Je vous parle aujourd’hui d’un livre bouleversant que j’ai découvert grâce à Ceciloule Palmolico :

Résumé de l’éditeur :
« Alors donc, j’ai pensé, y avait que ça à faire, et ça suffisait pour que j’aie l’impression d’avoir tout le pouvoir du monde. Un matin, un instant, un petit garçon aux cheveux jaunes. En fait, c’était pas grand-chose. »
Peut-on pardonner l’impardonnable ?
Chrissie est une enfant solitaire qui grandit dans une banlieue anglaise sordide. Délaissée par un père absent et une mère démissionnaire qui fait tout pour ne plus avoir à s’occuper d’elle, son quotidien est violent et misérable. La seule chose qui donne à Chrissie l’impression d’être vivante, c’est son secret. Et rien que d’y penser, elle en a des papillons dans le ventre.
Le premier jour du printemps, elle a tué un petit garçon.
Quinze ans plus tard, Chrissie s’appelle Julia. Elle cache sa véritable identité et tente d’être une bonne mère pour Molly, sa fille de cinq ans, malgré ses nombreuses inquiétudes. Va-t-elle pouvoir subvenir aux besoins de sa fille ? Réussir à lui donner ce qu’elle n’a jamais reçu ? Quand, un soir, elle commence à recevoir de mystérieux appels, elle craint que son passé ne refasse surface. Et que sa plus grande peur, celle de se voir retirer Molly, ne soit sur le point de se réaliser.
Ce que j’en pense :
On fait la connaissance de Chrissie, dont l’enfance est tout sauf joyeuse : son père constamment absent, a tel point qu’elle pense chaque fois qu’il est mort, tandis que sa mère ne s’occupe pas d’elle. Elle a une énorme carence affective car non seulement sa mère ne lui manifeste aucun intérêt, constamment au fond de son lit ou sortie, elle ne pense même pas à lui faire à manger.
Chrissie crève de faim, dans tous les sens du terme, essayant de trouver quelques miettes dans le réfrigérateur ou les placards, s’invitant parfois chez les voisins ou à l’église s’il y a un buffet, sinon il ne lui reste plus qu’à jeûner ou aller chercher quelques bonbons chez la commerçante suspicieuse qui ne l’aime pas.
Elle se conduit parfois brutalement avec les copines d’école, verbalement ou physiquement prête à tout pour exister, être vue, ne plus être ignorée. Elle vit dans un quartier pauvre, mais il y a encore plus pauvre qu’elle. Un jour, le premier jour du printemps, alors qu’elle a huit ans elle va commettre l’irréparable : étrangler Steven, le petit frère de son amie, âgé de deux ans et laisser le corps dans une maison isolée.
On la retrouve des années plus tard : elle a une nouvelle identité, est devenue Julia et a une fille Molly. On a bien compris que la justice l’avait rattrapée, après une enquête compliquée, un passage par le Foyer de Haverleigh.
Nancy Tucker décortique avec minutie, détails, la manière dont la misère affective de cette petite fille, qui ne s’est jamais sentie aimée, ce qui peut la conduire à ce geste, certes odieux, mais en retraçant la souffrance de la petite fille qui ne se rend pas forcément compte de ce que représenta la mort, et surtout son côté inéluctable : comme son père est censé être mort pendant ses absences, elle pense que Steven va « revenir ».
Enfin bref, voilà comment je savais qu’être mort, c’était pas pour toujours. Pas définitif. Les gens disaient le contraire, soit ils mentaient, soit ils étaient bêtes, parce que moi, je connaissais deux personnes qui étaient vraiment revenues de chez les morts. Le premier c’était mon papa, le deuxième, c’était Jésus.
On comprend aussi l’évolution de Chrissie devenue Julia en état mère à son tour : comment être une bonne mère quand on n’a pas été aimée par la sienne, durant l’enfance : sa mère a même cherché à la faire adopter ! mais Chrissie était trop grande, et comme chacun sait, la plupart du temps, les parents adoptifs préfèrent des bébés, donc encore un rejet !
J’ai aimé la manière dont l’auteure a structuré son récit, la petite fille qui devient mère, et se sent illégitime, redoutant toujours que les services sociaux lui enlèvent Molly, car elle n’est pas à la hauteur. Notamment lorsque cette dernière fait une chute, et sa casse le poignet et que mystérieusement le téléphone se met à sonner de manière intempestive. Elle ne peut évoquer que le pire : être accusée de maltraitance.
Nancy Tucker, qui travaille en unité psychiatrique, connaît suffisamment son sujet pour que son roman soit crédible, étoffé et durant la lecture, on ne juge jamais Chrissie, on essaie de comprendre le pourquoi du comment, en espérant qu’elle va s’en sortir : elle n’avait que huit ans, au moment des faits, elle a payé sa dette même si ce n’est jamais assez pour la famille des victimes, car la perte d’un enfant dépasse tout ce qu’on peut imaginer, il n’y a d’ailleurs pas de terme pour désigner cet état : on parle d’orphelin quand ce sont les parents qui décèdent mais curieusement il n’y a aucun mot pour un parent dont l’enfant est décédé.
