« Berlin Requiem » de Xavier-Marie Bonnot

Je vous parle aujourd’hui d’un livre,le premier lu de cette rentrée littéraire, qui m’a bouleversée, l’émotion est tangible dans ma chronique car le violon de Szymun Golberg est toujours dans ma tête, qui n’est pas en très bon état ces derniers jours, passés en position horizontale:

Résumé de l’éditeur :

Rentrée littéraire Plon 2021.


« La musique a des accords que les mots ne peuvent dire, ni même comprendre », mais Xavier-Marie Bonnot parvient, avec ses mots, à décrire l’une des plus sombres périodes de l’Histoire sur fond de musique et d’art, contraints et fanés par le nazisme.

 
Berlin, 1932. Wilhelm Furtwängler est l’un des plus grands chefs d’orchestre allemands. Il dirige l’orchestre philharmonique de Berlin et éblouit son public par son génie virtuose. 1934. Hitler est chancelier et détient tous les pouvoirs, c’est le début des années noires. Le nazisme s’impose et dépossède les artistes de leur art. Les juifs sont exclus de l’orchestre et contraints de s’exiler. La culture devient politique. La musique devient un véritable instrument de propagande. Continuer d’exercer son art mais en se soumettant au régime du III Reich ou fuir l’Allemagne ? Pour Furtwängler, ce choix n’a pas de raison d’être. Mais l’art est-il véritablement au-dessus de la politique ? La passivité étant souvent interprétée comme un signe d’acceptation et de collaboration, cela pourrait bien lui porter préjudice…

En parallèle, Rodolphe Bruckmann, fils d’une célèbre cantatrice ayant chanté dans les opéras les plus prisés de la capitale, contemple et vit les évènements avec son regard de jeune garçon. La guerre se profile au loin mais lui ne comprend pas. De ses yeux naïfs, il voit tous ces SS qui ont fière allure dans leurs uniformes. Il ne perçoit pas le mal. Lui, ce qu’il veut, c’est devenir le plus grand chef d’orchestre que l’Allemagne n’ait jamais connu. Il a ce don en lui. Les notes lui parlent, le transportent. La musique l’anime depuis toujours et ni la guerre, ni la déportation de sa mère, ni l’absence de père, ne parviendront à détruire ses ambitions. Il le sait, il sera le prochain Furtwängler. Le destin de ces deux âmes se croisent et se rejoignent harmonieusement, comme des notes de musique, pour former la plus belle des partitions. Le positionnement de Wilhelm Furtwängler pendant la seconde guerre mondiale est une zone obscure éclairée par la plume de Xavier-Marie Bonnot, qui, par son histoire, écrit l’Histoire.

Ce que j’en pense :

1954, Rodolphe Meister va diriger la Neuvième symphonie de Beethoven à la salle Pleyel, il arrive en avance pour sentir le public, l’apprivoiser. Succès total, ovation pour le jeune chef.

Le passé revient le hanter : Berlin, les dignitaires nazis qui se targuent de musique et veulent l’utiliser comme outil de propagande, tentant de manipuler pour ce faire le grand chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler. Il a rencontré ce génie alors qu’il allait assister à une répétition, sa mère Christa étant une cantatrice réputée. Lorsque le Maître le hisse près du pupitre, Rodolphe remarque qu’il n’est pas à la bonne page de la partition lors de la pause, celui-ci lui explique que le chef doit connaître toute la partition par cœur. Rodolphe décide qu’il deviendra plus tard chef d’orchestre lui aussi.

Durant l’hiver 1932, Wilhelm Furtwängler, qui doit donner le soir-même en concert « le Requiem allemand et Première symphonie de Brahms est sommé de se présenter devant Hitler, déjà persuadé que la victoire aux élections ne lui échappera pas. Ce qui donne une entrevue d’anthologie entre les deux hommes !

Il pense que musique et politique n’ont rien à faire ensemble et que jamais Hitler ne sera élu, puis que cela ne durera pas, c’est impossible, les gens réfléchissent quand même ! Pourtant, il y a déjà des affiches partout, des agressions de personnes juives.

Il va tenter de tenir son cap quand même contre vents et marées, malgré les convocations de Goebbels, ou de Göring qui se détestent cordialement mais sont prêts à unir leurs forces pour intimider, menacer le Maître.

Rodolphe est alors âgé de huit ans, il est amoureux d’Eva, sa nurse, ouvertement pro-nazie, au grand dam de sa mère Christa, toujours en tournée, alors il faut bien lui faire payer ses absences. Elle a compris le danger, tout comme le Premier Violon qui s’exile à Paris. Goebbels tente de la séduire aussi mais, elle ne cède pas, alors il va lui dénicher un grand-père juif.

« Attendre sa mère, attendre sa voix à travers un combiné que retient un fil. Écouter la douceur de cette voix, rien que pour lui, et pas pour un public dans la pénombre. »

Rodolphe a une autre cause de souffrance, il ne sait pas qui est son père, Christa ayant eu plusieurs liaisons en même temps pour tromper l’angoisse, la solitude des tournées où elle a tendance à boire aussi. Autre source de grief.

On va revivre de l’intérieur la montée du nazisme, la prise du pouvoir, la nuit des longs couteaux, la nuit de cristal, à travers les yeux de Rodolphe et de Wilhelm Furtwängler

Christa finit par choisir l’exil à Paris aussi mais la guerre arrive et plus personne n’est à l’abri, tandis que l’entreprise d’extermination des Juifs se met en place inexorablement, la bête immonde ne rampe plus…

Xavier-Marie Bonnot, à travers ce récit rend un bel hommage à ce génie qu’était et est toujours d’ailleurs, la musique n’est-elle pas éternelle, Wilhelm Furtwängler ses convictions, son amour pour la musique, sa résistance au régime, sa vie, tout court. Et bien sûr il ne faut pas oublier l’autre héroïne du livre, la musique avec Beethoven, Wagner, avec « Tristan et Isolde » qui résonne et surtout la magnifique Neuvième symphonie de Beethoven

J’avoue mes réticences devant Wagner, antisémite notoire, tellement omniprésent dans la propagande nazie, dont les compositions me laissent perplexe, à chaque tentative d’écoute de la tétralogie, je renonce assez vite car l’image d’une moustache qui convulse vient s’interposer. Mais, il paraît, selon le Maître que l’âge venant, on l’apprécie davantage.

L’utilisation des musiciens déportés à Bergen Belsen fait frémir, une autre arme de destruction massive ! tuer les gens de l’intérieur…

J’ai beaucoup aimé ce roman, les personnages fictifs ou réels, le génie de Wilhelm Furtwängler à qui l’on reprochera son attitude envers le régime lors de la dénazification. Les juges ne voudront même pas entendre qu’il résistait à sa manière, et que sa résistance avaient conduit les nazis à décider de le déporter. Il a aidé les musiciens juifs de son orchestre à fuir, notamment le premier violon, Szymon Goldberg qui fera une brillante carrière. Par contre Herbert von Karajan dûment encarté au parti nazi, ne sera jamais inquiété !!!!

Dans le prologue, l’auteur nous prévient que : « seuls, les personnages de Christa et Rodolphe Meister relèvent de la pure fiction, les autres appartenant à l’histoire la plus sombre de l’humanité, celle du Troisième Reich ». Mais Xavier-Marie Bonnot a su leur donner une telle puissance qu’on les sent aussi vivants que les personnages ayant réellement existé.

