Je vais vous parler des livres que j'aime, de mes auteurs préférés, des trésors littéraires que je peux découvrir, de mes coups de cœur ou de mes déceptions.
Aujourd’hui, place à un roman un peu particulier :
Résumé de l’éditeur :
Paul Delorme, un jeune homme de bonne famille, a tout pour réussir. Bonne gueule, bonne éducation, bonne orientation sexuelle et bon job dans la finance. Une vie confortable et balisée : école privée, scouts, rallyes, prépa, ESSEC, et aujourd’hui consultant à la Défense chez McGinley. Vers la cinquantaine, il devrait naturellement rejoindre le groupe des vieux mâles blancs dominants, contents d’eux et du sort que l’existence leur a réservé. Mais la découverte d’irrégularités dans le dossier d’un client vient bouleverser ce fleuve tranquille.
Quelle décision prendre ? Se taire ? La terreur du déclassement sera-t-elle plus forte ou un sursaut de conscience est-il encore possible ? Une mise en quarantaine forcée qui pousse le héros à remettre en question tout un système, toute une éducation.
Ce que j’en pense :
Le héros a découvert une fraude fiscale. Seulement, au lieu d’être récompensé, il est mis au placard, car il a mis le doigt dans un engrenage : ceux qui occupent le haut de la hiérarchie n’ont qu’une idée en tête : conserver leur poste, alors au diable les malversations, entre requins, on se soutient.
Il nous explique que depuis il est persécuté et mis au placard, surveillé, pisté en mode big brother ce qui provoque une fuite « rocambolesque » peu crédible.
Un roman étrange qui semblait prometteur, dans ce milieu catholique ultra bourgeois, autoproclamé élite de la Nation et qui ne va pas réconcilier avec le monde de la finance et des magouilles.
Je reconnais, néanmoins qu’il y a quelques phrases percutantes, lucides dans ce récit.
Présenté comme un thriller économico-social, il ne tient pas ses promesses. J’ai réussi à le terminer cela relève de l’exploit, car le héros lui- même ne m’était pas sympathique.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Elidia qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur.
#LeVestiaireaméricain #NetGalleyFrance !
5/10
Extraits :
J’étais l’aîné, donc inutile de préciser qu’à moi seul, et quand bien même j’aurais décroché tous les prix d’excellence, les premiers prix de conservatoire et les médailles d’or aux compétitions sportives pour les déposer avec respect aux pieds de mes géniteurs, jamais je ne l’aurais satisfaite. Éternel mendiant de leur reconnaissance, sans frères et sœurs, je n’aurai recueilli dans leur regard qu’une constante impression d’insuffisance…
Le cadre à la sensibilité assumée n’était pas encore né, la faute au CAC, bloc de virilité patriarcale à l’ancienne, où la gestion émotionnelle n’était pas du tout cotée. Chacun tenait sa place et donnait le change à ceux qui l’entouraient : ici, on se satisfaisait de la vie que le travail vous permettait.
La mondialisation inexorable de tous les marchés entraînait la vieille Europe dans sa danse folle. Chaque nation s’épuisait à garder le rythme en même temps qu’elle exhibait ses charmes pour séduire l’or et le retenir à coups de mesures fiscales avantageuses, d’ouvertures à la concurrence, de subventions aux industries étrangères, de relâchement des frontières, d’incitations de toutes sortes et tous azimuts.
… dès que l’éthique, la déontologie, les principes et autres garde-fous entrent frontalement en conflit avec des enjeux financiers ou de pouvoir – et les mirifiques possibles ou catastrophes abyssales qu’ils laissent entrevoir – on ne s’embarrasse pas longtemps de tous ces oripeaux présentés tout à coup comme des enfantillages. On a vite fait de tomber le masque, sans complexe, de la façon la plus crue, violente ou vulgaire…
Je vous parle aujourd’hui d’un livre et d’un sujet qui m’est cher à plus d’un point de vue :
Résumé de l’éditeur :
L’histoire commence en Espagne, par deux naissances et deux abandons. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon qu’elle confie aux jésuites. Un peu plus tard, en Galice, une femme accouche d’une fille et la laisse aux sœurs d’un couvent. Elle revient la chercher dix ans après. L’enfant est belle comme le diable, jamais elle ne l’aimera.
Le garçon, c’est Julian. La fille, Victoria. Ce sont le père et la mère de Maria, notre narratrice.
Dans la première partie du roman, celle-ci déroule en parallèle l’enfance de ses parents et la sienne. Dans un montage serré champ contre champ, elle fait défiler les scènes et les années : Victoria et ses dix frères et sœurs, l’équipe de foot du malheur ; Julian fuyant l’orphelinat pour s’embarquer en mer. Puis leur rencontre, leur amour et leur départ vers la France. La galicienne y sera femme de ménage, le fils de pute, gardien du théâtre de la Michodière. Maria grandit là, parmi les acteurs, les décors, les armes à feu de son père, basque et révolutionnaire, buveur souvent violent, les silences de sa mère et les moqueries de ses amies. Mais la fille d’immigrés coude son destin. Elle devient réalisatrice, tombe amoureuse, fonde un foyer, s’extirpe de ses origines. Jusqu’à ce que le sort l’y ramène brutalement. A vingt-sept ans, une tarologue prétend qu’elle ne serait pas la fille de ses parents. Pour trouver la vérité, il lui faudra retourner à Bilbao, la ville où elle est née. C’est la seconde partie du livre, où se révèle le versant secret de la vie des protagonistes au fil de l’enquête de la narratrice.
Stupéfiant de talent, d’énergie et de force, Les gens de Bilbao naissent où ils veulentnous happe dès le premier mot. Avec sa plume enlevée, toujours tendue, pleine d’images et d’esprit, Maria Larrea reconstitue le puzzle de sa mémoire familiale et nous emporte dans le récit de sa vie, plus romanesque que la fiction. Une histoire d’orphelins, de mensonges et de filiation trompeuse. De corrida, d’amour et de quête de soi. Et la naissance d’une écrivaine.
Ce que j’en pense :
L’histoire s’ouvre à Bilbao dans les années 40 avec la naissance d’une petite fille Victoria qui est confiée à un orphelinat où elle attendra en vain d’être adoptée jusqu’au jour où se mère biologique vient la chercher, geste qu’elle regrette immédiatement, consciente du danger que représente la beauté de la petite fille, qui aura du mal à trouver sa place parmi les autres membres de la fratrie. « Victoria, c’est ma mère » nous dit l’auteure.
Julian, lui est le fils d’une prostituée obèse que ne l’aime pas et le confie aux Jésuites. « Julian c’est mon père ».
Ces deux êtres grandissent sans amour, abandonnés à la naissance et réintégrés dans leur famille, mais le mal est fait. C’est le coup de foudre, ils se marient et vont partir pour la France. Mais, ils n’arrivent pas à avoir d’enfants, alors un médecin espagnol va leur proposer l’adoption. Ainsi Maria entre dans leur vie alors que le couple bat de l’aile, Julian sombrant dans l’alcoolisme et la violence, Victoria se réfugiant dans le silence…
On retrouve ensuite Maria, parvenue à l’âge adulte, metteur en scène, qui multiplie les conduites à risque avant de rencontrer Robin et fonder une famille. Elle sent confusément qu’il manque quelque chose dans l’histoire familiale et c’est une tarologue qui lui assène qu’il y a des mystères autour de sa naissance. Ainsi commence la quête des origines, le besoin de savoir d’où elle vient.
Tout est réussi dans ce livre, autofiction comme souvent lorsqu’il s’agit d’un premier roman. Maria Larrea évoque l’abandon et l’adoption du côté de l’enfant comme celui des parents, pose les bonnes questions : comment surmonter la stérilité, l’incapacité à être mère et à être père, ce qui peut être vécu comme une impuissance, le chemin vers les souterrains de l’adoption qui nous emmène ici vers un trafic d’enfants au moment du Franquisme : on prend les enfants des Républicains pour les confier aux bons catholiques, ou ceux des filles de bonne famille qui ont « fauté ».
Quand je sus pour mon adoption, je compris que l’adolescente que j’avais été, ma crise et mon rejet, il les avait très mal vécus, lui, le père adoptif, l’homme qui n’avait pas fécondé. Je me disais qu’il n’avait pas dû se sentir reconnu ou validé…
Elle décrit bien la difficulté de montrer son affection en tant que parent lorsqu’on a été soi-même abandonné, comment on donne l’amour qu’on n’a pas reçu, quand on a été victime d’inceste comme Victoria par exemple.
J’ai aimé la quête de Maria pour trouver ses origines, ses recherches sur Internet pour trouver d’autres enfants nés dans les mêmes conditions, les tests génétiques, la levée du secret car ces enfants « volés » à leurs parents ont été inscrits directement sur les livrets de famille, comme des naissances « normales » et non comme abandonnés et confiés à l’adoption.
Maria Larrea parle très bien du non-dit, du secret de la naissance, à une certaine époque on disait aux enfants qu’ils avaient été adoptés très tard ce qui n’était pas sans conséquence. Elle réussit plutôt bien à se construire, évoque sa crise d’adolescence, sa rébellion contre ses parents adoptifs, son père qui travaille dans un théâtre, sa mère qui fait des ménages, perfectionnistes, les vacances chaque été en Espagne dans l’appartement qu’ils ont acheté….
J’ai aimé aussi la manière délicate dont l’auteure évoque l’immigration, le déracinement, le fait de reconstruire sa vie dans un pays qu’on ne connait pas, bien faire son travail en essayant de ne passer inaperçu, les réflexions des autres enfants à l’école…
Le gynécologue est quand même haut en couleur, persuadé d’avoir tous les droits sur les mères auxquelles il arrache leur bébé, moyennant finance bien sûr, il n’y a pas de petit profit, et n’hésite pas à accompagner les adoptants jusqu’à la frontière car les bébés n’ont pas d’existence légale, mais comme il a l’autorité nécessaire, tout passe…
Petit clin d’œil pour finir au titre de ce livre qui m’a tout de suite attirée et si vous croisez sa route surtout n’hésitez pas que le thème de l’adoption vous touche ou non et comme le dit si bien l’auteure :
J’inventerai mon histoire, car Les gens de Bilbao naissent où ils veulent dit le dicton. Ils soulèvent des pierres, ils tronçonnent des arbres ils sont plus forts que les actes de naissance, les Basques.
