qui se livre à des attouchements sur les filles, le professeur de maths qui est attiré par la dive bouteille…

Yûsuke Kishi nous entraîne en fait dans une descente aux enfers, ou une escalade de la violence, comme on préfère, avec une description magistrale de la manipulation, à travers ce professeur trop poli, trop bienveillant pour être honnête, et ceci pour notre plus grand plaisir.

J’ai adoré me faire manipuler par l’auteur, fasciné par ce personnage machiavélique, dont je n’avais qu’une envie, qu’il s’en sorte pour que mon plaisir de lecture dure encore un peu, tant ce roman est addictif. On sait comment ça va se terminer, mais c’est un régal de voir comment fonctionne ce personnage pervers à souhait, (individu que dans la vie de tous les jours je déteste, je précise pour qu’il n’y ait pas de malentendu !). La presse a souvent évoqué « American psycho » en parlant de cet OVNI de la rentrée littéraire…

Une scène m’a beaucoup intéressée : la mort violente des parents de Hasumi et comment il a réagi, mais je n’en dirai pas plus…

J’ai bien aimé aussi la fascination de Hasumi pour « l’opéra de quat’sous » de Brecht dont il siffle souvent la « complainte de Mackie » notamment dans les moments où sa violence augmente et dont l’auteur partage le texte avec nous.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions qui m’ont permis de découvrir ce roman et ainsi que l’univers de son auteur dont j’aimerais bien lire d’autres livres.

#LaLeçondumal #NetGalleyFrance !

9/10

Né en 1959 à Osaka, Yûsuke Kishi est membre de l’association Mystery Writers Japan. Après avoir travaillé plusieurs années dans une compagnie d’assurances, il s’est lancé dans l’écriture. Ses romans sont tous des best-sellers, régulièrement adaptés en mangas ou en films. Œuvre culte au Japon, publié pour la première fois en France sous forme de roman, La Leçon du mal a déjà été adapté en manga chez Kana et a été porté à l’écran par le cinéaste japonais Takashi Miike.

Extraits :

Le métier de professeur incluait la gestion d’une classe, l’enseignement d’une matière ainsi qu’une responsabilité particulière dans la vie du lycée. Pour sa part, Hasumi avait opté pour une charge au sein de l’équipe de surveillance, responsable de la bonne conduite des élèves.

La langue est un héritage, une richesse culturelle extrêmement ancienne. Nous devons en prendre conscience pour la préserver.

Rien n’était plus simple que de favoriser un accident et de prier pour qu’il survienne. Un crime par probabilité.

Les humains étaient mus par le puissant désir d’être acceptés, reconnus par les autres. Rejetez-les, attaquez-les, ils se mettront sur la défensive et attaqueront à leur tour. Mais montrez-leur seulement que vous les appréciez, et ils vous apprécieront en retour…

Plus on passe de temps avec eux, plus les gens ont tendance à développer de la sympathie et à baisser leur garde. Ce processus est accéléré par le dialogue et ce sont les personnes les plus méfiantes au départ qui, une fois rassurées, tombent le plus vite dans votre escarcelle.

Comme tout travail, le meurtre demandait de la passion, du soin, une capacité à toujours se remettre en question et à juger son œuvre d’un œil critique. Ainsi, on s’en sortait avec une série « d’accidents » ou « de suicides » que jamais personne n’aurait l’idée de relier entre eux.

Et cette théorie toujours présente dans le pays de l’Oncle Sam, qui veut que chacun devrait porter une arme pour se défendre… ça le faisait bien rire. Le seul cas où ça pourrait effectivement protéger les gens, ce serait si les agresseurs tombaient du ciel…

Il commençait à comprendre pourquoi certains, aux Etats-Unis, développaient un véritable fétichisme autour de leurs armes… La sienne, brûlante, semblait avoir acquis sa propre personnalité. Celle d’un tueur sanguinaire. A chacun de ses rugissements bestiaux, les proies tombaient.

Lu en septembre 2022

« Abandonner un chat » de Haruki Murakami

Je vous parle aujourd’hui d’un livre témoignage, hommage au père décédé, d’un auteur que j’affectionne particulièrement :

Résumé de l’éditeur :

« Je suis le fils ordinaire d’un homme ordinaire. Ceci est parfaitement évident. Mais au fur et à mesure que j’ai approfondi cette réalité, j’ai été convaincu que nous sommes tous le fruit du hasard, et que ce qui a eu lieu dans ma vie, dans celle de mon père, tout a été accidentel. Et pourtant, nous les humains, ne vivons-nous pas en considérant comme la seule réalité possible ce qui n’est après tout qu’un simple fait dû au hasard ?« 

Dans ce texte inédit en France, superbement illustré, Haruki Murakami se livre comme jamais. Au gré de ses souvenirs teintés d’une poignante nostalgie, il remonte le fil de l’histoire de son père, interroge la responsabilité de ce dernier pendant la guerre et lève le voile sur leur relation complexe…

Ce que j’en pense :

Tout commence par une anecdote, une histoire vraie en fait, un moment passé avec son père : ce dernier avait décidé de se débarrasser du chat en l’emmenant assez loin, pour l’abandonner sur la plage, au grand désarroi de l’enfant. Ô surprise, en arrivant à la maison, le chat les attendait, il avait réussi à revenir avant eux. Abandonner un chat ! choquant, mais on sait la lace qu’occupe les chats dans l’œuvre comme dans la vie de l’auteur !