Une scène est particulièrement intense : les nazis obligent Furtwängler à jouer la Neuvième symphonie pour l’anniversaire d’Hitler alors que celui-ci ne vient pas et il doit s’exécuter devant une chaise vide !

Petite touche personnelle, comme d’habitude, je ne verrai plus Karajan de la même façon et pourtant j’ai une foultitude d’enregistrements, notamment les symphonies de Beethoven, dans mes placards, mais la musique va continuer à prévaloir sur la politique, par contre j’en ai peu de Wilhelm Furtwängler, il va falloir en chercher.

J’ai retrouvé avec plaisir la plume de l’auteur, découvert avec « Les vagues reviennent toujours au rivage » qui m’avait beaucoup plu j’ai encore deux romans dans ma PAL : « Le tombeau d’Apollinaire » et « Néfertari dream »

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Plon qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur et ce livre,vous l’aurez compris est un immense coup de  cœur et comme toujours dans ces cas-là, ma chronique me laisse insatisfaite; j’espère vous avoir convaincus que cette lecture est indispensable.

#BerlinRequiem #NetGalleyFrance

Extraits :

« La vie sans musique est tout simplement une erreur, un calvaire, un exil ». Friedrich Nietzsche Lettre au compositeur Peter Gast

La musique a des accords que les mots ne peuvent dire, ni même comprendre. Faut- s’y résoudre. Elle est la parole profonde de l’âme, elle ne se trompe pas. Elle irradie de Rodolphe, parce qu’il sait prendre tous les risques et qu’il est de toutes les audaces.

Le chef d’orchestre marche un instant, histoire de se détendre. Il n’aime pas rencontrer les hommes politiques et encore moins les nationaux-socialistes.

On a beau lui dire que ce sont tous des battus de la crise, des laissés pour compte, il n’en démord pas : tous des voyous et des ratés à qui l’on fait miroiter les délices du petit pouvoir ! cette populace saura cravacher les élites, les bons, les intelligents, si jamais elle prend d’assaut la démocratie.

Hitler est un camelot qui ne comprend rien à rien à la musique. Il fronce les sourcils et parle nerveusement, avec un horrible accent autrichien qui trahit ses origines modestes.

« Nous avons l’intention de donner à l’art la place qui lui revient de droit dans le cœur des Allemands. L’art, particulièrement la musique, sera un des instruments de notre politique, pour le peuple. » (Hitler)

L’Allemagne n’est pas une opérette pour les aventuriers comme toi, songe Furtwängler en appelant un taxi. Nous sommes des Allemands, tout de même, nous ne nous laisserons pas faire.

Il gigote, rencogné dans ses pensées et ses émotions, jusque tard dans la nuit, plaçant Furtwängler en rival définitif. Un homme à pourfendre, en chevalier, à la loyale. Mais tellement perché dans les étoiles, tout là-haut, que pour l’atteindre il faut une grande échelle de rêves.

Mendelssohn, Goebbels affirme que c’est de la musique de Juif, une pâle imitation des grands génies allemands.

Personne ne touche à l’idole des Allemands. Comme Strauss, Furtwängler fait partie désormais des projets nazis. La nouvelle Allemagne se doit d’avoir ses monuments, vivants si possible.

Sa gloire l’écrasait et l’éparpillait en mille rencontres, de concert en concert, de théâtre en théâtre. Sa gloire l’écrase toujours. Elle pèse sur toute sa vie à présent, plus que jamais. De la gloire sombre qu’une lumière noire éclaire. Parce que Goebbels et Göring se le disputent. Avec Richard Strauss, il est l’un des « monuments vivants » comme disent les dignitaires du régime.

Szymon Goldberg a toujours l’air un peu triste quand il joue du violon. C’est sa nature on le dirait éternellement mélancolique. Il fixe son archet parfois, en louchant presque, puis son regard s’évapore dans la musique qui vibre sous ses doigts.

Goldberg dévisage froidement Furtwängler, d’un regard comme un point d’interrogation, où la tristesse se mêle à l’exaspération. Le chef est donc d’une naïveté déconcertante, incapable d’admettre que, au jeu des luttes d’influence, il finira par perdre. L’orgueil aveugle.

Goebbels a compris que Furtwängler restera jusqu’à l’extrême limite…

… Il sait que Furtwängler ne partira pas d’Allemagne car il craint de perdre son statut de demi-dieu. Les jeunes loups comme Karajan n’attendent que ça.

Au-dessus de cette foire d’empoigne, Hitler observe et compte les coups. C’est lui qui sifflera la fin de la partie…

Lu en août 2021

« L’âme du musicien » de Fabienne Kandala

Je vous parle aujourd’hui d’un livre dont la lecture autant que ma chronique, m’auront donné du fil à retordre, mais le jeu valait la chandelle, du moins je le crois :

Quatrième de couverture :

Comment l’interprète du XXIe siècle peut-il résister à la logique économique et à la technologie qui se sont emparées de l’art musical ? Le chemin de la transcendance apporte-t-il une réponse ?

Ce livre s’adresse à tous les musiciens professionnels et amateurs, aux mélomanes avertis ou non, et à tous ceux qui cherchent à comprendre l’essence de la musique.

Ce que j’en pense :

J’ai choisi ce livre parce que le titre me plaisait, lors de la dernière opération « masse critique » de Babelio, un peu par défaut, mais comme je suis d’un naturel curieux et mélomane…

A la deuxième page de l’introduction, j’ai sauté au plafond en lisant cette phrase :

« Le monde nouveau qui se profile est celui des machines, des cyborgs. Il ne sera plus nécessaire de faire un long et fastidieux apprentissage pour devenir musicien. Des pianos connectés, tel le Spirio de Steinway & Sons sont programmés pour reproduire les moindres subtilités les interprétations des plus grands pianistes… »

Inutile de dire que j’ai fait alors un énorme blocage et laissé le livre en plan, allant y jeter un coup d’œil de temps en temps et maudissant le monde de l’intelligence artificielle ! et pourtant, le sous-titre était prometteur: « à la recherche de la transcendance chez le pianiste ».

De surcroît, l’auteure insiste sur le côté technique, la dextérité en gros, de l’exécution d’une partition, encore un blocage à l’horizon. Mais, je déteste ne pas aller au bout du livre même s’il me prend à rebrousse-poil, j’ai repensé aux compositeurs et aux interprètes que j’aime et j’ai continué et je ne le regrette pas du tout.

Fabienne Kandala nous présente vingt pianistes qu’elle a tous rencontrée, douze hommes et huit femmes, de toute nationalité. Après un topo sur leur parcours, elle nous propose un entretien, en leur posant la question de la transcendance dans leur art.

Chacun raconte sa manière de concevoir le ressenti lors de l’interprétation d’une œuvre et les moments de pur bonheur qu’ils ont pu ressentir, certains parlent d’expérience mystique, du divin ou simplement de spiritualité. Tous dénoncent l’enseignement actuel, qui est axé uniquement sur la pratique, la virtuosité, le côté technique ce qui se traduit pour certains jeunes musiciens préparant les concours, par des heures de travail, mais l’émotion n’est pas là. Et certains finissent par renoncer à l’exercice du métier qu’ils ont choisi, car ils ont perdu l’essentiel en route.

