Quand j’ai vu ce livre et sa belle couverture sur NetGalley, je me suis dit, immédiatement qu’il m’était destiné et j’en aurais probablement fait un drame, si l’éditeur n’avait pas accédé à ma demande. Il s’agit de :

Résumé de l’éditeur :
Lauréat du Dayton Literary Peace Prize, un court roman stupéfiant d’intensité, un texte riche, souvent dérangeant, sur un passé qui n’en finit pas de résonner.
Longtemps, les questions posées par Callum à son grand-père allemand sur la guerre sont restées sans réponse. Et puis, un jour, Meissner s’est décidé à raconter.
Sa vie de soldat sur le front de l’Est, les débuts triomphants, l’esprit de corps, l’ivresse des batailles, et puis le froid, la faim, la misère. Et surtout l’année 1944 quand lui et ses camarades ont compris que la guerre était perdue ; que tout ce en quoi ils avaient cru, tout ce qui les faisait tenir, l’appartenance à une nation, l’espoir d’une guerre rapide, les rêves de retour, tout était en train de s’écrouler ; que dans la déroute, les hommes ne sont plus des hommes ; que le désespoir vous fait accomplir le pire et que rien, jamais, ne permettra d’expier la faute de tout un peuple.
« Je n’ai pas été un nazi. Ce que je veux te raconter ne concerne ni des atrocités, ni un génocide. Je n’ai pas vu les camps de la mort et je ne suis pas qualifié pour en dire un seul mot. J’ai lu le livre de Primo Levi sur ce sujet, comme tout le monde. Sauf qu’en le lisant, nous, les Allemands, nous sommes obligés de penser : Nous avons commis cela. »
Ce que j’en pense :
Opa Meissner, dont on ne saura jamais le prénom, après avoir longtemps refusé de parler de son passé pendant la deuxième guerre mondiale, (il a éludé les questions de sa fille) mais confronté à son petit-fils, Callum, il finit par répondre, sous forme de lettres que ce dernier trouvera après sa mort. (En fait, sa narration commence en 1944).
Il alterne les descriptions des évènements, la lutte pour survivre, les combats avec les Russes, la faim, le froid, et ses états d’âme, son questionnement : est-il un homme bon, se sent-il coupable, culpabilité individuelle et collective, mérite -t-on d’être aimé après tout cela ? et le récit s’accompagne des légendes sur lesquelles s’est bâti le Reich, Nibelungen, la chevauchée des Walkyries de Wagner, légendes et musiques qui ont servi de propagande.
Les compagnons de cavale du grand-père de Callum sont intéressants chacun à leur manière : le poney Ferdinand, Lüttke, nazi caricatural, antisémite, antibolchévique, qui voue une haine en fait à tout ce qui n’est pas aryen, et hitlérien, Jansen, le plus sensible donc le plus sujet à la culpabilité, qui s’inquiète pour sa mère et qui finit par disparaître dans la forêt, Ottermann, Himmelsbach etc… ils sont sur le front de l’Est à défendre un Reich qui est parti en fumée, avec les suicidés de Bunker, mais ils n’en savent rien et tentent survivre, en luttant contre les Russes qui n’ont rien aux nazis au combat, barbarie quand tu nous tiens… les échanges entre eux ne manquent pas de piquant, car comment supporter Lüttke et ses diatribes ?
Opa évoque la honte, tellement différente de la culpabilité, avec des phrases magnifiques. Il raconte son internement dans les camps bolchéviques, comment il a résisté, et ensuite rencontré celle qui a redonné un sens à sa vie, et son installation comme pharmacien, mais peut-on vivre paisiblement après cela ?
Le récit est entrecoupé d’interventions de Callum, qui se demande si on peut continuer à aimer un grand-père qui a fait partie de la Wehrmacht, contre son gré en fait car c’était un étudiant consciencieux, fils de pasteur, qui était programmé pour obéir.
J’ai aimé l’utilisation de l’anaphore « nous, les Allemands », leitmotiv qui constitue la trame du récit, la base de la réflexion, opposant le particulier au collectif.
J’ai beaucoup aimé la couverture, ce loup qui hurle, appelant sa meute, qui illustre ce que l’effet meute déclenche chez un individu qui seul n’est pas violent à la base, pour aboutir aux chemises brunes qui défilent au pas de l’oie…
Qu’est-ce que nous aurions fait, si nous avions été à leur place ? On est toujours tenté de penser qu’on aurait été des héros, mais ce n’est pas si simple. Je vous renvoie, une fois de plus vers une de mes chansons préférées de Jean-Jacques Goldman, si j’étais né en 17 à…
Ce livre m’a bousculée, car comment ne pas faire le rapprochement avec la guerre en Ukraine, avec un peuple russe dont le cerveau a été lavé, essoré par la propagande du chef du Kremlin ? Le froid, la neige, la destruction de toutes les infrastructures d’un pays pour l’affamer, le faire crever de froid, cela ne peut que résonner dans notre esprit, en même temps que notre sentiment d’impuissance et notre révolte.
