Après Venise et la Douane de mer, je vous propose un autre voyage au pays de l’Art et de l’Histoire avec ce roman :

Résumé de l’éditeur :
Sabrina est restauratrice au musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Elle vient de perdre sa grand-mère, Angela, et a découvert, dans la maison de celle-ci, une magnifique sculpture en argile représentant un buste féminin, signée de la main de Costanza Marsiato. Le modèle n’est autre que Simonetta Vespucci, qui a illuminé le quattrocento italien de sa grande beauté et inspiré les artistes les plus renommés de son temps.
Qui était cette mystérieuse Costanza, sculptrice méconnue ? Comment Angela, Italienne d’origine modeste contrainte d’émigrer en Belgique après la Seconde Guerre mondiale, a-t-elle pu se retrouver en possession d’une telle œuvre ? Sabrina décide de partir à Florence pour en savoir plus. Une quête des origines sur la terre de ses ancêtres qui l’appelle plus fortement que jamais…
Dans ce roman d’une grande sensibilité, le fabuleux talent de conteuse de Christiana Moreau fait s’entremêler avec habileté les voix, les époques et les lieux, et donne à ces quatre destins de femmes un éclat flamboyant.
Ce que j’en pense :
Au décès de sa grand-mère, Sabrina, restauratrice d’œuvres d’art au musée des Beaux-Arts de Bruxelles hérite d’une superbe statue, sur laquelle est gravé : Constanza Marsiato, avec comme devise : « La sans pareille ». Qui peut-bien se cacher derrière ce nom ?
Elle va donc remonter dans l’histoire familiale pour comprendre pourquoi une statue d’une telle valeur a pu être en possession d’Angela, sa grand-mère donc, qui a quitté son Italie natale en 1945 pour suivre son mari qui a fui la misère pour aller travailler dans les mines en Belgique via un contrat sordide : 1000 tonnes de charbon pour chaque ouvrier italien qui viendra creuser dans des conditions plus que précaires.
« Le premier accord bilatéral « mineur-charbon » prévoyait le transfert de cinquante mille travailleurs italiens dans les mines belges. Pour chaque ouvrier envoyé en Belgique, l’Italie recevait une tonne de charbon. Des hommes échangés contre du charbon ! »
Angela rejoint Giuseppe, son mari deux ans plus tard, emportant avec elle, un seul bien précieux cette statue qui se transmet à la fille aînée de génération en génération : « la Belle Dame », comme on l’appelle dans la famille. L’exil est douloureux, avec son corollaire, la pauvreté et la difficulté de se faire accepter et aussi la revanche à prendre pour la génération suivante.
Le récit fait alterner l’histoire d’Angela, celle de Constanza, celle de Simonetta Vespucci et bien sûr celle de Sabrina et plus on avance vers l’authentification de la statue, plus on apprend de choses sur le statut des femmes depuis le Quattrocento. Les femmes, à l’époque, ne pouvait pas être artiste, sinon elles encourraient la peine suprême.
On a des images fortes, telle Constanza déguisée en homme pour pouvoir se faire embaucher dans un atelier où l’on travaille l’argile, et on exécute des œuvres pour le compte des Medici alors que leur puissance commence à décliner. Certes Lorenzo, Il Magnifico règne toujours mais la révolte gronde attisée par les incantations de Savonarole, le grand incendie des œuvres dites licencieuses : le bûcher des vanités
Autrefois insouciante dans sa joie de vivre, Florence était maintenant sous l’emprise d’une affolante fièvre de pénitence, sous la domination du prêcheur obnubilé par le péché. C’est à l’aide de ces malédictions apocalyptiques qu’il enterrait les libres penseurs. Dans les rues, ses jeunes disciples qu’il désignait comme son « armée des anges » appelaient au repentir.
Chaque période est intéressante, et j’ai eu un plaisir immense à côtoyer Simonetta Vespucci, la Sans Pareille, qui posait nue pour Sandro Botticelli par exemple, sur les mœurs de l’époque. Son arrivée et son installation à Florence au printemps 1472 montrent à quel point elle a été importante, dans la cité, et l’amour que lui portait la population. Dès son arrivée, Giuliano, le frère de Lorenzo est tombé amoureux d’elle, comme chaque habitant de la ville.
L’auteure nous explique la manière de travailler l’argile, les différentes sortes d’argile, le manière de réaliser la cuisson, avec une belle réflexion très intéressante sur l’artiste par rapport à l’artisan.
Souvent, dans ces récits gigognes, je trouve la partie qui se passe de nos jours, décevante, par rapport au XVe siècle notamment, et dans ce roman Christiana Moreau nous présente une héroïne qui souffre car ne réussit à vivre que dans son métier aux dépens de sa vie personnelle, mais elle est attachante et quand elle raconte son coup de foudre pour Florence, avec des allusions sympathiques au Syndrome de Stendhal, elle est crédible et à la hauteur des femmes qui l’ont précédée.
J’ai découvert Christiana Moreau avec « Cachemire rouge » qui m’a beaucoup plu alors je n’ai pas hésité, au grand dam de ma PAL, à choisir celui-ci quand il a été proposé par NetGalley. C’est un bel hommage à l’Art, dans toute sa splendeur, et toutes ses dimensions. J’ai arpenté Florence avec Sabrina, découvrant avec elle toutes ses splendeurs et mes yeux brillent encore. Entre nous, je suis pratiquement certaine que je tomberais en pâmoison dans cette ville, en rencontrant autant de beauté que je n’ai pas encore visitée et pourtant ce n’est pas l’envie qui m’en manque…
Tout est soigné et beau dans ce roman comme en témoigne la magnifique couverture qui semble inspirée du portrait de Simonetta attribué à Piero di Cosimo.