L’auteure nous livre ainsi une belle réflexion sur le « faire » et « l’être », pour certains, jouer n’est pas exécuter la sonate ou le concerto du compositeur, mais être le compositeur, ou être en osmose avec lui. Certains expliquent avoir joué en union avec lui, notamment dans les moments de stress, ou encore l’importance des bis car il se produit un lâcher-prise total, l’œuvre ayant été bien exécutée pendant le programme…

On retrouve au passage des pianistes de génie, cité notamment par Aquiles Delle Vigne, italo-argentin : Rubinstein, Claudio Arrau, Sviatoslav Richter, Wilhelm Kempff, qui « vivaient leur musique », pour lesquels la virtuosité n’occupait pas la première place. (Nostalgique du grand échiquier de Jacques Chancel, je garde des souvenirs éblouis de certains d’entre d’eux !)

Certains sont durs dans leur propos, telle Elizabeth Leonskaja pour qui

« s’ils (les musiciens) ne peuvent transmettre le message nécessaire aux auditeurs, leur perfection technique est vide de sens »

Il y a aussi des phrases très fortes, telle celle de Neuhauss :

« ne cherchez pas vous-mêmes dans la musique, mais trouvez la musique en vous-même. »

ou encore celle d’Elizabeth Sombart, pianiste française contemporaine :

« Le concert est réussi lorsque l’homme et le divin auront joué à quatre mains, lorsque « ça » écoute, « ça » joue avec moi. On vit alors ainsi : l’esprit agenouillé devenant serviteur. »

Ma préférence va à Miguel Angel Estrella, pianiste argentin, à Maria Joao Pires, Lisboète, et j’ai eu un coup de cœur pour le pianiste sud-coréen, Kun Woo Paik

A la fin des entretiens, Fabienne Kandala nous propose une synthèse extrêmement intéressante. Tout au long de cette lecture, j’ai eu envie de ressortir mes vieux vinyles, notamment une interprétation du premier concerto de Tchaïkovski par Richter, et mon ami Chopin

Il est inutile de préciser que je planche sur cette chronique depuis plusieurs jours et j’espère ne pas avoir été trop technique ou du moins trop rébarbative dans mon approche. Je l’ai écrite avec mes tripes, car j’aime énormément la musique classique, mélomane, mais pas musicienne pro, j’ai longtemps pratiqué le « piano à bretelles » alias « piano du pauvre » n’en déplaise à Mr Giscard d’Estaing, la clarinette et la guitare en dilettante… je pleure en écoutant Chopin, ou Beethoven, sans parler de Verdi dans un autre genre…

Un grand merci à Masse critique Babelio et aux éditions Chemins de traverse qui m’ont permis de découvrir ce livre d’une grande richesse ainsi que son auteure.

8/10

L’auteure :

Fabienne Kandala détient une Maîtrise en Musique-Interprétation (piano) de l’Université Laval (Québec) et le Diplôme d’État français de professeur de piano. Elle a étudié avec Marie-Jeanne Tchernoff, Arturo Nieto Durantes, Jean Boguet, Colette Fernier et Monique Deschaussées.

Elle a également étudié le chant. Elle joue en concert en tant que soliste, chambriste et elle est professeur au Conservatoire…

Extraits :

C’est ça être interprète. C’est être tout le temps à l’écoute des sensations du compositeur, mais pas de soi. Surtout, pas de « moi, j’ai ressenti cela. On peut tout de même puiser dans ce qu’on a vécu pour nous aider à interpréter. Pour cela il me faut une dimension spirituelle sous-jacente en tant qu’être humain. Colette Maze

La musique est une élévation de l’esprit une spiritualité sans se référer à un dogme ou à une religion. Tout cela n’empêche pas d’être fan de l’informatique. Tout revient à trouver un équilibre pour vivre dans ce monde. Pascal Rogé

Par exemple, certaines personnes donnent des concerts et enseignent, mais en évitant d’intégrer la dimension spirituelle dans leur enseignement, elles ne vont pas dans le sens de cette politique. Dans cent ans, elle est sûre que ce sera encore la même chose : il y ceux qui se destinent à être des « bijoux de collection » et les autres des « bijoux de pacotille ». Elizabeth Leonskaja (de nationalités soviétique et autrichienne)

Grâce à ce professeur qui me demandait tout le temps : « Que vois-tu là ? », j’ai compris que l’important n’était pas de jouer des notes, mais d’exprimer l’amour, l’émotion, la tendresse. La musique, c’est tout ça.  Miguel Angel Estrella.

Aujourd’hui, lorsque des jeunes étudient des concertos de Rachmaninov, iles écoutent les versions des concours. Si on leur dit d’écouter Rachmaninov lui-même, ils vous répondent que c’est « old fashion ». C’est quand même le compositeur qui joue ! Ils critiquent la version du compositeur et ils ne font pas ce qui est écrit dans la partition. Eugen Indjic

Je leur explique que nous vivons dans notre tête et que nous sommes trop préoccupés par l’idée de « faire ». Pourtant, dans quoi que ce soit, on ne peut rien faire si le corps vient en deuxième place. Le corps, c’est nous. C’est lui qui mène l’expérience d’éveil, que ce soit dans toute expérience de fusion avec l’Esprit, le Son, la Lumière, l’Univers. Toutes ces expériences viennent de la conscience corporelle. Maria Joao Pires

Notre travail n’est pas de jouer du piano. Interpréter, c’est une chose, mais CREER quelque chose avec la partition, c’est un niveau supérieur, différent. Vous savez, interpréter, tout le monde peut le faire. On apprend au conservatoire comment interpréter les compositeurs avec des connaissances…

… quand on est jeune, on n’a pas assez de connaissances et on répète, on répète et on devient une machine, une machine parfaite. Ce n’est pas vraiment de la musique, ni de la création. C’est pour cette raison que je n’aime pas le mot interpréter, ni exécution. Interpréter, c’est limité. On fait partie de la création d’une œuvre musicale…  Kun Woo Paik

Lu en juillet 2020

« C’est extra » de Léo Ferré

Un peu de douceur par les temps qui courent avec cette superbe chanson:

Une rob’ de cuir comme un fuseau
Qu’aurait du chien sans l’ fair’ exprès
Et dedans comme un matelot
Une fill’ qui tangue un air anglais
C’est extra
Les moody blues qui chante(nt) la nuit
Comm’ un satin de blanc marié
Et dans le port de cette nuit

Un’ fill’ qui tangue et vient mouiller

C’est extra, C’est extra, C’est extra, C’est extra

Des cheveux qui tomb’nt comm’ le soir
Et d’ la musique en bas des reins
Ce jazz qui d’jazze dans le soir
Et ce mal qui nous fait du bien
C’est extra
Ces mains qui jouent de l’arc-en-ciel
Sur la guitare de la vie
Et puis ces cris qui mont’nt au ciel
Comme une cigarett’ qui prie

C’est extra, C’est extra, C’est extra, C’est extra

Ces bas qui tiennent haut perchés
Comme les cordes d’un violon
Et cette chair que vient troubler
L’archet qui coule ma chanson
C’est extra
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir Jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu’on n’attend plus

C’est extra, C’est extra, C’est extra, C’est extra

Un’ rob’ de cuir comme un oubli
Qu’aurait du chien sans l’ faire exprès
Et dedans comme un matin gris
Un’ fille qui tangue et qui se tait
C’est extra
Les moody blues qui s’en balancent
Cet ampli qui n’ veut plus rien dire
Et dans la musique du silence
Une fill’ qui tangue et vient mourir

C’est extra, C’est extra, C’est extra, C’est extra

Ce texte, écrit en 1969, n’a pas pris une ride,et sa voix enchante toujours autant… J’aime énormément cet artiste qui nous a quitté depuis longtemps, un quatorze juillet, sacré pied de nez de la part d’un anarchiste qui disait aimer le confort, quand on lui reprochait de descendre dans un hôtel quatre étoiles lors d’une tournée… ça avait de la gueule quand même….

