« Soif » d’Amélie Nothomb

Intermède entre deux lectures intenses et voyage au Golgotha, voilà ce que je propose aujourd’hui, avec ce roman :

« Pour éprouver la soif, il faut être vivant » nous indique la quatrième de couverture et ainsi commence le voyage…

On assiste au procès de Jésus : audition des témoins, tous mécontents du miracle qu’il leur accordé, la trahison de Judas, la condamnation, le chemin de croix et la Crucifixion et tout ceci est raconté par Jésus lui-même, qui nous livre ses différents ressentis.

L’auteure évoque ainsi les mystères de l’incarnation, le corps de Jésus qui souffre, qui comprend qu’il s’est fourvoyé au nom de l’amour et se retrouve contraint d’accepter la condamnation ainsi que sa réflexion sur la mort, comment il la ressent dans ce corps…

On apprend des vérités si fortes qu’en ayant soif, qu’en éprouvant l’amour et en mourant : trois activités qui nécessitent un corps. L’âme y est indispensable aussi, bien sûr, mais ne peut en aucun cas y suffire.

Au début, j’ai trouvé l’idée et le récit amusants, Jésus qui réfléchit et éprouve la souffrance, décrivant en détails, la flagellation, la croix à porter, les clous qui pénètrent dans les mains et les pieds, l’expérience inégalable de la soif, voire la sublimation …

Peu à peu, le récit devient peu crédible, Jésus évoquant Pascal, entre autres, et Amélie surgit dans les réflexions de Jésus…

J’avais décidé de boycotter le livre à sa sortie, le sujet en lui-même me paraissant quelque peu présomptueux, et j’ai changé d’avis après avoir lu dans « Psychopompe » que le père de l’auteure avait beaucoup apprécié « Soif », alors pourquoi pas ? En tout cas, il fallait oser s’attaquer à un tel sujet…

Je voudrais quand même rendre hommage à la plume d’Amélie Nothomb, son style incisif, voire caustique et la manière dont elle manie la langue française, ce qui n’est pas toujours le cas avec les auteurs actuels.

Je le reconnais aisément, je ne me suis pas trop investie pour rédiger cette chronique… Lecture intéressante, entre deux romans plus denses, mais qu’en restera-t-il dans un mois dans un an ?

7/10

J’ai toujours su que l’on me condamnerait à mort. L’avantage de cette certitude, c’est que je peux accorder mon attention à ce qui le mérite : les détails.

J’imagine que chacun a un ami de cette espèce : un ami dont les autres ne comprennent pas qu’il soit votre ami. Les disciples s’étaient tous cooptés d’emblée. Pour Judas, cela n’alla pas de soi.

L’amour concentre la certitude et le doute : on est sûr d’être aimé autant qu’on en doute, non pas tour à tour, mais en une simultanéité déconcertante.

Le moment est venu ; je m’allonge sur la croix. Ce que j’ai porté me portera désormais. Je vois arriver les clous et les marteaux. J’ai du mal à respirer tant j’ai peur. On me cloue les pieds et les mains. C’est rapide, j’ai à peine le temps de me rendre compte…

Père, tu as juste été dépassé par ton invention. Tu pourrais être fier de ce constat, qui prouve ton génie créateur. Au lieu de cela, sous couleur de donner une leçon d’amour édifiante, tu mets en scène la punition la plus hideuse et la plus lourde de conséquences qui se puisse imaginer.

Accepte, non que ce soit acceptable, mais parce que tu souffriras moins. Ne pas accepter, c’est bien quand c’est utile, ici cela ne servira à rien.

Là où je suis, je m’autorise tous les blasphèmes : je ne crois pas au diable. Croire en lui, c’est inutile. Il y a bien assez de mal sur terre sans en rajouter une couche.

A mon sujet on a parlé d’abnégation. D’instinct, je n’aime pas. Mon sacrifice était déjà une telle erreur : faut-il vraiment m’attribuer la vertu cardinale qui y conduit ?

« Psychopompe » d’Amélie Nothomb

Aujourd’hui, avant de peaufiner ma chronique de « Et si c’était une nuit », je vous propose un petit tour dans l’univers d’Amélie Nothomb avec son dernier opus :

Cette année j’ai décidé de céder à la tentation ! le passage d’Amélie Nothomb à La Grande Librairie m’a plus touchée que d’habitude et comme il était disponible à la médiathèque je n’ai pas résisté, d’autant plus que la quatrième de couverture était trop alléchante.

« Écrire, c’est voler. »

Le livre s’ouvre sur un joli conte chinois, donc tout commençait bien, puis les descriptions d’oiseaux aux noms étranges (du moins pour moi vue l’ampleur de mes connaissances ornithologiques), leurs chants, leur plumage m’ont un peu laissée sur ma faim mais la magie des sons m’a donné envie de continuer.

Et là, bingo ! entre les descriptions des voyages au gré des mutations de son père, Japon, Chine, Birmanie, Bangladesh, l’auteure nous fait entrer dans son intimité : le viol collectif qu’elle a subi adolescente sur une plage et la manière dont elle a sombré dans l’anorexie, dont l’écriture l’a sauvée.

J’ai aimé, la manière dont elle se connecte avec son père (psychopompe est un joli mot pour désigner le conducteur des âmes vers la mort ) et dont elle en parle avant de le laisser partir et c’est assez tentant.

Il y a longtemps que je n’avais pas ouvert un de ses romans, j’ai tendance à la snober, je le reconnais, car elle revient chaque année, comme le beaujolais nouveau disent certains, et il y a tellement de romans qui m’attendent ! j’aimais beaucoup ses premiers romans, notamment « L’hygiène de l’assassin », « Métaphysique des tubes » ensuite je me suis lassée, puis bref regain d’intérêt à la sortie de « La nostalgie heureuse ».

