Je vous parle aujourd’hui d’un livre dont la lecture autant que ma chronique, m’auront donné du fil à retordre, mais le jeu valait la chandelle, du moins je le crois :

Quatrième de couverture :
Comment l’interprète du XXIe siècle peut-il résister à la logique économique et à la technologie qui se sont emparées de l’art musical ? Le chemin de la transcendance apporte-t-il une réponse ?
Ce livre s’adresse à tous les musiciens professionnels et amateurs, aux mélomanes avertis ou non, et à tous ceux qui cherchent à comprendre l’essence de la musique.
Ce que j’en pense :
J’ai choisi ce livre parce que le titre me plaisait, lors de la dernière opération « masse critique » de Babelio, un peu par défaut, mais comme je suis d’un naturel curieux et mélomane…
A la deuxième page de l’introduction, j’ai sauté au plafond en lisant cette phrase :
« Le monde nouveau qui se profile est celui des machines, des cyborgs. Il ne sera plus nécessaire de faire un long et fastidieux apprentissage pour devenir musicien. Des pianos connectés, tel le Spirio de Steinway & Sons sont programmés pour reproduire les moindres subtilités les interprétations des plus grands pianistes… »
Inutile de dire que j’ai fait alors un énorme blocage et laissé le livre en plan, allant y jeter un coup d’œil de temps en temps et maudissant le monde de l’intelligence artificielle ! et pourtant, le sous-titre était prometteur: « à la recherche de la transcendance chez le pianiste ».
De surcroît, l’auteure insiste sur le côté technique, la dextérité en gros, de l’exécution d’une partition, encore un blocage à l’horizon. Mais, je déteste ne pas aller au bout du livre même s’il me prend à rebrousse-poil, j’ai repensé aux compositeurs et aux interprètes que j’aime et j’ai continué et je ne le regrette pas du tout.
Fabienne Kandala nous présente vingt pianistes qu’elle a tous rencontrée, douze hommes et huit femmes, de toute nationalité. Après un topo sur leur parcours, elle nous propose un entretien, en leur posant la question de la transcendance dans leur art.
Chacun raconte sa manière de concevoir le ressenti lors de l’interprétation d’une œuvre et les moments de pur bonheur qu’ils ont pu ressentir, certains parlent d’expérience mystique, du divin ou simplement de spiritualité. Tous dénoncent l’enseignement actuel, qui est axé uniquement sur la pratique, la virtuosité, le côté technique ce qui se traduit pour certains jeunes musiciens préparant les concours, par des heures de travail, mais l’émotion n’est pas là. Et certains finissent par renoncer à l’exercice du métier qu’ils ont choisi, car ils ont perdu l’essentiel en route.
L’auteure nous livre ainsi une belle réflexion sur le « faire » et « l’être », pour certains, jouer n’est pas exécuter la sonate ou le concerto du compositeur, mais être le compositeur, ou être en osmose avec lui. Certains expliquent avoir joué en union avec lui, notamment dans les moments de stress, ou encore l’importance des bis car il se produit un lâcher-prise total, l’œuvre ayant été bien exécutée pendant le programme…
On retrouve au passage des pianistes de génie, cité notamment par Aquiles Delle Vigne, italo-argentin : Rubinstein, Claudio Arrau, Sviatoslav Richter, Wilhelm Kempff, qui « vivaient leur musique », pour lesquels la virtuosité n’occupait pas la première place. (Nostalgique du grand échiquier de Jacques Chancel, je garde des souvenirs éblouis de certains d’entre d’eux !)