« L’enfant de la colère » de Michel Serfati

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que je n’ai pas choisi par hasard sur NetGalley mais parce que le thème résonnait en moi, uniquement en lisant le résumé :

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Nadia n’a jamais connu son père, mort avant sa naissance. À dix-sept ans, elle apprend que Nâzim, né en Turquie, immigré en France, avait été abattu lors d’une attaque de banque. Comme une frange de la jeunesse révoltée des années 1980, il s’était fourvoyé dans un groupuscule violent, au nom d’une lutte radicale contre l’injustice.

Bouleversée, Nadia va chercher à renouer les fils de son histoire, entre Strasbourg où elle a grandi, et Istanbul où s’est réfugiée une ancienne complice de son père. Perdue, elle trouve un peu d’apaisement dans le hang, un instrument de musique dont elle joue bientôt dans les rues, en Alsace et dans la métropole turque. Y trouvera-t-elle de quoi combler l’absence ?

Avec ce roman sur l’engagement, l’exil, la violence et la rédemption, Michel Serfati nous offre aussi le récit sensible d’une quête des origines.

 

Ce que j’en pense :

 

Nadia attend avec impatience que sa mère lui dise enfin qui était son père, comme elle a promis de le faire pour ses dix-huit ans. Des années de questions sans réponses rendent le dialogue difficile.

Elle sait maintenant qu’elle est née d’une histoire d’amour, mais reste sur sa faim. Elle tente de savoir ce qui a bien pu se passer ce jour de 1983 et finit par trouver l’attaque de la banque, par des jeunes épris de liberté et de justice, qui s’est mal terminé : un employé blessé, trois jeunes étudiants arrêtés, un jeune magasinier, d’origine turques qui est abattu, Nâzim, et une jeune femme qui a réussi à prendre la fuite.

La voilà confrontée à l’identité de son père, à l’interrogatoire de sa mère, aux comptes-rendus du procès en 1987, Anne condamnée à la prison à vie par contumace, puisqu’elle s’était enfuie.

« Elle lut, relut dix fois les récits plus ou moins contradictoires des journaux relatant la tentative de hold-up, la folle prise d’otages, l’employé blessé, l’attaquant tué par les tirs de la police, l’arrestation de trois des assaillants, la fuite de la seule jeune femme, les comptes rendus de procès de février 1987. Nâzim Melen, Melen, c’était donc le nom de son père, de son géniteur, elle ne savait comment dire, ni si ou comment elle devait le juger. »

Nadia essaie de prendre contact avec les trois hommes qui sont sortis de prison et un seul veut bien parler avec elle des derniers jours vécus avec la bande, en planque dans un squat… et lui parler d’Anne qui tient une place essentielle  sur l’échiquier, car coup de foudre entre elle et Nâzim durant cette planque.

Entre temps, elle rencontre un musicien qui parcourt le monde : Thorsten étudiant suédois qui lui fait découvrir le hang un instrument qui d’emblée la fascine et dont elle apprend à jouer.

Dans sa quête d’identité, son besoin de connaître ses origines, elle abandonne sa classe préparatoire où ses résultats sont brillants pour entreprendre des études de musicologie et apprendre le turc.

Je ne sais pas si c’est volontaire mais Nâzim est aussi le prénom d’un poète connu :  Nâzim Hikmet

Cela ne suffit pas quand on recherche une moitié de soi, de son identité, alors elle obtient une bourse pour aller étudier six mois à Istanbul, sur les traces des racines de Nâzim et où Anne s’est réfugiée !

Michel Serfati aborde d’une manière pure, empathique, sans jugement, cette quête de l’identité. Il a très bien su décrire la colère de Nadia contre sa mère : c’est celui qu’on a sous la main qui est forcément coupable, puisque l’absent est mort, donc idéalisé. Elle devrait admirer, ou remercier sa mère qui s’est débrouillée seuls pour l’élever, sacrifiant sa vie de femme car aucun homme n’est venu remplacer son amour de jeunesse.

Mais, non, la colère doit se retourner contre elle car, par sa seule présence, elle lui rappelle l’absence douloureuse de son père.

Il aborde aussi les rêves d’une jeunesse idéaliste, qui croyait à l’égalité, à la fraternité, jusqu’à attaquer une banque pour redistribuer aux plus pauvres et dont l’idéal s’est fracassé, ainsi que la manière de réagir des parents : ceux de Nâzim ont « renié » ce fils qui les a déçus et ne veulent plus en entendre parler.

Les mots sont justes, forts, percutants, vibrant comme le Hang et nous montre une jeune femme qui n’a pas peur d’aller jusqu’en Turquie pour retrouver le pays d’origine de son père, alors que la situation du pays n’est pas simple, avec les emprisonnements arbitraires, la torture, les disparitions et les défilés de « mères du samedi » qui veulent juste savoir ce que sont devenus leurs maris ou leurs fils.

Heureusement la musique est là pour évacuer le trop-plein d’émotions et lui permettre de gagner quelques sous comme musicienne ambulante. On ne dira jamais assez le pouvoir thérapeutique de la musique.

Ce roman est un véritable coup de cœur car l’histoire est belle, la quête bien analysée, notamment la souffrance engendrée quand une partie de soi manque, et que le parent présent ne fait que renforcer la douleur de l’absence.

Un immense merci à NetGalley et aux éditions Phébus qui m’ont permis de découvrir ce roman, inspiré d’un fait réel, il y a bien eu une attaque de banque, mais c’était en 1980, et sur laquelle l’auteur a su construire son histoire. En plus la couverture est sublime!

                                                                                                                                         #LEnfantdelacolère #NetGalleyFrance

coeur-rouge-

 

Pour illustrer le Hang, voici une vidéo:

 

ou encore:

 

L’auteur :

 

Michel Serfati a successivement été ouvrier dans l’industrie, éducateur spécialisé, formateur et cadre dans un établissement pour personnes handicapées. Il est l’auteur de « Finir la guerre », lauréat du Festival du premier roman de Chambéry en 2016.

 

Extraits :

 

Mais de quel droit lui refusait-elle la vérité ? Que ce fût aussi une souffrance pour sa mère, qu’il y avait un trop dur à dire pour elle, n’atteignait pas Nadia qui, au fil des ans, répondit au mutisme par des silences de plus en plus pesants.

 

Durant ces années, elle avait ravalé sous sa langue toutes ses interrogations, en même temps qu’elle était habitée d’une colère indicible contre sa mère, une mère n’est-elle pas toujours responsable de tout ?

