« Le Mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli

Cela faisait longtemps que je patientais sur la liste d’attente de la bibliothèque pour avoir accès au roman dont je vous parle aujourd’hui, mais cela en valait vraiment la peine :

Résumé de l’éditeur :

On l’appelait le « mage du Kremlin ». L’énigmatique Vadim Baranov fut metteur en scène puis producteur d’émissions de télé-réalité avant de devenir l’éminence grise de Poutine, dit le Tsar. Après sa démission du poste de conseiller politique, les légendes sur son compte se multiplient, sans que nul puisse démêler le faux du vrai. Jusqu’à ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre…


Ce récit nous plonge au cœur du pouvoir russe, où courtisans et oligarques se livrent une guerre de tous les instants. Et où Vadim, devenu le principal spin doctor du régime, transforme un pays entier en un théâtre politique, où il n’est d’autre réalité que l’accomplissement des souhaits du Tsar. Mais Vadim n’est pas un ambitieux comme les autres : entraîné dans les arcanes de plus en plus sombres du système qu’il a contribué à construire, ce poète égaré parmi les loups fera tout pour s’en sortir.


De la guerre en Tchétchénie à la crise ukrainienne, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, Le mage du Kremlin est le grand roman de la Russie contemporaine. Dévoilant les dessous de l’ère Poutine, il offre une sublime méditation sur le pouvoir.


Grand prix du roman de l’Académie Française 2022

Ce que j’en pense :

Ce récit nous plonge dans l’histoire de Vadim Baranov, homme de théâtre à la base, qui va participer à l’accession au trône, pardon au pouvoir de Vladimir Poutine. Vadim menait une vie plutôt tranquille, à l’ombre d’un père, fonctionnaire communiste entièrement dévoué à l’URSS, alors que son grand-père avait plutôt servi le Tsar Nicolas II. Il reçoit l’auteur dans la maison familiale dans laquelle il vit désormais, entouré des livres de son aïeul.

Vadim a été amené à rencontrer Poutine, alors à la tête du FSB, par son ami Berezovski, directeur d’une chaîne de télévision, qui craint la fin de l’ère Eltsine, qui pourrait l’éloigner du pouvoir. Ils décident de convaincre Poutine, de devenir le nouveau premier ministre, l’auréole de Primakov commence à se ternir, et de toute manière personne de sera surpris, Eltsine, changeant de premier ministre tous les mois, voire davantage, selon son taux d’alcoolémie, ou son état physique après un nouvel AVC.

J’ai apprécié comme il se doit la scène dantesque au FSB ex KGB où il fait semblant de se faire prier, convaincre de son destin futur, affirmant que son poste est nettement plus intéressant alors qu’il a déjà pris sa décision au fond de lui, déjà le Tsar pointe sous Volodia…

Vadim va devenir l’éminence grise de Poutine, le nouveau Raspoutine grincent certains politiques gravitant autour du Tsar et raconter la transformation de Poutine, la révélation plutôt car il n’a plus besoin de dissimuler ses opinions, son manque l’empathie, son goût du pouvoir absolu… Tout est bon pour que la Russie redevienne la puissance d’autrefois sur l’échiquier politique. Pour lui, les Occidentaux sont la cause de tout, (et pourquoi pas la CIA derrière Gorbatchev, ou manipulant Eltsine tant qu’on y est!!!). Il n’a jamais pu digérer le fou rire de Clinton lors de sa conférence avec Eltsine et encore moins le fait d’être accueilli à son premier G20 comme une république de seconde zoné : crime de lèse-majesté.

On va revisiter la tragédie du Kourtsk, la manière dont il s’est servi des jeux olympiques de Sotchi pour montrer sa puissance et son taux de testostérone, (tout le monde connaît les photos du Tsar torse nu à cheval, ou pêchant un saumon ou encore ses matches de Hockey avec son ami Loukachenko) à la manière d’un certain Adolf Hitler aux jeux de Berlin, sa vision de l’Ukraine, et comment la remettre au pas quitte à la détruire, les assassinats de ceux qui lui font de l’ombre…

Giuliano da Empoli nous entraine aussi sur les traces des oligarques qui ont fleuri sous l’ère de Boris Eltsine et qui vont tomber en disgrâce les uns après les autres : Khodorkovski, Federovski, Limonov, et l’inspirateur du groupe Wagner tristement célèbre… mais, « en Russie, on se tait ou on s’en va »

J’ai beaucoup aimé ce roman, je connaissais bien la manière dont on était allé le chercher au FSB pensant le manœuvrer comme une marionnette, mais je ne savais pas qui étaient les apprentis sorciers, et je connaissais moins les ficelles du Kremlin, qui fonctionne comme au temps du Tsar, avec les courtisans.

Je me suis toujours méfiée de Vladimir, dès que je l’ai vu pour la première fois sur les écrans, la froideur métallique de son regard ne présageait rien de bon et comme Vadim je l’ai surnommé le Tsar de toutes les Russies dès le début. Sur le plan psychologique il a une personnalité très intéressante comme tous les dictateurs avec lesquels il ne sert à rien de discuter, ils veulent passer en force… J’espère que l’on ne retrouvera pas Vadim Baranov suicidé mystérieusement en se jetant du quatrième étage d’un hôtel, car ce mode de « suicide » est très courant dans l’entourage du Tsar…

Ce livre a reçu le grand prix de l’Académie Française, un prix bien mérité.

9/10

D’origine italienne, Giuliano da Empoli est essayiste et conseiller politique. Son dernier livre, « Les ingénieurs du chaos », consacré aux nouveaux maîtres de la propagande politique, a été traduit en douze langues. « Le mage du Kremlin » est son premier roman.

Extraits :

Il avait démarré trop tôt et maintenant il s’ennuyait. De lui-même surtout. Et du Tsar. Qui lui en revanche ne s’ennuyait jamais. Et s’en rendait compte. Et commençait à le haïr. Quoi ? Je t’ai conduit jusqu’ici et tu as le courage de t’ennuyer ? Il ne faut jamais sous-estimer la nature sentimentale des rapports politiques.

Dans les années vingt, Zamiatine et Staline sont deux artistes d’avant-garde qui rivalisent pour la suprématie. Les forces en présence sont disproportionnées bien sûr ; car le matériau de Staline est la chair et le sang des hommes, sa toile, une nation immense, son public tous les habitants de la planète qui murmurent avec révérence son nom dans des centaines de langues.

Ce que le poète réalise en imagination, le démiurge prétend l’imposer sur la scène de l’histoire mondiale.

Quand on y pense, reprit-il, la première moitié du vingtième siècle n’aura, au fond, été que cela : un affrontement titanesque entre artistes, Staline, Hitler, Churchill. Puis sont arrivés les bureaucrates, car le monde avait besoin de se reposer.

Chez vous, l’argent est essentiel, c’est la base de tout. Ici, je vous assure, ce n’est pas comme ça. Seul le privilège compte en Russie, la proximité du pouvoir. Tout le reste est accessoire. C’était comme ça du temps du tsar et pendant les années communistes encore plus. Le système soviétique était fondé sur le statut. L’argent ne comptait pas. Il y en avait peu en circulation et il était de toute façon inutile.

On n’échappe pas à son destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le Terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les opritchniki, les chiens de garde du tsar…

Les russes ne sont pas et ne seront jamais comme les Américains. Cela ne leur suffit pas de mettre de l’argent de côté pour s’acheter un lave-vaisselle. Ils veulent faire partie de quelque chose d’unique. Ils sont prêts à se sacrifier pour cela. Nous avons le devoir de leur restituer une perspective qui aille au-delà du prochain versement mensuel pour la voiture. Dixit Berezovski, homme qui s’est plus qu’enrichi sous le règne de Eltsine…

A cette époque, le Tsar n’était pas encore le Tsar ; de ses gestes n’émanait pas l’autorité inflexible qu’ils acquerraient par la suite et, bien que dans son regard on devinât déjà la qualité minérale que nous lui connaissons aujourd’hui, celle-ci était comme voilée par l’effort conscient de la tenir sous contrôle. Cela dit, sa présence transmettait un sentiment de calme…

Je notais pour la première fois la complète indifférence de Poutine à la nourriture, comme il m’arriverait plus tard de constater la parfaite insensibilité du Tsar aux plaisirs qui adoucissent la vie. Comme dit Faust : « qui commande doit trouver son bonheur dans le commandement ».

Le fonctionnaire ascétique s’était soudainement transformé en archange de la mort. C’était la première fois que j’assistais à un phénomène de ce genre. Jamais, même sur les scènes des meilleurs théâtres, je n’avais été témoin d’une transfiguration de ce genre.

Comme touts les grands politiques, il appartient au troisième type (d’acteur) : l’acteur qui se met lui-même en scène, qui n’a pas besoin de jouer parce qu’il est à tel point pénétré par le rôle que l’intrigue de la pièce est devenue son histoire, elle coule dans ses veines…

Disons-le franchement, il n’y a pas de dictateur plus sanguinaire que le peuple ; seule la main sévère mais juste du chef peut en tempérer la fureur…

Ton chef travaillait pour le contre-espionnage. Ce n’est pas la même chose du tout ! Tu sais quelle est la différence ? Que les espions cherchent des informations exactes, c’est leur métier. Le métier des gens du contre-espionnage en revanche est d’être paranoïaques. Voir des complots partout, des traitres, les inventer quand on en a besoin : ils ont été formés comme ça, la paranoïa fait partie de leurs obligations professionnelles.

A ce jeu-là ; vous les Occidentaux êtes les meilleurs. Toute votre vision du monde est fondée sur le désir d’éviter les accidents. De réduire le territoire des incertitudes afin que la raison règne, suprême. Nous au contraire, nous avons compris que le chaos est notre ami, à dire vrai, notre seule possibilité.

J’ai toujours pensé que parmi les choses que la politique a en commun avec la mafia, il y a le fait qu’on ne prend pas sa retraite. On ne peut pas se retirer et mettre à faire quelque chose d’autre.

Ç’a été la même chose dans les autres cas : le colonel, l’avocat, cette célèbre journaliste. Tu le sais parfaitement Vadia, ce n’était pas nous. Nous, nous ne faisons rien : nous créons juste les conditions d’une possibilité.

Que veux-tu que la Russie fasse de deux régions de plus ? On a repris la Crimée parce qu’elle était à nous, mais le but ici est différent. Ici, notre objectif n’est pas la conquête, c’est le chaos. Tout le monde doit voir que la révolution orange a précipité l’Ukraine dans l’anarchie. Quand on commet l’erreur de se confier aux Occidentaux, cela finit ainsi : ceux-ci te laissent tomber à la première difficulté et tu restes tout seul face à un pays détruit.

Lu en janvier 2023

« Hors d’atteinte » de Frédéric Couderc

Le titre et le résumé du roman dont je vous parle aujourd’hui, ont immédiatement attiré mon attention, d’autant plus que c’est une traque côté allemand, (que je n’ai pas encore bien exploré) :

Résumé de l’éditeur :

De nos jours, à Hambourg. Paul, écrivain à succès, apprend la disparition de son grand-père, Viktor. Sidéré, il découvre alors que de lourds secrets le relient à un officier SS complice de Josef Mengele à Auschwitz.