L’auteure, aborde aussi la capacité de résilience de l’individu : ce n’est pas parce qu’on a commis un acte grave, qu’on n’est pas capable d’évoluer, de devenir quelqu’un de respectable. L’enfermement dans un Foyer ne conduit pas forcément à un comportement encore plus violent, la prison n’est pas forcément l’école du crime. L’auteure nous livre cette phrase ô combien significative sur le Foyer avec majuscule ou minuscule :
« Haverleigh était certes un « Foyer », mais du genre qui prend une majuscule et que borde une haute clôture – un endroit réservé aux enfants trop méchants pour qu’on les laisse dans leur « foyer » avec une minuscule… »
Ce roman, le premier de l’auteure, est bien écrit, les phrases sont percutantes, incisives (comme les actes des protagonistes), précises et il va rester longtemps dans ma mémoire car c’est un uppercut et c’est assez difficile de traduire en mots, toutes les émotions qui m’ont envahie. Vous l’aurez certainement compris, je pourrais en parler pendant des heures. J’espère vous avoir donné envie de le lire malgré la dureté du vécu de cette petite fille car ce livre est particulièrement réussi.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et la plume de son auteure qu’on retrouvera bientôt j’espère.
#LePremierJourduprintemps #NetGalleyFrance
9/10
Autres avis : https://pamolico.wordpress.com/2022/03/16/le-premier-jour-du-printemps-nancy-tucker/
L’auteure :
Diplômée de l’université d’Oxford en psychologie expérimentale, Nancy Tucker travaille au sein d’une unité de soins psychiatriques au Royaume-Uni. Le Premier Jour du printemps est son premier roman. À la sortie de l’école, elle écrit son premier livre, The time in between (Icon, 2015) qui explore son expérience des troubles alimentaires et du rétablissement. Son deuxième livre, C’était quand les gens commençaient à s’inquiéter (Icon, 2018), traitait plus largement de la maladie mentale chez les jeunes femmes.
Extraits :
Quand la gardienne est revenue pour nous ouvrir le portail, nous avions été rejointes par une armée de mères et de gamins, ce qui m’a rappelé pourquoi j’avais mis en place le plan anti-mères. Elles se regroupaient les unes contre les autres, parlaient à toute vitesse, éclataient de rires qui me vrillaient les oreilles. J’éprouvais toujours la même sensation en me retrouvant au milieu d’elles : celle d’être déguisée, et d’appartenir en réalité à une autre espèce…
Maintenant, les maisons des pauvres, on les détruisait l’une après l’autre, et les familles, elles avaient plus d’endroit pour vivre. Après qu’elles seraient toutes démolies, on allait construire de grands immeubles tout neufs, qui ressembleraient à des boîtes empilées les unes sur les autres, mais les familles pauvres, elles pourraient pas vivre dedans parce que ça coûterait trop cher.
Il y avait des années qu’ils voulaient me prendre Molly, mais ils n’avaient jamais trouvé de motif valable, sauf qu’à présent, ils en tenaient un. Un gros, bien anguleux et couvert de dessins au feutre.
Maman, elle en avait toujours autant marre de moi, mais elle a pas réessayé de me donner à adopter. En général, elle était pas là quand je rentrais de l’école ou après avoir joué dehors, ou alors elle était dans la chambre, avec la porte et la lumière fermées. On allait toujours à la messe tous les dimanches. Maman aimait bien Dieu, même si moi, elle ne m’aimait pas.
La naissance de Molly n’avait pas mis fin à ce besoin que j’éprouvais ; au contraire, j’avais encore plus besoin de ma mère. Pendant neuf mois, Molly avait été mon second cœur, mais quand la sage-femme me l’a arrachée, je n’ai pas songé à mon corps, soudain privé de son pendule. J’ai pensé : « il y a vingt ans j’étais Molly. Il y a vingt ans, maman, c’était moi » et je me suis sentie plus proche d’elle que jamais, même à l’époque où nous vivions dans la maison et respirions le même air.
Mon ventre se crispait en pensant à cette cage aux barrières si hautes, dans laquelle je me déplaçais sans baisser la tête, où je me tenais droite sans avoir à me faire toute petite, parce que la liberté, ce n’était pas la même chose que la sensation d’être libre.
J’aurais voulu lui dire combien la faim m’avait façonnée, fabriquée, parce qu’elle était immense et que j’étais si petite, qu’elle était toujours là, comme une présence constante, qui toujours me rongeait. Il aurait été extrême de conclure que j’avais tué parce que j’étais affamée, seulement cette faim était une forme de folie. Elle était la cause de tant de choses que j’avais faites à l’époque.
Parfois, je me demande si je l’ai jamais réellement vue telle qu’elle est vraiment, parce que ce n’est pas son visage que je vois en regardant Molly. Je vois un visage auquel on a ôté la vie. Mais, il y a des moments où j’oublie, lorsqu’elle éclate de rire par exemple, alors je me surprends à prendre du plaisir, et puis je me rappelle que je ne peux pas. Parce que j’ai enlevé ça à d’autres gens, et ils n’ont pas pu profiter de leur enfant quand il riait, quand il souriait, tandis qu’il grandissait. Plus jamais.
Pendant des années, je m’étais accrochée à maman, parce que votre maman, c’est la personne qui est censée vous réconforter quand vous vous sentez vie, seulement la mienne n’avait jamais fait ça pour moi. Elle m’avait donné des miettes de chaleur, et maintenant que je l’avais revue je comprenais qu’elle n’était pas capable de faire plus – sauf que ça n’était pas suffisant. Jamais elle ne pourrait me donner assez.