J’ai passé un bon moment, j’ai lu ce livre en une soirée (couche-tard car insomniaque alors j’avais tout mon temps), la deuxième partie m’a touchée donc un bon cru quand même… Je lirai peut-être « Premier sang » pour ne pas avoir de regrets…

7,5/10

Le marchand de tissus vit passer un vol de grues blanches. Émerveillé par leur beauté, il pensa qu’il rêverait de découvrir une étoffe d’une splendeur comparable à leur plumage…

L’hiver, il me fallait attendre plus longtemps le début du concert, qui se limitait alors à de rares solos. Ce furent les performances les plus bouleversantes. Le chant du matin d’hiver échappait à l’invitation amoureuse, il était chant de survie. Ce merle transi de froid inventait une beauté plus haute pour détourner ses sens de la souffrance. Chanter pour apprivoiser le gel, quel héroïsme ! 

C’est le propre de l’enfance d’offrir son adoration absolue à telle activité avec une sincérité sans borne, et puis s’en désintéresser jusqu’au lendemain.

De tous les animaux de la préhistoire, le dinosaure était celui que l’on s’attendait le moins à voir voler un jour. C’est pourtant lui qui y parvient, au terme, certes ; d’une évolution aussi interminable que périlleuse. S’il y avait réussi, pourquoi pas moi ?

Psychopompe : nul besoin de se réfléchir dans un mot pour l’adorer. Sans être pompeux, il avait de la pompe. Il fallait oublier sa signification pour jouir de son étrange consonance…

La véritable difficulté consistait à occuper ma juste place et à m’y tenir : le psychopompe ne se confond pas avec celui qu’il accompagne, il l’escorte au plus près sans prétendre abolir le fossé qui sépare un individu d’un autre. L’oiseau est parfait pour ce rôle, présence fraternelle et pudique à la fois.

Réussir sa mort dépend de nombreux facteurs. Je ne peux pas prétendre les connaître et pourtant, quand quelqu’un réussit sa mort, je le sens : il s’agit de partir au meilleur moment, après avoir accompli ce que l’on savait être sa mission. C’était sûrement le cas de mon père, il n’avait plus besoin de moi pour réussir sa mort, mais j’ose affirmer que j’ai contribué à faire d’elle un chef-d’œuvre.

« La Dame d’Argile » de Christiana Moreau

Après Venise et la Douane de mer, je vous propose un autre voyage au pays de l’Art et de l’Histoire avec ce roman :

Résumé de l’éditeur :

Sabrina est restauratrice au musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Elle vient de perdre sa grand-mère, Angela, et a découvert, dans la maison de celle-ci, une magnifique sculpture en argile représentant un buste féminin, signée de la main de Costanza Marsiato. Le modèle n’est autre que Simonetta Vespucci, qui a illuminé le quattrocento italien de sa grande beauté et inspiré les artistes les plus renommés de son temps.

Qui était cette mystérieuse Costanza, sculptrice méconnue ? Comment Angela, Italienne d’origine modeste contrainte d’émigrer en Belgique après la Seconde Guerre mondiale, a-t-elle pu se retrouver en possession d’une telle œuvre ? Sabrina décide de partir à Florence pour en savoir plus. Une quête des origines sur la terre de ses ancêtres qui l’appelle plus fortement que jamais…

Dans ce roman d’une grande sensibilité, le fabuleux talent de conteuse de Christiana Moreau fait s’entremêler avec habileté les voix, les époques et les lieux, et donne à ces quatre destins de femmes un éclat flamboyant.

Ce que j’en pense :

Au décès de sa grand-mère, Sabrina, restauratrice d’œuvres d’art au musée des Beaux-Arts de Bruxelles hérite d’une superbe statue, sur laquelle est gravé :  Constanza Marsiato, avec comme devise : « La sans pareille ». Qui peut-bien se cacher derrière ce nom ?

Elle va donc remonter dans l’histoire familiale pour comprendre pourquoi une statue d’une telle valeur a pu être en possession d’Angela, sa grand-mère donc, qui a quitté son Italie natale en 1945 pour suivre son mari qui a fui la misère pour aller travailler dans les mines en Belgique via un contrat sordide : 1000 tonnes de charbon pour chaque ouvrier italien qui viendra creuser dans des conditions plus que précaires.

« Le premier accord bilatéral « mineur-charbon » prévoyait le transfert de cinquante mille travailleurs italiens dans les mines belges. Pour chaque ouvrier envoyé en Belgique, l’Italie recevait une tonne de charbon. Des hommes échangés contre du charbon ! »

 Angela rejoint Giuseppe, son mari deux ans plus tard, emportant avec elle, un seul bien précieux cette statue qui se transmet à la fille aînée de génération en génération : « la Belle Dame », comme on l’appelle dans la famille. L’exil est douloureux, avec son corollaire, la pauvreté et la difficulté de se faire accepter et aussi la revanche à prendre pour la génération suivante.

Le récit fait alterner l’histoire d’Angela, celle de Constanza, celle de Simonetta Vespucci et bien sûr celle de Sabrina et plus on avance vers l’authentification de la statue, plus on apprend de choses sur le statut des femmes depuis le Quattrocento. Les femmes, à l’époque, ne pouvait pas être artiste, sinon elles encourraient la peine suprême.

On a des images fortes, telle Constanza déguisée en homme pour pouvoir se faire embaucher dans un atelier où l’on travaille l’argile, et on exécute des œuvres pour le compte des Medici alors que leur puissance commence à décliner. Certes Lorenzo, Il Magnifico règne toujours mais la révolte gronde attisée par les incantations de Savonarole, le grand incendie des œuvres dites licencieuses : le bûcher des vanités

Autrefois insouciante dans sa joie de vivre, Florence était maintenant sous l’emprise d’une affolante fièvre de pénitence, sous la domination du prêcheur obnubilé par le péché. C’est à l’aide de ces malédictions apocalyptiques qu’il enterrait les libres penseurs. Dans les rues, ses jeunes disciples qu’il désignait comme son « armée des anges » appelaient au repentir.

