« La disparue de Lacan » de Gaspard Dhellemmes

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai découvert sur NetGalley et dont le titre m’a immédiatement accrochée :

Résumé de l’éditeur :

J’ai trouvé mon salut dans la psychanalyse à un moment où tout le monde lui tournait le dos. Aller mieux, sortir de ma torpeur a occupé presque toute mon énergie d’adolescent.
Cette quête m’a mené à Jacques Lacan. Des années plus tard, j’ai voulu revenir au vieux maître, en enquêteur cette fois. Sur lui, n’avions-nous pas déjà tout entendu ? Mais qui sait que le plus célèbre psychanalyste français doit son premier succès à un ténébreux fait divers, sa rencontre impossible avec une femme meurtrière et érotomane ? Quand j’ai découvert le « cas Aimée » et ses déflagrations imprévues dans la vie de Lacan, j’ai eu envie de comprendre. G.D.

 
Dans ce roman tout en subtilités et jeux de miroirs, où l’analysant se transforme en détective, c’est à une poignante méditation sur le rôle du langage que nous invite Gaspard Dhellemmes.
Question éminemment lacanienne. Mais aussi éminemment littéraire.

Ce que j’en pense :

Au cours de son propre travail de psychanalyste, l’auteur découvre Jacques Lacan, qui a alors pignon sur rue, tout le monde voulant à tout prix participer à son show, ses rencontres entre élus, pétris d’admiration pour le grand maître.

Jeune étudiant, Lacan entend parler de Marguerite Anzieu a tenté d’assassiner une comédienne en vue, Huguette Duflos qu’elle accusait de lui piller ses idées, voire les quelques « romans » qu’elle avait tenté d’écrire. Elle travaille à la Poste, travail qui va bien avec son obsession du rangement, se considère comme une incomprise. Il décide d’aller la voir en prison pour entreprendre des soins avec elle, il ira la voir chaque jour dans sa cellule pendant un an et demi.

Celle qu’il va appeler le « cas Aimée » va devenir son sujet de thèse, et va lui permettre d’exposer ses théories, ce qui deviendra sa Méthode. Mais, Lacan n’est pas toujours dans l’éthique, il subtilise à Huguette son journal, ses manuscrits et ne les lui rendra jamais. Il qualifie de vice la lecture de romans ! Plus il se penche sur le cas Aimée, qui l’intéresse, plus l’auteur se rend compte que le génie a des failles.

La thèse paraît en 1932, sous le titre « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ».

On note au passage qu’il l’a envoyée à Freud, pensant être encensé par le célèbre psy, qui s’est contenté de le remercié pour l’envoi, alors que les surréalistes vont la porter aux nues ou presque.

L’auteur nous raconte ce qui l’a conduit à s’intéresser au « cas Aimée » et comment il a mené son enquête, en nous révélant sa démarche, sa vie personnelle, ses somatisations ou encore ses doutes:

« Elle voulait être écrivaine, était érotomane, mégalomane : elle préférait rêver sa vie plutôt que de la vivre, ça me parlait vraiment. »

Gaspard Dhellemmes nous propose, dans ce livre, un voyage en psychanalyse, revenant sur les principes exposés par Lacan : la parole vide, où l’analysant meuble la séance de banalités pour ne pas se confronter à ce qui se passe dans sa psyché, la parole pleine, celle qui est productive, le signifié, le signifiant, le stade du miroir et surtout l’importance des mots, allant jusqu’à l’absurde parfois pour les décortiquer.

Il revient au passage sur ses liens avec les Surréalistes qui le portent aux nues, notamment Dali, un autre génie, « grand paranoïaque autoproclamé »

Un jour, Didier Anzieu, le fils de Marguerite-Aimée (le choix du prénom ne doit rien au hasard si on applique la manipulation des mots chère à Lacan) va surgir dans la vie du grand maître et se diriger à son tour vers la psychanalyse, ce qui va donner des interprétations intéressantes. On lui doit le concept du moi-peau qu’il développe dans un de ses livres. Sacrée revanche pour Marguerite d’ailleurs!