Ce récit sonne très juste, et il m’a énormément touchée, car je connais l’aventure de l’adoption qui n’a rien d’un long fleuve tranquille et je me suis identifiée curieusement aux deux rôles, car entre dans l’intimité de Maria c’était mieux comprendre certains comportements, pourquoi on ne se sent pas légitimes souvent, un peu usurpateur parfois, même quand tout se passe légalement…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont fait une nouvelle fois confiance en me permettant de découvrir ce roman, véritable coup de cœur, et son auteure.
Maria Larrea est née à Bilbao en 1979. Elle grandit à Paris où elle suit des études de cinéma à La Fémis. Elle est réalisatrice et scénariste.
Extraits :
Malgré sa troublante beauté, Victoria n’avait pas confiance en elle, elle doutait de sa capacité à se faire adopter. Elle essaya à maintes reprises d’être encore plus gentille, plus charmante lors des visites mais cela empirait son cas. Elle priait alors chaque soir à voix basse dans son lit… …Elle se tenait pour seule responsable de l’échec cuisant de son adoption. Elle ne priait pas assez, pas avec assez de ferveur, pas assez gentille, pas assez intelligente, pas assez bonne.
Petite fille, j’avais une maladie secrète. Dès que je restais trop longtemps chez moi, je fouillais. Nerveusement. Tout le temps. Partout. J’avais l’instinct d’un trésor caché. Ou bien alors j’avais été rongeur dans une vie antérieure.
Dans la commode, au milieu des dessous et des chemises de nuit de ma mère, je m’arrêtais toujours pour relire le livret de famille, déplier les vieux papiers consulaires, traduits et tamponnés. Ces vestiges espagnols me rappelaient mes origines mais aussi, parce qu’ils paraissaient si vieux, ridés, presque transparents, la fuite de mes parents et leur vie d’avant.
Les onze enfants de Dolores et Santiago formaient l’équipe de foot du malheur. Victoria était la gardienne des buts, elle encaissait les coups. Son retour dans le giron maternel avait été une punition, sa propre mère la haïssait et ne s’en cachait pas. Son père, pêcheur abruti par l’eau-de-vie, la cervelle aussi salée que la morue, la désirait. Victoria se sacrifiait sur l’autel du désir paternel en pensant sauver sa fratrie innocente des mêmes assauts. Comme un animal en cage, elle connaissait les parades pour leur éviter ce sort douloureux.
Pour mes débuts de metteur en scène, je décidai de travailler sur mes souvenirs d’enfance, réalisatrice en herbe filmant platement son nombril. Je cherchais une explication à ma première partie de vie chaotique et violente et me servait de ma caméra pour tenter de fixer le cannage de ma chaise généalogique.
Déchirure du périnée complet compliquée. Blessure du jour où je deviens mère, blessure de naissance et de vie. Je pressens que cette complication possède un sens caché. Je l’énonce cette fois-ci à voix haute dans la salle d’accouchement en disant à Robin un jour je comprendrai pourquoi.
Mon origine est trouble. Je le comprends. Je ne savais rien de plus mais je pressentais que ce qui suivrait serait colossal.
Nous sommes une micro famille, trois personnes, loin des attaches, peu d’amis, nos seuls contacts sont ceux du travail et des beuveries. Mes indices : je suis fille unique, mon père borderline, ma mère sous camisole chimique. J’avais de quoi pencher vers le secret de famille, l’adultère, l’amant d’un soir.
Mon objectif : écrire un film, une longue histoire pour ensuite réaliser mon premier long-métrage. Écrire une fiction, alors que je venais de découvrir que j’en était une…
Après des mois de recherche, je trouvais une première personne, puis une autre, encore. Tous nés et adoptés à Bilbao, la même décennie que moi. Je nous voyais comme un amas, tas de chair jetée aux ordures, électrons libres connectés par le wifi.
Mineure et femme, en Espagne c’était être moins que rien. On lui prit son enfant par la force et le donna à l’adoption … tout avait commencé avec les républicaines enceintes, emprisonnées pendant la guerre civile. Elles avaient donné de la suite dans les idées aux tortionnaires franquistes qui, sous couvert de morale chrétienne, planqués dans les ténèbres de l’Opus Dei, se mirent à leur prendre leur progéniture. Après la guerre, certains ont continué à monnayer pour des bébés.
Je tairais encore un peu mes rustres parents, ceux qui ne possédaient rien et m’ont tout donné. Je veux les protéger Julian et Victoria, du jugement trop hâtif sur leurs manquements, leurs maladresses et leur pauvreté, mon seul héritage fut leur amour.
Et je sais désormais ce que je dois à ma mère biologique : avoir rencontré Victoria. C’est peut-être la seule chose dont je lui sois reconnaissante, m’avoir abandonnée.
C’est ma deuxième tentative pour aborder l’univers de l’auteure, après ma lecture en demi-teinte de « Du côté des Indiens », avec ce roman :
Résumé de l’éditeur :
Il y a ceux qu’on vient toujours chercher dans les gares, les aéroports, et puis ceux qui plongent seuls dans les souterrains du RER ou partent en trainant leurs valises à la recherche d’un bus, d’une voiture… A l’aéroport où son fiancé était censé l’accueillir, Élisabeth ne voit personne. Désemparée, elle hésite, puis avise le dernier taxi en vue. Le chauffeur tient une pancarte au nom de la cliente qui décidément n’arrive pas : Emma Auster.
Ce nom si romanesque est un déclic : Que se passerait-il si Élisabeth prenait sa place ? Et si c’était enfin l’occasion de réaliser un vieux songe : changer vraiment de vie, au lieu de n’en donner l’illusion en jouant mille personnages… Qui d’entre nous n’a pas pensé, quitter la ville pour se fondre dans le paysage, disparaître pour se réinventer. Et la voilà partie pour vivre une vie qui n’était pas la sienne.
Peut-on devenir l’autrice de sa propre existence, ou le réel nous rattrape-t-il inéluctablement ? Un vertigineux jeu de miroir où les strates de la fiction se déplient et se répondent, dessinant un portrait de femme multifacettes. Une femme singulière et universelle, celle qui au fond de nous n’en finit pas de se chercher et d’imaginer un ailleurs…
Ce que j’en pense :
Élisabeth, désemparée par le fait que son mari ne soit pas venu l’attendre à l’aéroport, aperçoit un taxi, dont le chauffeur attend depuis assez longtemps une cliente, avec une pancarte « Emma Auster », (savant mélange de Jane Austen et Paul Auster). Elle décide se s’engouffrer dans le taxi et devient Emma, nounou férue de photographie, notamment d’oiseaux, embauchée par une famille qui ne l’a jamais rencontrée.
Une nouvelle vie commence, à la manière des Évaporés au Japon : Élisabeth enfile les vêtements de sa nouvelle identité et disparait sans laisser d’adresse à sa famille. On apprend qu’elle est mariée, et que son mari la trompe avec une femme plus jeune et que son métier ne l’intéresse plus…
En fait, elle manque de confiance en elle, fait souvent partie des murs, a besoin d’être sans cesse encouragée, reconnue…
L’idée est intéressante : disparaître sans laisser d’adresse, quitter une vie pour en construire une autre, mais encore faut-il avoir envie d’en construire vraiment une autre. Il ne suffit pas de se volatiliser pour réapparaître à l’autre bout du monde, pour que les choses changent.
J’ai réussi à terminer ce roman et cela relève de l’exploit tant cette lecture virait au pensum. L’idée était intéressante, mais Elisabeth-Emma pose des questions auxquelles elle ne réponde jamais, refuse de prendre des décisions car elle préfère le flou et la rêverie, désirant que les choses changent, mais « en même temps », expression dans l’air du temps ces dernières années, que tout continue à l’identique, ne pas décider…
Très vite, elle m’a exaspérée mais je voulais lui laisser une chance de me convaincre, mais décidément, si j’apprécie Isabelle Carré actrice, en tant qu’auteure, je n’y parviens pas… on parle de l’extrême sensibilité de l’auteure, qui aurait pu me toucher, mais son héroïne rêve sa vie au lieu de la vivre. Elle tente d’étayer son propos en nous donnant moultes citations d’auteurs, mais quand les extraits retenus sont plus axés sur elles que sur le texte lui-même. Les références fournies pour ces citations sont détaillées à la fin du livre, et cela m’a davantage intéressée, je le reconnais.
Si le thème des évaporés au Japon vous intéresse je vous conseille vivement de vous plonger dans « Les évaporés » le roman de Thomas B. Reverdy que j’ai adoré… La chronique a été rédigée sur mon ancien blog, alors j’espère que le lien va marcher sinon on peut la lire sur Babelio.
Quand personne ne vient vous chercher, pourquoi ne pas se jeter dans les bras d’un homme, n’importe lequel, pour les voler à sa fiancée ? Lui, ou le premier taxi venu. L’heureux élu ne manquerait pas de se féliciter du troc…
Mon partenaire n’y pouvait rien, de toute évidence mon corps défectueux était l’unique responsable. L’endométriose dont je souffrais prouvait une fois de plus mon insuffisance…
A rebours de l’avis général, capituler ne représentait pas à mon sens une si mauvaise option. Je trouvais au contraire une certaine noblesse à quitter le navire en pleine mer, à me saborder en silence. Avec un plaisir honteux, je rêvais de mourir, et d’être là quand même, cachée quelque part, juste pour voir la tête qu’ils feraient…
Au travail comme en amour, je guettais mes taux de satisfaction. Les « je t’aime » distribués comme des étoiles sur une application téléphonique. J’avais beau faire, je ne pensais qu’à ceux qu’on ne m’avait pas accordés. Les sourires de mon père, ses yeux sombres et brillants qui se fendent. Sourires si rares que je peux les compter…
Je n’ai pas appris à me battre, je laisse le réel me mettre K-O. Je referme les yeux, j’essaie de retrouver mes rêves, ils sont doux et m’entraînent au loin, dans un passé récent, plus clément. Je retrouve le Monde d’Avant, les passants se frôlent se mélangent sans peur.
Si nous n’étions pas obligés de choisir, de prendre chaque jour ces centaines de petites décisions, en apparence insignifiantes, qui en nous privant d’alternative suffisent parfois à tout changer, nous passerions peut-être moins souvent à côté de la vérité.