Dans le Berlin des années 1940, Viktor a vu sa sœur Vera enfermée au château de Sonnenstein. C’est le lieu du programme Aktion T4, visant à « débarrasser » le Troisième Reich de ses Aryens « déficients ».

Derrière le petit-fils, l’écrivain surgit bientôt. Et si son grand-père et ce passé brumeux devenaient le sujet de son prochain livre ?

Le roman de Paul raconte l’histoire de Viktor, du Hambourg de 1947 à aujourd’hui, en passant par le Ghana des années 1960. L’auteur découvre Horst Schumann, ce criminel nazi qui castrait les hommes et stérilisait les femmes à Auschwitz, resté impuni et pourtant recherché par le Mossad. Pourquoi sa traque a-t-elle échoué ? De quelles complicités a-t-il pu bénéficier ?

Tour à tour roman flamboyant, enquête historique, thriller haletant et roman d’amour, ce texte dénonce, éclaire et émeut.

Ce que j’en pense :

Paul est un écrivain à succès et entretient une relation « privilégiée » avec son grand-père Viktor. Un jour ce dernier disparait après avoir reçu une lettre qui le déstabilise complètement. Tout en le cherchant, Paul s’apercevant qu’il ne connaît rien en fait du passé de Viktor se lance dans une quête pour comprendre cette disparition et en savoir davantage sur le passé de Viktor.

Cette recherche, le met du la piste d’un criminel de guerre nazi Horst Schumann qui a sévi à Auschwitz en compagnie de Josef Mengele.

Viktor a été enrôlé vers la fin de la guerre par la SS, et a été affecté dans une unité au Danemark, et quand il revient en Allemagne, dans sa ville, les bombardements ont tout détruit, l’appartement de ses parents pulvérisé, où ils ont trouvé la mort. Mais quid de sa sœur Vera, pianiste ? Elle a été envoyée dans une institution au château de Sonnenstein, qui a été rapidement transformée en chambre à gaz, pour assassiner les personnes dépressives, les déficients mentaux dans une opérations appelée avec  « humour » « La mort miséricordieuse » : après tout, on leur rendait service, ils étaient inutiles…

A son retour du Danemark, en cherchant à retrouver des vivants sous les gravats, il croise Nina, qui est la seule rescapée des camps de concentration de sa famille. Il prend conscience de la Shoah, des méthodes nazis, notamment celles de médecins pour mettre au point la solution finale.

C’est ainsi que Viktor découvre en même temps, que sa sœur, soi-disant décédée d’u typhus a été assassinée et que celui qui officiait était Horst Schumann. Il va alors se lancer, avec obsession, toute sa vie durant, dans une croisade pour retrouver et faire condamner le nazi en fuite, rien n’aura plus d’importance, même son épouse et son fils seront tenus en dehors.

Il gardait Schumann pour lui, Leonore ne pourrait jamais comprendre son désir de vengeance, cette chose qui le tourmentait et dont il sentait venir que ce serait toute sa vie une obsession. Oui, il nouait Vera au plus profond de lui, et souvent Leonore lui trouvait un air triste, un air qu’elle attribuait à sa famille disparue, dont elle ne le ferait bien sûr jamais reproche, d’autant que c’était si poignant, un homme qui avait tout perdu.

J’ai aimé cette quête obsessionnelle qui va l’emmener sur les traces de Schumann, qui a trouvé refuge en Afrique, où on lui a même confié un hôpital de brousse. Le scenario est très crédible et on espère qu’il va réussir à faire (se faire ?) justice. Et pourtant, l’auteur nous a bien mis en garde dans son avant-propos retraçant la vie de Horst Schumann : « j’espère que tout le monde comprend que ceci est une fiction. Les choses ont pu se dérouler ainsi ou (un peu) autrement. »

Touts la partie consacrée à Horst Schumann est extrêmement bien documenté, l’auteur nous fournit des notes, des extraits de jugements des tribunaux, revient sur tous ces nazis zélés (et innocents bien sûr) et leurs expérimentations médicales toutes plus horribles les unes que les autres, la manière dont leur fuite a été protégée, en plus haut lieu.

J’ai beaucoup aimé ce roman, c’est une période de l’Histoire qui me passionne, et comme je ne connaissais pas Horst Schumann, je vais creuser… la relation qui s’établit entre Nina et Viktor est belle, même si chacun fait sa traque à sa manière, Nina respecte les lois, alors que Viktor se transforme en  justicier, étouffé par sa haine et sa colère.

On connaît la fascination de Mengele pour les jumeaux et bien, pour Schumann il s’agit d’irradier les détenus qui arrivent sur la plateforme avec des doses progressives de RX (il valait mieux être dans les premiers à être sélectionnés) avec les brûlures qui pouvaient en résulter, les castrations à vif : on enlève les ovaires, les testicules sans sourciller…

Un livre donc qui fait réfléchir, mêlant fiction et réalité, Histoire et histoire de famille avec en prime une belle écriture. Mais, je mettrai un petit bémol : je trouve le récit un peu déséquilibré, autant l’histoire de Viktor est passionnante autant celle de Paul me laisse un peu dubitative : vouloir faire tout de suite un roman pour parler de ce qu’a vécu son grand-père c’est un peu léger, je sais bien que Paul est écrivain, mais quand même…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur que je découvre avec roman.

8/10

L’auteur :

Écrivain-voyageur, Frédéric Couderc enseigne l’écriture au Labo des histoires à Paris. À la croisée des genres, ses personnages se jouent des époques et des continents. Il a écrit quatorze livres. La série Black Musketeer, prochainement sur Disney+, est librement adaptée de son premier roman.

Extraits :

Je ne sais vraiment pas grand-chose, c’est la génération silencieuse, tu sais. Viktor se contente de bribes de récit, il vient d’une famille d’ouvriers du port. Il s’est retrouvé seul au monde après les bombardements de 1943. J’imagine que ses parents et sa sœur ont été portés disparus. Elle s’appelait Vera, c’est tout ce que je sais d’elle.

Il vivait comme ces tas de gravats. La désolation était imprimée dans sa chair. Depuis qu’il avait retrouvé Hambourg, il avait appris à se soumettre comme se soumet un chien, un cheval, quand son maître lui demande d’obéir. Et ainsi passait 1947.

Les orphelins de guerre erraient partout dans Hambourg. Quarante mille enfants abandonnés, disait-on, certains ne connaissaient pas leur propre nom, échappaient pour toujours aux signalements de disparition.

Parfois, Viktor se cabrait au hasard d’un visage croisé en ville, l’habitude lui faisait reconnaître les criminels de guerre, pas besoin de voir le tatouage qui marquait leur numéro de matricule sous l’aisselle gauche, sur la poitrine, ou sa trace effacée à la flamme d’un briquet…

Nina venait des photos terrifiantes affichées sur les mirs de Hambourg, des tirages effroyables, réalisés à la libération des camps d’extermination, pour que chacun mesure l’étendue des crimes hitlériens, ces hommes qui avaient des loups dans la tête…

Reviennent systématiquement la fuite, l’impunité, la conviction par le personnage et son entourage qu’ils sont innocents, jusqu’au bout…

Ne doutant de rien, il prépare également son dossier pour accéder à une retraite d’Etat et réclame un livret de famille à la municipalité de sa ville natale, Halle-sur-Saale, en RDA. On vérifie ses antécédents ? Les fonctionnaires n’en croient pas leurs yeux et transmettent la copie d’un jugement par contumace pour crimes de guerre aux autorités ouest-allemandes. Plus tard en Afrique, il agira plus prudemment, il ne laissera pas cette paperasse le désigner de nouveau aux policiers…

La médecine est un pilier de l’idéologie raciale du système national-socialiste, je découvre que Himmler s’est entouré d’un aréopage de doktor-tortionnaires pour lesquels les déportés sont juste du matériau à sélectionner, charcuter, mettre à mort.

Nous sommes une longue chaîne d’artisans dans la maison, le public voit la silhouette élégante de l’instrument, mais les plus infimes réglages demeurent secrets. Viktor m’a transmis cet extraordinaire équilibre entre basses, médiums, aigus. Un Steinway c’est presque un orchestre à lui seul.

Comment admettre en une poignée de mois l’assassinat de très exactement treize mille sept cent vingt personnes au bâtiment C16, dit Block de la mort, une « mort miséricordieuse » dont jamais Viktor et sa famille n’avaient entendu parler, la fable du typhus recouvrant tout ?

A défaut d’aveu, personne ne sait s’il est l’un des passagers de ce tapis volant tricoté par le Vatican appelé réseau Odessa. Aucun document ne le relie à Alois Hudal, le recteur du Pontifico Teutonico Santa Maria dell’Anima et à aucun moment il n’a usé d’un laissez-passer, le fameux Red Cross des nazis en cavale…

Il arrive en Italie après les autres, nous sommes en février 1951 et après tout c’est assez tard, Mengele était déjà là en 1949, Eichmann en 1950, quoique Barbie s’en rapproche lui-aussi, mais lui, bénéficie du concours de la CIA.

Terminé en janvier 2023

« La Juive de Shanghai » de Marek Halter

Aujourd’hui, je vous parle d’un roman dont le titre a immédiatement attiré mon attention, ainsi que l’envie de retrouver la plume de son auteur :  

Résumé de l’éditeur :

Un roman vrai sur un incroyable exode oublié

Berlin, 1937. Ruth, juive et talentueuse couturière de 22 ans, se lie d’amitié avec Clara, jeune résistante allemande. Pourchassées, elles décident de rejoindre une destination inattendue : Shanghai, où des milliers de juifs se sont réfugiés.

Clara est la première à partir pour la Chine. Ruth, elle, doit traverser l’Europe entière… jusqu’en Sibérie. Grâce au consul japonais de Lituanie, elle obtient un visa pour Kōbe, le grand port du pays du soleil‑levant. Parvenue enfin à Shanghai – ville bouillonnante où se côtoie un monde interlope d’espions, de trafiquants d’opium et de résistants –, elle y retrouve miraculeusement Clara, devenue agente des communistes.

La suite ? C’est Bo Xiao Nao, la fille de Ruth, qui la raconte. Orpheline, elle tombe sur un carnet tenu par sa mère. En le feuilletant, elle découvre, bouleversée, le destin fascinant de celle qu’on appellera à jamais la Juive de Shanghai…

Une œuvre magistrale de Marek Halter.

Ce que j’en pense :

A Berlin, en 1937, Ruth travaille comme couturière chez Frau Opel. Elle est très talentueuse, mais elle a un « défaut » majeur en cette époque troublée : elle est Juive. Sa patronne le sait, mais lui procure des papiers : Ruth Rotstein devient Ruttie Roth. Un jour en rentrant chez elle, elle rencontre Clara, militante et résistante tombée dans une embuscade et lui sauve la vie. C’est le début d’une belle et forte amitié.  