Il y a toujours eu des chats à la maison. Je crois que nous vivions heureux avec eux. Pour moi, ils ont toujours été des amis merveilleux. Étant fils unique, mes compagnons de jeu les plus précieux étaient les livres et les chats.

Haruki Murakami nous propose un court texte (environ quatre-vingt pages) où il raconte son père décédé, sa relation difficile avec lui, les sentiments que l’on éprouve et que le cache par pudeur, l’ombre tutélaire qui plane au-dessus de nos têtes lorsque la personnalité de l’un semble plus forte que l’autre, rendant difficile l’aptitude à être un adulte à part entière.

Il retrace d’abord le parcours : son père a fait des études pour être prêtre bouddhiste puis a réussi, à force de travail, à intégrer l’université impériale, après un concours difficile. Il a été mobilisé à trois reprises au cours de ses études, dans des combats lointains où beaucoup de ses camarades ont laissé leur vie. Il leur rend hommage chaque matin en récitant des sutras devant un autel qu’il leur a consacré.

Haruki Murakami revient sur la rencontre et le mariage arrangé entre son père et sa mère, mariage qui s’est quand même caractérisé par une entente entre eux, un respect mutuel à défaut d’amour fort ou de tendresse. Son père était professeur de japonais lorsque leur unique enfant est né en 1949, à Kyoto.

S’il savait que son père était un excellent professeur, spécialiste des haïkus, du poète Bashô, il ne se Haruki n’avait vraiment conscience de l’admiration que lui vouaient ses élèves. Il s’en est rendu compte seulement en voyant qu’ils étaient nombreux à assister à son enterrement. I fait souvent allusion à un recueil de haïkus, cher à son père : l’anthologie « les mots de saison » qui était peut-être pour lui aussi précieuse que la Bible pour les chrétiens.

L’auteur nous propose une autre réflexion, en revenant sur le passé de son père: se celui-ci avait réussi sa vie comme il le désirait au départ, aurait-il rencontré et épousé la même femme et quid de Haruki?et par voie de conséquence, à quoi tient notre existence?

Les relations entre le père et le fils, qui n’étaient déjà pas très chaleureuses (doux euphémisme !), se sont distendues au fil des années, et Haruki s’est éloigné, ils ne se sont vus que rarement, et ce qui ne s’est pas construit laisse un vide, sinon des regrets.  Il s’est toujours senti inférieur à ce père, doué pour les études alors que lui-même ne s’y intéressait guère. On remarque quand même au passage, qu’il est devenu, sinon professeur reconnu spécialiste en poésie, un écrivain lui aussi reconnu, donc deux domaines qui se rejoignent.

Pour la petite histoire, Haruki Murakami nous propose aussi dans ce livre l’histoire d’un chaton qui a voulu grimper très haut dans un arbre et n’a pas pu en redescendre, paralysé par la peur ; quand l’homme veut tutoyer les étoiles, ne risque-t-il pas de se brûler les ailes comme Icare ? l’anecdote sert de base à des réflexions plus philosophiques…

Lorsque l’auteur évoque la guerre et les ravages que celle-ci opère sur les hommes, sur leur mental comme sur leur physique, imprégnant à jamais leur présent et leur avenir, comment ne pas faire un parallèle avec ce qui se passe en Ukraine ces derniers jours quand un esprit dérangé, paranoïaque décide qu’il a droit de vie et de mort sur un autre. Comment ne pas penser à Hiroshima et Nagasaki et à tous les ravages engendrés sur plusieurs générations…

Il s’agit donc d’un texte court, mais très intense, que l’auteur a illustré d’images superbes, à la manière des estampes, et qui permet de connaître Haruki intime, humain avec ses forces et ses faiblesses. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à lire ce texte, car il s’agit d’un auteur que j’aime beaucoup, que j’ai découvert avec le sublime « Kafka sur le rivage », gigantesque coup de cœur il y a quelques années, qui me surprend toujours et dont, fort heureusement il me reste encore pas mal de romans à lire.

Je mettrais peut-être un petit bémol,: quatre-vingt pages, c’est un peu juste j’aurais aimé en apprendre davantage sur le père de l’auteur. Mais, c’est vraiment un tout petit bémol. J’ai lu la version numérique, mais je pense me le procurer pour pouvoir profiter pleinement des « images » dont la douceur évoque aussi certains tableaux d’un peintre que j’aime beaucoup : Edward Hopper.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

8,5/10

Extraits :

Son propre père, mon grand-père donc, Benshiki Murakami, était né dans une famille de paysans de la préfecture d’Aichi. Comme c’était souvent le cas avec les fils cadets, il avait été envoyé dans un temple voisin afin de suivre une formation pour devenir prêtre.

Mon père aimait étudier. C’était aussi ce qui donnait de la valeur à sa vie. Il avait toujours aimé la littérature et, après être devenu professeur, il a passé énormément de temps à lire. Notre maison était pleine de livres. Ce qui a pu m’influencer durant mon adolescence, quand j’ai moi-même développé une passion pour la lecture.

Réussir le difficile concours d’entrée à cette université, surtout après avoir reçu une formation de prêtre bouddhiste, n’a certainement pas été facile.

Mais pour mon père, être encore en vie alors que ses anciens camarades étaient presque tous morts sur ces lointains territoires du Sud (pour beaucoup d’entre eux, on ne récupéra même jamais leurs ossements), c’était un motif de grande souffrance et un lourd fardeau moral ? Je comprends beaucoup mieux à présent pourquoi, chaque matin, en pensant à eux, il fermait les yeux et, dans une attitude de profond recueillement, récitait longuement des sutras.