On rencontre au passage Gaëtan de Clérambault qui fut autrefois le maître de Lacan et à qui l’on doit des publications magnifiques sur les délires. Mais, Lacan l’éjectera très vite de son entourage, il y avait forcément un génie de trop. Tout comme il dénigrera Freud et Jung…

Gaspard Dhellemmes m’a donné envie de lire « Une saison chez Lacan » de Pierre Rey que j’avais noté sur mes tablettes et remis à plus tard, un plus tard lointain…

Ce livre est intéressant et relativement facile à lire, on pourrait dire qu’il désacralise Lacan, mais celui-ci s’était sabordé tout seul. Je n’ai jamais trop accroché au lacanisme, il se gargarisait trop de mots pour moi, jusqu’à le rendre incompréhensible, les lacaniens se comprennent qu’entre eux, c’est à ce côté amphigourique, qu’ils se reconnaissent. Vous l’aurez compris je préfère Freud et Jung. Pour le côté désacralisation je vous conseille la lecture du livre de François George : « L’effet Yau de poêle de Lacan et des lacaniens » dont je garde un souvenir ébloui du passage à une célèbre émission « Apostrophe » où il a déclenché l’hilarité de Bernard Pivot en lui disant : « Lacan aurait certainement affirmé que vous êtes la plaque tournante de l’émission. »

Ce livre est à mon avis très abordable à tous les lecteurs, il ne s’adresse pas uniquement aux initiés et j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire. J’aurais aimé lire, par curiosité, la thèse de Lacan mais a priori, elle n’a pas été rééditée.

Gaspard Dhellemmes explique que chaque époque a son gourou, et que le maître à penser actuel n’est autre, selon lui, que Christophe André dont on s’arracher les livres dès qu’ils sortent. L’heure n’est plus à la psychanalyse mais au comportementalisme : on veut tout faire vite, donc des années sur un divan, les jeunes générations n’ont plus le temps.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Fayard qui m’ont permis de découvrir ce livre et son auteur. Ce fut une lecture assez jouissive, car l’écriture est belle, le propos léger mais bien développé, et on ne s’ennuie pas une seconde.

#LadisparuedeLacan #NetGalleyFrance

9/10

Aparté :

Je vous livre ici mes propres cogitations : Lacan a toujours été un mystère pour moi. J’ai rencontré quelques lacaniens et je n’ai jamais rien compris ou presque dans le langage, leur manière de jouer avec les mots. Il y a des concepts intéressants mais…

Pendant mes études, j’ai suivi un séminaire (on appelait cela des « unités de valeurs », il fallait en valider un certain nombre dans toutes les sphères de la psychiatrie pour valider le CES devenu plus tard le DES pour sombrer dans les oubliettes ou presque avec les différentes réformes des études médicales), séminaire donc animé par un lacanien, on prenait des notes et on traduisait à tête reposée.

Un jour il a tenté de nous affirmer (comme son gourou) et le plus sérieusement du monde, que « La femme n’existe pas ». Je vous laisse imaginer les réactions…

Son ego n’a pas supporté et Narcisse a décidé qu’il n’enseignerait plus, fidélité à son maître oblige.

L’auteur :

Gaspard Dhellemmes, 26 ans, est journaliste pour le site du Journal du dimanche depuis 2012. Il a publié en septembre 2013, avec Olivier Faye, « NKM, la femme du premier rang », biographie de Nathalie Kosciusko-Morizet.

Extraits :

Le potentiel névrotique d’un individu est souvent atteint entre vingt et vingt-cinq ans, âge décisif des débuts dans la vie. Tout cela est, décidément, très mal organisé. L’été de mes vingt-quatre ans, je travaillais comme reporter à la Provence. Le journalisme est un métier d’incarnation, de culot, de débrouille. Moi, j’apparaissais comme un être approximatif et gauche. L’image de mon corps flottait toujours en dehors de moi, que je la rejette ou que j’échoue à en saisir les contours.

Lacan, dans un de ses séminaires, fait la distinction entre la « parole vide », artificielle, celle où se déploient les illusions du moi, qui fait obstacle à la cure, et la « parole pleine », dans laquelle un sujet s’engage véritablement.

Pour bien saisir l’histoire du « cas Aimée » et ses déflagrations très imprévues dans la vie de Lacan, il faut remonter au 4 novembre 1926. L’étudiant dirige sa première présentation de malade. A la société neurologique de Paris, une douzaine de blouses blanches sont assises en demi-cercle. On ne lui passera aucune erreur. Dans sa promotion de médecine Jacques est surnommé « le styliste ».