 

Comment avait-elle fait pour, à vingt-deux ans à peine, au-delà de la honte, du regard et du rejet des autres, des difficultés matérielles qui avaient certainement suivi, assumer la catastrophe, la disparition si brutale de ce qui fut visiblement son seul véritable amour ? Comment avait-elle pu, ses parents trop vite décédés, se débrouiller seule avec un enfant ? Ce que Nadia venait d’apprendre n’avait pourtant pas calmé la hargne qu’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir contre elle, et en même temps elle se sentait coupable de cette rancune incontrôlable, dont elle devinait l’irrationalité.

 

Le hang lui offrit une respiration salutaire. Cette musique l’avait réellement bouleversée. Elle avait immédiatement senti qu’elle pourrait par ce moyen exprimer quelque chose d’elle qui échappait à la rationalité de la réflexion et du langage.

 

Cette histoire était la sienne, elle s’était installée en elle, elle devait l’accepter, il lui fallait d’abord s’habituer à ses traces. Elle prenait conscience avec un certain vertige qu’elle avait un passé d’avant sa naissance, et qui pulsait en elle d’une vie pour l’heure impossible à cerner. Elle interrogeait sans fin le sens du mot racines, avec ce qu’elles avaient de souterrain, d’invisible du côté paternel, qui la nourrissaient cependant en silence, clandestinement, très différemment de celles d’une mère si présente dans ce qu’elle lui avait transmis, et si identifiable aussi dans ce qu’elle n’avait pu lui donner.

  

En page intérieure d’un quotidien régional, l’image grise et floue de sa mère, méconnaissable, les yeux hagards, menottée entre deux policiers, soudain la fouetta. Toute l’humiliation de la scène gicla instantanément du cliché, éclaboussa Nadia, la poissa, c’était nauséeux, insupportable.

 

Nadia fit face à ce visage qui était tellement le sien, sa rage disparut d’un coup. Elle s’en imprégna, longuement. Cette première et unique trace matérielle de lui, elle la photocopia, la plastifia, et la glissa dans son portefeuille, en vis-à-vis de sa carte d’identité.

 

D’où, de quoi, de qui Nadia était-elle réellement née ? De la rencontre de deux univers si différents, au carrefour de deux chemins si dissemblables, presque de deux continents. Elle avait le droit, le besoin absolu de se réapproprier cette moitié d’elle qui lui manquait tant, cet « avant elle ». Sans cela, elle n’aurait pas de réponses aux questions qu’elle se posait sans fin : de qui suis-je, d’où suis-je, où me caser ?

 

C’est fou les mélodies qui sortent de ces deux coupelles métalliques. C’est vraiment un instrument magique, étonnant, on dirait une petite soucoupe volante. C’est planant, apaisant, vraiment fait pour l’évasion. Vous êtes musicienne ?

 

Depuis leur conversation quatre ans plus tôt, l’absent s’était immiscé entre elles sans bruit, sans mots, comme si chacune, ayant conscience de la blessure de l’autre, prenait garde à ne pas triturer la plaie. Le Nâzim de Cécile n’était pas celui de Nadia, chacune le sentait bien.

 

Son père, son géniteur, elle balançait sur le terme. Est-on père par la semence, ou par la conscience de l’être ?

 

Ce mot de colère, qui ne lui était venu qu’une fois en découvrant l’image de l’arrestation de sa mère, elle osa enfin se le dire, pour mieux s’en débarrasser, puisqu’il la parasitait tellement.

 

Était-ce donc cela être adulte, avoir toujours des fautes, réelles ou imaginaires, à avouer à ses enfants, ou à la génération qui suit ?

 

 Je me souviens d’un vieux slogan, je ne sais pas s’il a toujours cours en France, qui disait à peu près : « Plutôt des remords que des regrets. » J’ai fait la triste expérience que les remords n’évitent pas les regrets, pire, que les remords sont une forme de regrets irréversibles, avec de la culpabilité en plus.

 

Les apprentis sorciers dont j’ai fait partie ont gâché de belles énergies qui méritaient d’autres débouchés, nous étions pleins de rêves que nous avons abîmés. Comment demander pardon, sans abdiquer totalement, sans renoncer à des choses auxquelles j’ai encore envie de croire, une fraternité qui relie les hommes et bannit l’humiliation ?

 

Imagine-t-on à quel point une simple phrase comme celle-là : « Tu ressembles à ton père », une phrase aussi banale, courante, peut emplir un être affamé, privé depuis toujours de ce miroir ?

 

Quel monde elle-même et sa génération avaient-elles transmis aux plus jeunes, à Nadia, à Enis ? Un monde en lambeaux, qui incontestablement se portait bien plus mal encore que celui de ses vingt ans. Mais elle n’avait pas, elle n’avait plus de solution à leur proposer, allaient-ils avoir l’énergie, la lucidité de les trouver ? Ce serait à eux d’assumer l’héritage, d’inventer, sans se fourvoyer. De s’inventer aussi des rêves.

 

Partir, c’est parfois aller nulle part. c’est aussi faire des parts, se départir de quelque chose, d’une part de sois, tu le sais, c’est se diviser. Tous les exilés savent ça…

 

Lu en janvier 2020

L’automne avec Brahms » de Olivier Bellamy

Je vous parle aujourd’hui d’un livre particulier passionnant mais ô combien difficile à « chroniquer »:

 

Résumé de l’éditeur :

 

À vingt ans, beau comme un demi-dieu, Brahms fait une rencontre qui va changer sa vie et le cours de l’histoire de la musique. Schumann célèbre son génie, tandis que le jeune homme tombe amoureux de Clara Schumann – la femme du compositeur et la plus grande pianiste de ces années.

Une tragédie succède à cette épiphanie : Schumann est enfermé, il meurt, et le destin de la musique allemande échoit entre les mains de Brahms.

Alors que le monde de l’art ne jure plus que par l’innovation et le progrès, Brahms va se lever, seul contre tous, et démontrer qu’on peut aller encore plus loin en regardant derrière soi. Chantant les beautés de la nature et puisant au plus profond de lui-même, il écrira la musique la plus parfaite et la plus originale qui soit.

Après Un hiver avec Schubert, Olivier Bellamy guide le lecteur dans l’œuvre et l’histoire de Brahms en 44 textes ciselés, documentés et sensibles. Le compositeur le plus secret de son époque nous devient aussi proche qu’un membre aimé de notre propre famille…

 

 

Ce que j’en pense :

 

Tout démarre avec une rencontre magique : Johannes Brahms fait la connaissance de Schumann, en pleine gloire et de sa femme Clara, pianiste renommée et il tombe amoureux de Clara qui a vingt ans de plus que lui. L’auteur n’hésite pas à employer le terme d’Épiphanie pour parler de cette rencontre qui va décider de la carrière de Brahms.

Catastrophe, Schumann est interné : on a parlé de mélancolie, De nos jours, on préfère le terme « troubles bipolaires » à celui de psychose maniaco-dépressive, cela paraît moins grave… Il va d’ailleurs mourir dans cet « asile ».

Toute l’orientation musicale de Brahms va découler de son inspiration pour Schumann.

On voit évoluer, le jeune Brahms, dans ses créations : les danses hongroises, puis les symphonies, les quatuors, les compositions pour piano, les lieder etc.