Je n’ai pas la mentalité des gens de cette ville. Je me sens plutôt proche des habitants de la région située entre Osaka et Kobe. Même si toutes ces villes ou localités font partie du Kansai, chacune possède ses propres particularismes, par exemple dans la façon de parler, de penser et de voir les choses. En ce sens, je peux dire que l’atmosphère dans laquelle s’est construite ma personnalité est différente de celle qu’on connue mon père, originaire de Kyoto et ma mère, originaire d’Osaka.

Il avait publié plusieurs ouvrages de Haïkus, mais je ne les ai pas retrouvés ? Où ont-ils bien pu disparaître. Dans son lycée, il avait mis en place une sorte de club de haïkus qu’il présidait, repérant les élèves doués afin de les entraîner.

En conclusion, je dirai que, comme je me suis marié jeune et que j’ai rapidement commencé à travailler, les relations avec mon père se sont pour ainsi dire interrompues. Et à partir du moment où je suis devenu écrivain, la situation entre nous s’est encore compliquée, au point de nos rapports sont devenus inexistants.

Je me souviens encore aujourd’hui du bruit des vagues, du parfum du vent soufflant à travers les pins. C’est l’accumulation de ces choses minuscules qui m’a formé, qui a fait de moi l’homme que je suis à présent.

En tout cas, il y a une chose, une seule, que je voudrais ajouter à ce texte : je suis le fils ordinaire d’un homme ordinaire. C’est parfaitement évident. Mais au fur et à mesure que j’ai approfondi cette réalité, j’ai été convaincu que nous sommes tous le fruit du hasard, et que ce qui a eu lieu dans ma vie et dans celle de mon père a été accidentel.

Autrement dit, chacun de nous n’est qu’une goutte de pluie, anonyme parmi la multitude de gouttes qui tombent sur une vaste étendue de terre. Juste une petite goutte. Une goutte unique, qui possède son individualité, mais qui peut être remplacée. Et chacune de ces gouttes a ses propres sensations, elle a sa propre histoire et elle a la responsabilité de transmettre ce dont elle a hérité. Nous ne devons pas l’oublier.

Lu en février 2022

« N’oublie pas les fleurs » de Genki Kawamura

Petit séjour, en terre Alzheimer, au Japon, avec le livre dont je vous parle aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :

Le soir du 31 décembre, Izumi rend visite à sa mère Yuriko pour les fêtes de fin d’année, mais cette dernière est absente. Il la retrouve finalement perchée sur la balançoire d’un parc voisin, où elle semble perdue. Cet événement n’est que le premier signe de la maladie qui la ronge : quelques mois plus tard, il apprend qu’elle est atteinte d’Alzheimer.

À mesure que les souvenirs de Yuriko s’estompent, ceux de l’enfance d’Izumi ressurgissent. En prenant soin de sa mère – au moment où lui-même s’apprête à devenir père – Izumi tente de comprendre ce qui l’a éloigné d’elle au fil du temps, s’interroge sur le sens de leur relation. Pour retrouver l’essentiel de ce qui leur reste à présent.

Traduit du japonais par Diane Durocher.

Ce que j’en pense :

Comme tous les ans, Izumi rend visite à sa mère, Yuriko, le trente-et-un décembre et fête avec elle son anniversaire car elle est née le 1er janvier, et en général, on oublie de le lui souhaiter. Bizarrement, elle n’est pas à la maison, et il doit partir à sa recherche. Il la retrouve perchée sur une balançoire, un peu perdue. Elle était juste sortie faire quelques courses.

Il avait bien remarqué qu’elle était un peu bizarre depuis quelques temps, mais accaparé par son travail, dans la sponsorisation de musiciens, il ne va pas la voir très souvent.

Le réfrigérateur est plein de légumes ou produits dont la date de péremption est largement dépassée, la vaisselle s’accumule alors qu’elle a toujours été très à cheval sur l’ordre et la propreté. Elle donne encore quelques cours de piano, mais confond parfois les élèves…

Izumi se décide à l’emmener consulter une neurologue (on ne peut pas dire qu’elle soit animée par le tact et l’empathie !) et le diagnostic tombe : Alzheimer. Pour lui c’était une notion empirique, cela ne pouvait pas toucher sa mère.

Il est marié et sur le point d’être père, ce qui est déjà compliqué pour lui, né de père inconnu, sujet tabou dans la famille puisque les parents de Yuriko, ne supportant pas le déshonneur l’ont reniée.

Comment être père quand on n’a aucun homme dans son entourage pouvant servir de substitut et en parallèle comment être sûr d’avoir le bon comportement (si tant est qu’il en existe un !) quand il y a des failles dans la relation mère-fils. Izumi nous fait partager ses doutes, son besoin d’en savoir plus sur ses origines…

Malgré ses doutes, il se réagit très bien vis-à-vis de sa mère, essaie de lui faire plaisir, d’aller dans son univers. Il est touchant par ses questionnements et ses tâtonnements après une période de déni assez brève.

Il y a des très belles scènes, quand les rôles commencent à s’inverser, qu’elle redevient une petite fille dont il faut comprendre et satisfaire les désirs, notamment lorsqu’il l’emmène voir les plus beaux feux d’artifice de la ville, car elle a la nostalgie des « demi feux d’artifice » et il s’aperçoit qu’il a mal interprété…

Le récit se déroule sur fond de musique classique avec « les rêveries » de Schumann pour Yuriko, contemporaine pour Izumi, car la mémoire du jeu, des notes est encore présente chez cette musicienne.