Hier j’ai tué une demi-douzaine d’Ukrainiens d’un obus ciblé avec professionnalisme ; aujourd’hui, je vais au ravitaillement. Voilà pourquoi tout le monde s’accorde à dire que les guerres sont une calamité. Et prendre des choses à des gens qui ne veulent pas les donner, telle est bien la réalité de la guerre.
J’ai beaucoup aimé ce livre, qui fait réfléchir, qui montre un autre visage des Allemands, car j’ai lu beaucoup de choses sur les bourreaux nazis, l’Holocauste, mais très peu sur ce qu’ont vécu ceux qui ont survécu, ont été internés à l’Est… comme toujours, quand un livre me touche profondément, je n’en parle pas forcément très bien, mais s’il vous tente, un conseil, foncez !
C’est presque un coup de cœur, en tout cas, c’est un monumental uppercut qui m’a laissée un peu sur le carreau!
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur.
#NouslesAllemands #NetGalleyFrance
9,5/10
Pour en savoir davantage: « Nous, les Allemands » : apocalypse sur le front de l’Est | Les Echos
ou encore: http://Nous, les Allemands, d’Alexander Starritt : la honte ne s’expie pas (en-attendant-nadeau.fr)
Né en 1985 d’un père écossais et d’une mère allemande, Alexander Starritt a grandi au Nord de l’Écosse et vit désormais à Londres. Journaliste pour des parutions aussi diverses que Newsweek, The Guardian, The Daily Mail ou le Times Literary Supplement, il est aussi traducteur de l’Allemand, notamment de Kafka et de Stefan Zweig. Après The Beast (non traduit) paru en Angleterre en 2017, Nous, les Allemands est son deuxième roman, le premier à paraître en France.
Extraits :
Mais même si j’avais voulu te donner une réponse digne de ce nom quand tu étais ici, je n’en aurais pas été capable. Il faut que tu le comprennes : même des expériences aussi extrêmes ne restent pas distinctes dans notre mémoire à jamais.
Nous qui avons vécu cette époque, quand nous l’évoquons, et cela nous arrive de plus en plus souvent avec l’âge, nous parlons de Hitler et de l’histoire mondiale au lieu de parler de nous.
Donc, je me suis « battu », oui, mais principalement en creusant des trous, en déchargeant mon fusil, en utilisant mon expérience pour améliorer l’agencement de nos positions. Je restais pratique. Au lycée, j’avais souvent été premier de ma classe ; toute mon éducation me prédisposait à être diligent, appliqué, à ne pas me contenter du travail imposé, mais à consacrer un peu de réflexion à la manière de le faire au mieux.
Nul n’a jamais la pleine responsabilité de son propre équilibre moral. Et l’impitoyable vérité, la dure et antique vérité, c’est que vous pouvez être coupable qu’une chose qui ne dépendait pas de vous. Et moi, à titre personnel ? Telle est la question à laquelle je m’efforce ici de répondre.
Donc, pour ce qui est de savoir si mon grand-père était ou non un homme bon, vous êtes prévenus ; je suis son petit-fils et je l’adorais. Et pourtant, il s’est battu pour les nazis. Il a porté l’uniforme, il a tué des gens. Il a accompli les actes dont je vous parle ici. Je l’adorais tellement que je me demande si je lui aurai pardonné n’importe quoi. Probablement pas n’importe quoi, bien que je me sente triste rien qu’à le dire.
Nous, les Allemands, avons toujours été plus susceptibles. Et, après avoir été les nouveaux maîtres de l’Europe, nous étions devenus ces Allemands haïs, ces « salauds d’Allemands » comme disaient les Russes. Or, être haï tant qu’on gagne est une chose ; c’en est une autre dès lors qu’on perd.
Mais, nous, les Allemands, nous savons dans notre chair – et les Polonais, les Ukrainiens, les Juifs et les Russes le savent aussi – que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’Est…
La honte, ce n’est pas comme la culpabilité ; elle n’admet pas de réparation. Les Juifs dont je parle sont morts. Ceux qui avaient mon âge à l’époque n’auront jamais donné le jour à des enfants, à des petits-enfants. La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à acquitter…
Une des raisons qui faisaient que nous nous attachions tant aux animaux, c’est qu’ils ne savaient pas que nous étions en guerre.
Chacun de nous se dit : Ce n’est pas moi qui ai fondé le parti nazi ; je n’ai déclaré la guerre à personne, moi, je n’ai envoyé personne dans les camps. Mais, nous l’avons fait.
J’avais besoin, moi, de régler ma vie sur quelque chose, et de savoir si je pouvais me considérer comme un homme bon. J’ai retourné cette question dans ma tête pendant l’essentiel de ma vie…
… Et peut-on vraiment mal agir sans en avoir l’intention ? Ce sont des questions à laisser aux prêtres et aux philosophes. Et il m’est arrivé de me dire, pendant des années d’affilée : j’étais jeune, c’est tout ; je faisais mon devoir, aujourd’hui, je m’occupe de mes enfants, de ma femme et je paye mes impôts, en quoi serais-je un homme mauvais ?
Je porte une marque d’infamie. Avec les années, j’ai compris qu’au lieu d’essayer de la laver, je devais me contenter de la porter, encore et encore…