Première leçon : un malade ne doit pas être écouté mais manœuvré. Quand ils se produisent en public, ils sont intimidés. C’est mauvais pour les statistiques, ça nuit à la qualité du spectacle.

Adolescent, je ne rêvais donc que de malheur banal et de divan. Les choses n’étaient, en réalité, pas si terribles. J’étais né dans un milieu privilégié, des parents aimants, deux petites sœurs lumineuses. Mais je ne voyais alors qu’une forme d’injustice : les inégalités psychiques. Celles qui existent entre les forts et les faibles…

Avec la psychanalyse, Lacan se comporte en amoureux transi. Il tourne autour, cette nouvelle méthode l’attire. Lui qui n’est pourtant pas vraiment un modeste est intimidé, ne sait comment s’y prendre. 

Ce jour de1932, il tombe sur un article de la revue Minotaure consacré aux « mécanismes de l’activité paranoïaque », il est signé d’un jeune artiste de Figueras, récemment installé à Paris : Salvador Dali. Dali y développe une idée étonnante : loin d’être une nébuleuse stérile, le délire paranoïaque serait un mode de connaissance de la réalité comme un autre, plus structuré et créatif qu’on ne le pense. Des images s’y organisent autour d’une idée obsédante qui donne à voir une autre réalité.

J’attendais la bonne histoire, celle qui raconterait la puissance subversive de la psychanalyse, les impasses de la médecine, capable de sauver des vies, mais pas des existences.

Je me suis replongé dans l’histoire du lacanisme comme on feuillette un album de famille. La première fois que je suis tombé sur « le cas Aimée », je me suis dit, fabuleuse histoire. Le moindre analysant qui a posé un demi-fessier sur le divan de Jacques Lacan en a fait le récit…

La thèse de Lacan est bourrée d’incohérences, de bizarreries. Certains aspects sont montés en épingle, tandis que d’autres, décisifs, sont minorés, voire passés sous silence.

Pour lui, Marguerite a toujours été un objet d’étude avant d’être une patiente. Il ne s’est pas contenté de s’approprier son histoire. Il lui a aussi confisqué tous ses manuscrits et refusera toujours de les lui rendre.

Des personnalités comme Camille Claudel, Vincent Van Gogh, Louis Althusser, Dali, ont été comme eux des « enfants de remplacement » comme on les appelle parfois. Cette question est effleurée dans la thèse de Lacan.

Chez Lacan, liquider le transfert se paie en liquide…

Lacan, lui, ne supporte pas plus d’être quitté que d’être désavoué…

Lu en juillet 2021

« Fight » de Hazel Gale

Je vous parle aujourd’hui d’un livre découvert grâce à NetGalley et dont la chronique m’a posée pas mal de problèmes :

Résumé de l’éditeur :

Phobies, addictions, procrastination, sentiment de ne pas être à la hauteur, dépendance au regard des autres… Nombreux sont les obstacles qui nous aliènent, nous empêchent d’être vraiment nous-mêmes et, trop souvent, nous poussent à l’autosabotage.

C’est pour venir à bout d’une fatigue chronique et de ses propres blocages que la boxeuse anglaise Hazel Gale s’est tournée vers l’hypnothérapie cognitive, une thérapie en forme d’autoanalyse inspirée des neurosciences et de la psychologie positive. Elle en a tiré une méthode ultra-efficace et originale, mêlant anecdotes personnelles, théorie et exercices pratiques. Une belle leçon d’empowerment pour sortir vainqueurs de nos luttes, quelles qu’elles soient.

Étonnant, stimulant, un livre pour gagner le combat et partir à la conquête de soi !

Ce que j’en pense :

J’ai choisi ce livre pour son titre et pour son thème : ce que l’auteure appelle l’auto-sabotage. Lequel d’entre nous n’a-t-il jamais eu l’impression de ne pas être à la hauteur au moins une fois dans sa vie, ou n’a pas reporté à plus tard une décision importante…

Je me suis vite rendue compte que j’avais envie d’entrer profondément dans ce livre, de faire les tests, d’analyser certains de mes comportements. Pour cela, il fallait constamment revenir sur les pages antérieures, et ces aller-et-retour permanents m’ont poussée à me procurer la version papier, car sur e-book, c’était trop compliqué ! entre un tableau partagé en deux ou le fait de ne pas pouvoir remplir un questionnaire…

Ce livre est entre mes mains depuis… avril 2019 date du téléchargement ! Certes, j’aurais pu me contenter de le survoler mais je tenais absolument à faire une étude approfondie et le piège s’est refermé sur moi : il est devenu un outil de travail personnel tant il est bien construit, et donc un compagnon de vie, car côté autosabotage, j’ai longtemps été au top, la peur de réussir, étrangement pas dans tous les domaines.

