Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai découvert sur NetGalley et dont le titre m’a immédiatement accrochée :

Résumé de l’éditeur :
J’ai trouvé mon salut dans la psychanalyse à un moment où tout le monde lui tournait le dos. Aller mieux, sortir de ma torpeur a occupé presque toute mon énergie d’adolescent.
Cette quête m’a mené à Jacques Lacan. Des années plus tard, j’ai voulu revenir au vieux maître, en enquêteur cette fois. Sur lui, n’avions-nous pas déjà tout entendu ? Mais qui sait que le plus célèbre psychanalyste français doit son premier succès à un ténébreux fait divers, sa rencontre impossible avec une femme meurtrière et érotomane ? Quand j’ai découvert le « cas Aimée » et ses déflagrations imprévues dans la vie de Lacan, j’ai eu envie de comprendre. G.D.
Dans ce roman tout en subtilités et jeux de miroirs, où l’analysant se transforme en détective, c’est à une poignante méditation sur le rôle du langage que nous invite Gaspard Dhellemmes.
Question éminemment lacanienne. Mais aussi éminemment littéraire.
Ce que j’en pense :
Au cours de son propre travail de psychanalyste, l’auteur découvre Jacques Lacan, qui a alors pignon sur rue, tout le monde voulant à tout prix participer à son show, ses rencontres entre élus, pétris d’admiration pour le grand maître.
Jeune étudiant, Lacan entend parler de Marguerite Anzieu a tenté d’assassiner une comédienne en vue, Huguette Duflos qu’elle accusait de lui piller ses idées, voire les quelques « romans » qu’elle avait tenté d’écrire. Elle travaille à la Poste, travail qui va bien avec son obsession du rangement, se considère comme une incomprise. Il décide d’aller la voir en prison pour entreprendre des soins avec elle, il ira la voir chaque jour dans sa cellule pendant un an et demi.
Celle qu’il va appeler le « cas Aimée » va devenir son sujet de thèse, et va lui permettre d’exposer ses théories, ce qui deviendra sa Méthode. Mais, Lacan n’est pas toujours dans l’éthique, il subtilise à Huguette son journal, ses manuscrits et ne les lui rendra jamais. Il qualifie de vice la lecture de romans ! Plus il se penche sur le cas Aimée, qui l’intéresse, plus l’auteur se rend compte que le génie a des failles.
La thèse paraît en 1932, sous le titre « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ».
On note au passage qu’il l’a envoyée à Freud, pensant être encensé par le célèbre psy, qui s’est contenté de le remercié pour l’envoi, alors que les surréalistes vont la porter aux nues ou presque.
L’auteur nous raconte ce qui l’a conduit à s’intéresser au « cas Aimée » et comment il a mené son enquête, en nous révélant sa démarche, sa vie personnelle, ses somatisations ou encore ses doutes:
« Elle voulait être écrivaine, était érotomane, mégalomane : elle préférait rêver sa vie plutôt que de la vivre, ça me parlait vraiment. »
Gaspard Dhellemmes nous propose, dans ce livre, un voyage en psychanalyse, revenant sur les principes exposés par Lacan : la parole vide, où l’analysant meuble la séance de banalités pour ne pas se confronter à ce qui se passe dans sa psyché, la parole pleine, celle qui est productive, le signifié, le signifiant, le stade du miroir et surtout l’importance des mots, allant jusqu’à l’absurde parfois pour les décortiquer.
Il revient au passage sur ses liens avec les Surréalistes qui le portent aux nues, notamment Dali, un autre génie, « grand paranoïaque autoproclamé » …
Un jour, Didier Anzieu, le fils de Marguerite-Aimée (le choix du prénom ne doit rien au hasard si on applique la manipulation des mots chère à Lacan) va surgir dans la vie du grand maître et se diriger à son tour vers la psychanalyse, ce qui va donner des interprétations intéressantes. On lui doit le concept du moi-peau qu’il développe dans un de ses livres. Sacrée revanche pour Marguerite d’ailleurs!
On rencontre au passage Gaëtan de Clérambault qui fut autrefois le maître de Lacan et à qui l’on doit des publications magnifiques sur les délires. Mais, Lacan l’éjectera très vite de son entourage, il y avait forcément un génie de trop. Tout comme il dénigrera Freud et Jung…
Gaspard Dhellemmes m’a donné envie de lire « Une saison chez Lacan » de Pierre Rey que j’avais noté sur mes tablettes et remis à plus tard, un plus tard lointain…
Ce livre est intéressant et relativement facile à lire, on pourrait dire qu’il désacralise Lacan, mais celui-ci s’était sabordé tout seul. Je n’ai jamais trop accroché au lacanisme, il se gargarisait trop de mots pour moi, jusqu’à le rendre incompréhensible, les lacaniens se comprennent qu’entre eux, c’est à ce côté amphigourique, qu’ils se reconnaissent. Vous l’aurez compris je préfère Freud et Jung. Pour le côté désacralisation je vous conseille la lecture du livre de François George : « L’effet Yau de poêle de Lacan et des lacaniens » dont je garde un souvenir ébloui du passage à une célèbre émission « Apostrophe » où il a déclenché l’hilarité de Bernard Pivot en lui disant : « Lacan aurait certainement affirmé que vous êtes la plaque tournante de l’émission. »
Ce livre est à mon avis très abordable à tous les lecteurs, il ne s’adresse pas uniquement aux initiés et j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire. J’aurais aimé lire, par curiosité, la thèse de Lacan mais a priori, elle n’a pas été rééditée.