Elles décident de fuir l’Allemagne nazie, et de partir vers la Chine. C’est relativement facile pour Clara, mais Ruth a des scrupules et retourne dans son pays, à Varsovie, où elle n’est pas très bien accueillie par la nouvelle femme de son père. Le voyage sera plus dur pour elle car c’est dur de quitter la famille ; elle va tenter sa chance par l’intermédiaire du consul du Japon en Lituanie et traverser la Sibérie, en train direction Kobé avant de mettre le cap sur Shanghai où elle finira par retrouver Clara.

Mark Halter nous raconte cette belle amitié entre les deux femmes, les destins qui s’entremêlent, la dureté du voyage, de l’exil, confiant la narration à Bo Xiao Nao, la fille de Ruth. Ce texte est magnifique et repose sur des faits ayant vraiment existé, et par conséquent on apprend beaucoup de choses au passage, notamment la fuite des Juifs vers la Chine. Et quel plaisir de retrouver la prose de Mark Halter dont je n’avais rien lu depuis longtemps, trop longtemps. Tout est soigné, ciselé dans ce roman et la couverture est très belle…

Une scène, en particulier, m’a touchée : Ruth dessine et réalise un ensemble pour le défilé que tient à organiser malgré le contexte Frau Opel, et Eva Braun tombe sous le charme de ce vêtement, l’achète pour plaire à son cher Adolf qui trouve cela dégénéré, contraire aux bonnes mœurs selon le Reich et fait fermer la boutique purement et simplement…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions XO qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

#LaJuivedeShanghai #NetGalleyFrance

D’autres avis sur ce roman:

Ma voix au chapitre: https://mavoixauchapitre.home.blog/2022/11/21/la-juive-de-shanghai/

Matatoune: https://vagabondageautourdesoi.com/2022/10/28/marek-halter/

L’auteur :

L’œuvre – immense – de Marek Halter a été traduite en plus de vingt langues et s’est vendue à des millions d’exemplaires à travers le monde. Depuis plus de dix ans, il explore dans des romans-événements la place des grandes figures féminines dans les religions monothéistes. Les Éditions Robert Laffont ont publié Les Femmes de la Bible (Sarah, 2003, Tsippora, 2003, Lilah, 2004), Marie(2006), La Reine de Saba (2008) et Les Femmes de l’Islam (Khadija, 2014, Fatima, 2015, Aïcha, 2015) et Où allons-nous mes amis? (2017) qui appelle à l’apaisement et à la réconciliation dans une France toujours plus exposée aux tensions religieuses.

Son précédent livre, Je rêvais de changer le monde (2018, Robert Laffont / XO éditions) nous invitait à revisiter, à travers son propre « voyage », presque un siècle d’Histoire.

Extraits :

La guerre. Jamais encore je n’ai écrit ce mot. Tous les jours, on le lit dans les journaux, pourtant, jusqu’à ce soir, ce n’étaient que des lettres mille fois répétées sur le papier.

Les lieux nous ont tant entendus nous plaindre et nous réjouir qu’ils en sont fatigués et ne peuvent plus rien nous enseigner de l’avenir.

L’article était signé Hugo Rotstein. Il s’achevait en assurant que la ruine de la Tchécoslovaquie était pour les nazis le modeste apéritif du festin à venir : le dépeçage de la Pologne et l’élimination du peuple juif. Qui peut croire que la sonnerie de Rosh Hashana, qui a retenti nier soir dans la grande synagogue de Varsovie, annonce autre chose que notre extermination ? Il est temps de nous préparer à survivre, concluait Hugo.

Je n’aime plus nos fêtes… Il y en a trop. Et bonnes à quoi ? Je m’y sens très mal à l’aise. J’ai l’impression que nous y perdons notre temps. Que nous nous contentons d’entretenir nos faiblesses au lieu de nous endurcir et de rassembler nos forces…

C’était comme une très, très vieille maladie du peuple juif. Elle courait sous la peau sans qu’on puisse jamais en guérir : la menace, la peur, la valise.

Nos valises à nous ne pèsent plus grand-chose. C’est tout ce qui est à, l’intérieur de nous qui est épuisant à transporter…

Le colonel Meisinger, l’homme de la SS en Asie, avait suggéré au gouvernement de régler la question des Juifs de Shanghai de manière plus efficace et plus économique : réquisitionner la multitude de jonques et de barques délabrées du Wangpoo, y entasser les Juifs et les tirer jusqu’à l’embouchure du Yangtsé. Les bateaux ne résisteraient pas longtemps à la haute mer. « Les youpins pourraient même considérer cela comme un rappel de la colère de Dieu avant le Déluge » avait conclu Meisinger.

Il n’est qu’une façon de survivre aujourd’hui en ce monde : croire en l’impossible de toutes ses forces.

Ressentir la peur, c’est le signe qu’on ne vit plus avec des fantômes.

Il est une chose dont je suis certaine aujourd’hui : la guerre n’existe que pour séparer ceux qui s’aiment. De la jalousie et rien d’autre. Rendre le monde si obscur qu’on ne puisse plus voir où on va, que le bonheur ne brille plus nulle part pour nous guider. Simplement cette cruauté-là.

Lu en novembre- décembre 2022

« Le Pays au-delà des mers » de Christina Baker Kline

Aujourd’hui, je vous emmène dans un long voyage, direction l’Australie, plus précisément la Tasmanie avec ce beau roman historique que j’ai découvert grâce à des blogs amis:

Résumé de l’éditeur

Dans la lignée du Train des orphelins, Christina Baker Kline nous entraîne dans la Tasmanie coloniale de l’ère victorienne, sur les traces de ces « femmes de mauvaise vie » exilées par la Couronne britannique. Inspirée de faits réels, une fresque inoubliable.

Pour avoir naïvement cru aux promesses d’amour de son employeur, Evangeline, jeune gouvernante anglaise, a été accusée de vol et condamnée à la déportation. Sur le navire qui l’emmène en terre australe, elle pense à ce que sera sa vie dans le « pays au-delà des mers », qu’on dit si inhospitalier, peuplé d’indigènes et de renégats. Elle pense aussi à l’enfant qu’elle porte : saura-t-elle le protéger ? Pourra-t-elle s’appuyer sur la débrouillarde Hazel avec qui elle a noué une forte amitié lors de la traversée ?

Au même moment, sur l’île Flinders, au large de l’Australie, Mathinna, une orpheline aborigène, est-elle aussi retenue prisonnière. Arrachée à sa tribu, la petite a été adoptée par le gouverneur et son épouse, qui entendent bien la civiliser à tout prix.

Ces trois femmes l’ignorent encore, mais leur sort est inextricablement lié. Sur ces terres soumises à la folie des hommes, elles auront besoin de toutes leurs forces, de tout leur courage pour survivre et se frayer un chemin vers la liberté.

Ce que j’en pense :

Evangeline a été engagée comme gouvernante dans une famille huppée, les Whitstone. Fille d’un vicaire décédé brutalement, elle a eu une éducation assez rigide et ne connaît rien des duretés du monde extérieur. Naïve, elle tombe sous le charme de Cecil le fils de la maison qui lui a offert la bague de sa grand-mère avant de partir en voyage. EN son absence, Evangeline est accusée de vol par une bonne qui la jalouse. Sous le coup de la colère devant cette injustice, elle la pousse dans les escaliers… Il s’en suit une condamnation pour vol de sept ans à laquelle se rajoute sept ans pour tentative de meurtre.

Jugement expéditif, qui ne laisse aucune place à la défense, et donc direction une prison sinistre dans des conditions insalubres (on est en 1840) et comme il faut peupler l’Australie, ces condamnées, les convicts, sont envoyées par bateau dans des conditions encore plus effroyables, avec des marins avinés qui ne pensent qu’à leur mettre la main aux fesses et même les violer. En fait, on utilise les bateaux négriers d’autrefois. Donc, elles sont dans les même conditions infâmes. Seul le médecin du bord fait preuve d’humanité.

Comble de l’infamie, Evangeline est enceinte, donc dépravée, crime impardonnable dans cette société anglaise hyper-religieuse.

Deux autres jeunes femmes font partie du voyage : Hazel, dont la mère, sage-femme a fait une faute lors d’un accouchement et s’est retrouvée déchue, plongeant dans l’alcool et obligeant sa fille à voler. Lorsqu’Hazel sera arrêtée elle se gardera bien de soutenir sa fille. La troisième compagne d’infortune est Olive.

Pendant ce temps-là, à l’autre bout du monde sur la Terre de Van Diemen (ainsi s’appelait alors la Tasmanie) une riche bourgeoise décide de prendre sous son aile Mathinna, une jeune aborigène à peine sortie de l’enfance, pour « la civiliser » et lui inculquer la culture et la religion des Blancs. Elle l’arrache à son île (à l’arrivée des Blancs tous les aborigènes ont été traqués, exécutés sommairement pour faire main basse sur leurs terres et les survivants ont été envoyés sur l’île de Flinders, rocher perdu dans l’océan.

Elle la loge dans une pièce dont les fenêtres ont été clouées avec des planches (regarder le paysage à l’extérieur ne permettant pas de d’adapter à sa nouvelle vie). On lui apprend à lire parler, plusieurs langues, on l’exhibe, comme un animal qu’on adopte et qu’on abandonne dès qu’il ne plaît plus.

J’ai beaucoup aimé cette histoire, car ces femmes sont très attachantes, elles ne se laissent pas faire, refuse de subir malgré le prix à payer, et j’ai aimé les suivre dans ce voyage à l’autre bout du monde, fers aux pieds. J’ai beaucoup aimé Mathinna, la manière dont on la traite au nom de la suprématie blanche, le réconfort qu’elle trouve dans la compagnie de son opossum, la manière dont on la dépossède de tout : de sa culture, des colliers confectionnés par sa mère autrefois qui vont enrichir la collection de sa « bienfaitrice » qui exhibe dans son salon les crânes d’aborigènes qu’on a fait bouillir pour enlever toute trace de chair : ce ne sont pas des humains n’est-ce pas ? pour ces Blancs dégénérés…

J’ai dévoré ce roman, il m’a été impossible de le poser, une fois la lecture entamée, car Christina Baker Kline décrit très bien le statut des femmes en ce milieu du XIXe siècle, la conquête à tout prix de la Terre de Van Diemen qu’on décidera de rebaptiser Tasmanie plus tard, pour se dédouaner comme si changer le nom pouvait faire disparaître les atrocités commises contre les Aborigènes. Les femmes apparaissent comme des citoyennes de seconde zone que l’ont méprise presque autant que les Aborigènes mais elles seront bien utiles pour la descendance.

Ce récit est bien écrit, dynamique, les descriptions des paysages, des tempêtes sur le bateau ou autres sont très colorées, on fait très vite partie de l’histoire. C’est le premier livre de Christina Baker Kline que je lis et je suis sous le charme donc je vais tenter, si ma PAL ne s’y oppose pas, de découvrir « Le Train des orphelins », dans un premier temps et plus si affinité.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure

#ChristinaBakerKline #NetGalleyFrance

9/10

Auteure de cinq romans et d’essais, c’est avec Le Train des orphelins (2015 ; Pocket, 2016) que Christina Baker Kline s’est révélée au public. Après Le Monde de Christina (2018 ; Pocket, 2019), Le Pays au-delà des mers est son troisième roman à paraître chez Belfond.