Dans mon métier, pas de souci, le perfectionnisme est plutôt une qualité qu’un défaut, mais côté loisirs ou plaisirs, c’était autre chose. En fait, tout ce qui a été acquis à l’âge adulte (en gros fin des années lycée et surtout fac pas de problème !) mais lorsqu’on a été biberonnée avec « travaille, réussis tes examens, tu t’amuseras plus tard… »

Ce livre est génial, l’auteure propose d’abord d’identifier le problème, de comprendre comme ce fonctionnement s’est mis en place, puis des exercices pour prendre en mains le problème, après l’avoir repéré, afin de pouvoir approfondir et affronter les choses. J’ai bien aimé la suggestion de faire « un audit intégral de nos besoins », car à quoi doit-on réfléchir, ce qu’on ressent, ce qu’on veut, ce que les autres attendent de nous et ce qu’on pense qu’ils attendent de nous.

Je vais m’arrêter là car, ne voulant pas rester en surface, j’ai tellement approfondi que cela devient trop personnel pour rédiger une chronique, c’est précisément cela le piège.

J’ai bien aimé la description des scenarii (cf. les extraits choisis) car j’ai été atteinte de ce que j’appelais autrefois le « Syndrome de Mère Térésa », prendre soin des autres ne jamais dire non… mais un jour, je me suis dit que n’ayant pas sa force, ce serait impossible alors j’ai décidé d’employer la formule « Syndrome du Saint-Bernard » sauveur certes mais le tonneau met la barre moins haut…et j’ai collé deux superbes photos de ces adorables toutous sur le mur en face de mon bureau, tel un rappel à l’ordre : NON ! et croyez-moi ou pas cela fut efficace et j’ai reçu en cadeau une adorable peluche de bébé Saint-Bernard !

Je vous conseille, entre autres, le chapitre sur la victimisation ou celui consacré au récit : comment raconter l’histoire autrement avec des métaphores pour modifier sans pour cela trop enjoliver. Hazel Gale a un style très fluide, maîtrise bien son sujet, et toutes les techniques qu’elle propose sont bien explorées expliquées, donc on peut passer aux travaux pratiques sans problèmes. Elle n’hésite pas à raconter sa propre expérience et on l’impression qu’elle s’adresse personnellement au lecteur.

Ce livre n’est jamais très loin, car on ne change pas certains comportements si rapidement, et COVID et confinements ont eu une influence néfaste sur ma motivation (comme pour la lecture en général et la rédaction de mes chroniques, ou la marche quotidienne, je l’avoue) mais, cela semble repartir alors au boulot ! Ne procrastinons plus ! la procrastination étant le corollaire du perfectionnisme…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce livre qui beaucoup plus qu’un simple feel-good et son auteure et je les remercie pour leur patience.

Ultime conseil: choisir la version papier sinon l’utilisation sera difficile, sauf si l’on veut se contenter de survoler…

#Fight #NetGalleyFrance

9/10

L’auteure :

Hazel Gale a découvert l’hypnothérapie cognitive en 2009. Championne du monde de kick-boxing, c’est une femme stressée et soumise à la fatigue chronique propre aux sportifs de haut niveau. L’hypnothérapie lui permettra de surmonter sa dépression et de gagner de nouveaux titres de championne. Elle est devenue thérapeute à son tour afin d’aider les autres dans leur propre combat. Elle vit en Angleterre.

Extraits :

Les valeurs associées au scenario « Sois parfait » sont l’accomplissement le succès, la victoire, la droiture, le goût du travail bien fait et l’autonomie.

La plupart d’entre nous s’accorderont pour dire que la perfection n’existe pas (en tout cas, une fois qu’on n’est plus à l’école, où 100% des buts sont atteignables, comme dans une dictée ou un devoir de mathématiques. Une personne qui fonctionne avec un scenario « Sois parfait » aura toujours ne lui la croyance inconsciente que la perfection existe et il fera tout son possible pour l’atteindre.