Chaque période est intéressante, et j’ai eu un plaisir immense à côtoyer Simonetta Vespucci, la Sans Pareille, qui posait nue pour Sandro Botticelli par exemple, sur les mœurs de l’époque. Son arrivée et son installation à Florence au printemps 1472 montrent à quel point elle a été importante, dans la cité, et l’amour que lui portait la population. Dès son arrivée, Giuliano, le frère de Lorenzo est tombé amoureux d’elle, comme chaque habitant de la ville.

L’auteure nous explique la manière de travailler l’argile, les différentes sortes d’argile, le manière de réaliser la cuisson, avec une belle réflexion très intéressante sur l’artiste par rapport à l’artisan.

Souvent, dans ces récits gigognes, je trouve la partie qui se passe de nos jours, décevante, par rapport au XVe siècle notamment, et dans ce roman Christiana Moreau nous présente une héroïne qui souffre car ne réussit à vivre que dans son métier aux dépens de sa vie personnelle, mais elle est attachante et quand elle raconte son coup de foudre pour Florence, avec des allusions sympathiques au Syndrome de Stendhal, elle est crédible et à la hauteur des femmes qui l’ont précédée.

J’ai découvert Christiana Moreau avec « Cachemire rouge » qui m’a beaucoup plu alors je n’ai pas hésité, au grand dam de ma PAL, à choisir celui-ci quand il a été proposé par NetGalley. C’est un bel hommage à l’Art, dans toute sa splendeur, et toutes ses dimensions. J’ai arpenté Florence avec Sabrina, découvrant avec elle toutes ses splendeurs et mes yeux brillent encore. Entre nous, je suis pratiquement certaine que je tomberais en pâmoison dans cette ville, en rencontrant autant de beauté que je n’ai pas encore visitée et pourtant ce n’est pas l’envie qui m’en manque…

Tout est soigné et beau dans ce roman comme en témoigne la magnifique couverture qui semble inspirée du portrait de Simonetta attribué à Piero di Cosimo.

Je dévoile le moins de choses possible afin de vous donner envie de lire ce beau roman, écrit par une artiste car, outre ses talents de peintre, l’auteure travaille elle-même l’argile, et grâce à elle, j’ai découvert les particularités de l’argile de la ville de Impruneta, ville située quatorze km au sud de Florence qui devient rose après la cuisson.

J’aime beaucoup la période du Quattrocento, ses artistes incomparables, à mes yeux de profanes et toute la période historique qui va avec : les Medici, Savonarole, et comme par hasard, Babelio m’a proposé un pavé sublime « L’étoile brisée » qui évoque justement Savonarole, et son destin et aussi l’Espagne à la même époque avec les interactions entre les deux pays sur fond de découverte de l’Amérique. Je suis donc en immersion totale, pour mon plus grand plaisir.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Préludes qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de Christiana Moreau dont il me reste à découvrir « La sonate oubliée ».

#LaDamedargile #NetGalleyFrance

https://fr.wikipedia.org/wiki/Simonetta_Vespucci

L’auteure :

Christiana Moreau est une artiste autodidacte, peintre et sculptrice belge. Elle vit à Seraing, dans la province de Liège, en Belgique.

Après La Sonate oubliéeCachemire rouge, La Dame d’Argile est son dernier roman.

Extraits :

Simonetta Vespucci, la Sans Pareille, bien que mariée, fut la « Dame » du chevaleresque Giuliano (Medici) c’est-à-dire l’idéale bien-aimée…

… Cette jeune femme a illuminé les chefs-d’œuvre des maîtres du quattrocento, Ghirlandaio, Pollaiuolo, Piero di Cosimo, Botticelli ou Leonardo da Vinci. Elle était adorée, courtisée, les Florentins en étaient fous et une passion naquit entre elle et Giuliano de’ Medici.

Conquise, elle vient à l’instant de tomber amoureuse de cette ville. Un authentique coup de foudre. « La tête me tourne… Je ne vais pourtant pas être victime du syndrome de Stendhal » se dit-elle.

De son vivant, elle en avait fait tourner des têtes ! A commencer par celle de Sandro Botticelli qui en fait son modèle préféré durant toute sa vie. Ensuite, le beau Giuliano de’ Medici eut la bonne fortune d’être aimé d’elle.

Croyez-vous que Savonarole aurait pu jouer un rôle autour de ma statue ? Cette sculptrice qui est aujourd’hui inconnue a pu être victime de son sectarisme. Aurait-il tenté de détruire ses œuvres ? Dans tous les régimes dictatoriaux du monde et de toutes les époques, les artistes sont pourchassés, bridés dans leur création.

Angela avait été acheminée en train spécial de Florence vers Milan, par les soins du ministère italien du Travail, dans le cadre du regroupement des familles. Elle errait depuis deux jours parmi une cohorte d’épouses et de fiancées déboussolées.

Elle (Angela) avait encore dans les oreilles les querelles entre ses grands-parents maternels fascistes et paternels communistes. Elle n’en pouvait plus de toutes ces tensions. Sept ans que la guerre était finie, mais les rivalités continuaient. Elle avait cru échapper à ces dissensions, pour retrouver la sérénité sous d’autres cieux, et voilà que cette discorde l’accompagnait dans sa nouvelle vie. C’en était trop.

Les toilettes n’avaient pas de toit et, lorsqu’il pleuvait, il fallait se servir d’un parapluie.

Les Vespucci étaient la famille la plus importante du quartier Ognissanti, habité principalement par de prospères banquiers, alliés des Medici.