Extraits :

Avant, l’Angleterre envoyait le rebut de la société en Amérique, mais après la rébellion il a fallu qu’ils trouvent une nouvelle décharge ; l’Australie. En un rien de temps, il y avait neuf hommes pour une femme, là-bas ! On ne peut pas fonder une colonie seulement avec des hommes, hein ? Personne n’y avait pensé, à ça. Alors, ils ont pris n’importe quelles excuses pour nous envoyer là-bas.

Leurs principales divinités étaient deux frères qui descendaient du Soleil et de la Lune. Moinee avait créé la terre et les rivières. Quant à Droemerdene, il vivait dans le ciel sous l’apparence d’une étoile ? C’était lui qui avait formé le premier être humain, à partir d’un kangourou, en modifiant ses genoux pour que l’homme puisse se reposer et en lui retirant sa queue encombrante…

Les Palawas se partageaient en douze nations, chacune formée de clans. Tous parlaient une langue différente, et dans aucune d’elles, il n’existait de mot pour désigner la propriété. La terre faisait simplement partie d’eux.

Durant de nombreuses années, les seuls Blancs assez vigoureux pour rester l’hiver étaient les baleiniers et les chasseurs de phoques, et la plupart s’avéraient si grossiers et brutaux que les Palawas les voyaient comme des êtres moitié hommes, moitié animaux.

Les Palawas s’étaient battus, en vain, avec des pierres, des lances et des waddies contre les groupes itinérants de convicts et de colons qui avaient reçu du gouvernement britannique l’autorisation officielle de capturer ou tuer tous les indigènes en vue. Ils parcouraient l’île avec des lévriers australiens et les chassaient pour le plaisir.

Elle avait appris qu’elle pouvait supporter le mépris et l’humiliation – et trouver des moments de grâce au milieu du chaos. Elle avait pris conscience de sa force. Et voilà qu’elle se trouvait en chemin pour l’autre bout du monde. La gouvernante naïve qui avait passé les portes de Newgate quelque mois auparavant n’était plus. A la place, il y avait une femme nouvelle.

Sur la carte du capitaine, la Terre de Van Diemen paraissait énorme et l’île Flinders, toute petite. Sur ce globe, elle n’était qu’un rocher dans l’océan, trop insignifiant pour avoir un nom. C’était comme si la terre qu’elle aimait et ceux qui la peuplaient, avaient été effacés. Personne ne savait qu’ils existaient.

Même quand elle était petite, tous ces sermons sur le péché et le vice l’indignaient. Les règles ne semblaient pas être les mêmes pour les riches et les pauvres, et ces derniers étaient toujours coupables. On leur disait qu’ils devaient confesser leurs fautes pour triompher des maladies comme la typhoïde, alors que les rues étaient pleines de crasse et l’eau infecte. Et elle avait toujours estimé que la condition des filles et des femmes était encore pire. Enlisées dans la boue, sans possibilité d’en sortir.

Lu en octobre 2022

« Aquitania » par Eva Garcia Saenz de Urturi

Je vous propose aujourd’hui, un retour dans le passé, une période que j’affectionne particulièrement puisqu’elle me permet de retrouver Aliénor d’Aquitaine, (et oui, cela faisait longtemps, je vois certains sourire …) :

Résumé de l’éditeur :

Compostelle, 1137. Le duc d’Aquitaine – convoitée par la France pour ses richesses – est retrouvé mort, le corps bleu et portant la marque de l’« aigle de sang », une effroyable torture normande. La jeune Aliénor, portée par sa soif de vengeance, épouse alors le fils de celui qu’elle croit être le meurtrier de son père – Louis VI le Gros, roi de France. Son objectif : décimer la lignée des Capétiens et imposer le sang aquitain. Mais, le jour des noces, Louis VI est assassiné à son tour.

Aliénor et Louis VII devront apprendre à se connaître pour infiltrer le royaume de France et démasquer l’instigateur de cette machination. Quel qu’en soit le prix à payer…

Un roman historique captivant qui traverse un siècle rythmé par la loi du Talion, l’inceste et les batailles, et nous fait découvrir les vies de celles et ceux qui vont forger la France d’aujourd’hui.

Ce que j’en pense :

De tout temps, l’Aquitaine a fait de l’ombre au Royaume de France, car elle était plus puissante et à la mort du père d’Aliénor, Guillaume X, en 1137, dans des conditions plus que louche sur le chemin de Compostelle, les appétits se sont aiguisés. Elle est l’héritière, petite fille du redoutable Guillaume le Troubadour et nièce de Raymond de Poitiers.

Le roi de France Louis VI le Gros, a envoyé des parents (à sa place) pour violer Aliénor qui n’est encore qu’une enfant pour pouvoir mettre le grappin sur ses possessions sans passer par le mariage. Son oncle Raymond a fait justice en les exécutant.

Aliénor décide de se venger en épousant le roi de France, Louis le Jeune, pour lui faire des enfants et ainsi perturber la lignée ; pour cela, il faut prouver que c’était la volonté de son père. A cette époque, un testament doit être tatouer sur la peau du défunt.  Qu’à cela ne tienne, elle fait réaliser un faux testament par un taxidermiste avec le sceau Semper Sursum (toujours viser plus haut), deus S entrelacés.

Tout au long du récit, on suit les traces des espions du duché d’Aquitaine, qu’on appelle les chats aquitains qui veillent ainsi sur Aliénor, sur les inimitiés, voire les haines qui l’entourent à la cours de France, de l’Abbé Suger au Troubadour qui mettra fin à sa première grossesse, sur la dévotion de Louis qui frise à l’idolâtrie, avec ses bains de sel pour nettoyer les fautes dont il se sent coupable, et aussi sur les liens qui unissent Louis et Aliénor qui ne se détestent pas autant qu’on ne pourrait le penser.

J’ai beaucoup aimé suivre à nouveau les traces de ma chère Aliénor, sa relation incestueuse, avec son oncle Raymond de Poitiers, prince d’Antioche, qu’elle vénère et qui lui sert de mentor, dans ses déplacements « sous haute surveillance » comme on dit, de nos jours, dans des marchés, plus ou moins nets, se renseignant sur les poisons, en quête de la vérité sur l’assassinat de son père.

Eva Garcia Saenz de Urturi donne la parole, tour à tour, à Aliénor ou a Louis, fait des allers et retours entre le présent et le passé, ce qui permet de bien cerner la psychologie des personnages, et ce qui les a poussé à commettre telle ou telle action.

L’auteure nous propose au passage une réflexion sur la vengeance, la loi du Talion, les rancunes tenaces, nous conduisant sur le chemin des croisades. Tout son récit est vivant, haletant ; elle réussit aussi bien dans le domaine du roman historique, où entre parenthèses, on ne l’attendait pas que dans ses polars historiques ou mythologiques, dont je vous rabats les oreilles depuis quelques temps : j’ai découvert Eva Garcia Saenz de Urturi avec Le Secret de la ville blanche et je suis tombée sous le charme à tel point, que dès qu’on me propose un titre de l’auteure je fonce, sans même lire le résumé.

S’il fallait choisir un évènement en particulier, j’opterai pour l’enlèvement d’Aliénor par le traitre Galeran, ou encore la culpabilité de Louis VII après la tragédie de Vitry-le-Brûlé qu’il a conquise mais près de 1500 personnes vont mourir brûlées dans l’église, où elles s’étaient réfugiées, drame qui va le hanter durant toute sa vie, malgré flagellations, silice, bains de sel qu’il va s’imposer pour expier…

Un grand merci à NetGalley et aux Fleuve éditions qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure dont j’attends avec impatience le prochain opus.

#Aquitania #NetGalleyFrance

Eva García Sáenz de Urturi est née à Vitoria en 1972 et vit à Alicante depuis l’âge de quinze ans. En 2016, Le Secret de la ville blanche, un thriller passionnant se déroulant dans sa ville natale, devient un best-seller avec plus de 200 000 exemplaires vendus en Espagne. Depuis, les droits de traduction ont été cédés dans de nombreux pays et une adaptation cinématographique a été réalisée. Elle a remporté en 2020 le prix Planeta.

Extraits :

J’ai cru mourir quand ils me déchirèrent les entrailles. Sous ce pont, j’ai appris que la chair d’une enfant doit céder parce que la détermination d’un homme à y pénétrer, elle, ne fléchit jamais. Ce fut un acte de guerre et le champ de bataille – lâches ! – le corps d’une fillette.  

Mon grand-père fut un formidable duc d’Aquitaine, qui n’avait cependant jamais craint, de son vivant, de rabaisser son propre fils. A présent que tous deux avaient disparu, je comptais bien rendre justice à mon père.

Voici ma confession, dis-je. Je vais éliminer les Capétiens. Je vais épouser le veule petit roi.

Entraînés dès leur plus tendre enfance, ils (les chats aquitains) étaient bien plus que les espions des ducs d’Aquitaine. Passés maîtres en matière de surveillance, de traque, de filature, ces filles et ces garçons gauchers, étaient sélectionnés pour leur discrétion et leurs qualités d’improvisation dans des situations complexes…

Nul n’est invulnérable, répondit Louis. Tuer quelqu’un ne pose aucune difficulté. Pour peu qu’on le veuille, il suffit d’un peu d’imagination, d’une occasion, de quelques sous… Il n’y a aucun mérite à tuer, à faire souffrir. Nous en sommes tous capables. Le mérite consiste au contraire à avoir de bonnes raisons de le faire, mais s’en abstenir. C’est cette force-là que j’admire, mais je crains fort d’être le seul.

Nous vîmes tout ce qu’il y avait à voir ? des corps raides comme le bois, les bras agrippant le vide. Des corps de toutes tailles, hommes et femmes, jeunes et vieux mêlés, sans vêtement ni chevelure pour les distinguer. Des corps chauves, nus, calcinés. C’est donc cela, la guerre, dis-je. Ce n’est pas ce que l’on voit au Conseil royal…

Si au lieu de la moitié de mes hommes, j’avais envoyé toutes les troupes au puits, peut-être aurions-nous peu éteindre le feu avant que… Non. Voilà qu’elles revenaient, ces ruminations. Les pensées répétitives, sans début ni fin. Par milliers, jour après jour. Toujours les mêmes. Encore. Ce soir encore je ne dînerai pas.

Héraclite disait qu’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, car il s’écoule et change constamment. Il en va de même pour le temps. Le passé ne se répète jamais, du moins jamais exactement de la même façon, et si les évènements venaient à se reproduire, ils ne concerneraient pas la même personne, mais une autre, plus âgée, dans des circonstances différentes.