Le scenario « Fais plaisir aux autres » sont l’attention, la gentillesse et la disponibilité. Quelqu’un doté de ce scénario aura souvent eu le rôle de juge de paix dans sa famille pendant l’enfance.

Lorsque ce scenario est enclenché, nous allons automatiquement faire passer nos besoins derrière ceux des autres. Parfois, nous allons trouver que nous assumons trop de choses en période de stress car nous ne savons pas dire non.

Je n’étais pas la seule dans cette situation. La mentalité de la victime est courante, et ce ne sont pas uniquement les gens faibles, malades ou angoissés qui tombent dans ce piège. Les gens n’aiment pas qu’on les considère comme des victimes car il trouve ce trait de caractère très agaçant chez les autres. Mais, ils ont beau détester cette idée, ils sont nombreux à avoir cette mentalité de victimes…

J’utilise souvent des métaphores avec les personnes que j’entraîne à boxer. Il n’y a peut-être pas de meilleure situation qu’une séance d’entraînement épuisante pour démontrer combien les gens réagissent plus simplement aux images qu’ils ne le font aux argumentations logiques et techniques.

Quel que soit le problème à surmonter en travaillant avec les fils conducteurs de la mémoire, se concentrer sur les liens que les êtres humains établissent entre eux peut souvent s’avérer thérapeutique. En insérant quelqu’un ou quelque chose qui compte pour nous, une « figure importante » dans notre mémoire, nous pouvons utiliser le sentiment de connexion qui en découle pour combler les besoins qui ne l’avaient pas été lorsque l’évènement originel s’était produit. Il existe une étape spécifique au cours du processus qui vous permettra de vous focaliser sur la construction et l’ancrage d’un lien entre vous-même et autrui.

Lu et travaillé entre avril 2019 et janvier 2021

« Le travail qui guérit » de Jean-Michel Oughourlian

Je vous parle aujourd’hui d’un livre passionnant dont la lecture m’a pris du temps et la rédaction de la critique encore plus avec :

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Elles sont six, réparties entre Nantes, Le Mans, Tours et Cholet. Six usines où sont fabriqués les systèmes de câblages électriques équipant des voitures haut de gamme. Leur particularité ? Tous les opérateurs (700 sur un effectif de 830 personnes) sont des handicapés mentaux : porteurs de trisomie 21, souffrant d’autisme, de schizophrénie, de retards cognitifs importants… Pourtant, ils travaillent tous. Ils ont un salaire, des contraintes ; en somme une vie professionnelle « normale », et un objectif : la réinsertion en milieu « classique » (usine, entrepôt, commerce…).

Le psychiatre Jean-Michel Oughourlian s’est immergé dans ces extraordinaires « usines apprenantes » de la Fondation AMIPI-Bernard Vendre. Son constat ? « L’usine réussit là où la psychiatrie a échoué. À l’hôpital, beaucoup parmi ces opérateurs seraient des légumes. Là, ils progressent. » Qu’est-ce que l’intelligence ? Comment le travail manuel peut-il agir sur les neurones et les synapses du cerveau ? Quel rôle tient le mimétisme dans la « normalisation » de ceux que l’on appelle handicapés ? S’appuyant sur des études neurologiques, ce livre est d’abord un récit.

L’histoire de celles et ceux qui, comme Bernard Vendre, eurent un jour droit à ce verdict terrible : « Débile il est, débile il restera. » Mais « débiles », ils ne le sont pas…

 

 

Ce que j’en pense

 

Quand j’ai vu ce livre sur NetGalley, je me suis dit qu’il était pour moi, car le sujet m’intéresse depuis longtemps (tout comme celui de l’arriération mentale sur lequel j’ai planché autrefois).

L’auteur nous démontre, dans ce livre, l’importance du travail dans l’insertion des personnes atteintes de handicaps physiques et surtout mentaux, par différentes approches. En effet, que peut-on faire d’eux une fois qu’ils ont dépassé l’âge d’être en IMP. Il développe la notion de mimétisme, qui permet à chaque individu de construire son moi.