Certains sont durs dans leur propos, telle Elizabeth Leonskaja pour qui
« s’ils (les musiciens) ne peuvent transmettre le message nécessaire aux auditeurs, leur perfection technique est vide de sens »
Il y a aussi des phrases très fortes, telle celle de Neuhauss :
« ne cherchez pas vous-mêmes dans la musique, mais trouvez la musique en vous-même. »
ou encore celle d’Elizabeth Sombart, pianiste française contemporaine :
« Le concert est réussi lorsque l’homme et le divin auront joué à quatre mains, lorsque « ça » écoute, « ça » joue avec moi. On vit alors ainsi : l’esprit agenouillé devenant serviteur. »
Ma préférence va à Miguel Angel Estrella, pianiste argentin, à Maria Joao Pires, Lisboète, et j’ai eu un coup de cœur pour le pianiste sud-coréen, Kun Woo Paik…
A la fin des entretiens, Fabienne Kandala nous propose une synthèse extrêmement intéressante. Tout au long de cette lecture, j’ai eu envie de ressortir mes vieux vinyles, notamment une interprétation du premier concerto de Tchaïkovski par Richter, et mon ami Chopin…
Il est inutile de préciser que je planche sur cette chronique depuis plusieurs jours et j’espère ne pas avoir été trop technique ou du moins trop rébarbative dans mon approche. Je l’ai écrite avec mes tripes, car j’aime énormément la musique classique, mélomane, mais pas musicienne pro, j’ai longtemps pratiqué le « piano à bretelles » alias « piano du pauvre » n’en déplaise à Mr Giscard d’Estaing, la clarinette et la guitare en dilettante… je pleure en écoutant Chopin, ou Beethoven, sans parler de Verdi dans un autre genre…
Un grand merci à Masse critique Babelio et aux éditions Chemins de traverse qui m’ont permis de découvrir ce livre d’une grande richesse ainsi que son auteure.
8/10
L’auteure :
Fabienne Kandala détient une Maîtrise en Musique-Interprétation (piano) de l’Université Laval (Québec) et le Diplôme d’État français de professeur de piano. Elle a étudié avec Marie-Jeanne Tchernoff, Arturo Nieto Durantes, Jean Boguet, Colette Fernier et Monique Deschaussées.
Elle a également étudié le chant. Elle joue en concert en tant que soliste, chambriste et elle est professeur au Conservatoire…
Extraits :
C’est ça être interprète. C’est être tout le temps à l’écoute des sensations du compositeur, mais pas de soi. Surtout, pas de « moi, j’ai ressenti cela. On peut tout de même puiser dans ce qu’on a vécu pour nous aider à interpréter. Pour cela il me faut une dimension spirituelle sous-jacente en tant qu’être humain. Colette Maze
La musique est une élévation de l’esprit une spiritualité sans se référer à un dogme ou à une religion. Tout cela n’empêche pas d’être fan de l’informatique. Tout revient à trouver un équilibre pour vivre dans ce monde. Pascal Rogé
Par exemple, certaines personnes donnent des concerts et enseignent, mais en évitant d’intégrer la dimension spirituelle dans leur enseignement, elles ne vont pas dans le sens de cette politique. Dans cent ans, elle est sûre que ce sera encore la même chose : il y ceux qui se destinent à être des « bijoux de collection » et les autres des « bijoux de pacotille ». Elizabeth Leonskaja (de nationalités soviétique et autrichienne)
Grâce à ce professeur qui me demandait tout le temps : « Que vois-tu là ? », j’ai compris que l’important n’était pas de jouer des notes, mais d’exprimer l’amour, l’émotion, la tendresse. La musique, c’est tout ça. Miguel Angel Estrella.
Aujourd’hui, lorsque des jeunes étudient des concertos de Rachmaninov, iles écoutent les versions des concours. Si on leur dit d’écouter Rachmaninov lui-même, ils vous répondent que c’est « old fashion ». C’est quand même le compositeur qui joue ! Ils critiquent la version du compositeur et ils ne font pas ce qui est écrit dans la partition. Eugen Indjic
Je leur explique que nous vivons dans notre tête et que nous sommes trop préoccupés par l’idée de « faire ». Pourtant, dans quoi que ce soit, on ne peut rien faire si le corps vient en deuxième place. Le corps, c’est nous. C’est lui qui mène l’expérience d’éveil, que ce soit dans toute expérience de fusion avec l’Esprit, le Son, la Lumière, l’Univers. Toutes ces expériences viennent de la conscience corporelle. Maria Joao Pires
Notre travail n’est pas de jouer du piano. Interpréter, c’est une chose, mais CREER quelque chose avec la partition, c’est un niveau supérieur, différent. Vous savez, interpréter, tout le monde peut le faire. On apprend au conservatoire comment interpréter les compositeurs avec des connaissances…
… quand on est jeune, on n’a pas assez de connaissances et on répète, on répète et on devient une machine, une machine parfaite. Ce n’est pas vraiment de la musique, ni de la création. C’est pour cette raison que je n’aime pas le mot interpréter, ni exécution. Interpréter, c’est limité. On fait partie de la création d’une œuvre musicale… Kun Woo Paik