Dans ce monde, Emma et moi nous étions rejointes, dans un autre, je continuais ma vie précédente, et elle la sienne
Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi parce que son titre me rappelait un autre roman que j’avais adoré il y a longtemps : « Un barrage contre le Pacifique » de Marguerite Duras :
Résumé de l’éditeur :
« Ce livre a été écrit dans un endroit qui devrait être sous l’eau ». F.B.
Au hasard d’une galerie de Saint-Jean-de-Luz, Frédéric Beigbeder aperçoit un tableau représentant une cabane, dans une vitrine. Au premier plan, un fauteuil couvert d’un coussin à rayures, devant un bureau d’écrivain avec encrier et carnets, sur une plage curieusement exotique. Cette toile le fait rêver, il l’achète et soudain, il se souvient : la scène représente la pointe du bassin d’Arcachon, le cap Ferret, où vit son ami Benoît Bartherotte. Sans doute fatigué, Frédéric prend cette peinture pour une invitation au voyage. Il va écrire dans cette cabane, sur ce bureau.
Face à l’Atlantique qui à chaque instant gagne du terrain, il voit remonter le temps. Par vagues, les phrases envahissent d’abord l’espace mental et la page, réflexions sur l’écriture, la solitude, la quête inlassable d’un élan artistique aussi fugace que le désir, un shoot, un paysage maritime. Puis des éclats du passé reviennent, s’imposent, tels « un mur pour se protéger du présent ». A la suite d’Un roman français, l’histoire se reconstitue, empreinte d’un puissant charme nostalgique : l’enfance entre deux parents divorcés, la permissivité des années 70, l’adolescence, la fête et les flirts, la rencontre avec Laura Smet, en 2004… Temps révolu. La fête est finie. Pour faire échec à la solitude, reste l’amour. Celui des siens, celui que Bartherotte porte à son cap Ferret. Et Beigbeder, ex dandy parisien devenu l’ermite de Guétary , converti à cette passion pour un lieu, raconte comment Bartherotte, « Hemingway en calbute », s’est lancé dans une bataille folle contre l’inéluctable montée des eaux, déversant envers et contre tous des millions de tonnes de gravats dans la mer. Survivaliste avant la lettre, fou magnifique construisant une digue contre le réchauffement climatique, il réinvente l’utopie et termine le roman en une peinture sublime et impossible, noyée d’eau et de soleil. La foi en la beauté, seule capable de sauver l’humanité.
Une expérience de lecture, unique et bouleversante, aiguisée, impitoyable, poétique, et un chemin du personnel à l’universel.
Ce que j’en pense :
Dans la première partie l’auteur nous livre un exercice de style : après chaque phrase, non seulement il va à la ligne mais en profite pour en sauter une (ligne) tout en demandant au lecteur s’il va supporter encore longtemps l’exercice ! ce qui se révèle assez jouissif, en ce qui me concerne bien sûr !
Progressivement, les phrases s’allongent, les sauts de ligne se sont font plus rares, on est entré dans le vif du sujet, c’est-à-dire la vie de Frédéric Beigbeder : réflexions autour de moi-même, mon nombril, ma petite personne : sa famille, ses relations avec se mère, les femmes de sa vie, sa sexualité… C’est la partie du livre qui m’a le moins intéressée.
Mon histoire est celle d’un homme qui a tellement tout tourné en ridicule qu’il ne sait même plus comment retrouver le sérieux.
Peu à peu, le ton cesse d’être ironique, désabusé, laissant apparaître au grand jour les fragilités de l’homme qui s’interroge sur la Vie en général, la Terre qui va mal, à cause de l’homme, chez cet adulescent en proie au syndrome de Peter Pan et au départ de sa fille aînée pour vivre sa vie, ce qui lui a brisé le cœur. Refaire un enfant quand la cinquantaine approche, (entre parenthèse, quand on l’âge de devenir grand-père) c’est une manière de rester un éternel ado.
J’ai aimé la manière dont Frédéric Beigbeder compare la vie et un barrage contre l’Atlantique, des digues à ériger sans cesse pour se protéger, de soi et des autres, de la Nature qui reprend ses droits ainsi que les phrases vibrantes consacrées à Laura Smet, sa famille et sa vie compliquée, qui a partagé sa vie durant un temps, à la manière de Oona et Chaplin.
Ce livre pessimiste et mélancolique m’a bien plu, malgré quelques velléités de laisser tomber quand l’auteur tournait trop autour de la sexualité (la sienne en fait) car je partage en grande partie sa vision des choses sur l’inexorabilité de la disparition de la civilisation actuelle, en même temps que la montée des eaux qui fera disparaître les côtes telles que nous les connaissons, et ce n’est pas le dernier rapport du GIEC qui va nous restaurer une once d’optimisme. La littérature pourra-t-elle nous sauver ?
Petit hommage à Bartherotte, monarchiste, au passage, qui lutte contre l’enlisement proche du Cap Ferret, que l’auteur compare aux Pays-Bas, sous le niveau de la mer, dans son énergie à combattre en érigeant digue après digue… Comme l’écrivain qui construit son œuvre phrase après phrase.
Ce livre entre en résonance avec le roman de Marguerite Duras, que j’ai lu il y a très longtemps, cette famille qui se bat pour construire un barrage pour sauver sa terre de la puissance des vagues du Pacifique, comme Don Quichotte et les moulins à vents, dans un combat presque perdu d’avance.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur que j’ai très peu lu en fait : j’ai beaucoup aimé « Oona et Salinger » et j’aimais bien, jadis, son émission littéraire car l’homme m’est sympathique, il suffit de ne pas trop se limiter à son côté provocateur pour ne s’intéresser qu’à ses fragilités…
Si le sujet abordé et la manière de l’aborder m’ont plu, le côté victimisation m’a parfois énervée, bémol qui explique la note…
#UnbarragecontrelAtlantique #NetGalleyFrance !
8/10
Extraits :
L’intuition de Kafka était juste : il n’y a plus de différence entre l’humanité et le cafard.
Chaque phrase doit donner envie de lire la phrase suivante, mais exister aussi de façon autonome.
La dune du Pyla est un écran de cinéma où le soleil projette son film, dont les nuages sont les acteurs principaux.
Il est crucial de réinventer notre façon d’écrire si nous ne voulons pas que la littérature disparaisse au XXIe siècle.
L’idée est simple : pour sauver les phrases, il faut peut-être sacrifier le roman.
Planquées dans de longs développements, les phrases se serrent les coudes ; comme les hommes, elles sont plus courageuses en groupe.
L’avantage d’être né dans un milieu bourgeois est notre capacité à transformer tout drame passionnel en pièce de Feydeau.
L’âge ingrat dure toute la vie.
Conclusion : les hommes et les femmes ne sont pas égaux ; à la fin de leur existence, les femmes sont plus seules que les hommes parce qu’elles ne peuvent plus avoir d’enfants.
Je suis un enfant qui veut qu’on l’adopte.
Toute ma vie je me suis cherché des maîtres, comme un chien abandonné.
La famille des années 1970 est comme un jeu de Lego : ce jeu consistant à bâtir quelque chose afin de le détruire ensuite, puis à reconstruire autre chose, pour le déconstruire à nouveau.
Ma carte d’identité affirme que j’ai cinquante-cinq ans, alors que j’en ai quatorze.
On écrit pour être le meilleur, mieux que le vrai ? Ou bien on écrit pour être soi, pour être vrai ? Je ne sais pas, cela dépend du niveau d’angoisse.
Selon les psychanalystes les hommes adultes se prenant pour des gamins sont souvent des enfants dont le père était absent et qui ont été contraints de se comporter en adultes dans leur enfance. Pour simplifier : le garçon a été adulte trop, alors l’adulte veut rester enfant.
C’est le problème avec l’érosion : la terre devient définitivement de la mer.
La puissance de l’homme capable de dompter la nature (rêve des années 1950) est devenue ensuite la culpabilité de l’homme responsable de la destruction de la nature (dystopie des années 1970) et bientôt la disparition de l’homme exterminé par la nature (réalité des années 2020).
L’antinature est le combat du XXIe siècle. Ce que personne n’ose dire (parce que c’est trop horrible, c’est que la nature a cessé d’accepter l’homme.
Aujourd’hui je vous propose un voyage, en Ariège, département que j’apprécie particulièrement, avec un retour aux années terribles de la seconde guerre mondiale avec ce roman :
Résumé de l’éditeur :
Tumultueuse et pleine d’espoir : une histoire de famille, d’amour et d’amitié pendant la Seconde Guerre mondiale.
Été 1941. Les Brodsky, une famille juive originaire de Russie, ont fui la zone occupée et la menace nazie pour se réfugier dans le sud de la France. Mais, brutalement rattrapés par les nouvelles lois de Vichy, ils se retrouvent en résidence forcée à Saint-Girons, au pied des Pyrénées, dans une grande demeure délabrée.
Peu à peu, la vie s’organise. Esther, l’aînée des enfants de la famille, rencontre Clara. L’heure est à l’adolescence, aux premiers émois et aux grandes amitiés. C’est également le temps de l’engagement dans la Résistance, des luttes pour survivre, mais aussi des rafles… Dans la tourmente, Esther et Clara feront tout pour rester maîtresses de leur destin. Mais c’est compter sans la brutalité de l’Histoire.
Des décennies plus tard, la petite-fille d’Esther, Deborah, surprend sa grand-mère qui, dans un moment d’égarement, crie un prénom : Clara. Mais lorsqu’elle la questionne, Esther se mure dans le silence. Troublée, Deborah va alors tenter par tous les moyens de reconstituer l’histoire de sa famille et de remonter le fil de ce passé si longtemps gardé secret.
Ce que j’en pense :
Deborah, en proie à un chagrin d’amour, ou tout au moins une rupture récente, vient de quitter l’Italie pour revenir à Meudon, chez sa mère et sa grand-mère Esther qu’elle aime énormément. Cette dernière alterne les moments de lucidité où les souvenirs viennent parfois la hanter, alors qu’à d’autres moments, elle semble perdue. Une nuit, dans une de ces phases, elle crie un prénom, Clara que la famille ne semble pas connaître.
Alors que sa mère commence à penser qu’il serait peut-être temps de la placer, car elle est souvent obligée de s’absenter pour son travail.
Deborah, quant à elle, voudrait savoir ce qui est vraiment arrivé à Esther, dans cette famille où les non-dits, les secrets sont omniprésents, et tendent à se répéter de générations en générations.
On va ainsi découvrir l’histoire d’Esther, de la famille Brodsky et de leurs amis pendant la seconde guerre mondiale, avec une alternance passé présent pour entretenir le suspense et rendre le récit moins douloureux.