Il cite au passage les grands Maîtres, Lacan, Henri Ey, et celui qui l’a vraiment inspiré : René Girard qui disait notamment :

« Il postulait que tout désir humain est mimétique, suggéré par le désir de l’autre. Ici se situait, pour lui, le ressort de la violence, engendrée par la convoitise d’un même objet. »

Il nous parle également des neurones miroirs qui s’activent lors de la compréhension de l’action qui se déroule devant nous.

Une fois établi le processus, il faut passer de l’hôpital psychiatrique à ce que l’auteur appelle « l’usine apprenante », car il faut sortir l’individu de son isolement, sinon il y perdra sa vie. Pour cela, il préconise la démarche initiatique, en gros, la transmission du maître au disciple, à l’instar des compagnons. « On apprend en travaillant et on travaille en apprenant ». C’est ce qui est utilisé dans le cadre des AMIPI (Association d’aide matérielle et intellectuelle aux personnes inadaptées).

Les personnes ainsi réinsérées, dans les usines apprenantes, montrent qu’ils sont capables d’exécuter des tâches parfois compliquées, dans l’électronique, par exemple car ils sont motivés par le désir de bien faire, parfois par leur côté perfectionniste, et peuvent, si on leur fait confiance, diriger des équipes car la hiérarchie est importante.

Mais dans notre XXIe siècle, ce discours heurte certains car on pense hélas plus aux loisirs, au temps libre qu’au travail, en oubliant un peu vite que le chômage implique une perte de m’estime de soi.

En se basant sur les enfants enfermés dans les orphelinats en Roumanie, à l’époque de Ceausescu, l’auteur a montré que ces enfants avaient des cerveaux atrophiés à l’IRM mais qu’il y avait une capacité de résilience des neurones, si on entrait en relation avec eux. Il faut donc de l’humain, « Mais il est vrai que, dans notre société, l’humain tend à disparaître. »

L’auteur insiste également sur une dérive possible du mimétisme : la rivalité qui peut survenir entre les personnes de l’équipe, les jalousies possibles, certains pouvant tout faire pour interdire à l’autre de progresser, car il risquerait de la dépasser.

Il développe d’autres notions : le goût de l’effort, l’inter individualité, la normalisation par le travail, mais aussi le risque encouru par l’être humain s’il cesse de fabriquer, construire, travailler, ce qu’il exprime par cette phrase : « S’il ne fabrique plus, l’être humain cessera de se fabriquer. S’il cesse de tailler des pierres, sa propre pierre intérieure restera en jachère. »  ou encore : «  Travailler permet d’être quelque chose au lieu de n’être rien ».

Jean-Michel Oughourlian nous propose dans ce livre le travail considérable qu’il a fait pour permettre à ces personnes de vivre une vie la plus normale possible, en mettant en avant leurs possibilités, leurs richesses, ce qu’ils peuvent apporter à notre société. Combat d’une vie, davantage que travail, d’ailleurs.

Je précise qu’il est l’auteur, d’un autre ouvrage, plus connu du public : « Le troisième cerveau ».

Je suis admirative et de ce fait, j’ai eu énormément de mal à rédiger cette critique qui m’a pris presque deux mois et risque de s’avérer dithyrambique et difficile à lire pour ceux qui vont la lire. J’ai abordé les thèmes qui m’ont le plus intéressée, car chaque chapitre est en lui-même une mine d’informations et de réflexions.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Plon qui m’ont permis de le découvrir.

#LeTravailQuiGuérit #NetGalleyFrance

 

 

Le travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société

http://www.fondation-amipi-bernard-vendre.org/actualite/243-le-travail-qui-guerit-lancement-en-octobre-du-livre-du-professeur-oughourlian-sur-son-experience-au-sein-des-usines-apprenantes-et-inclusives-de-lamipi.html

 

L’auteur

 

Jean-Michel Oughourlian, neuropsychiatre, ancien professeur de psychologie à la Sorbonne, est spécialisé dans la psychologie mimétique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont  « Le Troisième Cerveau » et « Cet autre qui m’obsède«  chez Albin Michel.

 

Extraits

 

 

Je ne suis pas moi sans l’autre. Je ne suis pas, ce soir exactement le même que celui que j’étais ce matin.

Mon moi a été remodelé par les mécanismes du mimétisme, et il le sera en permanence, tout au long de notre existence, sous l’influence des modèles que nous adoptons.