« Peut-on mourir d’art ? ». Ces mots sont ceux de Stendhal à la sortie de l’église Santa Crosse. Cette ivresse, ce trouble ressenti par l’écrivain face aux beautés florentines a donné son nom au symptôme. Depuis, chaque année, une dizaine de personnes sont victimes de réactions irraisonnées devant le David de Michelangelo, le Bacchus du Caravaggio ou le Printemps de Botticelli. D’ailleurs, l’hôpital Santa Angela Nuova recense ces cas de souffrance psychique face aux œuvres d’art…

Autant il Magnifico était tout-puissant, n’hésitant pas à écraser ses nombreux ennemis sans états d’âme, autant son fils Piero li Sfortunato était décrit par ses concitoyens comme un souverain médiocre. Il était la cible de pamphlets violents contre les Medici par le moine prédicateur Savonarole, qui reprochait sa corruption à cette famille régnante…

Malheureuse ! Porter des vêtements d’homme est un délit passible de la peine capitale !  Avec cette culture de l’espionnage et de la délation qui s’installe, l’époque n’est plus à la tolérance.

A sa base reposaient les masques, les fausses barbes, les perruques et postiches, les vêtements carnavalesques. Au-dessus, venaient les livres interdits de poètes jugés dépravés, la prose profane de Boccace et les vers immoraux de Pétrarque. Tous les ouvrages non religieux, parmi lesquels les auteurs licencieux, mais aussi les manuscrits de l’antiquité, d’Ovide ou d’Anacréon d’une valeur inestimable. Ensuite, les ornements et ustensiles de toilette des femmes…

Lu en juillet 2021

« Et les vivants autour » de Barbara Abel

Je vous parle aujourd’hui du dernier roman d’une auteure dont j’ai beaucoup entendu parler sur les blogs et qu’il me tardait de découvrir :

Résumé de l’éditeur :

Après Je sais pas et Je t’aime, le nouveau thriller de Barbara Abel dissèque à la perfection la psychologie et les émotions en montagnes russes des personnages qui gravitent autour du corps de Jeanne, inerte et si présent à la fois.

Voilà quatre ans que l’ombre de Jeanne plane sur eux.

Comme s’ils n’avaient plus le droit de vivre pour de vrai tant qu’elle était morte pour de faux.

Cela fait quatre ans que la vie de la famille Mercier est en suspens. Quatre ans que l’existence de chacun ne tourne plus qu’autour du corps de Jeanne, vingt-neuf ans. Un corps allongé sur un lit d’hôpital, qui ne donne aucun signe de vie, mais qui est néanmoins bien vivant. Les médecins appellent cela un coma, un état d’éveil non répondant et préconisent, depuis plusieurs mois déjà, l’arrêt des soins. C’est pourquoi, lorsque le professeur Goossens convoque les parents et l’époux de Jeanne pour un entretien, tous redoutent ce qu’ils vont entendre. Ils sont pourtant bien loin d’imaginer ce qui les attend. L’impensable est arrivé. Le dilemme auquel ils sont confrontés est totalement insensé et la famille de Jeanne, en apparence si soudée, commence à se déchirer autour du corps de la jeune femme…

Ce que j’en pense :

Depuis quatre ans Jeanne est plongée dans le coma et toute la vie de sa famille tourne autour de ce corps, allongé dans ce lit d’hôpital. Les parents, tout d’abord, Micheline et Gilbert, qui forme un couple étrange, lui ne pensant qu’à son travail de chef d’entreprise, régnant de manière despotique sur son personnel, n’hésitant pas à licencier pour un simple retard, sans se soucier des répercussions.

Il est tout aussi tyrannique avec son épouse, ménagère modèle qui s’est investie à fond dans la maison, l’éducation de leurs filles, et qui se tait devant ce mari qui la rabaisse sans arrêt et qui a toujours raison.

Ensuite nous avons Charlotte, la sœur aînée de Jeanne, qui a dû faire le deuil de son envie de devenir comédienne et aide son mari guillaume à gérer un restaurant qui ne tourne pas trop. Elle ne s’est jamais sentie aimée par sa mère que n’avait d’yeux (Dieu ?) que pour Jeanne, qui était plus belle et à qui on passait tout, Charlotte qui essaie à tout prix d’avoir un enfant et n’y parvient pas.

Enfin, nous avons Jérôme, le mari de Jeanne, amoureux fou de sa femme et qui se sent coupable depuis l’accident qui a provoqué le coma. Évidemment, Gilbert n’a jamais accepté ses gendres pas assez bien pour lui (pensez donc un artiste et un cuisinier !) et ne se gêne pas pour leur manifester son mépris à chaque repas de famille.

Chacun se rend à l’hôpital, voir Jeanne en fonction de ses disponibilités et bien sûr, la mère parfaite veille jalousement sur sa progéniture, lui faisant la lecture… finalement, les vivants l’intéressent beaucoup moins.

Tous les « vivants » qui entourent Jeanne sont d’accord sur une seule chose la maintenir en vie lorsqu’ils sont convoqués par le professeur. Il s’est passé quelque chose de grave, mais divulgâchons pas ! A partir de là, tout va se compliquer. L’harmonie est beaucoup moins solide qu’on le pensait.

Ce roman noir est passionnant, Barbara Abel aborde tous les problèmes qui peuvent survenir, avec une réflexion dur la loi Claeys-Leonetti, à propos de l’euthanasie, sur les convictions religieuses intégristes de Micheline qui parle à Dieu, s’en référant à lui pour prendre toutes les décisions de la vie de tous les jours, et par ses prises de positions, je n’ai pu m’empêcher de la comparer à la mère de Vincent Lambert.

L’auteure évoque aussi, les relations entre époux, beaucoup plus complexes qu’elles ne paraissent dans la vie de tous les jours mais peuvent basculer et pousser à des comportements extrêmes, la jalousie entre sœurs, les traumatismes de l’enfance et tant d’autres…

Ce roman noir démarre en douceur, puis le rythme s’étoffe, s’accélère, un peu comme « Le boléro » de Ravel, je l’ai lu en apnée, impossible de le poser. C’est le premier roman de Barbara Abel que je lis et j’ai adoré, donc continuer à explorer ses livres.

 Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir enfin cette auteure avec ce livre génial.