La famille Brodsky, Mihaïl, et son épouse Leah, a fui les persécutions, les pogroms en Russie, pour faire sa vie en France, « pays de la liberté », dans lequel elle s’est totalement intégrée. Mais, le destin frappe toujours à la porte, quand il s’agit de persécutions et de haine raciale. Il faut fuir Paris occupé pour la zone libre, puis à peine intégré, il faut quitter à nouveau le domicile, car les Juifs ont été recensés, et pour finir parqués à Saint-Girons, au pied des Pyrénées.
De l’autre côté, c’est l’Espagne franquiste, et les Résistants commencent à fuir par les chemins de montagne, avec des passeurs, pour structurer la Résistance, mettant leurs vies en péril, car les collabos veillent…
Ils habitent dans une grande maison, style château en ruines, où il n’y a pas de chauffage, où le seul robinet, dans la cuisine, distribue une eau qui n’est pas potable, donc des kilomètres à pied pour aller en chercher. Malgré la peur, il règne une ambiance chaleureuse. Les amitiés avec d’autres familles sont solides, on partage des repas, des lectures, Leah organise même un club de lectures, grâce au libraire qui se procure, sous le manteau, des livres prohibés.
Esther, pour sa part, dévore les livres de l’immense bibliothèque des propriétaires de la maison, découvrant des classiques, notamment Zola…
Parmi les amis, figurent Clara, la meilleure amie d’Esther jeune rebelle qui s’engage très vite dans la Résistance, distribuant des tracts pour commencer, Marius le premier amour d’Esther, à l’adolescence, l’âge des premiers émois.
Esther ne se sent pas prête à suivre son amie Clara dans la lutte contre les nazis, les miliciens, les collabos, les antisémites de tout poil, toujours prêts à dénoncer… elle est préfère pour l’instant vivre son premier amour… On est frappé dans ce récit par la détermination de ces jeunes gens, qui sont encore au lycée, mais n’hésitent pas à faire des choix et mettre leur vie en danger.
Ce livre m’a beaucoup plu ! Julie Printzac a une manière bien à elle de parler de cette période difficile, où l’amitié, de l’amour dans qui unissent ces familles, laissant toujours une place à l’espoir, le silence dans l’après-guerre, on n’avait pas trop envie d’entendre les témoignages des rescapés, et eux-mêmes choisissant souvent de se taire. Elle évoque les premiers émois, l’envie d’avoir à tout prix des amis, comme Daniel, le frère d’Esther qui se sent attiré par son copain de classe, ce qui va l’entraîner vers le pire. Ce sont des ados qui se cherchent et qui sont terriblement d’actualité.
Le retour aux sources qu’effectue Deborah est tout à fait crédible, on n’est pas dans le pathos ou la mièvrerie, dans la comparaison entre l’époque héroïque de la guerre et la période contemporaine, davantage autocentrées, ce qui est parfois le cas dans ce genre de récit.
Enfin, Julie Printzac rend à la ville de Saint-Girons, dans ce beau département de l’Ariège, baignée par le Salat, ses héros et les autres, les combats pied à pied pour se libérer du joug nazi, son musée du Chemin de la Liberté avec un hommage au passage à Gaston Massat dont elle nous propose un poème : « Voici ma voix » en guise de prélude.
Ce n’est pas un énième roman sur la persécution des Juifs et l’héroïsme des Résistants face aux collabos, mais plutôt l’histoire de familles qui tentent de survivre, de s’entraider alors que les exactions, alors que les lois se durcissent et les rafles s’intensifient, rythmées par les bruits de bottes, l’auteure mettant en évidence, avant tout la montée de la peur au fur et à mesure, que la guerre avance et semble de plus en plus perdue par ceux qui ont semé la terreur et préfèrent tout détruire plutôt que se rendre, ce qui résonne particulièrement depuis l’invasion de l’Ukraine.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure…
Éditrice et traductrice, Julie Printzac vit à Paris. Elle a publié en 2017 :La Solitude des femmes qui courentet « Guetter l’aurore » est son deuxième roman.
Extraits :
Ma mère raison, je me sens démunie depuis que je suis chez elle. Outre le désastre de ma vie personnelle, j’ai du mal à accepter qu’Esther s’en aille, qu’elle me quitte ainsi, petit à petit. Je me rends compte que j’en sais si peu surelle et sur ma famille. Pourtant, tout disparaîtra avec elle et d’immenses zones d’ombre demeureront. Alors, il sera trop tard. S’il ne l’est pas déjà.
Ce sont des Juifs étrangers, je crois. Ceux qui sont arrivés en France récemment. Les Français se plaignent qu’à cause de la guerre il y a déjà trop de restrictions, et que l’afflux de réfugiés aggrave les pénuries. Je crois qu’ils veulent tous les renvoyer chez eux, intervint Mihaïl.
Ce soir-là, dans mon lit, je ne trouve pas le sommeil. Jeanne a raison, j’ai envie d’aller à Saint-Girons, envie de trouver des réponses, pour moi, pour comprendre d’où je viens et, peut-être, pour avancer. Je veux y aller pour ma mère, même si elle ne veut rien savoir, parce que je suis certaine que pour elle aussi, cette démarche sera salutaire.
Sur le chemin du retour, Esther repensa à leur conversation. Était-ce mal de sa part de ne pas vouloir rejoindre la Résistance ? Était-ce égoïste de privilégier son amour pour Marius, ses projets d’avenir avec lui ?
Il y a des secrets de famille que l’on aimerait laisser enterrés tant ils sont douloureux. J’ai le cœur brisé pour Daniel, ce gamin empli de culpabilité et manipulé, ce gamin qui a payé si cher la découverte de l’amour.
Je crois que les émotions les plus fortes, les plus violentes, se transmettent de génération en génération, comme un héritage destructeur. Ma grand-mère crevait de peur pendant la guerre et moi je crève de trouille; ma mère aussi à sa manière, elle qui s’est réfugiée toute sa vie dans le travail et a gardé ses distances avec ceux qu’elle aimait… Voilà ce qu’une guerre est capable de faire sur plusieurs générations : détruire l’espoir et la confiance.
Je viens peu à peu à bout de mes « chroniques en retard », il ne m’en restera plus que trois après le roman dont je vous parle aujourd’hui :
Résumé de l’éditeur :
Après le drame qui a fait basculer sa vie, Léna décide de tout quitter. Elle entreprend un voyage en Inde, au bord du Golfe du Bengale, pour tenter de se reconstruire. Hantée par les fantômes du passé, elle ne connait de répit qu’à l’aube, lorsqu’elle descend nager dans l’océan indien. Sur la plage encore déserte, elle aperçoit chaque matin une petite fille, seule, qui joue au cerf-volant. Un jour, emportée par le courant, Léna manque de se noyer. La voyant sombrer, la fillette donne l’alerte. Léna est miraculeusement secourue par la Red Brigade, un groupe d’autodéfense féminine, qui s’entraînait tout près.
Léna veut remercier l’enfant. Elle découvre que la petite travaille sans relâche dans le restaurant d’un cousin, qui l’a recueillie et l’exploite. Elle n’a jamais été à l’école et s’est murée dans un mutisme complet. Que cache donc son silence ? Et quelle est son histoire ? …
Aidée de Preeti, la jeune cheffe de brigade au caractère explosif, Léna va tenter de percer son secret. Jadis enseignante, elle se met en tête de lui apprendre à lire et à écrire. Au cœur de ce monde dont elle ignore tout, commence alors une incroyable aventure où se mêlent l’espoir et la colère, la volonté face aux traditions, et le rêve de changer la vie par l’éducation…
La rencontre inoubliable et réparatrice entre une femme, une jeune fille et une enfant au milieu d’une Inde tourmentée.
Ce que j’en pense :
A la suite du décès tragique de son mari, François, Lena, enseignante comme lui, décide de quitter la France pour aller en Inde, pays qu’il rêvait de visiter. Elle ne parvient pas à faire son deuil ni à enseigner alors qu’elle adorait son métier. Elle part pour fuir son chagrin et peut-être pour tenter de se reconstruire, repartir à zéro comme on dit.
Elle n’a pas choisi l’Inde touristique des agences de voyage, mais réservé un « petit hôtel » dans un village, Mahäbalipuram, dans le district de Kanchipuram, Tamil Nadu.
Alors qu’elle est sur la plage, elle aperçoit Lalita, une petite fille qui joue avec son cerf-volant. Un jour, où elle est emportée par le courant, Lalita lui sauve la vie aidée par une autre personne. En voulant les remercier elle se rend dans la petite auberge tenue par l’oncle et la tante de la petite fille et découvre que la petite fille est la domestique du couple, elle sert à table malgré son jeune âge.
Les parents de Lalita sont pauvres, ce sont des Intouchables, le père est chasseur de rats, sa mère a quitté la maison à la recherche d’une vie meilleure, mais elle est décédée. L’oncle et la tante ont décidé de changer de religion et de noms pour échapper à cette discrimination. Ils sont devenus James et Mary et la petite fille Holy.
Une autre personne a participé au « sauvetage » de Lena, Preeti, qu’on appelle la cheffe. Victime de viol lorsqu’elle était plus jeune, elle a refusé le destin qu’on lui proposait via le mariage avec un homme plus âgé qu’elle ne connaissait pas pour apprendre les techniques d’autodéfense et elle entraîne tous les jours d’autres jeunes filles. Elles se déplacent en moto tel un gang ce qui n’est pas très apprécié dans le village.
Émue par les conditions précaires dans lesquelles vit Lalita, Lena décide de lui apprendre à lire et à écrire, en anglais. La famille accepte à condition que Lena paye pour embaucher quelqu’un.
Elle donne aussi des cours à Preeti et peu à peu d’autres personnes viennent la trouver pour assister aux cours. Elle finit par décider de créer une école et, avec toutes les tracasseries de l’administration indienne, c’est loin d’être simple.
On va assister à la création de l’école, la difficulté de convaincre les familles que les enfants, les petites filles doivent apprendre à lire compter… ce qui est loin d’être simple car « à quoi cela peut bien servir qu’une fille soit éduquée puisque tout ce qu’on lui demande c’est de se marier et faire enfants, obéir à leur mari et à sa famille sinon elle risque d’être vitriolée ou brûlée vive. Et quand il s’agit en plus d’Intouchables… Alors il faut dédommager, en sacs de riz par exemple…
Le drame arrive lorsqu’une petite fille, l’amie de Lalita, ne vient pas à l’école un matin : elle est pubère et on veut la marier à un homme qui a vingt ou trente ans de plus qu’elle.