 

Face à mon modèle, mes trois cerveaux sont en interactivité : le premier retient certes les informations, mais il a besoin du second pour apporter l’émotion indispensable (j’apprends d’autant mieux que je suis heureux d’apprendre). Dans mon troisième cerveau, les neurones miroirs sont stimulés : je suis prêt à imiter mon modèle et lui-même est satisfait de me voir l’imiter et apprendre.

 

Plus de cinquante ans d’activité en hôpital psychiatrique m’ont amené à établir une définition fondamentale de la personne handicapée : c’est quelqu’un qui ne peut pas être seul. Ni pour se déplacer, ni pour manger, ni pour travailler, ni pour vivre.

 

Je suis resté, depuis mes études, un adepte de la démarche initiatique. Celle qui se fonde sur la transmission entre le maître et l’élève.

 

L’isolement qui conduit à l’enfermement dans ses névroses, dans ses psychoses. Qui détruit et empêche de vivre dignement…

 

Surprotéger n’a jamais permis de faire progresser.

 

Travailler vous tient, vous retient, vous soutient, vous maintient. Travailler rend humain.

 

L’intelligence de l’usine apprenante est d’assumer pleinement le modèle médiéval du compagnonnage.

 

La hiérarchie est le garde-fou de la rivalité. Elle est un traitement contre elle… Quand la hiérarchie disparaît, la violence prend place.

 

C’est la perversion du mimétisme : l’élève qui veut prendre la place du modèle et l’érige en rival, voire en obstacle.

 

Le travail ne permet pas seulement de subvenir à ses besoins, il permet surtout de se construire. Il est tout simplement un tremplin pour être.

 

Demain, si nous n’y prenons pas garde, les GAFAM, les géants américains du numérique (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et les BATX leurs pendants chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) remplaceront l’Homo Faber, l’homme qui fabrique. Celui qui a émergé de la préhistoire en inventant le feu, puis les outils, celui qui a perfectionné ces outils pour créer les civilisations, celui qui, en fabriquant, a signé son humanité et l’a parfaite – donc s’est fabriqué lui-même.

 

 

Lu en janvier-février 2019

« Mensonges sur le divan » de Irvin D. Yalom

Je vous parle aujourd’hui d’un livre roman qui attendait sagement sur une étagère de ma bibliothèque :

 

Mensonges sur le divan de Irvin D. Yalom

 

Quatrième de couverture :

 

Psychanalyste reconnu, Ernest Lash est en proie au doute : en se montrant plus proche de ses patients ne parviendrait-il pas à de meilleurs résultats ? Quand Carol Leftman, brillante et séduisante avocate, entre dans son cabinet, il met en pratique sa nouvelle théorie. Mauvaise pioche : Carol, convaincue que son mari l’a quittée sur les conseils dudit psychanalyste a décidé de le piéger…

 

 

Ce que j’en pense :

 

Carol, femme plutôt autoritaire, complètement barjot, vient de se faire quitter par son mari Justin, client assidu du psychanalyste Ernest Lash. En fait Justin a consulté pendant des années, alors qu’il n’arrivait pas à quitter sa femme, quelle que soit la technique utilisée, au grand dam d’Ernest et il a rompu parce qu’il vient de rencontrer une jeune femme. Ce n’est donc pas grâce à la thérapie, et cela ne présage pas forcément quelque chose de bon : il peut très bien quitter une femme autoritaire pour une autre du même style…

Carol furieuse veut se venger d’Ernest Lash : pour elle tout est de sa faute si Justin est parti et comme elle a eu des expériences traumatisantes lors de thérapies antérieures (viol) elle veut le piéger. Elle devient une de ses patientes, sous un faux nom et ne cesse de l’aguicher, de lui parler d’amour, de sexe durant chaque séance !

Or, Ernest veut justement tester une nouvelle approche sur le prochain nouveau patient qui se présentera à son cabinet en se montrant plus proche, se dévoilant davantage pour sortir de la relation thérapeutique traditionnelle et bien-sûr cela va tomber sur Carol, alias Carolyn…

Cela donne lieu à des séances hilarantes, où elle arrive en tenue hyper-sexy, veut s’asseoir à côté de lui, le quitte chaque fois après une étreinte plutôt chaude, lui fait croire qu’en dépit de son âge et de physique peu amène, bedonnant, elle est amoureuse de lui…

La manière dont Ernest réagit est bien étudiée, il tente de rester dans les clous qu’il s’est fixés, même si elle lui plaît bien alors que Carol éveille tout de même ses sens.