#Etlesvivantsautour #NetGalleyFrance

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L’auteure :

Née en 1969, Barbara Abel vit à Bruxelles, où elle se consacre à l’écriture. Pour son premier roman, L’Instinct maternel (Le Masque, 2002), elle a reçu le prix du Roman policier du festival de Cognac. Aujourd’hui, ses livres sont adaptés à la télévision, au cinéma, et traduits dans plusieurs langues. Et les vivants autour est son treizième roman.

Extraits :

J’ai décidé de ne choisir que des extraits qui ne révèlent rien de l’intrigue…

Lire l’apaise, ça lui permet d’alimenter le lien verbal, capital selon les médecins pour garder le contact avec les gens en état d’« éveil non répondant » – c’est ainsi que, aujourd’hui, on désigne les personnes plongées dans le coma ou dans un état végétatif – sans pour autant devoir faire la conversation

Tel un ressac inlassable, les années avaient peu à peu effacé les raisons pour lesquelles, un jour, il y a bien longtemps, dans une autre vie, ils avaient posé les yeux l’un sur l’autre et pris la décision de faire un bout de chemin ensemble. Leurs routes s’étaient finalement séparées, et le temps qu’ils réalisent l’absence de l’autre, il était trop tard pour revenir en arrière.

… maintenir Jeanne dans cet état d’éveil non répondant relève à ses yeux de l’obstination déraisonnable ainsi que de la prolongation artificielle de vie, proscrites l’une et l’autre par cette loi. La détermination et l’influence de la famille Mercier ont eu, jusqu’à présent, gain de cause, les décisions du corps médical ne pouvant être prises que de façon collégiale. (la loi Claeys-Leonetti)

Ensuite elles se saluent, l’une et l’autre nimbées de cette force commune, celle des êtres conscients d’être aussi indispensables que dépréciés. Complices dans la mésestime que leur témoignent leurs maris, elles sont de cette génération sacrifiée, lestées du poids des convenances, déjà sur le banc de touche, encore trop jeunes pour ne pas avoir de regrets, pourtant trop vieilles pour profiter des révoltes de leurs petites sœurs, même si elles rêvent, elles aussi, de « balancer leur porc ».

Micheline et lui se targuent d’être de bons chrétiens. Autrefois, ils se rejoignaient sur leurs convictions religieuses, mais leurs fois respectives ont suivi des trajectoires différentes. Celle de Micheline n’a cessé de s’intensifier au fil des ans, nourrie par une existence tout entière consacrée à la famille, aux enfants, au foyer. Nul doute que la solitude a contribué à renforcer sa dévotion, le prétexte de s’adresser à Dieu lui fournissant un alibi pour parler toute seule.

Au fil des années, il a assisté – de loin – à l’évolution des émois mystiques de Micheline, expression d’une foi exacerbée derrière laquelle elle se retranchait chaque fois qu’un problème survenait.

De son côté, l’homme d’affaires s’est accommodé de cet adultère céleste. Pour être franc, ça l’arrangeait même plutôt. Dieu se chargeait à sa place des responsabilités familiales tout en lui assurant une stabilité domestique : très à cheval sur les principes religieux, Micheline ne l’aurait jamais trompé, encore moins quitté.

Identifier un coupable, ça veut dire prouver sa propre innocence.

Lu en avril 2020

« Cachemire rouge » de Christiana Moreau

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi sur NetGalley après avoir flashé sur la couverture:

 

 

 

Quatrième de couverture

 

Trois destins liés par un fil rouge, celui d’un précieux cachemire tissé de manière ancestrale. Toscane. Alessandra est fière de la qualité des pulls et étoffes qu’elle vend dans sa boutique de Florence. Une fois par an, elle va s’approvisionner en Asie. Jusqu’à ce coup de foudre pour le cachemire rouge filé par une jeune fille, Bolormaa. Dans les steppes de Mongolie, celle-ci mène une existence nomade avec sa famille, en communion avec la nature. Mais, lorsqu’un hiver glacial décime leur troupeau de chèvres, elle doit quitter ses montagnes pour travailler à l’usine
en Chine. C’est là qu’elle rencontre XiaoLi. Bientôt, dans l’espoir de se construire un avenir meilleur, les deux amies font le choix du départ. De l’Asie à l’Europe, du Transsibérien jusqu’en Italie, elles braveront tous les dangers pour prendre leur destinée en main et tenter de réaliser leur rêve.

Avec humanité et un grand sens du romanesque, Christiana Moreau compose une histoire vibrante, véritable ode à l’amitié et au courage.

PRIX DES LECTEURS CLUB 2017.

PRIX DU PREMIER ROMAN ROTARY CLUB COSNE-SANCERRE.

 

Ce que j’en pense

 

Ce roman nous raconte l’histoire d’une jeune fille mongole, Bolormaa, obligée de quitter son milieu familial car le réchauffement climatique a provoqué la décimation du troupeau familial. Le père, sous la pression de ses fils, doit se résoudre à vendre le reste du troupeau à un acheteur chinois sans scrupules. Ils vont s’occuper de troupeaux sédentarisés pour produire en chaîne, ce qu’ils faisaient de manière respectueuse de la nature auparavant, dans une mégalopole Ordos, poussée dans la steppe grâce à une idée germée dans le cerveau de technocrates mégalomanes.

Son père lui laissait toujours le produit de la tonte des cinq premières chèvres, alors pour la dernière fois, elle recueille la précieuse laine, qui donne ce fameux cachemire si prisé dans le monde entier. Elle décide d’utiliser les recettes de sa grand-mère pour mettre au point une teinture rouge et fabriquer un pull qu’une Italienne Alessandra, qui vient tous les ans acheter la précieuse laine pour son magasin de luxe.

Retrouver la jeune femme en Toscane lui sert de moteur pour s’accrocher à la vie. Adieu la yourte, la vie nomade au grand air, bonjour l’esclavage.

Bolormaa, dont le prénom signifie cristal, va donc travailler dans un atelier tenu par les chinois, subit le racisme de ses « collègues » chinoises, se fait violer par le chef d’atelier. Elle réussit à se faire une amie chinoise, XiaoLi après cette agression et toutes deux vont décider de partir à la recherche de l’Eldorado européen.