La relation d’amitié qui se tisse entre Preeti et Lena est belle, car chacune a un passé douloureux qu’elle enfoui profondément pour se montrer plus forte, et il faut s’apprivoiser.
Léna revient de temps en temps en France, pour des problèmes de visa ou pour des formalités administratives et chaque fois, c’est un choc tant les deux cultures sont différentes. Parfois, il est difficile de ne pas devenir un donneur de leçon, de raisonner comme une Européenne, certes remplie de bonne volonté et d’empathie, mais parfois tutoyant la suffisance.
Laetitia Colombani nous livre, à travers cette histoire, un tableau de l’Inde profonde, pas celle que l’on montre aux touristes avec la pauvreté, la discrimination, les viols qui conduisent à l’exclusion : on ne les considère jamais comme des victimes, mais plutôt elles deviennent la honte de la famille. Elle décrit aussi les mariages forcés, à douze ans, une vieille de la famille vérifie que le mariage à bien été consommé, les grossesses difficiles, où les petites filles laissent souvent leur vie. Le statut des Intouchables, les Dalits dans la religion hindoue ne s’améliore pas et cela ne risque pas d’évoluer avec l’actuel chef du gouvernement, ultra-religieux.
… Partout les Dalits sont assignés aux tâches les plus ingrates. Une soumission institutionnalisée par la religion hindoue qui les place tout en bas de l’échelle des castes, à la périphérie de l’humanité.
Laetitia Colombani trouve les mots justes, et surtout nous fait toucher du doigt une situation que l’on connaît certes mais sous forme de statistique, le nombre de femmes qui meurent en mettant leur bébé au monde, le nombre des viols, toutes ces choses que l’on sait prennent corps lorsqu’elles sont envisagées concrètement, on s’attache à ces petites filles, et là cela devient bien réel, on le ressent presque dans notre propre chair.
J’ai beaucoup aimé ce roman. J’étais restée sur ma faim, avec les précédents romans de l’auteure « La tresse » notamment car je trouvais ces trois portraits de femmes presque trop caricaturaux, notamment l’américaine avocate, snob, hautaine alors que les deux autres portraits m’avaient touchée. Ici, le roman est plus abouti, on croit sans problème à cette histoire, on n’est plus dans le mélo, mais dans la peinture d’une société avec ses codes, aux antipodes de la nôtre.
On ne se soigne pas en fuyant ses problèmes à l’autre bout du monde, certes, mais cela fait du bien de se confronter à la misère.
J’ai décidé de lire ce roman car j’aime l’Inde dont j’ai vu surtout les côtés pauvres, les lépreux à Dharamsala dans l’Himachal Pradesh où siège le gouvernement tibétain en exil, les vaches faméliques. Quand on revient, on fait attention à limiter la consommation d’eau à ne rien gaspiller tant certaines images peuvent continuer à nous hanter. Laetitia Colombani dresse un tableau précis de la société, du statut des femmes, sans tomber dans le pathos.
Belle histoire, beau voyage et belles rencontres…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.
#Lecerfvolant #NetGalleyFrance
8/10
Extraits :
Dans ce monde nouveau, elle a cru dissoudre sa peine – humaine tentative, pauvre rempart qu’elle a voulu opposer au malheur, comme on construit un château de sable au bord d’une mer déchaînée.
Si Léna le savait en théorie, elle en a pris toute la mesure en s’installant ici : l’Inde est le plus grand marché de main-d’œuvre enfantine au monde.
Maintenir les filles dans l’ignorance est le plus sûr moyen de les assujettir, de museler leurs pensées, leurs désirs. En les privant d’instruction, on les enferme dans une prison à laquelle elles n’ont aucun moyen d’échapper.
Elle décrit les coups les humiliations constantes. Elle raconte comment, dans l’état voisin du Kerala, les gens de sa condition devaient jadis marcher à reculons munis d’un balai pour effacer les traces de leurs pas, afin de ne pas souiller les pieds des autres habitants qui empruntaient le même chemin…
Ici, le viol est un sport national, assène la cheffe. Les criminels ne sont jamais punis : les plaintes donnent rarement lieu à des poursuites, surtout lorsque les victimes sont de basse extraction.
L’avenir d’une gosse de dix ans ne les intéresse pas. Le sort des filles n’émeut personne. Elles sont abandonnées de tous, illettrées et asservies, dans ce pays qui ne les aime pas. Voilà la vérité. Voilà l’Inde, la vraie, conclut-elle. Celle qu’aucun guide touristique n’osera lui raconter.
Elle a déjà du mal à conjuguer le présent, le futur lui semble hors de portée. Elle songe à cette phrase de Kierkegaard : « la vie doit être comprise en regardant en arrière. Mais il ne faut pas oublier qu’elle doit être vécue en regardant vers l’avant.
Léna est bientôt saisie d’une certitude : il lui sera impossible de reprendre le cours de sa vie ici. Elle a l’impression de se tenir à la lisière de deux mondes, n’appartenant ni tout à fait à l’un, ni tout à fait à l’autre. Elle a voulu faire un pas de côté en entreprenant ce voyage, et ce pas s’est transformé en fossé.
Le deuil est un chagrin indivisible, que nul ne vous aide à porter. A chacun de s’en arranger.
Léna se surprend à aimer ce bouillonnement permanent, cette ébullition faite de mouvements et de bruits qui n’offre jamais de répit. L’Inde, c’est le chaos, répète de Preeti, et Léna songe qu’elle dit vrai. Elle est venue ici, cherchant l’exil et le silence, et a trouvé le contraire de ce qu’elle attendait.
L’arrivée de la puberté marque pour elles un changement brutal : elles passent sans transition du statut d’enfant à celui de femme…
… La loi fixe pourtant l’âge légal du mariage à la majorité, mais dans les villages, elle n’est jamais respectée.
Lorsqu’elle ne donne pas satisfaction, elle s’expose à de terribles châtiments : il arrive que certaines soient défigurées à l’acide, d’autres aspergées d’essence et brûlées vives. Un sort qui terrifie des millions de filles à travers le pays.
Je vous parle aujourd’hui d’un roman dont le résumé me tentait, si bien que j’ai fini par céder aux sirènes de la tentation…
Résumé de l’éditeur :
Ils étaient quatre, trois filles et un garçon : Dolorès, Zineb, Bianca et Hannibal. Quatre meilleurs amis devenus comme frère et sœurs, ayant grandi ensemble, connu les joies de l’enfance et les tourments des premiers sentiments, se jurant de ne jamais se séparer. La vie s’ouvrait à eux ; le lycée terminé, ils quitteraient leur village du Sud, découvriraient Paris. Mais le soir du bal de fin d’année, Hannibal disparaît et laisse celles qu’il appelait mes douces, seules et interdites.
Huit ans plus tard, son corps est retrouvé, enterré dans la propriété d’Auguste Meyer, sculpteur célèbre de la région et professeur de poterie des quatre enfants qui, jusqu’à sa mort, a nourri pour Dolorès, sa beauté, une étrange fascination. L’Officier Casez est chargé d’enquêter, il convoque les trois jeunes femmes ; l’une est devenue célèbre sur les réseaux sociaux, l’autre étudiante, la dernière travaille dans un cinéma. Elles ne se parlent plus mais continuent de recevoir d’énigmatiques emails signés Hannibal. L’une le croit vivant, les autres pas.
A mesure qu’il essaie de percer le mystère de leur amitié, Léo Casez bute sur les interrogations : quel pacte les liait ? Qui était vraiment Auguste Meyer et pourquoi la mère de Dolorès le protégeait-elle ? En rouvrant les archives du passé, il force les secrets et nous entraîne dans les souvenirs de cet été brûlant, les joies et les tourments de quatre adolescents devenus si tôt adultes.
Un premier roman haletant, envoûtant comme un tour de magie.
Ce que j’en pense :
On fait la connaissance de trois filles, amies dans l’enfance et l’adolescence qui ont un ami en commun Hannibal avec lequel elles partagent tout jusqu’à quel point, l’avenir le dira. Elles ont quitté (fui ?) le village huit ans auparavant pour tenter leur chance à Paris.
Soudain, alors que la fille d’Auguste Meyer, l’artiste du village, qui donnait des cours aux enfants du village, décide d’aménager la maison et de creuser une piscine, et devinez sur quoi on tombe : le cadavre d’un jeune lycéen, Hannibal, disparu sans donner de nouvelles depuis huit ans. La relation entre Auguste et sa fille était loin d’être au beau fixe.
Ces travaux avaient déclenché la réprobation d’Hélène son médecin, car l’artiste en question ne voulait pas qu’on touche à son œuvre, afin qu’elle meure d’elle-même après sa mort…
Zineb, peu à l’aise dans son corps du fait de son éducation, est en mode survie comme ouvreuse dans son cinéma à Paris ; contrairement à Dolorès, elle espérait bien que Hannibal était encore en vie car elle recevait des courriels étranges censés émaner de lui.
Dolorès, la fille d’Hélène, dont la beauté est à couper le souffle, et qui n’aime qu’elle-même allergique à l’ordre et au rangement, fait des études de lettres, latin et grec… « Elle était une latiniste et une helléniste chevronnée et, de ce fait, savait d’où provenaient les mots »
La troisième Bianca, (dont la mère perpétuellement au régime et addict aux clubs de sport, est tellement obsédée par son physique qu’elle a recours à la chirurgie esthétique) inonde les réseaux sociaux avec ses conseils en tous genres, maquillage, vêtements de marque, meubles (qu’on lui offre en échange de ses commentaires), car elle est influenceuse, provoquant la haine d’un de ses followers (je préfère abonnés même si cela en jette moins !) qui signe @dixansauparavant…
Alléchée par le résumé, j’ai tenté l’expérience après avoir pas mal hésité et je suis passée complètement à côté de ce roman. Les personnages sont superficiels, les trois amies qui ne le sont plus sont tellement nombrilistes, uniquement préoccupées par elles-mêmes n’ont pas réussi à provoquer une once d’empathie, durant cette lecture, mais qu’on se rassure ce n’est pas parce que c’était mieux avant ou parce que je vieillis mal car la mère de Dolores qui est béate d’admiration devant le « grand artiste » Auguste Meyer sur lequel elle a veillé jalousement jusqu’à la fin, ne m’a pas plu non plus.