J’ai aimé les personnages, leur histoire, l’évolution des relations entre eux, l’appréhension de la maladie d’Alzheimer dans la culture nipponne, qui propose des solutions intéressantes, mais l’auteur n’hésite pas à évoquer la suite : la mort, les obsèques, les querelles de certaines familles autour de l’héritage hypothétique.

C’est ma première incursion dans l’univers de Genki Kawamura, que je ne connaissais pas du tout, malgré sa notoriété au Japon et j’ai bien aimé, le thème comme l’écriture. Le Japon et sa culture me fascinent et j’aime bien découvrir de nouveaux auteurs…

Un grand merci à NetGalley et aux Fleuve éditions qui m’ont permis de découvrir ce roman et de découvrir son auteur dont le style et l’univers m’ont plu.

#Noubliepaslesfleurs #NetGalleyFrance

8,5/10

L’auteur :

Auteur de romans, d’interviews et d’essais, Genki Kawamura est aussi réalisateur de cinéma (notamment Confessions en 2010, Wolf Children en 2012 ou encore Parasite en 2014).

Véritable phénomène au Japon avec 1,3 millions d’exemplaires vendus, son livre Deux milliards de battements de cœur est en cours de traduction dans de nombreux pays. Publié sous ce premier titre en grand format en français, la version poche se rapproche plus du titre en version originale : Et si les chats disparaissaient du monde…

Extraits :

Le cours va bientôt commencer. Non, je dois me rendre quelque part avant. Mais où ?  Où devais-je aller, déjà ? Ah oui ! au supermarché…

Une fois allumé, le néon au-dessus de l’évier révéla un amoncellement de vaisselle sale. Une casserole laissée sur la gazinière, contenait des restes de choux chinois. Plutôt étonnant, sachant à quel point sa mère était à cheval sur la propreté. Elle n’était pas du genre à laisser traîner la vaisselle…

La vie de Yuriko tournait autour du piano. Une fois diplômée de l’université de musique, elle avait gagné sa vie en donnant de petits concerts ici ou là, dans les réceptions de grands hôtels, notamment.

Depuis quelques années toutefois, leurs conversations manquaient de souffle et il se contenter de l’écouter en hochant la tête de temps en temps. A partir de quand, parler avec sa mère était-il devenu aussi ennuyeux ?

Alzheimer… Ce mot ne lui évoquait pas du tout sa mère. C’était une maladie lointaine, qui sévissait dans les fables, pas dans la réalité, pas dans leur réalité.

« Autrefois, notre espèce ne pouvait espérer atteindre les cinquante ans. Cette limite dépassée, nous avons commencé à voir apparaître les cancers. Maintenant que nous réussissons à les combattre et à rallonger d’autant l’espérance de vie, c’est Alzheimer qui nous rattrape… à chaque victoire l’humanité doit se mesurer à une nouvelle menace… » discours de la neurologue à Izumi !!!!

Encore cinq mois et il serait père. La vie avait une façon bien à elle de vous pousser en avant sans aucun répit.

Il s’était alors rendu compte que sa mère lui faisait honte.

« Les patients ne pensent jamais simplement sortir faire un tour, lui avait expliqué la docteure. Ils ont un but précis et impérieux qui leur commande de sortir. Certains veulent retourner sur les lieux de leur enfance, d’autres croient devoir fuir. Ces actions vous semblent peut-être étranges, mais pour eux, elles ne le sont pas, vous devez bien garder cela en tête.

En effet, la spécificité des humains résidait peut-être dans leur imperfection. Le peintre qui a oublié la couleur rouge, l’écrivain qui a oublié le sentiment amoureux, ceux-là peuvent tout de même créer des œuvres grandioses.

Depuis quelque temps, Yuriko avait cessé d’appeler Izumi par son prénom. Elle semblait se souvenir qu’il était son fils, mais elle avait oublié es trois syllabes prononcées combien de milliers, combien de millions de fois, dans sa vie.

Il ne se sentait pas la moindre étincelle d’instinct paternel, encore moins maternel. Comment pouvait-on devenir père dans ces conditions ?

Après une heure de crémation il n’était plus resté de Yuriko qu’un tas de fragments d’os bien blancs et secs. Selon la tradition, Izumi avait récupéré les morceaux à l’aide de longues baguettes en bambou et les avait enfermés dans une urne. C’était tout ce qu’il restait de sa mère, et c’était tellement léger. Il avait pris conscience que les êtres n’étaient pas constitués de leur propre enveloppe charnelle.

Lu en septembre 2021

« Okuribi » de Hiroki Takahashi

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi sur les conseils de Frédéric :

Résumé de l’éditeur :

Par le lauréat du prestigieux prix Akutagawa, un roman impressionnant dans la lignée de Battle Royale. Entre lyrisme et violence, une œuvre glaçante et hypnotique sur la psyché adolescente, dans un Japon inattendu, loin des clichés.

Au début, Ayumu a cru à des jeux innocents. Des moqueries, des mises au défi, des vols de babioles dans les magasins. D’autant que, pour lui, l’étranger venu de la grande ville, c’était un bon moyen de s’intégrer parmi ses nouveaux camarades dans ce petit lycée de province.

Et puis Ayumu a commencé à remarquer. Les humiliations, les punitions, les coups, tous dirigés vers le doux Minoru. 