On va les suivre dans leur long voyage en train : le Trans mongolien, puis le transsibérien puis Moscou où elles partent à la rechercher du passeur, le voyage en camion la Pologne, la montagne à pied pour entrer en Autriche car les contrôles ont été resserrés, pour arriver en Italie et se retrouver à nouveau sous la coupe des Chinois mafieux (j’ai l’impression d’utiliser un pléonasme !) elles sont à nouveau esclaves dans les ateliers pour payer les dettes des passeurs (avec des intérêts astronomiques !!!)

Christiana Moreau nous raconte le changement climatique avec les dzuds : phénomène climatique caractérisé par une vague de froid extrême faisant suite à un été caniculaire, et les hivers particulièrement enneigés pendant lesquels le bétail est incapable de trouver sa nourriture.

Elle évoque aussi le statut des femmes à l’époque de Gengis Khan : « Les Mongoles avaient une situation bien meilleure que la plupart des femmes de cette époque. Elles administraient leur foyer, pouvaient divorcer de leur mari et étaient des conseillères écoutées »

On découvre aussi la haine des Chinois envers les Mongols à cause de Gengis Khan ; ces Chinois qui construisent des mégapoles dans les Steppes au milieu de nulle part, telle Ordos, pour les abandonner ensuite car illusoires les transformant en cités fantômes…

J’ai aimé la relation qui se tisse dans le train entre les deux jeunes filles et la Baba russe, qui rentre chez elle après avoir rendu visite à sa fille, la manière dont elle partage la nourriture, les chants…

Christiana Moreau explique aussi la manière dont la Chine a établi sa mainmise sur le cachemire, spéculant sur la raréfaction des troupeaux, donc de la laine, imposant ses tarifs au monde entier.

Ce roman est un coup de cœur, j’ai adoré suivre les pas de Bolormaa et XiaoLi, dans ce périple dur, leur courage est exemplaire. Cette belle histoire ne va pas arranger mon opinion sur les Chinois, que je ne porte pas trop dans mon cœur (droits de l’homme, persécution des Tibétains…). On n’est jamais dans l’angélisme, même s’il y a un « Happy End ».

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Préludes qui m’ont permis de découvrir ce roman et donné l’envie de lire « La sonate oubliée », son premier roman.

#CachemireRouge #NetGalleyFrance

coeur-rouge-

 

L’auteure

 

Christiana Moreau est une artiste peintre, sculptrice et écrivain.

Après un recueil de poésie, « Poesimage » (2014), « La Sonate oubliée » (2017) est son premier roman.

Elle vit à Seraing, dans la province de Liège.

 

Extraits

 

Il règne alors une grande effervescence dans la plaine. Tous les éleveurs rejoignent en famille les troupeaux. Chaque animal doit être soigneusement peigné afin de récolter cette fibre tellement convoitée qui se cache sous les grands poils et à partir de laquelle on produira le cachemire.

 

Des dizaines de bêtes gisaient gelées autour d’eux. Ils ont perdu la moitié du cheptel et on failli y laisser leur peau. Rares, il y a vingt ans, les dzud sont désormais de plus en plus fréquents. La Mongolie semble victime d’un grand bouleversement climatique.

 

Le bonheur est un cristal qui se brise au moment de son plus grand éclat. Cristal, c’est la signification de son prénom mongol : Bolormaa.

 

La nuit tombe très vite en Mongolie et dire qu’on voit les étoiles serait un euphémisme. On vit dans la Voie Lactée. La galaxie complète s’ouvre sur l’absolu. L’immensité.

 

Isolée au milieu des Chinois, elle a dû pour la première fois essuyer des propos racistes…

… Les Hans ont conservé la mémoire des invasions mongoles qui durant des siècles ont ravagé le pays, brûlé les villes et les ont exterminés. Ils traînent derrière une rancune millénaire.

 

La forme ronde de la yourte qui évoque la voûte céleste avec ses piliers centraux symbolisant l’axe cosmique, la liaison entre la terre et le ciel qui est la base de toute pratique spirituelle…

 

L’absence et les souvenirs de son père, quand il expliquait qu’il y a deux milles ans on trouvait ici des steppes couvertes d’une végétation verdoyante, sillonnées de vifs cours d’eau et de terres fertiles. Malheureusement, les hommes insensés ont détruit ce don du ciel si précieux, déplorait-il. Les guerres, le défrichage à outrance et la coupe immodérée des arbres ont causé l’appauvrissement, la dégradation et la détérioration des sols.

 

XiaoLi culpabilise d’avoir entraîné Bolormaa dans ce nouvel esclavage. Elle n’a pas gagné l’Eldorado, elle a juste retourné le sablier ; le même gravier de malheur s’écoule en sens inverse. A quoi bon avoir quitté Ordos, songe-t-elle, si c’est pour croupir au fond d’un atelier identique ?

 

La société occidentale est devenue une société de l’image. Des images qui se déversent en cascade du matin au soir. Photos, reproductions de tableaux imprimées en relief sur toile à des prix dérisoires, dans les chaînes de magasins de décoration à bon marché, inondant des cohortes de consommateurs qui aiment renouveler leur cadre de vie tous les trois ans, d’après les statistiques…

 

 

Lu en avril mai 2019

« L’enfant de Noé » : Eric-Emmanuel Schmitt

Je vous parle aujourd’hui d’un roman qui m’attendait dans ma PAL depuis pas mal de temps avec :

 

L'enfant de Noé de Eric-Emmanuel Schmitt

 

 

Quatrième de couverture

 

« – Nous allons conclure un marché, veux-tu ? Toi, Joseph, tu feras semblant d’être chrétien, et moi je ferai semblant d’être juif. Ce sera notre secret, le plus grand des secrets. Toi et moi pourrions mourir de trahir ce secret. Juré ?