En gros, tout au long du roman, on est dans « parlez-moi de moi, il n’y a que cela qui m’intéresse », les trois jeunes femmes sont complètement déconnectées de la réalité et prennent leur distance dès qu’elles ne sont plus au centre, c’est moins vrai pour Zineb qui est la moins égocentrique du groupe.
Le seul personnage intéressant finalement c’est le policier qui interroge les trois filles, lui au moins, ne vit pas dans le virtuel… L’ancien rugbyman déchu, à la suite d’un accident est ce que l’on pourrait appeler un loser magnifique est intéressant aussi ainsi qu’Élise la petite fille d’Auguste.
On devine trop vite qui était Auguste Meyer, d’artiste fou à pervers il n’y a qu’un pas… C’est dommage car l’histoire aurait pu être intéressante si l’auteure, Judith Da Costa Rosa avait creusé davantage, et proposé une réflexion plus sociétale. Elle décrit une relation entre Dolorès et sa mère tellement pathologique qu’on sent bien qu’il s’est passé quelque chose, mais elle ne creuse pas laissant le lecteur interpréter lui-même.
L’auteure nous offre aussi une belle description de la démence aux corps de Lewy, malade neurologique dont est atteint Auguste qui sent un peu le vécu.
Je ne sais pas si c’est moi qui vieillis mal, mais j’avoue que cette société basée sur l’image, l’apparence, le corps, la superficialité me laisse vraiment perplexe. On s’est trompé d’auxiliaire : au royaume de l’image, on est dans l’avoir au lieu de rester dans l’être.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure. Pour un premier roman, alors qu’elle est âgée de vingt-quatre ans, c’est plutôt prometteur.
#Lesdouces #NetGalleyFrance
6-7/10
L’auteure :
Judith Da Costa Rosa a vingt-quatre ans ; « Les douces » est son premier roman.
En 2014, elle avait été lauréate du premier Prix Concours de nouvelles des classes préparatoires de Henri IV — Louis Le Grand – Fénelon.
Titulaire d’un master Scenario et Direction littéraire, elle est aujourd’hui coordinatrice d’écriture.
Extraits :
Depuis qu’il était enfant, il cultivait l’ambition de réussir un jour à disparaître ; non pas mourir, mais plutôt se réduire à une série de gestes, pour n’être plus qu’un regard et les mouvements de ses deux mains.
Est-ce que leur beauté faisait qu’ils se comprenaient par-delà leur corps ? Est-ce que la beauté était quelque chose d’important à partager.
Avec le temps, Élise avait vu les femmes qu’elle connaissait s’effacer, céder les sonorités de leur prénom contre celles d’une appellation générique : mères, tantes, grand-mères, qui avaient les cheveux courts parce que c’est plus pratique, et portaient tel chemisier acheté en solde au supermarché entre une petite fille déposée au piano, une rissolée de pommes de terre et de l’assouplissant, coulé dans cet endroit des machines à laver qu’on lui destine.
Quelques jours auparavant, Léo Casez avait lui un article sur la décomposition des corps humains qui mentionnait que les cadavres avaient de plus en lus de mal à retourner à la terre – à cause des conservateurs dans les aliments, de la pollution des sols, ou peu importe.
Sa mère lui avait seulement expliqué d’une voix neutre que de petits caillots figés dans son cerveau le rendait fou et provoquaient des hallucinations. En somme, il avait une de ces maladies de gens vieux, qui n’étaient aux yeux d’Élise qu’une raison de plus qu’avaient les gens vieux de mourir.
Bianca Ispahan avait ceci de l’abîme qu’elle ne montrait rien d’elle, sinon qu’elle était profonde.
C’était une époque où tout l’argent du monde était dédié aux images – des images avec des filles incroyablement belles, retouchées et brillantes, des images pour vendre des choses, des images pour distraire les gens, des images pornographiques – et malgré tout il restait des gens comme elle, prêts à dédier leur vie pour que certaines vieilles images puissent vivre encore un peu dans l’obscurité…
Le roman, dont je vous parle aujourd’hui, est terriblement d’actualité par le sujet qu’il traite :
Résumé de l’éditeur :
« Ça lui ronge les tripes et le cerveau, plus fort que sa volonté – une hargne qui l’habite, une violence qui déferle tel un vent d’orage, puissante et incontrôlable. Il voudrait lâcher mais ne pense qu’à frapper. »
Paul est amer. Son travail est ennuyeux, il vit seul et envie la beauté des autres. Nourrie de ses blessures, sa rancune gonfle, se mue en rage. Contre le sort, contre l’amour, contre les femmes. Par dépit, il jette son dévolu sur l’une de ses collègues. Angélique est vulnérable. Elle élève seule son petit garçon, tire le diable par la queue et traîne le souvenir d’une adolescence douloureuse. Paul s’engouffre bientôt dans ses failles. Jusqu’au jour où tout bascule. Il explose. Une radiographie percutante de la violence, à travers l’histoire d’un homme pris dans sa spirale et d’une femme qui tente d’y échapper.
Ce que j’en pense :
Paul est un personnage singulier, dont l’enfance a été marquée par un père violent, alcoolique et une mère du même style. Il n’y a jamais eu d’amour dans cette famille. Étant l’aîné, tout jeune il a décidé de s’interposer pour protéger les plus petits, prenant les coups à leur place.
Il n’est pas beau, pour ne pas dire qu’il est moche, il ne s’aime pas et se comporte de manière bizarre avec les femmes qui croisent sa route. La première dont on fait la connaissance est Mylène. Elle a emménagé dans le même immeuble, fragile car elle vient de divorcer. Il la trouve belle, en tombe amoureux, mais pas de « la bonne manière » : il l’épie vers les boîtes aux lettres pour faire semblant d’être là par hasard, l’invite à prendre un verre et la fait parler, parler d’elle bien sûr, lui ne raconte jamais rien.
Il se fait tout un roman sur cet amour qu’il croit partagé, mais, Mylène a pris ses distances. Il va fantasmer sur « la nuit d’amour », la seule nuit, qu’ils ont passé ensemble. Un autre homme finit par entrer dans la vie de la jolie voisine. Après l’amour fantasmé, place à la colère et à la haine.
Qu’à cela ne tienne, il repart en chasse et tombe sur Angélique, qui travaille à la Poste comme lui. Cette fois-ci c’est la bonne, sûrement ! d’ailleurs, elle est jolie, mais rondelette, différente de Mylène.
Angélique est la proie idéale : elle a été harcelée moralement et physiquement à l’école, à cause de son poids, elle est devenue une fille facile en pensant pouvoir être aimée… Elle est coquette, se maquille, s’habille de manière trop courte au goût de Paul. Elle a eu un enfant qu’elle élève toute seule.
Le piège est en place : Paul a une victime sous la main, et l’étau va se resserre quand angélique emménage chez lui. La maltraitance s’installe insidieusement au début, d’abord les petites phrases blessantes sur le physique, puis sur les capacités intellectuelles, puis viennent les coups… jusqu’où cela pourra-t-il aller et y -t-il une possibilité de prise de conscience et donc de prise en charge ? Mais ne divulgâchons pas…
Bénédicte Soymier, s’est basée sur son expérience d’infirmière pour écrire ce roman, et Paul est en fait un mélange de tous les hommes violents qu’elle a pu rencontrer. Le portrait qu’elle nous présente est très convaincant : on connaît le passé de violence parentale dans lequel il a vécu, la manière dont s’est structurée sa vision de la femme, tout comme celle de l’homme. Lui qui s’était juré de ne jamais ressembler à son père, qui avait même accompagné sa sœur Emilie, à des manifestations contre la violence faite aux femmes…
On comprend le processus qui a conduit à la scène terrible, où il prend Angélique pour une punching-ball, les regrets les pleurs… mais on n’efface pas les coups en offrant une rose. Toute la spirale est bien mise en évidence, et même si on comprend le pourquoi et le comment, on n’a aucune envie d’éprouver de la sympathie pour Paul.
Un comportement typique de cet homme tordu : il a un cahier sur lequel il attribue des notes à ses proies, sur leurs performances, leur physique, n’hésitant pas à les comparer, utilisant des termes vulgaires et qu’il orne de savants découpages montages…
Je n’ai pas lu beaucoup de romans sur le thème de la violence conjugale, cela fait la une des journaux, tous les jours et c’est encore pire depuis les confinements, mais celui-ci me tentait car écrit par une infirmière sur des bases bien concrètes. En fait, l’écriture est belle et lapidaire quand il s’agit de récrire la fameuse scène (la pire, car il y en a eu plusieurs) ; comme un commentateur sportif décrirait un combat de boxe, direct du gauche ou du droit, uppercut ou autre.
J’ai bien aimé la façon dont le récit est structuré: l’auteure raconte l’histoire, la faits et gestes de Paul et en italiques, elle nous propose ce que Paul se dit à lui-même, interprète ce qu’il a fait ou dit.
C’est injuste et douloureux, chaque jour, chaque heure, cette laideur portée en fardeau, la peau, une silhouette, des pieds à la figure, incongrue, elle pique et modèle l’humeur et les certitudes. Évidemment, Paul, la souffrance n’appartient qu’aux moches !
Je n’ai pas découvert ce titre par hasard, je suis abonnée au blog de Bénédicte Soymier depuis pas mal de temps, donc je connais assez bien sa plume, sa manière d’analyser les livres dont elle parle, et le titre de ce roman m’a tout de suite interpelée. Et pourtant, je redoutais un peu cette lecture car ces derniers temps, j’ai besoin de sujets plus légers que d’habitude, je choisis des livres qui me plairaient en temps normal et qui soudain me paraissent trop pesants quand je m’y attaque, ma PAL est encore plus débordante, plus éclectique que jamais.
J’ai beaucoup aimé ce roman et son titre lourd de signification et j’espère vous avoir, prouvé qu’il fallait le lire… c’est le premier roman de Bénédicte Soymier et c’est un coup de maître.
J’ai failli oublier, l’auteure nous offre, en préambule cette belle citation pleine de saveur:
« La laideur est supérieure à la beauté car elle dure plus longtemps. » Serge Gainsbourg
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Calmann-Levy qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.
#LeMalépris #NetGalleyFrance
9/10
L’auteure :
Infirmière, Bénédicte Soymier exerce dans le Doubs (25).