Au passage, on se rend compte des oppositions de l’époque : aux partisans de Schumann, Brahms, Beethoven, ou Bach ne tardent pas à s’affronter les partisans de la nouveauté : Wagner, Liszt par exemple, on en arrive à une querelle des anciens et des modernes, version musicale, avec pétitions à la clé… on s’affronte, on se déteste, on se critique parfois avant même d’avoir écouter une composition musicale qui vient de sortir… on a les partisans de Verdi en opposition à ceux de WagnerChopin versus Liszt

Bach est considéré comme le père immortel et l’auteur en conclut fort joliment d’ailleurs :  « Et puisque « Bach » signifie « petite rivière » et que Brahms est né au bord de la mer, la filiation s’impose tout naturellement. »

J’ai remarqué au passage la sentiment anti allemand qui règne à Vienne à l’époque et comme Brahms aime dire ce qu’il pense on imagine aisément ce que cela peut provoquer. Il aime provoquer, et la franchise est une de ses qualités. On retient également son perfectionnisme qui va le conduire à détruire les compositions qu’il juge mauvaises.

Olivier Bellamy évoque aussi les rivalités entre pays : il est de bon ton de dénigrer Berlioz, par exemple, uniquement par chauvinisme. Les goûts musicaux et les critères d’appréciations des Français à l’époque sont bien décortiqués…

Je connaissais très peu de choses sur la vie de ce musicien, et l’auteur m’a permis de découvrir les facettes de sa personnalité, son besoin d’être aimé, mais sa tendance à fuir dès qu’une idylle pourrait devenir sérieuse. Ce que je retiendrai aussi, c’est son côté altruiste, toujours prêt à aider les autres, ses parents d’abord, puis ses amis ensuite, il est le parrain de nombreux enfants.

J’aime énormément ses « danses hongroises » inspirées de la musique Tzigane (mot à ne pas prononcer à l’époque déjà !) et je connaissais peu ses symphonies et ses autres compositions.

« Il ressentait pour la musique tsigane (qu’il appelait « hongroise ») la fascination du danseur étoile pour le hip-hop. Une autre idée de la virtuosité transcendante sans les rênes de l’académisme, l’exotisme en prime… Toute sa vie ce maître de la fugue est resté un éternel fugueur « 

On a beaucoup dit à l’époque que sa première symphonie était tellement la continuation de celles de Beethoven, qu’on l’appelait la « Dixième ».

A noter, un chapitre intéressant sur Wilhelm Furtwangler qui définit ainsi la musique : « La musique n’est ni intellectuelle ni abstraite mais organique, immédiate et comme jaillie des mains de la nature » ou mieux encore

« la musique n’existe que dans l’instant et rend caduque toute littérature. L’œuvre d’art se ressent totalement au moment où elle est jouée et entendue. Après cela, l’intellect fractionne morcelle, oublie le tout. »

L’auteur fait un clin d’œil en passant au célèbre « Aimez-vous Brahms » de Françoise Sagan, aux cinéastes qui ont choisi ses œuvres en bande-son : Godard dans « à bout de souffle », mais aussi Chabrol, Leconte, Kubrick et même Chaplin

D’autre part, j’ai découvert les lieder (il en a peu écrit par rapport à Schumann par exemple, car il pensait que si un poème était « parfait » il n’avait pas besoin de musique pour le mettre en valeur (ex Goethe ou Heine) …

Je préfère Beethoven, Bach, Chopin, (Mozart bien-sûr) que je peux écouter pendant des heures, mais avec Liszt, je coince un peu et Wagner m’insupporte : j’essaie de temps en temps d’écouter sa tétralogie par exemple, mais je dois tenir dix minutes d’affilée, c’est-à-dire écouter un petit bout de temps en temps façon puzzle. J’aurais presque envie de dire « Du bruit en guise de musique » pour reprendre un commentaire glacial de Staline lors d’un concert.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre mais, il faudrait le relire en écoutant la musique car chaque chapitre correspond à une période de la vie de Brahms, mais surtout à la progression dans ses compositions pour l’apprécier de manière plus approfondie.

J’admire la poésie de l’écriture, le travail et la passion d’Olivier Bellamy ; passion qui  est omniprésente dans cet ouvrage très convaincant. J’espère avoir été convaincante car point n’est besoin d’être un mélomane averti pour apprécier ce livre.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Buchet-Chastel qui m’ont permis de découvrir ce roman et de m’immerger dans l’œuvre de Brahms et dans son époque.

#LautomneAvecBrahms #NetGalleyFrance

 

❤️ ❤️ ❤️ ❤️ ❤️

Pour vous remercier d’avoir eu la patience de lire ma chronique jusqu’au bout et après avoir poursuivi l’intox avec des extraits difficiles à choisir, je vous propose quelques illustrations musicales ci-dessous, .

 

 

L’auteur :

 

Né à Marseille en 1961, Olivier Bellamy anime chaque jour « Passion classique » sur Radio classique. Il est aussi l’auteur de plusieurs documentaires à la télévision dont la série « A Contretemps » sur France 3 et anime un blog sur le Huffington Post.

On lui doit un autre livre: « Un hiver avec Schubert »

 

 

Extraits

 

Ce qu’il aime par-dessus tout : jouer des valses avec son camarades Johann Strauss. Les honneurs ? Il n’en a cure. Décoré de l’Ordre de Leopold des mains de l’empereur, il bougonne : « je préfère trouver une belle mélodie plutôt que recevoir une récompense. »

 

Très précoce, l’enfant invente un solfège à cinq ans, pour noter ce qu’il entend, avant d’apprendre la théorie de la musique…

… à dix ans « Hannes » sait qu’il veut être compositeur. Ses dons au piano sont si remarquables, que son mentor se désespère : « il aurait pu être un si bon pianiste ».

 

La rencontre avec Schumann ainsi que la mort prématurée de celui-ci vont presser Brahms à devenir cet aigle à deux têtes, l’une classique, l’autre romantique. En quelques mois, il prend conscience de sa responsabilité vis-à-vis de la musique, signe une sorte de pacte faustien à l’envers et devient « vieux » d’un seul coup.

 

Si Schumann disparaît pour laisser place à sa légende, Brahms enchaîne son existence au souvenir du défunt et ne peut se détacher de Clara.

 

Chaque œuvre de Brahms sonne comme une continuation de l’œuvre de Schumann, avec modestie et loyauté : ce noble et pur artiste me sert constamment de modèle ».

 

Ce lien entaché de frustration et de culpabilité n’a d’autre issue que la sublimation ‘résignée de l’amitié. Mélange de romantisme hollywoodien et de vaudeville français, mâtiné de névrose bergmanienne.

 

Brahms pensera au suicide et le vivra en musique : son quatuor avec piano N°3 en ut mineur en porte le souvenir tragique.

 

Souvent, la poésie populaire germanique est le catéchisme de l’âme allemande. Les notes coulent sur la joue de l’être humain qui aime, gémit, souffre et pleure comme s’il réservait le poids de son chagrin à Dieu.

 

Il existe une conjonction miraculeuse entre l’Allemagne et la musique (comme entre la France et la littérature) mais, ne nous y trompons pas : ce « peuple élu » des sons travaille pour la planète entière. Ce que Sacha Guitry a résumé d’un mot définitif : « Mozart n’est pas né à Salzbourg, il est venu au monde entier ».