Je dévoile le moins de choses possible afin de vous donner envie de lire ce beau roman, écrit par une artiste car, outre ses talents de peintre, l’auteure travaille elle-même l’argile, et grâce à elle, j’ai découvert les particularités de l’argile de la ville de Impruneta, ville située quatorze km au sud de Florence qui devient rose après la cuisson.
J’aime beaucoup la période du Quattrocento, ses artistes incomparables, à mes yeux de profanes et toute la période historique qui va avec : les Medici, Savonarole, et comme par hasard, Babelio m’a proposé un pavé sublime « L’étoile brisée » qui évoque justement Savonarole, et son destin et aussi l’Espagne à la même époque avec les interactions entre les deux pays sur fond de découverte de l’Amérique. Je suis donc en immersion totale, pour mon plus grand plaisir.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Préludes qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de Christiana Moreau dont il me reste à découvrir « La sonate oubliée ».
#LaDamedargile #NetGalleyFrance
https://fr.wikipedia.org/wiki/Simonetta_Vespucci
L’auteure :
Christiana Moreau est une artiste autodidacte, peintre et sculptrice belge. Elle vit à Seraing, dans la province de Liège, en Belgique.
Après La Sonate oubliée, Cachemire rouge, La Dame d’Argile est son dernier roman.
Extraits :
Simonetta Vespucci, la Sans Pareille, bien que mariée, fut la « Dame » du chevaleresque Giuliano (Medici) c’est-à-dire l’idéale bien-aimée…
… Cette jeune femme a illuminé les chefs-d’œuvre des maîtres du quattrocento, Ghirlandaio, Pollaiuolo, Piero di Cosimo, Botticelli ou Leonardo da Vinci. Elle était adorée, courtisée, les Florentins en étaient fous et une passion naquit entre elle et Giuliano de’ Medici.
Conquise, elle vient à l’instant de tomber amoureuse de cette ville. Un authentique coup de foudre. « La tête me tourne… Je ne vais pourtant pas être victime du syndrome de Stendhal » se dit-elle.
De son vivant, elle en avait fait tourner des têtes ! A commencer par celle de Sandro Botticelli qui en fait son modèle préféré durant toute sa vie. Ensuite, le beau Giuliano de’ Medici eut la bonne fortune d’être aimé d’elle.
Croyez-vous que Savonarole aurait pu jouer un rôle autour de ma statue ? Cette sculptrice qui est aujourd’hui inconnue a pu être victime de son sectarisme. Aurait-il tenté de détruire ses œuvres ? Dans tous les régimes dictatoriaux du monde et de toutes les époques, les artistes sont pourchassés, bridés dans leur création.
Angela avait été acheminée en train spécial de Florence vers Milan, par les soins du ministère italien du Travail, dans le cadre du regroupement des familles. Elle errait depuis deux jours parmi une cohorte d’épouses et de fiancées déboussolées.
Elle (Angela) avait encore dans les oreilles les querelles entre ses grands-parents maternels fascistes et paternels communistes. Elle n’en pouvait plus de toutes ces tensions. Sept ans que la guerre était finie, mais les rivalités continuaient. Elle avait cru échapper à ces dissensions, pour retrouver la sérénité sous d’autres cieux, et voilà que cette discorde l’accompagnait dans sa nouvelle vie. C’en était trop.
Les toilettes n’avaient pas de toit et, lorsqu’il pleuvait, il fallait se servir d’un parapluie.
Les Vespucci étaient la famille la plus importante du quartier Ognissanti, habité principalement par de prospères banquiers, alliés des Medici.
« Peut-on mourir d’art ? ». Ces mots sont ceux de Stendhal à la sortie de l’église Santa Crosse. Cette ivresse, ce trouble ressenti par l’écrivain face aux beautés florentines a donné son nom au symptôme. Depuis, chaque année, une dizaine de personnes sont victimes de réactions irraisonnées devant le David de Michelangelo, le Bacchus du Caravaggio ou le Printemps de Botticelli. D’ailleurs, l’hôpital Santa Angela Nuova recense ces cas de souffrance psychique face aux œuvres d’art…
Autant il Magnifico était tout-puissant, n’hésitant pas à écraser ses nombreux ennemis sans états d’âme, autant son fils Piero li Sfortunato était décrit par ses concitoyens comme un souverain médiocre. Il était la cible de pamphlets violents contre les Medici par le moine prédicateur Savonarole, qui reprochait sa corruption à cette famille régnante…
Malheureuse ! Porter des vêtements d’homme est un délit passible de la peine capitale ! Avec cette culture de l’espionnage et de la délation qui s’installe, l’époque n’est plus à la tolérance.
A sa base reposaient les masques, les fausses barbes, les perruques et postiches, les vêtements carnavalesques. Au-dessus, venaient les livres interdits de poètes jugés dépravés, la prose profane de Boccace et les vers immoraux de Pétrarque. Tous les ouvrages non religieux, parmi lesquels les auteurs licencieux, mais aussi les manuscrits de l’antiquité, d’Ovide ou d’Anacréon d’une valeur inestimable. Ensuite, les ornements et ustensiles de toilette des femmes…