– Juré. »

  1. Joseph a sept ans. Séparé de sa famille, il est recueilli par le père Pons, un homme simple et juste, qui ne se contente pas de sauver des vies.

Mais que tente-t-il de préserver, tel Noé, dans ce monde menacé par un déluge de violence ?

Un court et bouleversant roman dans la lignée de Monsieur Ibrahim… et d’Oscar et la dame rose qui ont fait d’Éric-Emmanuel Schmitt l’un des romanciers français les plus lus dans le monde.

 

 

Ce que j’en pense

 

Ce court roman nous raconte l’histoire de Joseph, jeune enfant juif âgé de sept ans, qui doit se cacher dans un orphelinat catholique dirigé par le Père Pons pour échapper à la déportation.

Il va rencontrer d’autres enfants dans la même situation que lui, notamment Rudy que le Père Pons lui désigne comme parrain car il est plus âgé, mais rebelle, refusant systématiquement d’étudier, car ses parents et ses frères aînés, brillants intellectuels ont été déportés alors à quoi cela servirait ?

Ces enfants suivent les cours de catéchisme, vont à la messe, mais n’ont pas le droit de communier, ce qui fait que Joseph proteste et sent exclus. Les échanges entre le Père Pons et lui sont savoureux, chacun tentant de connaître de plus près la religion de l’autre, le Père collectionnant dans la crypte des objets et des textes liés au judaïsme pour les préserver autant que pour les étudier.

Je trouve très émouvants les liens qui se tissent entre le Père Pons et Joseph, sur le plan affectif comme sur le plan spirituel.

Je reprends, avec cette lecture « Le cycle de l’invisible » de l’auteure. J’ai lu « Milarépa » dédié au bouddhisme, « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran » que j’ai adoré, consacré à l’islam ainsi que « Oscar et la dame en rose » dédié au christianisme. Dans « l’enfant de Noé », Éric-Emmanuel Schmitt s’intéresse au judaïsme et à ce qui le différencie du catholicisme, la notion de Messie que les catholiques ont reconnu dans Jésus alors que les juifs l’attendent encore, l’amour qui est au centre pour les chrétiens alors que dans le judaïsme, on met à l’accent sur le respect.

J’ai beaucoup aimé ce court (trop court) roman et j’ai beaucoup de tendresse pour la pharmacienne du village, résistante qui fournit des papiers aux enfants, qui fustige la religion car elle est profondément athée et nous offre une scène magnifique lorsqu’elle s’installe à l’orgue de l’église en jouant « La Brabançonne » pour saluer le débarquement américain (trop tôt hélas car emportée par sa fougue ce qui lui vaudra un destin terrible !)

J’ai profité du mois Belge pour lire ce quatrième opus qui m’a plu autant que les trois précédents, et j’ai retrouvé avec plaisir la plume de Éric-Emmanuel Schmitt que j’aime beaucoup.

 

 

Extraits

 

Nous ne nous sommes jamais dit adieu. Peut-être est-ce dû à l’enchaînement confus des circonstances ? Peut-être fut-ce délibéré de leur part ? Sans doute ne voulaient-ils pas vivre cette scène, encore moins me la faire vivre… Le fil se rompit sans que j’en prisse conscience : ils s’absentèrent l’après-midi du lendemain et ne revinrent plus.

 

Pourquoi étais-je si excité de me rendre à la messe ? Sans doute sentais-je qu’il y avait un fort bénéfice à devenir catholique : cela me protègerait. Mieux : cela me rendrait normal. Être juif pour l’instant, signifiait avoir des parents incapables de m’élever, posséder un nom qu’il valait mieux remplacer, contrôler en permanence mes émotions et mentir.

 

Ainsi, parce que j’étais juif, je n’avais pas vraiment droit au monde normal ! On ne me le prêtait que du bout des doigts. Je ne devais pas me l’approprier ! les catholiques voulaient rester entre eux, bande d’hypocrites et de menteurs !

 

Donc, pour les chrétiens, ça s’est déjà passé, pour les juifs c’est à venir.

Voilà, Joseph. Les chrétiens sont ceux qui se souviennent et les juifs, ceux qui espèrent encore.

Alors, un chrétien, c’est un juif qui a cessé d’attendre ?

Oui. Et un juif c’est un chrétien d’avant Jésus.

 

Selon les grands rabbins, le respect est supérieur à l’amour. Il est une obligation continue. Cela me semble possible. Je peux respecter ceux que je n’aime pas ou ceux qui m’indiffèrent. Mais les aimer ? D’ailleurs ai-je autant besoin de les aimer si je les respecte ? C’est difficile l’amour, on ne peut ni le provoquer ni le contrôler, ni le contraindre à durer. Alors que le respect…

 

En temps de guerre, le pire des dangers est l’habitude. Particulièrement l’accoutumance du danger.

 

On ne retrouve pas ses parents, juste en les embrassant. En trois ans ils m’étaient devenus étrangers, sans doute parce qu’ils avaient changé, sans doute parce que j’avais changé.

 

Le mois Belge

 

Lu en avril 2019

« Trouble » de Jeroen Olyslaegers

Je vous parle aujourd’hui d’un roman (et d’un auteur dont je n’avais encore jamais entendu parler) que j’ai découvert grâce à NetGalley et les éditions Stock :

 

 

 

Résumé de l’éditeur:

 

Anvers, 1940. Wilfried Wils, 22 ans, a l’âme d’un poète et l’uniforme d’un policier. Tandis qu’Anvers résonne sous les bottes de l’occupant, il fréquente aussi bien Lode, farouche résistant et frère de la belle Yvette, que Barbiche Teigneuse, collaborateur de la première heure. Incapable de choisir un camp, il traverse la guerre mû par une seule ambition : survivre. Soixante ans plus tard, il devra en payer le prix.

Récompensé par le plus prestigieux prix littéraire belge, Trouble interroge la frontière entre le bien et le mal et fait surgir un temps passé qui nous renvoie étrangement à notre présent.