« Aquitaine ». Le pays des eaux. Ces eaux qui fertilisaient nos champs. Loire et Garonne fécondaient nos récoltes, comme des dieux volages répandant, çà et là, leur semence…

Lu en octobre 2022

« Sous les feux d’artifice » de Gwenaëlle Robert

Aujourd’hui, on fait un bond en arrière dans l’Histoire : 1864 sur fond de guerre de Sécession, en passant par le Mexique :

Résumé de l’éditeur

Lorsqu’un navire yankee entre en rade de Cherbourg un matin de juin 1864 pour provoquer l’Alabama, corvette confédérée que la guerre de Sécession condamne à errer loin des côtes américaines, les Français n’en croient pas leurs yeux.

Au même moment, Charlotte de Habsbourg, fraîchement couronnée impératrice du Mexique, découvre éberluée un pays à feu et à sang.

Le monde tremble. Mais le bruit des guerres du Nouveau Continent ne doit pas empêcher la France de s’amuser. Encore moins de s’enrichir. Théodore Coupet, journaliste parisien, l’a bien compris. Envoyé à Cherbourg pour couvrir l’inauguration du casino, il rencontre Mathilde des Ramures, dont le mari s’est ruiné au jeu avant de partir combattre au Mexique. Ensemble, ils décident de transformer la bataille navale en un gigantesque pari dont ils seront les bénéficiaires. À condition d’être les seuls à en connaître le vainqueur…

Pendant cette semaine brûlante, des feux d’artifice éclatent de chaque côté de l’Atlantique. Dans le ciel de Mexico comme dans celui de Cherbourg, ils couvrent les craquements d’un vieux monde qui se fissure et menace d’engloutir dans sa chute ceux qui l’ont cru éternel.

Ce que j’en pense :

Par un matin de juin 1864, un bateau yankee, le Kearsarge, mouille en rade de Cherbourg et vient provoquer l’Alabama, une corvette appartenant aux confédérés. Le capitaine de la corvette est confiant dans la solidité et la sûreté de son vaisseau et regarde sans se laisser impressionner le bateau qui fait des manœuvres d’intimidation.

Nous sommes en pleine guerre de Sécession, la France qui importe du coton du Sud est en mauvaise posture : pas de coton implique la fermeture des filatures. Il est donc urgent que le Sud gagne pour que le commerce reprenne.

C’est l’époque des bains de mers, des cures, lancée par l’impératrice Eugénie, et Cherbourg tient à inaugurer son casino en grande pompe, feux d’artifice et accès aux tables de jeux. On attend l’arrivée des Parisiens pour ce week-end (cela ne s’appelle pas encore ainsi !). Théodore Coupet, journaliste en charge des potins mondains, alors qu’il rêve de la rubrique politique, est envoyé sur les lieux pour couvrir les festivités et il fait la connaissance de Mathilde dont le mari s’est ruiné au jeu, alors qu’il faut payer la dot de leur fille.

Qui dit jeu, dit enrichissement possible ou au contraire ruine. Ce qui donne des idées à Mathilde et Théodore : organiser un pari sur la bataille qui va opposer les bateaux américains.

En même temps, Charlotte, la fille du roi Léopold Ier de Saxe-Cobourg, qui vient d’épouser Maximilien de Habsbourg, hérite ainsi du titre d’impératrice du Mexique, couronne dont personne ne voulait, et même Napoléon III semble surpris que le couple ait accepté ce cadeau empoisonné. De surcroît la nuit de noces de Charlotte ne n’est pas passée comme prévu : les deux époux ont dormi côté en côté et rien ne s’est passé.

Après un voyage harassant, le couple débarque dans un pays à feu et à sang, où il n’est pas très bien accueilli : le palais qui les attendait ne peut les recevoir et ils vont parcourir dans une calèche aux couleurs de la République, des chemins particulièrement difficiles : ils arrivent couverts de poussière, et Charlotte sent bien qu’ils font l’objet de moqueries.

Quelle sorte de respect peuvent-ils inspirer, si sales, si fatigués, ballottés par des mulets dans une voiture aux couleurs de la République ? Elle pense à son père, aux convois grandioses dans lesquels il traversait avec elle son royaume flamand.

J’ai aimé ce récit à deux voix, les Habsbourg au Mexique, et Cherbourg qui se transforme en Casino géant, sur fond de bataille navale. On ne peut pas dire que les Habsbourg apparaissent sous leur meilleur jour : Charlotte a appris la politique auprès de son père et elle se rend bien compte de leur situation, alors que Maximilien se livre à la chasse aux papillons entre deux plongées dans la mélancolie…

Gwenaëlle Robert raconte très bien les évènements, tant politiques que les paris, avec un style incisif qui rend la lecture agréable. Je gardais un souvenir assez confus de « l’expédition au Mexique » de Napoléon III, de l’essor des bains, des cures, sur fond de travaux haussmanniens mais cela remontait à très loin, et la couronne des Habsbourg m’était complètement sortie de la mémoire.

Bref, un roman agréable à lire, mais dont la fin m’a laissée perplexe, car en fait, cela n’en est pas une, notre histoire, notamment celle ce rapportant à Théodore, Mathilde et la jeune femme qui recueille les paris se termine en queue de poisson…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Cherche Midi qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure

#Souslesfeuxdartifice #NetGalleyFrance

8/10

Gwenaële Robert est professeure de lettres. Elle a publié trois romans dans la collection des Passe-murailles : Tu seras ma beauté (2017), Le Dernier Bain (2018), lauréat de six prix littéraires dont le prix Bretagne, et Never Mind (2020), lauréat du prix Albert Bichot, du prix Maintenon et du Prix du marque-page. Elle est également l’auteure d’un roman policier, Le Dernier des écrivains, aux Presses de la Cité (2022). Elle vit à Saint-Malo.

Extraits :

Son mari est accoudé au bastingage de la frégate, il regarde au loin, il aime la mer passionnément. Elle est le décor idéal pour ses épanchements mélancoliques, les rêveries de son esprit malade, gavé des poèmes romantiques mal digérés – Goethe, Hölderlin, Byron.

Eugénie dévisage son mari (Napoléon III). Elle est surprise. Un peu embarrassée aussi. L’impression d’avoir été complice d’une duperie. Pas un crime, non, mais un mauvais tour. Elle s’est prise d’affection pour cette Charlotte de Habsbourg qu’elle a accueillie à Paris avec beaucoup de chaleur et d’empressement. C’était si inattendu que ces jeunes mariés acceptent la couronne du Mexique dont personne ne voulait. Si inespéré.

C’est un nom d’Indien, gonflé du vent chaud des plaines du Sud, un nom accroché de broussailles, secoué de typhons, un nom gorgé du sang des pionniers, bercé du chant des esclaves. ALABAMA. Avec ses quatre A et le balancement cadencé de ses syllabes, on dirait les premières notes d’une musique qu’il fait sienne, tandis qu’il avance vers la plage des Mielles, les yeux fixés sur le vaisseau sudiste.

Chaque ville maintenant rêve de transformer sa mer en baignoire de luxe et ses plages en séchoirs géants – au lieu des poissons, mettez des bourgeoises, à la place des bicoques de pêcheurs des villas à tourelle, avec des noms de poèmes : Beau Rivage, Remember, Rochambelle, Castelroc. Ça attirera les Anglais d’Outre-Manche et les Parisiens de la rive droite…

Seulement Cherbourg n’est pas Cabourg – et n’est pas Morny qui veut. Tous les maires de la côte n’ont pas la chance d’être le bâtard d’une reine, le petit-fils naturel d’un évêque et le demi-frère de l’empereur pour transformer un port de pêche en ville de plaisir.

Le bottin de Paris est plein de ces noms des vieilles lignées qui achèvent de dilapider sur le tapis vert les terres acquises par leurs ancêtres, à la pointe de l’épée. Vice de l’aristocratie en un siècle bourgeois, ou sursaut d’orgueil : après tout, le jeu est une façon comme une autre de défier l’équilibre d’une société fondée sur le travail et l’argent…

Si seulement les Américains pouvaient en finir avec leur foutue guerre pour que le travail reprenne… Ou bien il faudrait que les balles de coton transitent par le Mexique, c’est bien pour ça que des milliers de soldats ont embarqué pour Veracruz avec la mission d’y placer un empereur à la solde des Français, oui ou non ?

Car les Cherbourgeois ne sont pas des joueurs, ils viennent en curieux, en badauds, voir de leurs propres yeux cette arène infernale où se précipitent les fortunes sous les regards avides des possédés.

Les Etats du Sud appartiennent au passé. Leur aristocratie un peu frelatée, leur économie fondée sur la terre, leur mode de vie… Ce sont des restes d’Ancien Régime, tout cela sera balayé par la révolution industrielle. On n’entrera pas dans le XXe siècle avec du coton et des esclaves, c’est… c’est impossible.

Elle est prisonnière. Mais de qui ? Du peuple mexicain ? Des militaires français ? Des appétits impérialistes de Napoléon III ? Ou de sa propre ambition, cette passion du pouvoir contractée à Laeken, quand elle bavardait avec son père, dans son bureau, des heures entières, après le souper ?

Lu en septembre-octobre 2022

« Sofonisba » d’Anne Comtour

Un titre avec ce prénom étrange, Sofonisba, qui a attiré mon attention et ma curiosité en lisant la quatrième de couverture, il n’en fallait pas plus pour que je tente ma chance lors de cette opération « Masse critique » organisée par Babelio.

Quatrième de couverture :

J’avoue, jusqu’à ce que je lise SOFONISBA, le dernier roman d’Anne Comtour, je n’avais jamais entendu parler de Sofonisba Anguissola.

Et je me désolais qu’il y ait eu si peu de femmes peintres.

Et voilà qu’au sortir de cette lecture, je découvre cette artiste, cette peintresse, jaillie de la Renaissance.

En une centaine de pages, légères, précises, enlevées… Anne C. nous entraîne dans un tourbillon de joie. On suit Sofonisba dans ses apprentissages ; on la voit broyer ses couleurs, tendre ses toiles, manier fusains et pinceaux ; on l’entend jouer du virginal ; on assiste à la naissance de ses talents.

Par la vivacité et la grâce de ces lignes, j’ai la sensation d’avoir découvert, en plus d’un grand peintre injustement méconnu, portraitiste hardie et virtuose, une nouvelle amie ; et cela n’a pas de prix.

Longue vie nouvelle à Sofonisba !

À quand une exposition de ses toiles en France ?

En attendant, plongeons dans ce récit enjoué, irradié par le soleil d’Italie, comme dans un torrent d’eau vive.

Élise Fontenaille

Ce que j’en pense :

On suit le destin extraordinaire de Sofonisba Anguissola, depuis son enfance à Crémone dans une famille qui a l’esprit ouvert : le père Amilcare a promis que ses enfants pourraient faire éclater leurs dons qu’ils soient filles ou garçons ce qui était rarissime à l’époque et par la même occasion il va leur donne des prénoms carthaginois. Elle est née entre 1532 et 1538, et s’éteindra en 1625, longévité rare à l’époque où régnait notamment la peste…

Elle et sa sœur vont avoir pour maître Bernardino Campi, toutes les deux sont douées mais Elena va choisir la voie mystique en entrant au couvent. Puis, Gatti et à Rome Michel-Ange. Alors surgit une offre qui va changer le cours de son existence : elle est appelée à la cour d’Espagne par Philippe II, fils de Charles Quint qui va devenir son protecteur.