Alors Ayumu s’est interrogé : que faire ? Intervenir ? Fermer les yeux ? Risquer de se mettre les autres à dos ? Ne rien faire ? 

Et l’Okuribi est arrivé, la fête des Morts. Et tout a basculé…

Ce que j’en pense :

L’histoire s’ouvre sur un groupe étrange qui progresse dans la forêt, le jour où l’on déverse du feu dans la rivière comme un rituel pour invoquer les morts. Il s’agit d’un ouvrier, suivi par des collégiens, Ayumu fermant la marche, peu rassuré.

Puis retour en arrière, on apprend comment Amuyu est arrivé dans la région : il arrive de Tokyo car son père a été muté à Hirakawa, dans cette région un peu austère, ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il change d’école au gré des mutations paternelles.

Ils sont logés dans une maison, un peu à l’abandon et peu à peu s’y installent et leurs meubles qui paraissaient incongrus au début finissent par se fondre dans le décor. Pour se laver, par contre, il faudra aller aux bains municipaux.

Amuyu est présenté par le professeur principal aux autres élèves de la classe, qui comprend douze élèves, six garçons et six filles et Akira est chargé de lui faire visiter les lieux. Comme à chaque fois qu’il change d’école, Amuyu a du mal à s’adapter au départ car il est réservé voire timide, mais comment pourrait-il en être autrement vu qu’il change régulièrement d’établissement ?

Pourtant, tout commence plutôt bien, Akira désigné comme délégué de classe le désigne pour être vice-délégué, une première dans son existence. Le tandem se met en place, mais Amuyu se rend vite compte qu’Akira est étrange : deux ans auparavant, en proie à un accès brutal de violence, il a frappé Minoru, un autre élève avec une plaque d’égout, lui laissant une cicatrice à la tête il avait dû d’ailleurs s’excuser…

Néanmoins, Minoru semble toujours faire partie du groupe qui comprend également Fujima, Chikano et Uchida. Très vite, Amuyu se rend compte, que leurs relations sont bien plus complexes qu’il n’apparaît au prime abord. Akira a besoin de dominer et de créer des jeux étranges, combat de sumo, voler un couteau à cran d’arrêt…

Il se sert d’un jeu de cartes aux figures étranges pour désigner celui qui fera plouf, autrement dit qui perdra et deviendra le souffre-douleur. Étrangement, cela tombe toujours sur Minoru, et comme c’est Akira qui tire lui-même les cartes on comprend vite qu’il triche…

On assiste à une montée en puissance de la maltraitance au collège et cela dérive vers une violence de plus en plus forte qu’elle évolue de manière insidieuse. On passe des mots aux coups, on maltraite au passage une pauvre sauterelle qui n’avait rien demander en lui versant de l’acide sulfurique sur le corps et en faisant croire aussi à Minoru qu’on lui en verse sur la tête…. Pour atteindre l’apogée à la fête des morts, Okuribi, le 15 août, où tout va basculer, d’où le sous-titre du livre « Renvoyer les morts ».

Tout évolue crescendo dans ce roman : le riz qui pousse au fil des saisons : marécage, puis les feuilles qui apparaissent puis les grains… sur fond de végétation qui change, les relations entre les individus avec les disputes entre les parents d’Amuyu, l’atmosphère se tend, et Hiruki Takahashi sait très bien manier les mots pour faire monter la puissance, la violence…

Je me suis laissée happer par ce texte envoûtant, plein de poésie, écœurée par les actes des collégiens, par l’ignoble Akira et la relative apathie d’Amuyu, mais subjuguée, j’ai continué à lire alors que je déteste la violence, le harcèlement dans les romans…

Le Japon est un pays qui me fascine depuis longtemps, mais jusqu’à présent, mes lectures se limitaient à Haruki Murakami que j’adore, ou Yasunari Kawabata, ou quelques lectures de maîtres Zen ainsi que dans un autre genre, Jiro Taniguchi et ses « quartiers lointains » ou Fuyumi Soryo et sa série « Cesare » sans oublier Ito Ogawa et quelques autres quand même, ne soyons pas trop modeste !

Ce roman de Hiruki Takahashi est le premier à être traduit dans notre langue et il va rester un bon moment dans ma mémoire, il ne va pas être facile à oublier…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman intense et hors du commun et son auteur. J’adore la couverture de ce roman, et en général toutes les couvertures des éditions Belfond

Je remercie aussi Frédéric qui a si bien parlé de ce roman dans son blog « La culture dans tous ses états et m’a donné envie de le lire.

https://thedude524.com/2020/10/07/rentree-litteraire-2020-okuribi-renvoyer-les-morts-de-hiroki-takahashi-belfond/

#Okuribi #NetGalleyFrance

8/10

L’auteur :

Hiroki Takahashi est né en 1979 dans la province d’Aomori, décor de son roman. En parallèle de son activité de professeur, il est musicien dans un groupe de rock et, bien sûr, auteur. Il s’est fait connaître avec la trilogie « Yubi no hone », qui retrace le quotidien de soldats japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, qui lui ont valu deux prix littéraires et une reconnaissance critique immédiate.

Mais c’est « Okuribi »qui lui permet de décrocher le prix Akutagawa, un des plus prestigieux prix au Japon. C’est son premier roman à paraître en France.

Extraits :

Au-delà du parapet, les lanternes étaient suspendues de poteau en poteau le long de la rivière et, se remémorant la coutume dont lui avait parlé Akira, Ayumu s’arrêta. Quand Akira racontait qu’ils déversaient du feu dans la rivière, faisait-il allusion au tôrô nagashi, cette cérémonie où l’on met à l’eau des lanternes de papier en l’honneur des morts ?