Lectrice éclectique, passionnée de littérature, elle partage ses avis de lecture sur son blog Au fil des livres. « Le mal-épris » est son premier roman.
Pour peu, il irait s’installer sur une ile déserte, loin de ces cons et des vacheries de l’existence. Parfois même, il aimerait que tout s’arrête. Ne plus rien entendre. Ne plus rien voir. S’il avait du courage…
Elle occupe son esprit, ses jours, ses nuits, à chaque coin de rue, à son travail, il la voit dans la tasse de son café, dans le reflet de son miroir. Elle l’épuise et le mine par l’attente qu’elle suscite, son regard, un sourire, ces instants qu’il espère auprès des boîtes aux lettres.
Il ramassait les raclées comme on fait un baiser, s’imposant devant eux, les bras tendus, le corps en avant, lui, l’aîné, le responsable…
… Il palliait les manquements de ceux pour qui le rôle de parents consistait à couler dans l’alcool les allocs et les primes. Il en a pris des torgnoles, Paul …
Le week-end, elle se consacre à son fils, l’emmène au parc ou à la piscine, sort peu et n’a pas d’amoureux. Paul a bien observé, caché derrière les poubelles en contrebas des immeubles ou dans sa voiture. Aucun homme ne s’invite. Aucun ne vient chercher l’enfant.
Il les déteste tous.
Il les hait.
Les beaux. Tous ces faux moches du dedans, ces vernis à gratter. Que de la couche de surface, qui trompe et qui cache. Les beaux, c’est laid.
Il demande et redemande, l’entortille d’une importance qu’elle s’approprie, heureuse d’être l’univers d’un homme. Elle escamote ses plaies, en oublie la raison, parce qu’elle veut croire à ce nouveau départ, une chance, une vie de femme ordinaire à laquelle elle aspire. Un homme. Un appartement. D’autres enfants. Un bonheur simple.
L’amour s’arrime au respect des idées, des couleurs et des différences. (Facile. Evident. Et pourtant.) Il grandit sue l’envie d’être deux, semblables et contrastés, sans violence et sans force, juste posé sur l’estime de soi parce qu’on s’éprend sans comprendre, des cellules à l’esprit, conquis par stupeur ; une alchimie inexpliquée.
Chacun est le reflet de l’autre alors, on se détourne un peu pour ne pas prendre en face, l’image de sa petitesse, trop difficile à assumer, même quand on joue les gros durs, qu’on se vante ou qu’on jure. Les faits demeurent et si l’on brode un peu, on arrange et on ment, on se sourit par devant, n’ignorant pas que si l’on est ici c’est pour le même motif.
Ah oui, quelle farce ! Des coups et l’amour. L’amour faussé, l’amour de rien, le faux amour. Le contre-amour.
Je vous parle aujourd’hui de dernier roman d’une auteure que j’apprécie en général beaucoup, avec :
Résumé de l’éditeur :
« De la chute au pas de danse… J’ai voulu écrire un livre qui soit comme une main posée sur l’épaule. » Gaëlle Josse
Qui ne s’est senti, de sa vie, vaciller ? Qui ne s’est jamais senti « au bord de » ? Qui n’a jamais été tenté d’abandonner la course ?
Clara, trente-deux ans, travaille dans une société de crédit. Compétente, investie, efficace, elle enchaîne les rendez-vous et atteint ses objectifs. Un matin, tout lâche. Elle ne retourne pas travailler. Des semaines, des mois de solitude et de vide s’ouvrent devant elle. Amis, amours, famille, collègues, tout se délite dans l’ordre ou le désordre de leur apparition dans sa vie. La vague de fond qui la saisit modifie ses impressions et ses sentiments.
Ce matin-là dévoile la mosaïque d’une vie et la perte de son unité, de son allant et de son élan. Une vie qui se refuse à continuer privée de sens et doit se réinventer. Une histoire minuscule et universelle porteuse d’espoir.
Ce que j’en pense :
Le récit commence avec un premier choc : le père de Clara fait un AVC et elle est obligée de gérer l’appel aux urgences, l’ambulance, les papiers car sa mère est sidérée, au sens médical du terme, scotchée sur place.
Un matin, quelques années plus tard, la voiture de Clara refuse de démarrer. Elle s’était pourtant levée, bien maquillée, tenue choisie avec soin comme tous les matins. Au bout de plusieurs tentatives, il faut bien se rendre à l’évidence, elle ne démarrera pas. C’est le petit grain qui vient se coincer et l’engrenage se met à partir à vau-l’eau.
Notre « marchande d’argent », comme elle se plaît à présenter son travail, hyperactive, qui multipliait les rendez-vous dans une société où la cheffe en demande toujours plus et n’hésite pas à lui adresser des « petites phrases assassines », quand il n’y a pas de témoin, va s’écrouler. Le burn-out l’a frappée sans crier gare, un coup de poignard dans le dos…
En fait le harcèlement au travail avait déjà bien fait son travail, et c’est souvent une pichenette qui provoque l’écroulement.
Elle est incapable, de sortir de son lit, l’appétit est parti, le sommeil devenu anarchique, plus rien ne l’intéresse, tout lui coûte, même faire un pas devant l’autre. Son amoureux, décontenancé, préfère prendre ses distances – si jamais c’était contagieux, n’est-ce pas – et la seule phrase qu’elle entend désormais c’est « secoue-toi » ou sa variante « remue-toi ».
La famille ne se comporte guère mieux, mais il y a eu de nombreux non-dits, pas de complicité affective avec son frère aîné, un artiste que le père méprise, une mère qui, un jour, a abandonné le domicile conjugal pour revenir trois mois plus tard (on avait envoyé Clara chez ses grands-parents) mais on ne saura jamais vraiment ce qui s’est passé.
Clara est la préférée de son père, et elle a mis la barre très haut ; pour se différencier de son frère, il fallait faire des études brillantes, un poste non moins brillant pour que papa soit fier, mais était-ce le bon choix ?
En tout cas, il faut tenter d’avancer, se prendre en mains, se reconstruire… arrêt de travail, médicaments, psychiatre…
La culpabilité, liée au fait de se sentir inutile, improductive, est bien analysée, l’exploration des causes, notamment des relations intrafamiliales, moins bien explorée.
Ah ! l’horrible phrase « Secoue-toi » ! comme si on ne s’était pas déjà auto-secouée, tout seul devant sa glace, en se traitant de « feignasse » … Oui, vous l’aurez compris, pour moi aussi ça sent le vécu ! Je parlais de « auto coup de pied au cul thérapie » alors qu’il faut s’écouter sans s’apitoyer, savant dosage.
« Secoue-toi. C’est ce que lui dit Laetitia, gentiment, comme s’il s’agissait de se lever, de s’agiter comme un cocktail dans un shaker. »
Autre phrase qui tue : « Tu as tout pour être heureuse » (sous-entendu, alors ferme-là) bien culpabilisante ; c’est sûr, les enfants qui meurent de faim, c’est pire, mais quand on est usée, ce n’est pas le genre d’argument que peut faire avancer les choses.
J’ai bien aimé, dans ce roman de Gaëlle Josse, la description de la plongée dans le puits sans fond du burn-out, tout est bien analysé, cela sent le vécu en fait, et toutes les personnes qui sont passées par là se reconnaîtront. Par exemple, le perfectionnisme, l’exigence envers soi-même qui font qu’on avance, sans prendre le temps de prendre soin de soi, dopé à l’adrénaline ou autre. On s’en rend compte quand on est dans le trou.
Gaëlle Josse, évoque, non sans une pointe d’humour, les vertus du canapé, ans lequel Clara s’enfonce en regardant les séries télévisées, qu’elle regarde en continu, une bonne manière de mettre, inconsciemment son cerveau sur pause. On ne dira jamais assez les vertus thérapeutiques de certains programmes télévisés quand on est en bout de course, avec toute la culpabilité et parfois même une certaine honte, « moi, l’intello, comment j’ai pu en arriver là ».
Les termes sont très bien choisis, très adaptés à ce que vit l’héroïne, qui n’est pas (ou du moins pas longtemps) dans la victimisation :
« Ensablée. Elle se dit que oui, c’est ça, elle se sent ensablée, engluée, et il va bien falloir s’en sortir. »
Par contre, je trouve que la partie reconstruction est moins bien explorée que le burn-out lui-même. Je n’ai pas été totalement convaincue par la manière dont Clara a fait ses choix pour changer de vie. L’auteure aurait pu creuser davantage. Bien-sûr, « ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort » comme le disait si bien Nietzsche ou, tout au moins, différent.
Ce roman est bien écrit, comme toujours avec Gaëlle Josse, les mots sonnent juste, les phrases sont courtes, parfois lapidaires, mais il a manqué un petit « quelque chose » pour que je l’apprécie totalement, comme cela avait été le cas pour « Une longue impatience » par exemple. Mais, il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours facile d’aborder le sujet de la dépression.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Notablia Noir sur Blanc, qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure que j’apprécie beaucoup.
#Cematinlà #NetGalleyFrance
8/10
L’auteure :
Venue à l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie ses trois premiers romans aux éditions Autrement. Récompensés par plusieurs prix littéraires, ils sont aujourd’hui étudiés dans de nombreux lycées.
Chez Notabilia, Le Dernier Gardien d’Ellis Island (2014) est un grand succès public et critique : il remporte, entre autres, le prix de Littérature de l’Union européenne. Une longue impatience (Notabilia, 2018) est lauréat du prix du public du Salon de Genève ainsi que du prix Simenon et du prix Exbrayat. Une femme en contre-jour (Notabilia, 2019) reçoit le prix des lecteurs Terres de Paroles 2020. Plusieurs de ses romans sont traduits.
Extraits :
Il faut expliquer, un peu. Et tout lâche. Le barrage qui rompt, une fois encore. Digues submergées, elle s’accroche aux quelques mots qui flottent sur l’eau, un radeau pour ne pas sombrer.
Elle se voit ingurgiter du sécable, du dispersible, du soluble, du buvable, du croquable, de l’avalable, quantité de molécules qui vont murmurer à son cerveau que tout va bien.
Elle passe du temps devant les séries dont elle avale les épisodes les uns derrière les autres, des histoires de FBI, de CIA, d’unités spéciales et des trader, sans se souvenir, l’instant d’après, de quoi il est question.
Non, elle ne veut pas parler, expliquer, si à lui, ni à d’autres, elle voudrait qu’on l’oublie, qu’on la laisse tranquille, au fond de son terrier.