En tant que femme il faut lui trouver un titre car Maître de Peinture est réservé aux hommes. Elle devient alors demoiselle d’honneur de la Reine (Maîtresse de Peinture ne sonne pas bien aux oreilles) elle fera les portraits des hauts personnages de la Cour. Elisabeth de Valois, qui va devenir Isabel, est âgée de quatorze ans quand elle arrive à Madrid.

Sofonisba est cultivée, parle espagnol, français, elle est musicienne et le roi décide de lui accorder une rente qu’il ne remettra jamais en question. Dans un premier temps c’est Amilcare qui la perçoit, plus tard ce sera elle-même.

Sofonisba va devenir très proche de la Reine, des enfants, les infantes Isabelle Clara Eugenia et Catalina Micaela (elle les peindra à diverses périodes de leurs vies, notamment à un âge avancé (« Les Infantas » (il en sera de même pour les autres épouses qui suivront) mais la Cour d’Espagne est austère, tous les nobles sont, de noir, vêtus, on est loin des couleurs chatoyantes de Cremone ou de Rome.

Elle ne va pas renoncer à une vie de femme pour autant, le Roi lui trouvera un époux. Elle finit par épouser Fabrizio de Moncada de Paterno, dont la famille vit à Gênes, mais chut ! je vous laisse découvrir…

On traverse aussi l’histoire de l’Espagne, au XVIe siècle, (mais aussi de l’Europe et du monde) à cette époque où la Reconquista n’est pas encore très loin, la défiance vis-à-vis des Moriscos, les Moresques, les croisades, et l’importance du rôle de la religion. A travers l’histoire de Sofonisba, on visite la mode, les spectacles, la musique, les arts, en général, la Renaissance etc.   

J’ai choisi ce livre car ce prénom, Sofonisba, a immédiatement attiré mon attention par son originalité, et la peinture m’intéresse même si je suis loin d’être une spécialiste. Je n’avais jamais entendu parler d’elle et sa personnalité, son histoire, son talent m’ont fascinée.

Anne Comtour la rend très vivante, opiniâtre parfois, habitée par son art : elle a fait beaucoup de portraits et d’autoportraits, alors qu’elle aurait aimé tenter les paysages, les natures mortes mais ce n’était pas à la mode alors. Elle va sombrer dans les oubliettes dans les siècles qui vont suivre, des hommes vont s’approprier son travail, notamment Alonso Sanchez Coello (peintre officiel de la Cour) et elle sera reconnue beaucoup plus tard.

J’ai retenu, entre autres, deux moments émouvants : lorsqu’elle rencontre, sur le tard, Artemisia âgée de 25 ans à peine ; ou sa rencontre avec Van Dick, un an avant sa mort, venu voir de près l’œuvre de celle dont on lui a parlé de manière élogieuse.

J’ai eu un gros coup de cœur pour Sofonisba et pour ce livre qui lui rend un si bel hommage. Je ne la connaissais pas, comme je l’ai dit précédemment, mais depuis cette lecture (en fait j’ai lu et relu ce livre !, j’ai fait durer le plaisir, je n’avais pas envie de quitter cette belle artiste) je consulte tous les sites internet à la recherche de ses tableaux…

Un détail, au passage, j’ai failli m’étrangler en lisant la préface : « Peintresse » quelle horreur !

Un grand merci à Babelio et aux éditions CREER qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure que je ne connaissais que de nom…

Je vous propose deux sites pour explorer l’œuvre de Sofonisba, droit à l’image étant de rigueur :

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/sofonisba-anguissola-premiere-femme-peintre-superstar-de-la-renaissance

et https://www.wikiart.org/fr/sofonisba-anguissola

Anne Comtour vit en auvergne depuis la nuit des temps. Elle chante et danse au sein d’un ensemble de musique Renaissance et joue de la harpe. Après « Anne de Joyeuse » elle signe son deuxième roman historique.

Extraits :

Amilcare Anguissola est fier : ses enfants ont du talent. « Garçons ou filles, tous cultiveront leurs dons » a-t-il décidé. « Et ils auront des prénoms carthaginois ! ». Bianca approuve pour l’éducation mais rechigne pour le prénom : la mode est plutôt à la mythologie gréco-romaine, aux saints évangélistes ou aux martyrs chrétiens…

Sophonisba, prononce le père, ému mais autoritaire… était une prestigieuse reine de Carthage. Fort éduquée en lettres et arts, elle charmait par sa voix, sa beauté, son intelligence. Des rois se sont battus pour elle.

A huit ans, elle brossait son premier autoportrait. A dix ans, elle allait déjà dans les églises copier les tableaux.

Peindre, son obsession, sa passion… travailler, sentir qu’elle s’améliore, que sous ses doigts surgit la beauté… Quel tressaillement, bien plus intense que toutes les amours mortelles, pense-t-elle.

Sofonisba se met à envier sa sœur, destinée à un mariage mystique. Mais, son amour à elle, c’est le trait, la couleur, la composition. Et matérialiser l’impalpable.

Voyons… une femme peintre, ce n’est pas vraiment dans l’étiquette. Mais, la belle Sofonisba, qui peint avec talent tant de hauts personnages, on pourrait lui donner le titre de « Maîtresse de Peinture de la Reine » ! ou, plus facile, comme elle est noble, de demoiselle d’honneur.

Elisabeth de Valois a épousé Philippe II par procuration : à Paris, le duc d’Albe est venu jouer le rôle de son roi pour la cérémonie. Comme elle a dû se sentir seule, la petite princesse bouclée ! Elle abandonne sa mère, Catherine de Médicis, ses sœurs, Claude et Margot, ses frères, et surtout sa meilleure amie, Marie Stuart, promise à son frère François, l’héritier de France…

Orazio est souvent en mer. Entre deux retrouvailles passionnées, Sofonisba visite sa famille à Crémone, portraiture, tient salon : à gênes, république, on aime discuter de politique. Cette pratique s’épanouira au XVIIe, à Paris notamment. Dans ce domaine aussi, Sofonisba innove. Elle reçoit poètes, musiciens, théologiens et… astronomes, savants prisés en cette ville portuaire…  

Artemisia Gentileschi est confuse de perturber le voyage d’une octogénaire, elle qui rayonne de ses vingt-cinq ans. Mais, comment imaginer un âge aussi avancé pour Sofonisba ? Elle court presque sur le quai, malgré ses jupes et ses années. Elégante même en voyage, bien qu’un peu décoiffée…

Lu en septembre octobre 2022

« L’air était tout en feu » de Camille Pascal

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai eu la chance de découvrir cet été grâce à l’opération masse critique organisée par Babelio :

Quatrième de couverture :

27 avril 1718. Un incendie ravage le Petit-Pont, menaçant Notre-Dame. Alors qu’à Paris l’air est tout en feu, au château de Sceaux, la duchesse du Maine souffle sur un autre brasier bien plus dangereux pour le Régent, celui du complot.

Mariée à l’aîné des bâtards de Louis XIV, haute comme trois pommes mais animée de l’orgueil d’une princesse du sang, cette précieuse règne sur sa petite cour de beaux esprits comme sur son mari. Soutenue en secret par le prince de Cellamare, ambassadeur du roi d’Espagne, et encouragée par les survivants de la vieille cour du Roi-Soleil, elle va intriguer avec passion.

Ainsi, en ce printemps 1718, un vent de fronde se lève sur la France et une véritable course-poursuite pour le pouvoir s’engage entre la duchesse d’un côté et le Régent de l’autre.

À travers les méandres des conspirations politiques, les haines familiales et une galerie de portraits tous plus extravagants les uns que les autres, Camille Pascal fait renaître avec virtuosité le temps enflammé et haletant de la Régence.

Ce que j’en pense :

L’action débute le 27 avril 1718 donc, alors qu’un incendie ravage le Petit-Pont et menace Notre-Dame. Alors pourquoi ne pas profiter de l’incendie pour allumer un brasier encore plus grand en déstabilisant le pouvoir du Régent, petit-neveu de Louis XIV.

Le Roi Soleil a rendu l’âme en 1715, après un très long règne, c’est son arrière-petit-fils qui doit accéder au pouvoir, et en attendant c’est le Régent qui tient les rênes au grand dam de tous les nobles nostalgiques qui ont gravité autour du grand roi, en essayant d’accumuler le maximum de privilèges.

L’éducation de Louis XV a été confiée au Duc du Maine mais le Régent a changé d’avis, et beaucoup de candidats se bousculent pour prendre sa place et ceci n’est pas du goût de la duchesse Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, petite-fille du grand Condé.

En effet, cette dernière, qui n’a déjà pas apprécié qu’on lui fasse épouser le Duc du Maine, affublé de surcroît d’un pied-bot, fils par la main gauche de Louis XIV et de Mme de Montespan, veut absolument que le « petit Duc » comme l’appelle Mme de Maintenon qui fut sa nounou-préceptrice, se rapproche du pouvoir. Après avoir épousé morganatiquement Louis XIV, elle a tout fait pour que les enfants illégitimes puissent prétendre à la succession, le jeune Louis XV, de santé fragile semble-t-il, n’a que 5 ans. Or la majorité requise est fixée à treize ans.

Notre duchesse, « du haut de sa petite taille », n’hésite pas à discréditer le Régent, faisant circuler sous le manteau de nombreux pamphlets ; mensonges, intrigues, complot, tout est bon pour déstabiliser le régime. Elle manœuvre pour faire arriver sur le trône Philippe V, roi d’Espagne. Elle ira jusqu’au bout pour jouer un rôle dans l’Histoire, comme jadis Condé et la Fronde, quitte à se retrouver accusée de haute trahison…

On fait ainsi la connaissance du frétillant abbé Dubois au service du roi d’Angleterre qui œuvre en douce pour maintenir le Régent sur le trône de France et s’applique à mettre sur pied la « Quadruple-Alliance. Du côté de l’Espagne, Philippe V, poussé par son épouse Élisabeth Farnèse qui déteste le Régent et veut remettre la main sur d’anciennes possessions en Italie : Parme, la Toscane, entre autres et tire les ficelles, aidée du cardinal Alberoni qui vise Rome. Tout ce petit monde veut remettre en question le traité mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. Et tout cela bien sûr pour le bien de la France.

Une idée de génie pour reprendre la main : la convocation du lit de justice pour reprendre la main sur le parlement qui se sent tout puissant !

Tous les personnages sont intéressants et bien analysés, notamment ceux qui œuvrent en sous-main, tel l’abbé Dubois, le cardinal Alberoni, le Prince de Cellamare, ambassadeur du roi d’Espagne, entre autres, ou Elisabeth Farnèse ultra-catholique qui invoque Dieu et les bénédictions tout en copulant activement avec son auguste époux Philippe V… quant à Mme de Maintenon, la bigote de Saint-Cyr elle en prend pour son grade. « Cette vieille ripopée, cette guenon, cette garce, cette hypocrite, cette putain infernale, la veuve Scarron qui allait en crever de rage dans son refuge de Saint-Cyr… »

Camille Pascal s’appuie sur une documentation abondante, (la bibliographie est intéressante pour approfondir la vie, les actions des différents personnages) et raconte les évènements sur un rythme presque endiablé, à la manière d’Alain Decaux autrefois (que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître !!!) ce qui rend ce livre très vivant et passionnant.