 

C’est un grand arbre aux racines larges et profondes, exposé aux quatre vents dont Brahms a hérité. Tous les oiseaux du monde viennent y chanter avant d’emporter au loin un bout de ses rameaux fleuris où la sève du vieux père Bach continue de vivre et de se perpétuer.

 

C’est la sauvagerie domestiquée : le tigre devenu chat d’appartement qui fait ses griffes sur le canapé du salon.

 

Je sens la première volcanique, la deuxième campagnarde, la troisième fluviale, la quatrième aérienne. On a donc bien l’exact déroulement des quatre éléments de l’astrolabe : Feu, Terre, Eau, Air.

 

Si Wagner a changé l’histoire de la musique, Brahms l’a empêchée de se perdre dans une illusion de progrès.

 

La part baroque ne doit pas être oubliée chez cet amoureux d’art ancien. Le mot portugais barroco signifie « perle irrégulière » et l’irrégularité (dixit Schönberg) est un des principes de l’écriture brahmsienne.

 

Le premier concerto était un chant de mort et de transfiguration, le second devient un hymne à la vie, une puissante réflexion sur le sens de l’existence.

 

Il a été embarrassé par le fameux slogan des « trois B » (Bach, Beethoven, Brahms) lancé par le chef d’orchestre Hans von Bülow. Ainsi que le titre de « Dixième » décerné à sa Symphonie N°1. Par modestie, et parce qu’on en oubliait Mendelssohn et surtout Schumann qui n’avait pas démérité en laissant la « maison allemande » en l’état, malgré ses fragilités intimes.

 

Beethoven avance sans cesse. Brahms avance et recule. Comme la mer ! Beethoven n’a jamais vu la mer. Brahms est né au bord !

 

Pour Brahms, Vienne est « la ville sainte de la musique ». Mozart, Beethoven et Schubert y ont vécu. Le « deuxième empereur », celui de la valse, Johann Strauss fils règne sur les cœurs. Tout y respire musique du matin jusqu’au soir. Mais Vienne est aussi connue pour sa légèreté, sa cruauté envers les musiciens trop allemands, trop novateurs ou trop sérieux.

 

C’est à Vienne que Brahms est enterré, pas loin de Beethoven et Schubert, juste à côté de Johann Strauss avec lequel il aimait jouer des valses à quatre mains.

 

Brahms avait le chic pour se faire des ennemis. Un peu par goût de la provocation, surtout par devoir moral de franchise. Si la flatterie lui était foncièrement étrangère, la vanité ne lui était pas plus naturelle.

 

« Il n’y a que deux sortes d’hommes : les responsables et les irresponsables, écrit Furtwängler. Les premiers ont la passion en eux et la mettent au service d’une forme. Les seconds recherchent la passion comme une exaltation ». Brahms est le parangon de l’artiste responsable.

 

L’évolution du goût d’un peuple conserve toujours une part de mystère, mais l’on comprend bien que la vivacité schumannienne est plus proche de l’esprit français que le développement brahmsien.

 

Les Français n’ont jamais aimé Berlioz ni Debussy, pas plus que Brahms. Ils raffolent d’Offenbach. Un Teuton à la mode franchouillarde ; du sérieux sans qu’on s’embête…

 

Sitôt qu’ils sont devenus coiffés de Wagner, les Français n’ont eu aucune envie d’aimer deux Allemands à la fois. Le « sublime » wagnérien ne faisait qu’accuser en comparaison le provincialisme « vieille fille »de Brahms.

 

Nous pouvons continuer à entendre battre le grand cœur de Brahms dans ses œuvres. Comme l’homme est pudique, il cache ses élans et sa tendresse derrière des formes et des structures, mais le sentiment est partout.

 

Brahms a su se montrer généreux (Dvorak ou Grieg), enthousiaste (Bizet), respectueux (Wagner), poliment distant (Liszt), indifférent (Tchaïkovski), partagé puis bienveillant (Mahler)

 

Lu en janvier 2020

 

Pour les « Danses hongroises »: mes préférées sont la 5e que je connais presque par cœur et la 6e me plaît bien aussi:

 

 

ou quelques brefs extraits de chacune d’elles:

 

La symphonie N°1:

 

Le Concerto N°2 pour piano:

 

Pour les lieder, l’interprète le plus prestigieux: Dietrich Fischer-Dieskau

« Le mystère Mozart » de Frédérique Jourdaa

Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui m’a accompagnée durant cette fin d’année 2019:

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Lorsque Jonas se voit proposer la mise en scène à l’opéra Bastille des Noces de Figaro, le chef-d’œuvre de Mozart, il ne peut refuser une opportunité qui pourrait s’avérer décisive pour sa carrière. Pourtant, il n’a plus mis les pieds à Paris depuis la mort accidentelle de son meilleur ami Tamino, dix ans auparavant. Cette nuit tragique, Tamino était sur le point de percer un mystère autour de Mozart et Jonas est bien décidé à profiter de son séjour pour reprendre l’enquête.
Obligé d’affronter les fantômes de son passé, Jonas court les rues dans les pas de Mozart à Paris et apprivoise les rouages de l’opéra Bastille, avec l’aide de Louisa, lumineuse cantatrice. Mais ambitions, intrigues et complots gangrènent l’immense vaisseau où art et pouvoir se rencontrent inexorablement, pour le meilleur et souvent le pire. Et les non-initiés ne franchissent pas impunément les portes de ce monde sacré… Car Jonas ne tarde pas à découvre que dans cet univers en vase-clos, tout n’est que vice, tromperie, secrets et trahisons. Bientôt, la course contre la montre avant la première représentation se transforme en course-poursuite à travers l’opéra Bastille et l’opéra Garnier. Car certains individus qui avancent masqués sont bien décidés à prendre la place de Jonas, et à l’empêcher de révéler le secret de Mozart…

 

 

Ce que j’en pense

 

Deux jeunes gens viennent jouer une partition au piano, Jonas et Tamino lors d’une soirée privée, costumée. Leur prestation est brillante, mais un homme leur demande de jouer une ouvre plus difficile et Tamino rate un peu un passage difficile. Il s’enfuit, sur sa moto, Jonas part à sa poursuite sur sa moto, mais la vitesse est de plus en plus grande et Tamino est projeté dans les airs et décède.

Parmi, les personnes ayant assisté à cette soirée, deux semblent comploter derrière leur masque.

Jonas va s’enfermer dans une maison ayant appartenu à sa grand-mère,  en bord de Loire. Il a hérité du piano de Tamino et d’un carnet sur lequel ce dernier notait toutes ses recherches : notamment le deuxième séjour de Mozart à Paris, où il a vécu dans des conditions misérables, sa mère y est d’ailleurs morte.

Tamino était à la recherche de partitions inédites, secrètes de Mozart, il voulait prouver que Beaumarchais et Mozart s’étaient rencontrés, et que l’inspiration des Noces de Figaro se trouvait là.

Dix ans plus tard, Jonas est choisi pour mettre en scène « Les noces de figaro ». Est-ce une bonne idée ?

Il décide d’un décor minimaliste, reposant sur une vidéo tournée dans Paris sur les lieux où a vécu Amadeus en 1778…  Mais, curieusement, les morts brutales s’accumulent, toujours accidentelles en apparence.