Traduit du néerlandais (Belgique) par Françoise Antoine

 

 

Ce que j’en pense

 

Un vieil, Wilfried Wis, raconte à son arrière-petit-fils son histoire : pendant la guerre, voulant fuir le STO, il s’engage dans la police et se retrouve dans une situation inconfortable, traquer ceux qui le fuient aussi, et assister à la complicité des miliciens et collabos en tous genres.

Le roman dénonce l’attitude de la Belgique pendant la guerre, avec les résistants, comme son ami Lode ou sa sœur, Yvette, fille de boucher qui « traficote »  ou les nazillons comme le bien nommé Barbiche Teigneuse. On voit les sympathies pro-nazis décomplexés, la haine des Juifs, les bassesses, dans Anvers, la ville des diamantaires …

Victime d’une méningite dans l’enfance, il est resté longtemps dans le coma ; il a dû ensuite tout réapprendre car ne reconnaissait plus ses parents et il en a déduit qu’on lui racontait des histoires et que ce n’était pas sa vraie famille. Il s’est inventé un alter-ego, Angelo, comme une manière schizophrénique,  Will, tentant de représenter le Bien et Angelo le Mal…

On va retrouver cette opposition Bien et Mal durant tout le roman, en fait. Anvers dans sa dualité, sur fond de Bruegel, ou citations de Rimbaud, car bien-sûr Will écrit des poèmes !

Jeroen Olyslaegers raconte aussi les réactions de la famille, comment vit-on avec un tel père ? il finira par se fâcher avec toute la famille : son fils est mort, il y aura le décès de sa petite-fille…

Wilfried a choisi de ne pas choisir, de rester neutre, et tout au long de cette longue confession, il cherche à se dédouaner, responsable mais pas coupable… ne pas choisir, c’est aussi regarder faire les autres, donc être complice. On retrouve cette fameuse phrase : « on ne savait pas » !

La question que l’on se pose très vite, en lisant ce roman, est la suivante : est-il sincère dans son récit ? En fait, je ne pense pas, il réécrit l’histoire pour se dédouaner, même s’il veut faire croire que c’est sa mémoire qui lui joue des tours. Je n’ai pas senti de culpabilité, de regret chez lui, ou du moins ça sonne faux.

La première partie est très intéressante car axé sur le récit alors que la deuxième raconte la vie actuelle de Will, victime d’une fracture de hanche et qui n’est pas un patient facile, ce qui augmente le doute concernant son histoire !

J’ai beaucoup aimé ce roman car, à travers le récit de Will, il pose la question éternelle : qu’est-ce qu’on aurait fait ?

Le style de Jeroen Olyslaegers m’a plu, même si parfois le côté décousu de la narration pouvait s’avérer gênante, et je connaissais peu l’Histoire de la Belgique pendant cette guerre qui m’intéresse toujours autant. Le titre de ce roman est très bien choisi !

#Trouble #NetGalleyFrance

 

Extraits

 

Quand il neige sur la ville, un homme sait ce qu’elle signifie vraiment, ce qu’elle a perdu, ce qu’elle veut oublier. Elle se dépouille de l’illusion du temps écoulé.

 

J’ai accepté un piston afin d’échapper au service du travail obligatoire imposé par les Allemands. Tu la sens venir « l’ambiguïté » ? Un jeune gars devient flic pour ne pas être transféré comme travailleur vers l’Allemagne ; et une fois flic, il aide à coffrer ceux qui tentent d’échapper à ce même servie du travail obligatoire…

 

Nous nous sentons toujours occupés, comme un pays de serviteurs qui revendique rarement la chevalerie pour lui-même.

 

A propos d’Hitler : d’après lui, il n’existe pas d’homme plus fort, on est bercé dans ses bras comme dans ceux d’un géant.

 

Mais, je ferais mieux de reconnaître humblement qu’il y a tout autant de chances pour que ce soit Angelo lui-même qui ait voulu se montrer, lui qui prit toujours les circonstances à sa main.

 

Jamais de la vie, je n’aurais pu prévoir la transformation de ce brave écolier en dominateur arrogant. Si les Boches n’avaient pas mis les pieds ici, ce garçon aurait depuis longtemps glissé ses pas dans ceux de son père notaire (à propos de Karel)

 

Il (Karel) réapparaît six mois plus tard au moment même où les premiers squelettes ambulants reviennent des camps en chancelant et où tout le monde retrouve sa colère ou fait semblant…

Le ressentiment est la seule chose capable de ronger à ce point l’âme d’un homme, d’une ville ou d’un pays. L’hypocrisie est ce que je trouve de pire. Le ressentiment ? Personne n’en sera jamais quitte.

 

Comment expliquer l’impuissance et ce qu’un homme est capable de faire, quand ton interlocuteur n’a jamais ressenti ce que ça fait d’être soi-même un salaud potentiel, comment expliquer que c’est à la fois un bien et un mal de jamais l’avoir vécu et que s’indigner dans un fauteuil n’est rien d’autre que de l’hypocrisie qui s’ignore ?

 

Aucun de vous ne sait ce que signifie l’immédiateté. La proximité d’une violence généralisée vous est étrangère, et là-dessus, la plupart du temps, je me sens obligé d’ajouter que c’est une bénédiction de ne pas avoir connu la guerre …

 

Plus j’écris pour toi, plus je me surprends à ensevelir tout ce que je sais, plus je fais comme si ce vieillard n’était qu’un fantôme, une ombre tombante derrière le jeune Wilfried qui regarde bien en face le soleil de chaque nouveau jour, un garçon qui comprend si peu ce qui se passe autour de lui et se berce de d’illusions que rien ne peut l’atteindre.

 

Rien ne démolit autant que la rage, quand tu n’as pas de prise sur la cause. Elle ne te lâche pas, continue de brûler, sans rime ni raison, jusqu’à carboniser chaque souvenir.

 

 

 

Lu en janvier 2019