Je connaissais très peu la duchesse du Maine et la manière dont il nous la présente, vive d’esprit, toujours prête à intriguer, quitte à provoquer une guerre et à se brûler les ailes m’a donné envie d’en savoir plus car j’avoue qu’elle m’a beaucoup plu.

Camille Pascal nous entraîne dans les méandres de l’Histoire, les complots, les alliances de dupes pour notre plus grand plaisir. J’ai beaucoup aimé ses précédent livres « L’été des quatre rois » et « La chambre des dupes » donc cette lecture était une évidence et j’ai retrouvé le même plaisir.

Un grand merci à Babelio et aux éditions Robert Laffont qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume d’un auteur que j’apprécie beaucoup.

9/10

Écrivain couronné du Grand Prix de l’Académie Française, Camille Pascal est agrégé d’histoire. Après « L’été des quatre rois » et « La Chambre des dupes », « L’air était tout en feu » est son troisième roman.

Extraits :

C’était le beau temps des rêves éveillés qu’alimentait la passion de Mme de Maintenon, dont le cœur brûlait comme du bois sec pour l’enfant d’une autre – mais qu’elle avait d’abord fait sien et voulait maintenant faire roi. La marquise, prise d’une de ces manies ridicules de vieille précieuse, se croyait une nouvelle Circé pour être parvenue à transformer en un mari bourgeois et fidèle, le plus grand et le plus volage de tous les rois.

Dans les derniers mois du plus long des règnes, le Soleil se couchait inexorablement à Versailles mais l’aube courait s’ébrouer à Sceaux.

Le roi d’Angleterre promettait de s’entremettre pour obtenir de l’empereur Charles VI qu’il garantisse les droits du Régent à la couronne de France et reconnaisse enfin Philippe V comme roi d’Espagne. En échange de quoi, l’Autriche se voyait gratifiée de la Sicile et de quelques duchés italiens qui allaient lui assurer cette présence en mer Méditerranée perdue depuis son renoncement aux prétentions espagnoles.

Au sortir de son oratoire, Dubois se dirigea vers son cabinet où l’attendait une tasse de cet étrange breuvage au goût de médecine et dont les Anglais raffolaient. Comme il était impossible à Londres de boire un café qui n’ait pas le fumet du goudron, il s’était habitué à cette décoction de feuilles mortes, à laquelle il accordait la vertu de le faire pisser avec plus de régularité.

La Sardaigne, volée l’année précédente au duc de Savoie, ne suffisait plus à la reine d’Espagne, l’impérieuse Elisabeth Farnèse rêvait maintenant de reprendre pied au royaume de Naples et peut-être même de mettre dans la corbeille de ses enfants nés ou à naître, les duchés de Parme et de Toscane…

Lui seul régnait sur l’Espagne et commandait aux destinées de toute l’Europe. Lui, l’humble fils de jardinier qui devait son destin à sa façon d’accommoder les macaronis et de flatter les sodomites, tenait le sort du monde et l’avenir des royaumes entre ses mains… (Alberoni)

Le cardinal Alberoni aimait conduire plusieurs diplomaties parallèles, parfois contradictoires entre elles, mais dont il était le seul à pouvoir dénouer les fils entremêlés. Ce diable d’Italien était capable de mentir de bonne foi au pape en personne tout en négociant avec le Grand Turc !

La Quadruple-Alliance était son grand œuvre (Dubois) … Il fallait tout oser, tout tenter, tout changer, et surtout ne rien regretter sauf le pouvoir tant que la force et évènements s’évertuaient à rester de son côté. Que le pied des puissants vienne à glisser, et il suffisait de les piétiner avec autant d’ardeur qu’on en avait mis à les courtiser.

En 1715, la France n’avait pas seulement changé de règne, elle avait changé d’époque. Le tempérament du siècle n’était plus à la guerre, à la gloire et à la ruine, mais à la paix, aux plaisirs et à la prospérité.

Fallait-il que le vieux roi ait été bien diminué ou fermement tenu en lisières par la bigote de Saint-Cyr pour ne pas avoir compris qu’en affaiblissant son neveu il affaiblissait l’État et rendait à ces graves magistrats dont il s’était toujours méfié un pouvoir qu’il n’aurait jamais toléré sous son propre règne…

Lu en juillet-août 2022

« Aliénor d’Aquitaine, il y eut un soir et il y eut un matin » de Marie-Noëlle Demay

Tout le monde ou presque connaît la fascination que j’éprouve pour Aliénor d’Aquitaine, surtout depuis que la biographie écrite par Régine Pernoud est passée entre mes mains, alors il était impossible de résister devant cette couverture ô combien tentatrice :

Résumé de l’éditeur :

Jamais encore n’avait été relaté le long et périlleux voyage qu’Aliénor d’Aquitaine fit, au couchant de sa vie, avec sa petite-fille Blanca, choisie pour être la future reine de France. Voyage qui bouleversera leur vie et leur destin, transmission d’âme à âme, véritable initiation, pour la très jeune infante, au métier de femme et à celui de reine.

Janvier 1200. Aliénor d’Aquitaine, deux fois reine et mère de deux rois, fait son entrée dans la cité de Palencia. Elle vient quérir, au lointain royaume de Castille, l’héritière du trône de France. Un mariage censé sceller une trêve dans la guerre que se livrent Capétiens et Plantagenêts : Urraca, l’aînée de ses petites-filles, épousera Louis le Capétien, fils du roi Philippe Auguste. Mais, défiant l’évidence, Aliénor porte son choix sur la cadette, la rêveuse et profonde Blanca.

Bravant l’hiver finissant, Aliénor va ramener avec elle la jeune fille. Ensemble, elles traversent les Pyrénées pour rejoindre Bordeaux : un aventureux périple de deux mois, durant lequel la grande reine et la jeune infante apprendront peu à peu à se connaître. Un voyage qui accordera une dernière étincelle d’espérance à la vieille reine, et forgera les convictions et le caractère de celle qui deviendra Blanche de Castille, mère de Louis IX, futur Saint Louis…

Suivant le fil de l’Histoire et rebrodant, avec une grande sensibilité, ce que la tapisserie du temps a estompé, Marie-Noëlle Demay raconte, d’avril 1199 à avril 1200, cette année cruciale dans la vie d’Aliénor d’Aquitaine. Mère, amoureuse, stratège, guerrière, visionnaire : une femme hors du commun, magnifiquement contemporaine.

Ce que j’en pense :

Aliénor est aux côtés de son fils Richard Cœur de Lion, en train d’agoniser à la suite d’une blessure de l’épaule par arbalète qui s’est gangrénée. C’est un immense chagrin pour elle car c’était son fils préféré. Geoffroy est mort, et c’est Jean Sans Terre, le plus jeune de ses fils qui va devenir roi. C’est l’occasion pour elle de revenir sur son passé : reine de France, épouse de Louis VII, elle s’ennuie à la cour avec ce mari trop dévot à son goût et  tombe sous le charme d’Henry Plantagenêt qu’elle épousera après avoir obtenu l’annulation de son mariage (consanguinité !). Elle a été une reine brillante, douée en politique, ce qui ne lui a pas attiré que des sympathies.

Ici, nous la retrouvons donc, en l’an de grâce 1200, alors qu’elle a franchi les soixante-dix ans et a comme mission d’unir sa petite-fille au futur Louis VIII, fils de Philippe Auguste qu’elle déteste allègrement. Elle se rend en Castille, chez sa fille

La Duchesse d’Aquitaine avait prévu de choisir l’aînée de ses petites-filles, Urraca, mais après des « interrogatoires » astucieux, comme elle les aime, elle comprend vite que c’est Blanca qui fait la meilleure candidate : elle est curieuse de tout, attentive à l’étude, alors qu’Urraca est trop superficielle pour elle, s’intéresse trop aux plaisirs, aux toilettes…

Blanche fêtera son douzième anniversaire le 4 mars 1200 au cours du périple.

Après un dernier banquet, elles prennent toutes les deux la route en direction de Bordeaux, via les Pyrénées, avec un long cortège de litières, gardes, chars à bœufs contenant nourriture et cadeaux. Elles chevauchent côte à côte et un lien se tisse entre elles, Aliénor répondant aux questions de Blanca sur sa vie, son histoire, celle des Plantagenêt, les croisades, en passant par son oncle Raymond d’Antioche, la fondation de  l’abbaye de Fontevrault, si chère à son cœur, dont elle a fait la nécropole des Plantagenêt, les évènements heureux les deuils qui l’ont accablée, l’assassinat du primat d’Angleterre Thomas Becket, dans la cathédrale de Canterburry ou encore la rébellion de ses trois fils contre son époux, rébellion qu’elle a fortement soutenue, et son emprisonnement durant 15 ans dans les geôles royales…

En plus d’être une habile politicienne, (elle a un sens inné de la politique,) sa compréhension des tenants et aboutissants et son intuition sont reconnues mais elle est une femme et à cette époque on préfère lui demander de faire des enfants, les élever tenir la maison. Sa carrière impressionne Blanche qui se demande si elle sera à la hauteur de sa tâche de future reine de France. Il est vrai qu’Aliénor à mis la barre très haute dans ce domaine !

Le long périple vers Bordeaux où elle doit épouser le futur roi de France est périlleux, on connaît la dangerosité des routes à l’époque, et il s’apparente à un voyage initiatique, Aliénor faisant office de mentor à Blanche, tout en lui enseignant la culture, la poésie, la danse, elle qui est férue de troubadours, toute cette belle langue d’Oc qui a bercé son enfance.

J’ai beaucoup aimé accompagner Blanche et Aliénor dans ce long voyage, qui m’a permis d’en savoir plus sur cette période de sa vie. Cette reine m’a toujours fascinée ( ce n’est pas la première fois que je parle d’elle dans mon blog) par son intelligence, sa culture, et là on découvre la fragilité derrière sa carapace de Dame de Fer, elle se consume de l’intérieur depuis la mort tragique de Richard, et ce qu’elle considère comme l’incurie de son fils Jean. Elle qui rêvait d’un empire Plantagenêt régnant sur le monde, maintenant Philippe Auguste dans l’ombre, ne se rend pas compte que grâce à Blanche (qui deviendra une reine puissante et la mère de Saint Louis) que leur sang va perpétuer la dynastie capétienne.

Ce livre se lit très facilement, qu’on aime l’Histoire ou non, je tiens à le préciser, tant l’écriture de Marie-Noëlle Demay est vive, s’envole d’un thème à l’autre, donnant la parole à tour de rôle à Blanche et Aliénor. Blanche est encore une petite fille en quittant la Castille, elle a acquis la maturité nécessaire à une future reine, tant les récits et les péripéties du voyage vont l’enrichir. Comme le précise son éditeur, ce livre est un roman.