J’ai choisi ce roman car j’aime énormément Mozart alors monter « les noces de Figaro » avec une mise en scène plutôt originale, c’était tentant.

J’ai aimé l’idée que Beaumarchais et Mozart auraient pu se croiser lors du séjour à Paris de ce dernier. La description de l’Opéra Bastille est glaçante, elle ne donne pas du tout envie d’aller se promener dans les couloirs, les étages qui n’en finissent plus et les morts qui s’amoncellent. On s’attend toujours à voir surgir, « Le fantôme de l’Opéra », caché dans un recoin.

Les rivalités (le mot est trop faible, c’est encore pire que cela) sont toujours d’actualité ; on se souvient des rapports horribles et de la jalousie entre Salieri et le jeune Mozart, pour cela, je vous renvoie au sublime film « Amadéus », mais les rivalités contemporaines sont de la même violence, entre les directeurs d’opéra, les corps de métier… Jusqu’où peut-on aller pour garder ses privilèges et demeurer entre-soi, entre initiés ! sectaire, ni plus ni moins.

En gros, il n’est pas permis de venir jouer dans la cour des grands, de nos jours, comme à l’époque de Mozart.

J’ai aimé les personnages : Jonas, mais aussi Louisa, la cantatrice lumineuse, qui l’aide dans ses recherches, et l’ombre de Tamino qui est omniprésente, le piano   est un être vivant qui transporte le lecteur, et tout au long de ma lecture, j’ai baigné dans les trois sonates pour piano, plus que dans « Les noces de Figaro » d’ailleurs.

On croise Beaumarchais, mais aussi d’autres « gens de lettres » comme Claris de Florian, romancier, poète, fabuliste à qui on attribue « Plaisir d’amour » …

Il y a une deuxième raison qui m’a fait choisir ce roman, c’est l’auteure :  Frédérique Jourdaa que j’ai découverte avec « Le soleil et la cendre », il y a quelques années, en 2013 exactement, où elle racontait le mariage arrangé de Louis XIV, les manœuvres de Mazarin, Marie Mancini, et même Nostradamus et je m’étais régalée. Ce roman était le premier que je recevais via « Masse critique » de Babelio, donc une de mes premières critiques sur mon site préféré et m’a donné envie de faire un blog…

L’écriture de l’auteure est belle, elle se répand en croches, doubles-croches, ralentit parfois, pour laisser respirer le lecteur. La couverture du roman est très belle et la citation en guise d’avant-propos magique, comme l’était son auteur :

« Divine musique, délivrez-nous aussi des profondeurs lacustres ; et que vos anges mélodieux nous enlèvent dans la paix et la tranquillité de toute l’âme. » Vladimir Jankélévitch

J’ai beaucoup apprécié, « Le mystère Mozart », car Amadeus est quand même la vedette dans ce roman, et j’ai parfois eu l’impression que la statue du Commandeur venait réclamer des comptes… clin d’œil au superbe film « Don Giovanni »

J’ai pensé, au passage, à « La petite sonneuse de cloches » qui nous entraînait sur les pas de Chateaubriand mais, ici l’exercice est vraiment réussi.

Un immense merci à NetGalley et aux éditions J.C. Lattes qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver avec plaisir la plume de son auteur.

#LeMystèreMozart #NetGalleyFrance

 

J’éprouve une véritable fascination pour Mozart, depuis l’enfance alors je vous propose mes deux sonates préférées parmi le trio cité par Frédérique Jourdaa.

 

❤️ ❤️ ❤️ ❤️ ❤️

J’avoue un amour immense pour la sonate N°11 (et son si célèbre troisième mouvement) dite « Alla Turca »

 

Sonate N°11:

 

 

sonate N°12:

 

 

 

Extraits

 

Ils se connaissent par cœur. Jonas, le beau gosse aux boucles blondes et aux yeux turquoise. Tamino, le prince de la nuit à la chevelure d’ébène et au regard fiévreux.

 

Soirée privée. On enfile nos beaux costumes. On vient nous chercher, on fait notre petit numéro au piano, ils applaudissent. Discours. Courbettes. Congratulations.

 

Ils se retrouvent en pleine lumière, perçant une forêt de robes à paniers et de perruques pour rejoindre les pianos. Sous le ciel de la coupole, deux dragons menaçants fendent un ciel de mercure. Le silence s’installe. Tamino respire profondément. C’est leur signal. Il commence. Une simple comptine dont les notes tintinnabulent avec innocence. Ah ! vous dirai-je, maman. Il reprend l’air, l’accélère, l’ornemente, le déroule, le suspend l’espace d’une seconde, s’immobilise. Jonas récupère le thème qui bourgeonne et volute sous ses doigts.

Les notes sœurs rebondissent. Les pianos sont des bêtes de course. Ils ont préparé leur duo, se sont réparti les variations en fonction de leur caractère, le mode mineur et le ternaire pour Tamino, funambule sur les touches, le binaire et ses triolets cavaleurs pour les grandes mains de Jonas. Ils galopent et se retrouvent, à l’unisson, pour la douzième, la plus brillante, avec ses cascades de doubles croches, ses glissandi virtuoses et sa cadence finale en ut majeur. La foule s’est figée, au plus près de l’estrade et des pianistes dans leurs habits or et argent.

— Beaux comme des princes, glisse un convive perruqué.

— Ou comme des pages, rétorque une mitre d’évêque. Les artistes quittent leurs tabourets et s’inclinent, ballottés par la salve d’applaudissements,

 

Le piano est un animal. Tant qu’on l’apprivoise, il se laisse maîtriser, mais au premier signe de faiblesse, c’est lui qui vous dompte. Tamino devient l’esclave du clavier réfractaire. Des rires et des sifflets narquois ponctuent ses maladresses. Son cœur s’affole, ses doigts brisent le rythme, ses mains tombent. Il est assommé par la violence du silence. Au premier rang, la fille rit. Derrière son Steinway, Jonas fixe droit la partition, hésitant à poursuivre. L’assistance s’amuse. Les hennissements de joie suspendent les deux musiciens sur un fil invisible. Tamino lâche. Avec une violence inattendue, il renverse le tabouret, fait face au public qui le jauge. Un calme hypocrite pèse sur la salle tandis qu’il se précipite vers la sortie. On le retient par la manche. Il se dégage en déchirant le beau revers en dentelle. Jonas veut le suivre, mais la foule se referme.

 

Vous savez, on meurt beaucoup à l’Opéra, mais pas toujours de ce qu’on croit.

 

Promesse ou menace ? Pourquoi ce bâtiment ressemble-t-il à une prison ? se demande Jonas en remontant les marches à la raideur périlleuse.

 

Autant un théâtre de province réserve des respirations, des indulgences, des espaces propices au rêve et à l’imagination, autant cette Bastille paraît difficile à prendre. Aucune place à l’erreur. L’immensité l’oblige à chronométrer chacune de ses interventions, afin de ne rien oublier des multiples acteurs en lice. Quelle liberté gardera-t-il ?

 

Ils les ont si souvent enchaînées ensemble, ces « sonates parisiennes », Tamino les lisait à livre ouvert. La musique infusait en lui, comme une évidence, l’héritage ancestral d’un lointain aïeul homme de lettres, le poète Claris de Florian…

 

Lu en décembre 2019