Pressé par l’homme en tenue de travail, Amuyu traversa le pont. L’ouvrier avançait en tête, suivi par les trois camarades d’école, et Amuyu fermait la marche.

Cette fois le poste se trouvait bien plus au nord, à Hirakawa. Lorsqu’il avait entendu ce nom, Ayumu était demeuré perplexe.la géographie était son domaine et pourtant il n’en avait jamais entendu parler. Il s’agissait d’une nouvelle municipalité, issue de la fusion entre plusieurs villes et villages de la région de Tsugaru…

A la fin des cours, les garçons passaient de nouveau leur temps à jouer aux cartes. Ces cartes hanafuda au dos noir, avec leur boîte en bois de paulownia ornée d’un tengu (créature divine représentée avec un masque rouge au long nez et aux ailes de corbeau) et de chrysanthèmes, étaient apparemment un héritage que leur avaient laissé les anciens élèves.

Ayumu trouvait étrange qu’on ne puisse jamais tirer les cartes soi-même et qu’à chaque partie Akira soit le maître du jeu, mais on lui expliqua que le maître du jeu était lui-aussi désigné de génération en génération par les anciens élèves.

Akira tenait entre ses doigts un plant de riz blanc, comme recouvert de neige. Alors qu’Ayumu l’observait, intrigué, Akira lui dit : il s’est fait voler son âme par une sauterelle. A l’en croire, lorsqu’un plant de riz était vidé de ses éléments nutritifs par des insectes nuisibles, il n’arrivait plus à se développer et blanchissait.

Lu en décembre 2020

« Le restaurant de l’amour retrouvé » de Ito Ogawa

Je vous parle aujourd’hui d’un roman japonais dans le cadre du Blogoclub avec :

 

Le restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa

 

Quatrième de couverture

 

Une jeune femme de vingt-cinq ans perd la voix à la suite d’un chagrin d’amour, revient malgré elle chez sa mère, figure fantasque vivant avec un cochon apprivoisé, et découvre ses dons insoupçonnés dans l’art de rendre les gens heureux en cuisinant pour eux des plats médités et préparés comme une prière.

Rinco cueille des grenades, juchée sur un arbre, visite un champ de navets enfouis sous la neige, et invente pour ses convives des plats uniques qui se préparent et se dégustent dans la lenteur en réveillant leurs émotions enfouies.

Un livre lumineux sur le partage et le don, à savourer comme la cuisine de la jeune Rinco, dont l’épice secrète est l’amour.

 

Ce que j’en pense

 

Que peut-on ressentir en rentrant chez soi, après une dure journée de travail et en retrouvant l’appartement complètement vide ? C’est ce qui arrive à Rinco, jeune Japonaise, qui a travaillé dur pour économiser (l’argent étant bien sûr caché sous le matelas) : son petit ami indien avec qui elle projetait d’ouvrir un restaurant est parti en emmenant absolument tout : les ustensiles de cuisine qu’elle avait dû tant peiner pour acheter, les meubles, il n’a rien laissé, à part les yeux pour pleurer et la jarre de saumure de la grand-mère qui était à l’entrée…

Sous le choc, elle a perdu la voix et ne s’exprime plus que par l’écriture.

Rinco quitte la ville et retourne dans le village de son enfance dont elle est partie dix ans plus tôt sans se retourner et après un long périple elle n’est pas forcément bien accueillie par sa mère qui accepte de lui laisser la remise à condition qu’elle s’occupe d’Hermès, la truie, ce qui donne des descriptions savoureuses sur la relation qui s’installe entre elle et l’animal…

Peu à peu, le restaurant prend forme, Rinco le personnalise et l’appelle « L’escargot ». Elle décide de cuisiner et de confectionner les repas en fonction de ce que lui inspire le client, idée qui m’a bien plu…

Ito Ogawa aborde les relations mère-fille, l’amour impossible, l’incompréhension entre Rinco et sa mère dont les vies sont aux antipodes.

Elle nous entraîne, à travers les saveurs, les odeurs, les couleurs des aliments vers un retour aux vraies valeurs, c’est une longue méditation, l’esprit étant fixé sur ici et maintenant, sur l’acte en lui-même, laissant les pensées pour ce qu’elles sont.

C’est une jolie petite histoire, bien racontée, pleine d’émotion et de poésie qui fait beaucoup de bien au lecteur, même quand on n’est pas fine cuisinière comme moi.

Il s’agit d’une auteure que je voulais découvrir et c’est ce roman qui a été choisi dans le cadre de la lecture commune du Blogoclub;  même si ce n’est pas un coup de cœur, j’ai passé un bon moment et je ne regarderai plus la nourriture de la même manière.

 

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Extraits

 

Ma mère, en réaction avec sa propre mère trop sobre, avait pris son contre-pied en choisissant une existence mouvementée ; moi qu’elle avait élevée, je m’étais juré de ne pas lui ressembler et je menais une vie frugale, à son opposé. C’était comme un jeu de Reversi sans fin : la fille s’acharnait à badigeonner de noir les zones peintes en blanc par sa mère, que la petite-fille à son tour s’appliquait à repeindre en blanc.

 

J’approchais mon visage, mon nez des aliments, j’écoutais leur « voix ». Je les humais, les soupesais, leur demandais comment ils voulaient être cuisinés. Alors, ils m’apprenaient eux-mêmes la meilleure façon de les accommoder.