Je ne reviens pas sur la couverture, que l’on peut interpréter de diverses façons, avec ces deux visages, deux profils l’un loir l’autre blanc, unis sous une même couronne, l’une est au soir de sa vie, l’autre la commence à peine…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Presse de la Cité qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure dont j’avais noté le précédent livre dans ma PAL démente : « Le crocodile devenu le sac de Karl Lagerfeld »

#AliénordAquitaineIlyeutunsoiretilyeutunmatin #NetGalleyFrance !

9/10

Journaliste, après un DEA en droit, Marie-Noëlle Demay a travaillé, à Gala, puis Marie-Claire et a publié son premier roman « Le crocodile devenu le sac de Karl Lagerfeld » en 2018.

Extraits :

Quel roi magnifique et redouté tu as été, mon fils ! Ta puissance s’étendait sur ces terres échevelées et changeantes qui vont de l’Écosse aux Pyrénées, déchirées par la Manche que nous avons, toi et moi, traversée tant de fois. Comparé à toi, le roi capétien Philippe auguste devait, lui, se contenter d’un bien malingre royaume, à peine une cicatrice altérant les frontières du gigantesque empire Plantagenêt.

Ma vie s’échappait par tes mots sans appel. Mais je me ressaisis vite. J’ai toujours eu davantage de courage pour affronter les grands drames de la vie que ses petits tourments.

Au crépuscule de mon existence, si je regarde en arrière, je constate que ma vie entière n’a été qu’une succession de chevauchées sans fin, de guerres, de malheurs, de trahisons, de deuils, pour quelques rares et fugaces instants de bonheur.

J’aimais la stratégie et, plus que tout, désarçonner mes ennemis par un sens de la tactique peaufiné au fil des années…

Urraca et moi nous enlaçons longuement, sans essayer de retenir nos larmes. Du jour de notre naissance, nous savions que nous serions un jour ou l’autre séparées, destinées à enfanter dans de lointaines contrées. Mais tout cela avait un ordre, une logique.

Tes parents, ton précepteur, ton chapelain, t’ont-ils dit, Blanche que chaque être humain était seul, toujours ? Seul au moment de sa naissance, seul à l’heure de son trépas, seul devant toutes les décisions, chaque jour, chaque instant ? La vie humaine n’est qu’un long chemin de solitude, seulement animé par la vivante présence de Notre-Seigneur….

Depuis que la duchesse reine a fait irruption dans ma vie et, d’un mot, l’a métamorphosée, je la vois s’amaigrir chaque jour davantage. Comme si elle se débarrassait de tout le superflu pour ne garder que la force ardente qui l’anime. Elle ne paraît pas malade, non, juste consumée par un feu intérieur.

Les hommes, Blanche, n’aiment pas que les femmes soient leurs égales en intelligence et en culture, tu apprendras cela. Un roi moins que tout autre. J’en connais bien trop le prix…

Aliénor obtient toujours ce qu’elle veut. Ma mère ma l’a souvent répété : « Ce qu’elle convoite, elle l’obtient. Ce qu’elle veut, elle l’a. Ce qu’elle décide, elle le met en œuvre. Rien ni personne ne peut arrêter ou contredire sa volonté. C’est l’être humain le plus farouchement inflexible que j’aie rencontré. »

Lu en juillet 2022

« La liberté des oiseaux » de Anja Baumheier

J’ai découvert le livre dont je vous parle aujourd’hui sur les blogs dans le cadre du challenge Feuilles allemandes », auquel je n’ai pas pu participer cette année, trop de lectures et de chroniques en retard, motivation en berne, effet collatéral du COVID etc. etc.

Résumé de l’éditeur :

Deux sœurs enquêtent sur leur enfance passée en RDA et sur les non-dits qui pèsent sur leur famille. Une fresque sublime et captivante.

De nos jours, Theresa reçoit une mystérieuse lettre annonçant le décès de sa sœur aînée Marlene. C’est à n’y rien comprendre. Car Marlene est morte il y a des années. C’est du moins ce que lui ont toujours dit ses parents. Intriguée, Theresa, accompagnée de son autre sœur Charlotte, part en quête de réponses. Se révèle alors l’histoire de leurs parents, l’arrivée à Berlin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la carrière de leur père dans la Stasi, la suspicion et la paranoïa, l’influence terrible de son chef, Kolia. Mais surtout, la personnalité rebelle de Marlene, qui rêvait de fuir à l’Ouest…

Grande saga au formidable souffle romanesque, La Liberté des oiseaux retrace quatre-vingts ans d’histoire allemande et nous plonge au cœur de destinées ballottées par l’Histoire.

Ce que j’en pense :

Nous sommes à Berlin, de nos jours et Theresa reçoit une lettre lui apprenant qu’elle hérite à parts égales avec Tom Halász de la maison de Marlène, tandis que sa sœur aînée, Charlotte, ne figure pas sur le testament. Or Marlène est censée décédée depuis trente ans ! branlebas de combat ! pourquoi Theresa ? et qui est Tom ?

Anna, sa fille va faire des recherches et tomber sur un lourd secret dans la famille Groen, ce qui va nous entraîner, entre Berlin et Rostock, petite ville portuaire du nord de l’Allemagne, sur une période allant de la fin de la deuxième guerre mondiale à nos jours.

Revenant de la guerre, Johannes Groen, un peu perdu, est pris en charge pas Kolia, communiste pur et dur, qui va le faire entrer au Parti, et lui permettre de faire carrière (une belle carrière) dans la Stasi. Il rencontre celle qui deviendra son épouse, Elisabeth, quia survécu aux massacres de la guerre en se cachant dans un sous-sol avec sa mère, alors que leur voisine leur apportait de quoi se nourrir en cachette.

Elisabeth est infirmière, dans le service d’Anton et se lie d’amitié avec une de ses collègues, Eva. Johannes est souvent absent entre ses diverses responsabilités au Parti, ses réunions, la construction de la RDA. Ils fondent une famille avec Charlotte devant laquelle il est béat d’admiration et qui va déployer beaucoup de zèle pour défendre les valeurs du communisme dès son plus jeune âge, et finit par devenir formatée, paranoïaque à force de voir des ennemis partout.

La seconde, Marlène, est aux antipodes de son aînée, fantasque, refusant de plier devant l’injustice. Un jour, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : elle est repérée lors d’une manifestation, pour la liberté, en compagnie de son amoureux et prend la direction prison.

Pour ne pas compromettre la « carrière » de son père, une solution est trouvée par Kolia bien-sûr…

Tout au long du roman, on va suivre les découvertes d’Anna et connaître l’évolution de la famille, sur fond de construction de la RDA, l’emprise du communisme, l’idéal de justice et de liberté qui vole en éclats, remplacé par la surveillance, la délation, les magasins du peuple à moitié vide dès le milieu de la journée. Puis, la construction du mur de Berlin, pour éviter l’hémorragie des « cerveaux », au début puis toute velléité de départ, l’émergence des révoltes, mâtées de la manière la plus forte, jusqu’à la chute du mur, de l’URSS et de la RDA.

J’ai beaucoup aimé cette histoire de secret de famille, de non-dits et l’évolution des personnages, au fur et à mesure que les choses sont révélées. Charlotte que j’ai cordialement détestée au départ par sa manière de vouloir juger et régenter tout le monde, son intransigeance, sa dureté est la plus surprenante dans son évolution.

L’écriture de Anja Baumheier est belle, musicale, rythmée et pour un premier roman c’est une réussite, presque un coup de coeur. J’attends son prochain avec impatience …

Si j’ai lu énormément d’ouvrages sur le nazisme, la Shoah, la Seconde Guerre Mondiale, j’ai peu lu sur Staline, et le communisme soviétique (ou autre), car je trouve que le « petit père des peuple » (sans blague ?) est largement aussi horrible que Hitler et ses sbires et  il en est de même pour le sort des Allemands après la fin de la guerre, mis à part l’excellent livre de Alvydas Slepikas : « A l’ombre des loups » mais je me rattrape (au fait, RV pour le challenge « Le mois de l’Europe de l’Est » bientôt …

Ce roman, qui mêle le présent et le passé, la petite et la grande Histoire se dévore, j’ai apprécié tous les personnages, de Johannes à Elisabeth en passant par Anton, et bien sûr, Marlène la rebelle. Je me rappelle la joie ressentie lors de la chute du mur de Berlin, cette nuit du 9 novembre 1989, où l’on se disait, « j’aurais tellement voulu être là », Rostropovitch et son violoncelle…

Mais qu’en reste-t-il à notre époque troublée du la nostalgie des dictatures et des populismes de tout poil ? Il n’y a qu’à regarder du côté de Poutine, sa détestation de Gorbatchev, sa nostalgie de la Grande Russie qu’il cherche à tout prix à reconstruire… Nostalgie quand tu nous tiens !

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#Lalibertédesoiseaux #NetGalleyFrance !

9/10

Cette chanson était dans ma tête, durant cette lecture, certaines descriptions des privilégiés du Parti y sont pour beaucoup, alors je vous en fais profiter !

L’auteure :

Anja Baumheier est née en 1979 à Dresde et a passé son enfance en RDA. Professeure de français et d’espagnol, elle habite aujourd’hui à Berlin avec sa famille. La Liberté des oiseaux est son premier roman.

Extraits :

A côté du bar étaient punaisées des photos d’enfants portant le foulard bleu ou rouge des pionniers, d’adolescents en chemise du mouvement de la Jeunesse et de jeunes gens en uniformes de l’Armée populaire nationale.

D’un point de vue juridique, il était normal que ceux qui tentaient de fuir le pays illégalement fissent de la prison. Je ne comprends pas pourquoi on en fait toute une histoire aujourd’hui.

On remarque peut-être une certaine tension chez les travailleurs et les paysans, mais il n’y a pas lieu de s’en préoccuper. Les campagnes de calomnies pilotées par l’ennemi de classe ne sont pas près de porter leurs fruits. Berlin-Est 1981

Mais, Johannes était obligé de réagir s’il ne voulait pas que Kolia le soupçonne de s’éloigner de la ligne du Parti, maintenant qu’il avait éprouvé dans sa chair les méthodes utilisées pour surveiller la population. Il croyait encore à l’idéal d’égalité entre les citoyens. Mais en RDA, les rêves se heurtaient souvent à la réalité. Tant qu’on obligerait des gens à surveiller leurs voisins pour leur dicter comment ils devaient se comporter, on ne pourrait parler d’égalité. Quant à l’idéal de justice, mieux valait carrément ne pas l’évoquer.

C’est très simple de faire un enfant, continua Tom en montrant le ventre d’Anna. Être mère, par contre, c’est autrement plus difficile. Elle n’a jamais su. Son séjour en prison l’avait brisée.

Il voyait d’un bon œil que les choses bougent enfin en RDA et il avait l’espoir que ce mouvement irait dans le bon sens. Il fallait en finir avec la répression et remettre l’individu au centre des préoccupations. Marx n’avait-il pas écrit que les hommes qui en asservissaient d’autres forgeaient leurs propres chaînes ? Or que représentait la direction politique sinon un groupe d’hommes qui persécutaient ceux qui ne les soutenaient pas.

Lu en décembre 2021