Irvin Yalom aborde très bien les différents sujets, tout ce qui peut se passer dans le cadre d’une analyse : le transfert et le contre transfert, la manipulation dans la psychanalyse, l’alliance thérapeutique, les supervisions indispensables pour ne rien projeter de soi sur l’analysé.

La relation entre Ernest et son superviseur, Marshal, sont loin d’être de tout repos, car Marshal jalouse secrètement de « jeune homme » qui a déjà écrit plusieurs livres alors que lui-même a des tas d’idées, de thèmes mais qui ne débouchent sur rien de concret. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il aurait encore largement besoin d’être supervisé !

Il évoque aussi la société de psychanalyse et ses travers, où tous les coups sont permis pour évincer un analyste qui a commis une faute déontologique, alors que celui-ci est proche de la retraite, en phase terminale de cancer, on aurait pu se contenter de le mettre sur la touche, sans l’exclure avec perte et fracas, uniquement pour prendre sa place.

On croise aussi tous ceux qui ont compté (et comptent encore) dans la psychanalyse : Freud, Jung, Ferenczi, Rank, Reich …

Irvin Yalom évoque aussi l’empathie et ses limites : peut-on toucher les patients ? mais aussi, que peut-on révéler de soi, de sa propre vie au patient, pour le faire avancer ou s’en tenir à la neutralité bienveillante.

Et enfin, le problème de l’argent, dans la thérapie, mais aussi dans sa pathologie avec les joueurs compulsifs.

J’ai adoré ce roman, tout comme j’avais adoré « Et Nietzsche a pleuré » mais c’est un domaine où je suis comme un poisson dans l’eau alors, je ne suis probablement pas impartiale !

J’ai déjà « Le problème Spinoza » en attente dans ma bibliothèque et bien-sûr « La méthode Schopenhauer » et « Le jardin d’Épicure » entre autres dans ma PAL.

 

Extraits :

 

Avez-vous jamais réfléchi au fait qu’il est plus facile d’établir un diagnostic la première fois que vous voyez un patient, mais que, plus vous le connaissez, plus ça devient difficile.

 

Mais Ernest n’était pas un patient. Du moins, pas tout à fait. Car la supervision se situait dans un « no man’s land » entre la thérapie et l’apprentissage. Parfois, le superviseur devait aller au-delà du cas étudié et explorer en profondeur les motivations et les conflits inconscients de l’étudiant. Néanmoins, en l’absence d’un contrat thérapeutique clairement défini, il y avait des limites que le superviseur ne devait pas franchir.

 

Où est-il écrit, rétorqua Marshal, que le patient analysé doit éternellement traiter son ancien psychanalyste avec une dévotion filiale ? Vous m’avez enseigné que le but du traitement et du travail sur le transfert est justement d’aider le patient à se détacher de ses parents pour développer sa propre autonomie et raffermir son intégrité.

 

Avec de nombreux patients, Ernest faisait intervenir le concept de regret dans la thérapie. Il leur demandait d’analyser les regrets que suscitait leur comportement passé et les exhortait à ne pas entretenir de nouveaux regrets dans l’avenir. Le but, disait-il était de vivre de telle sorte que dans cinq ans vous ne vous retourniez pas en regrettant amèrement les cinq dernières années qui se sont écoulées.

 

Voilà qu’il lui racontait maintenant un rêve à propos d’elle. Elle se dit alors qu’il y avait là peut-être une piste intéressante à explorer. Mais sans grande conviction : elle sentait bien qu’elle ne maitrisait plus du tout la situation. Pour un psy, Ernest était totalement imprévisible ; à chaque séance, il faisait, disait quelque chose qui la surprenait. Et à chaque séance, il lui montrait un aspect d’elle-même qu’elle n’avait jamais soupçonnée.

Ecoutez, Ernest, c’est très curieux, parce que j’ai également rêvé de vous cette nuit. Ce n’est pas ce que Jung appelait la synchronicité ?

Pas tout à fait. Par synchronicité, Jung entendait la coïncidence de deux phénomènes reliés entre eux, l’un se produisant dans le monde subjectif, et l’autre dans le monde physique, objectif…

 

Lu en janvier 2019