 

Les souvenirs avec mon amoureux, les uns après les autres, débordaient sous forme de larmes du coffre de ma mémoire. Quand j’avais quitté la ville pour revenir au village, j’étais encore sous le choc, et après, je m’étais immédiatement lancée dans les préparatifs d’ouverture du restaurant. Je m’étais soigneusement évité de penser à lui.

 

J’étais capable d’amour pour presque tous les humains et les êtres vivants. Il n’y avait qu’une seule personne que je n’arrivais pas à aimer sincèrement – ma mère. Mon antipathie pour elle était profonde et massive, presque autant que l’énergie qui me faisait aimer tout le reste. Voilà qui j’étais vraiment.

L’être humain ne peut avoir le cœur pur en permanence.

Chacun recèle en lui une eau boueuse, plus ou moins trouble selon les cas.

                                                     

Lu en février 2019

« Le fusil de chasse » de Yasushi Inoué

Retour à l’opération « libération PAL au bord de l’explosion » avec ce roman qui attendait patiemment depuis quelques années:

 

le fusil de chasse de Yasushi Inoué

 

Quatrième de couverture:

« Le fusil de chasse » raconte l’histoire d’une liaison entre un homme marié, Josuké, et une jeune femme divorcée, mère d’une grande fille. Trois lettres, trois récits à la première personne forment les trois faisceaux du drame. Il y a la lettre de la jeune fille qui expose à Josuké qu’elle a lu le journal de sa mère et qu’elle sait comment et pourquoi celle-ci est morte. Il y a la lettre de la femme légitime qui explique pourquoi elle ne le reverra plus. Il y a la lettre de la maîtresse écrite avant son suicide. Au centre, omniprésent, l’homme  solitaire avec son fusil de chasse. De lettre en lettre, se dévoilent au lecteur les différents aspects de cette tragédie.

En découvrant « le fusil de chasse », Jean d’Ormesson avait écrit: « c’est un chef-d’œuvre… Le tout est d’une sobriété et d’une force remarquables, sans aucun éclat de voix, d’une intensité glacée et brûlante à la fois ».

 

Ce que j’en pense:

Après avoir envoyé, après avoir beaucoup hésité, son cœur ne penchant pas du côté des chasseurs, un poème à une revue de chasse,  le narrateur a la surprise de recevoir la lettre de Josuké, qui s’est reconnu le portrait du chasseur évoqué dans le poème. Il va lui envoyer également trois lettres émanant de femmes qui ont compté dans sa vie dans des registres différents.

Yasushi Inoué nous raconte une histoire de secrets: l’amour secret qu’il éprouve pour Saïko qui vient de mourir et leur liaison dissimulée, du moins le croyaient-ils tous les deux. Hélas, la femme légitime les avait surpris, au début de leur mariage et a accumulé les rancœurs pour ne pas dire la haine, et les non-dits au fil des années.

On ne dira jamais assez à quel point les secrets pèsent sur les vies, avec la culpabilité de la maîtresse qui la ronge et l’empêche de vivre cet amour au jour le jour et les jalousies qui consument les deux femmes car, malgré ce contexte, les deux femmes et Josuké sont des amis proches!

L’auteur nous décrit très bien aussi la capacité de l’homme à s’aveugler, et ne pas voir ce qui se passe dans son couple ou dans sa liaison amoureuse: je vais bien, tout va bien, et on assiste à son désarroi…

« En vérité, toutes sortes de chagrins se précipitent sur moi de toutes parts, telles les vagues blanches d’écume, à Ashiya, les jours de grand vent, et ces chagrins me plongent dans la confusion. Il n’empêche, je veux continuer ». P 22

La lettre de Shoko, fille de Saïko, est très touchante car elle découvre le secret enlisant le journal intime de sa mère (il faut bien confier sa peine à quelqu’un pour vivre dans le mensonge!) donc les illusions s’envolent car elle aimait bien Josuké, qui a si bien su gérer les formalités lors de la mort de sa mère.

Cette mort sert de catalyseur, faisant exploser cette relation triangulaire toxique libérant Midori de ses scrupules à quitter son époux. Chacun sort transformé de cet évènement.

Au passage, Yasushi Inoué nous livre une très belle réflexion sur le thème: vaut-il mieux aimer ou être aimé?

J’ai adoré ce texte, très court, plein de poésie et tout en retenue; il n’y a pas de disputes, pas de clash, les ruptures se font en douceur, presque trop d’ailleurs et cela nous rappelle au passage la différence entre les cultures asiatiques et occidentales.

Un auteur dont je vais continuer à explorer l’œuvre. Je ne dirai jamais assez à quel point le Japon et sa culture me fascinent!