Gaspard Dhellemmes explique que chaque époque a son gourou, et que le maître à penser actuel n’est autre, selon lui, que Christophe André dont on s’arracher les livres dès qu’ils sortent. L’heure n’est plus à la psychanalyse mais au comportementalisme : on veut tout faire vite, donc des années sur un divan, les jeunes générations n’ont plus le temps.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Fayard qui m’ont permis de découvrir ce livre et son auteur. Ce fut une lecture assez jouissive, car l’écriture est belle, le propos léger mais bien développé, et on ne s’ennuie pas une seconde.
#LadisparuedeLacan #NetGalleyFrance
9/10

Aparté :
Je vous livre ici mes propres cogitations : Lacan a toujours été un mystère pour moi. J’ai rencontré quelques lacaniens et je n’ai jamais rien compris ou presque dans le langage, leur manière de jouer avec les mots. Il y a des concepts intéressants mais…
Pendant mes études, j’ai suivi un séminaire (on appelait cela des « unités de valeurs », il fallait en valider un certain nombre dans toutes les sphères de la psychiatrie pour valider le CES devenu plus tard le DES pour sombrer dans les oubliettes ou presque avec les différentes réformes des études médicales), séminaire donc animé par un lacanien, on prenait des notes et on traduisait à tête reposée.
Un jour il a tenté de nous affirmer (comme son gourou) et le plus sérieusement du monde, que « La femme n’existe pas ». Je vous laisse imaginer les réactions…
Son ego n’a pas supporté et Narcisse a décidé qu’il n’enseignerait plus, fidélité à son maître oblige.
L’auteur :
Gaspard Dhellemmes, 26 ans, est journaliste pour le site du Journal du dimanche depuis 2012. Il a publié en septembre 2013, avec Olivier Faye, « NKM, la femme du premier rang », biographie de Nathalie Kosciusko-Morizet.
Extraits :
Le potentiel névrotique d’un individu est souvent atteint entre vingt et vingt-cinq ans, âge décisif des débuts dans la vie. Tout cela est, décidément, très mal organisé. L’été de mes vingt-quatre ans, je travaillais comme reporter à la Provence. Le journalisme est un métier d’incarnation, de culot, de débrouille. Moi, j’apparaissais comme un être approximatif et gauche. L’image de mon corps flottait toujours en dehors de moi, que je la rejette ou que j’échoue à en saisir les contours.
Lacan, dans un de ses séminaires, fait la distinction entre la « parole vide », artificielle, celle où se déploient les illusions du moi, qui fait obstacle à la cure, et la « parole pleine », dans laquelle un sujet s’engage véritablement.
Pour bien saisir l’histoire du « cas Aimée » et ses déflagrations très imprévues dans la vie de Lacan, il faut remonter au 4 novembre 1926. L’étudiant dirige sa première présentation de malade. A la société neurologique de Paris, une douzaine de blouses blanches sont assises en demi-cercle. On ne lui passera aucune erreur. Dans sa promotion de médecine Jacques est surnommé « le styliste ».
Première leçon : un malade ne doit pas être écouté mais manœuvré. Quand ils se produisent en public, ils sont intimidés. C’est mauvais pour les statistiques, ça nuit à la qualité du spectacle.
Adolescent, je ne rêvais donc que de malheur banal et de divan. Les choses n’étaient, en réalité, pas si terribles. J’étais né dans un milieu privilégié, des parents aimants, deux petites sœurs lumineuses. Mais je ne voyais alors qu’une forme d’injustice : les inégalités psychiques. Celles qui existent entre les forts et les faibles…
Avec la psychanalyse, Lacan se comporte en amoureux transi. Il tourne autour, cette nouvelle méthode l’attire. Lui qui n’est pourtant pas vraiment un modeste est intimidé, ne sait comment s’y prendre.
Ce jour de1932, il tombe sur un article de la revue Minotaure consacré aux « mécanismes de l’activité paranoïaque », il est signé d’un jeune artiste de Figueras, récemment installé à Paris : Salvador Dali. Dali y développe une idée étonnante : loin d’être une nébuleuse stérile, le délire paranoïaque serait un mode de connaissance de la réalité comme un autre, plus structuré et créatif qu’on ne le pense. Des images s’y organisent autour d’une idée obsédante qui donne à voir une autre réalité.
J’attendais la bonne histoire, celle qui raconterait la puissance subversive de la psychanalyse, les impasses de la médecine, capable de sauver des vies, mais pas des existences.
Je me suis replongé dans l’histoire du lacanisme comme on feuillette un album de famille. La première fois que je suis tombé sur « le cas Aimée », je me suis dit, fabuleuse histoire. Le moindre analysant qui a posé un demi-fessier sur le divan de Jacques Lacan en a fait le récit…
La thèse de Lacan est bourrée d’incohérences, de bizarreries. Certains aspects sont montés en épingle, tandis que d’autres, décisifs, sont minorés, voire passés sous silence.
Pour lui, Marguerite a toujours été un objet d’étude avant d’être une patiente. Il ne s’est pas contenté de s’approprier son histoire. Il lui a aussi confisqué tous ses manuscrits et refusera toujours de les lui rendre.
Des personnalités comme Camille Claudel, Vincent Van Gogh, Louis Althusser, Dali, ont été comme eux des « enfants de remplacement » comme on les appelle parfois. Cette question est effleurée dans la thèse de Lacan.
Chez Lacan, liquider le transfert se paie en liquide…
… Lacan, lui, ne supporte pas plus d’être quitté que d’être désavoué…