Extraits:

En plus des trente couleurs au moins que contient une boîte de peinture, il en existe une qui est propre à la tristesse et que l’oeil humain peut fort bien percevoir. P 23

Je croyais que l’amour gagnait peu à peu en puissance, tel un cours d’eau limpide qui scintille dans toute sa beauté sous les rayons du soleil, frémissant de mille rides soulevées par le vent et protégé par des rives couvertes d’herbe, d’arbres et de fleurs. Je croyais que c’était cela l’amour. Comment pouvais-je imaginer un amour que le soleil n’illumine pas et qui coule de nulle part à nulle part, profondément encaissé dans la terre, comme une rivière souterraine. P 24

Quand nous jetons un regard sur le passé, notre mariage, qui n’existe que de nom, semble avoir durer très longtemps, n’est-ce pas? Alors n’as-tu pas envie d’en finir une fois pour toutes? Certes, il est assez  triste d’en arriver là, mais, si tu n’y vois pas d’objection, prenons tous les deux les mesures propres à retrouver notre liberté. P 48

… Et, de fil en aiguille, nous avons atteint cet actuel degré de froideur, ce merveilleux esprit de famille si glacial que l’un et l’autre nous avions souvent l’impression que nos cils étaient raidis par le givre. P 58

Ainsi n’avons-nous jamais eu de scènes. La tranquillité de nos citadelles respectives n’a jamais été troublée. Seule l’atmosphère qui régnait chez nous était devenue étrangement orageuse, menaçante, irritante comme la chaleur dans le désert. P 59

Je reçois le châtiment mérité par une femme qui, incapable de se contenter d’aimer, a cherché à dérober le bonheur d’être aimée. P 89

Lu en septembre 2017

« Quartier lointain: T2 de Jirô Taniguchi

J’avais besoin de respirer après « le Chirurgien », alors petit détour par ce manga:

Quartier lointain T 2 de Jirô Tanguchi

 

Quatrième de couverture:

Ce soir-là… D’après les conclusions de l’enquête de police…

A 21 heures 30 passées, papa s’est dirigé vers la gare d’Agei.

Vers 22 heures, on sait qu’il a acheté au guichet un aller simple pour Tottori…

Ensuite, plus rien…

Mon père a disparu comme ça.

On n’a plus jamais eu aucune nouvelle de lui.

Ce que j’en pense:

On continue à suivre Hirochi Nakahara dans son retour dans l’adolescence, sa vie de famille, sa scolarité, ses amis, sa copine Tomoko… Pour notre plus grand plaisir.

Ce tome 2 est plus axé sur la famille car Hirochi cherche à comprendre  pourquoi son père a disparu brutalement ce fameux trente et un août laissant son entourage désemparé, plein d’interrogations, de questions qui resteront sans réponses. Ce n’est pas un simple retour dans le passé, car il analyse les situations avec son œil d’adulte.

Jirô Taniguchi s’intéresse davantage à la famille, la façon dont les parents de Hirochi se sont rencontrés, mariés, ont eu des enfants. L’adolescent cherche à comprendre, si ses parents s’aimaient, s’il y a une raison à ce départ et surtout: peut-on modifier le cours des choses, en recommençant l’histoire?

Mine de rien, l’auteur nous livre une très belle réflexion sur le temps qui passe, sur les moyens pour prendre nos vies en mains, sans subir, sur le libre choix et la force de l’habitude, sur la notion de fatalité.

Les dessins sont toujours aussi beaux, et poétiques, précis, comme par exemple le métier à tisser de la grand-mère, le détail des gares, les postures à table, le mouvement est bien capté également.

J’ai beaucoup aimé ce manga, et lui ai trouvé un seul petit défaut: il se lit comme une BD et non à l’envers, comme les  mangas traditionnels, mais je chipote …

Extraits:

Quartier lointain T 2 de Jirô Tanguchi. planche jpg

Quartier lointain T 2 de Jirô Tanguchi. planche 2

« Quartier lointain » de Jirô Taniguchi

Aujourd’hui, place à un manga avec:

quartier lointain T1de Jirô Taniguchi

 

Résumé de l’éditeur

Qui n’a jamais rêvé de retourner en enfance ? C’est exactement ce qui arrive à cet homme mûr, qui de retour d’un voyage d’affaires, fait un détour par sa ville natale, pour se recueillir sur la tombe de sa mère. Il est alors projeté dans le passé, où il revit une journée de son enfance, tout en gardant son caractère et son expérience d’adulte. Pour la première fois, il verra ses parents avec le regard de quelqu’un à même de comprendre.

Entre nostalgie, souvenirs et magie de la mémoire, les œuvres de Jiro Taniguchi sont toujours des invitations à la rêverie d’une grande sensibilité. Maître du manga, il en détourne les codes pour mieux se rappeler le monde de son enfance, qui constitue le cœur de son inspiration graphique. Un véritable chef d’œuvre.

Ce que j’en pense

Il y a longtemps que je désirais faire la connaissance de Jirô Taniguchi qui nous a quitté il y a quelques temps.

Qui n’a pas rêvé de faire un voyage dans le temps ? Quoi de mieux pour remonter le temps que se tromper de train et revenir dans la ville de son enfance ?

J’ai bien aimé la manière dont Taniguchi le fait : se retrouver dans le corps de l’enfant que le héros Hiroshi Nakahara, a été à quatorze ans, alors que dans sa tête il en a toujours quarante huit et retourner à l’école, apprendre les choses beaucoup plus facilement, voir ses camarades d’un autre œil, car il sait ce qu’ils vont devenir plus tard .

Même ses performances sportives sont meilleures qu’autrefois, car son corps est devenu tellement plus léger…

Hiroshi va pouvoir mieux analyser ses relations avec ses parents, comprendre pourquoi son père est parti un jour sans explications.

l’auteur évoque aussi un autre aspect de ce retour dans le temps : peut-on modifier le cours des choses, corriger ce qui a laissé des regrets ?

J’ai bien aimé l’histoire et les dessins de Jirô Taniguchi, donc je vais continuer à explorer son œuvre.

http://www.canalbd.net/canal-bd_catalogue_detail_Quartier-Lointain-T1–9782203372344

 

Extraits

quartier lointain Planche 1

Lu en juin 2017