Clara, la vaillante, vacillante. Une lettre en plus qui dit l’effondrement.
Une lettre qui se faufile au milieu de la vaillance, la coupe en deux, la cisaille, la tranche.
Une lettre qui dessine une caverne, un trou où elle tombe, un creux, une lettre qui l’empêche de retrouver celle qu’elle était, entière, debout.
Tu ne vas pas rester comme ça, désœuvrée. Le mot a marqué Clara. Désœuvrée, sans œuvre à construire, sans tâche, sans utilité, une vie de paramécie, de lentille d’eau, de mousse, de lichen.
Désormais, elle va vivre avec cette brûlure. Avec du cramé, du carbonisé, du foudroyé, du consumé.
Court-circuit. Flammes. Cendres.
Ce sont des matins ne me secouez pas, je suis pleine de larmes, il lui faut attendre la reprise du flux, de la vague, chasser la tristesse, mais elle ne sait pas comment faire.
Depuis toujours, oui, faire bien, sans calculer, sans s’économiser, en petite fille sérieuse qui guette l’approbation, le sourire, la récompense.
Salariée à terre et amoureuse délaissée, son monde a éclaté, c’est un univers vide qui lui tient lieu de vie.
Retrouver sa vie. Oui, mais pas celle-ci, une autre, une neuve, régénérée, une qui sortirait d’une chrysalide dans une mue éclatante.
Elle se dit que, parfois, la joie ressemble à un peu de lumière qui danse. Elle éclaire sa chambre en une éphémère apparition. Insaisissable et réelle. Présente et fugitive. Comme une silhouette qui s’évanouit au coin de la rue.
Elle le voit, comme si ce matin-là, depuis l’heure de la chute, quelques choses s’était ouvert en elle, un passage, une voie d’accès vers elle-même, et vers tous ceux qui n’en peuvent plus de serrer les dents.
Après tout un mois passé en Europe de l’Est, retour à la maison, avec un roman qui reste à la frontière, car il se déroule en Russie, et il est proposé par le plus Russe de nos académiciens. Je vous parle, en effet aujourd’hui de :
Résumé de l’éditeur :
A travers l’histoire d’une amitié adolescente, Makine révèle dans ce véritable bijou de littérature classique un épisode inoubliable de sa jeunesse.
Le narrateur, treize ans, vit dans un orphelinat de Sibérie à l’époque de l’empire soviétique finissant. Dans la cour de l’école, il prend la défense de Vardan, un adolescent que sa pureté, sa maturité et sa fragilité désignent aux brutes comme bouc-émissaire idéal. Il raccompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d’anciens prisonniers, d’aventuriers fourbus, de déracinés égarés « qui n’ont pour biographie que la géographie de leurs errances. »
Il est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique » parce qu’ils avaient créé une organisation clandestine se battant pour l’indépendance de l’Arménie.
De magnifiques figures se détachent de ce petit « royaume d’Arménie » miniature : la mère de Vardan, Chamiram ; la sœur de Vardan, Gulizar, belle comme une princesse du Caucase qui enflamme tous les cœurs mais ne vit que dans la dévotion à son mari emprisonné ; Sarven, le vieux sage de la communauté…
Un adolescent ramassant sur une voie de chemin de fer une vieille prostituée avinée qu’il protège avec délicatesse, une brute déportée couvant au camp un oiseau blessé qui finira par s’envoler au-dessus des barbelés : autant d’hommages à ces « copeaux humains, vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l’Histoire. »
Le narrateur, garde du corps de Vardan, devient la sentinelle de sa vie menacée, car l’adolescent souffre de la « maladie arménienne » qui menace de l’emporter, et voilà que de proche en proche, le narrateur se trouve à son tour menacé et incarcéré, quand le creusement d’un tunnel pour une chasse au trésor, qu’il prenait pour un jeu d’enfants, est soupçonné par le régime d’être une participation active à une tentative d’évasion…
Ce magnifique roman convoque une double nostalgie : celle de cette petite communauté arménienne pour son pays natal, et celle de l’auteur pour son ami disparu lorsqu’il revient en épilogue du livre, des décennies plus tard, exhumer les vestiges du passé dans cette grande ville sibérienne aux quartiers miséreux qui abritaient, derrière leurs remparts, l’antichambre des camps.
Ce que j’en pense :
Alors que l’URSS tousse et s’approche de la fin, dans un orphelinat au fin fond de la Sibérie, le narrateur, âgé de treize ans, fait la connaissance de Vardan, un jeune Arménien qui s’est fait prendre à partie brutalement par les meneurs, en se portant à son secours. Une amitié naît entre eux, et il va faire la connaissance de la famille, de ses traditions, de sa culture.
Vardan est venu vivre ici provisoirement avec sa famille, et d’autres personnes, car il y a eu une révolte chez eux et les hommes qui ont été arrêtés ont été transférés dans la prison qui domine la ville. Prison qui était autrefois un monastère, mais les Bolchéviks les ont dépossédés, pour ne pas dire plus.
On fait la connaissance de Chamiram, la mère de Vardan, de la belle Gulizar, sa sœur et d’autre personnages tout aussi attachants.Leurs conditions de vie sont précaires, dans des « logements insalubre », deux valises faisant fonction de lit pour Vardan, alors que la pièce est décorée de châles, une vieille table un peu boiteuse.
Vardan et le narrateur ont trouvé refuge dans un abri, secret au pied des tours de la prison. Ils s’y retrouvent pour parler, pour faire plus ample connaissance.
Dans leur cachette, les deux ados voient passer un vol d’oies sauvages et partagent ce moment de grâce particulier, car elles sont libres, et les prisonniers de la prison-monastère peuvent aussi les voir voler dans le ciel.
« Je me sentis péniblement muet, ne sachant pas encore que le plaisir de partager cet instant de beauté était le sens même de la création, l’aspiration véritable des poètes et qui restait le plus souvent incomprise. »
On rencontre aussi Ronine, le professeur de science, atypique dans la vie comme dans l’exercice de son métier n’hésite pas à se mêler aux Arméniens qui habitent de façon précaire dans ce lieu qu’on appelle Le Bout et que l’auteur appellera le Royaume d’Arménie ». C’était un commissaire politique dans l’armée qui a eu le bras arraché par un éclat d’obus, alors qu’il partait à l’assaut avec ses camarades en criant : « pour la patrie ! pour Staline »
L’accueil est chaleureux, avec le café à la turque dans la belle cafetière, et les quelques objets de valeur qu’ils ont apportés avec eux, ce qui leur permettra de survivre en attendant le procès. On voit passer la belle Gulizar qui porte des colis aux prisonniers. Malgré la pauvreté, ils sont accueillants, partageant leur repas, faisant parfois la fête. Peu à peu, Chamiram raconte leur histoire, les persécutions dont ils ont été victimes pratiquement du jour au lendemain : des hommes qui les saluaient poliment la veille se sont mis à les frapper, les étriper, prendre leur biens… les relations compliquées entre Arméniens et Azerbaïdjanais ne datent pas d’hier dans le Karabach, le génocide turc de 1915 a fait des émules…
J’ai beaucoup aimé ce dernier roman d’Andreï Makine, car il raconte une belle histoire humaine, au travers d’un fait historique, avec Vardan, ce gamin à la santé fragile, atteint de ce que l’on appelle « la maladie arménienne » qui ressemble à des rhumatismes articulaires aigus, et le laisse allongé, immobile et fiévreux, avec des articulations qui doublent de volume, un adolescent qui est devenu adulte trop vite, du fait de tout ce qu’il a pu voir déjà dans sa vie.
J’en vins à penser que la véritable étrangeté de ce garçon n’était pas liée à ses origines, ni même à sa santé défaillante mais à ce fragment muet dans le récit de Chamiram – cette parcelle vierge de la fresque, un vide frappé de mutisme et dont personne ne devait découvrir le secret qui pourtant recelait la clef de leurs vies.
Le narrateur, orphelin dans ce pensionnat sinistre, plonge dans la vie de cette famille chaleureuse et découvre les liens étroits qui les unissent. Il aime le récit de Chamiram qui lui fait découvrir un autre univers, ce qui va l’aider à se construire lui-aussi, lui montrant qu’il n’y a pas que la violence aveugle (les meneurs de l’orphelinat sont dépeints de manière brutale, mais il n’y a pas qu’eux, certains quartiers sont des zones de non-droit).
J’aime bien retrouver la plume d’Andreï Makine, que j’ai découvert il y a longtemps avec « Le testament français », et ce roman m’a beaucoup plu, alors que j’avais été un peu désarçonnée par le précédent « au-delà des frontières » intéressant certes mais comme je ne suis une grande adepte des dystopies…
Une fois de plus, l’auteur nous parle de fort belle manière de l’exil, du bannissement, de ce qu’on laisse derrière soi à chaque départ, et des conflits ethniques qui font rage depuis la nuit des temps et ne sont pas près de s’arrêter.
Je mettrai juste un petit bémol, en refermant « L’ami Arménien » : l’écriture est magnifique, la maitrise de la langue française renversante comme toujours, mais ce qui est d’habitude de l’ordre de la réserve et de la pudeur, s’apparente plus à de la froideur… la précision est quasi chirurgicale… cependant, c’est une très belle histoire alors, si vous aimez l’auteur, foncez.
Mon préféré, pour l’instant, reste « L’archipel d’une autre vie ».
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver un auteur que j’aime beaucoup.
#Lamiarménien #NetGalleyFrance
9/10
L’auteur :
Né en 1957 à Krasnoïarsk, Andreï Makine,(Андрей Ярославович Макин) de l’Académie française, est l’auteur d’une œuvre importante et multi primée : prix Goncourt, prix Goncourt des lycéens et prix Médicis pour Le testament français en 1995, grande médaille de la francophonie en 2000, grand prix RTL-Lire pour La musique d’une vie en 2001, Prix Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre en 2005, prix Casanova pour Une femme aimée en 2013, prix mondial Cino-Del-Duca en 2014.
Extraits :
Je sentis en moi, simultanément, la mort de celui que j’avais été et la gestation de celui qui allait naître : un futur homme se réveillait en étirant ses muscles, en bombant le torse et l’enfant rêveur devait lui céder la place, se renier, se mépriser pour la pureté ridicule de ses rêves.
Notre adolescence, je m’en rends compte à présent, se déroulait sur fond d’une très grande accoutumance aux souffrances subies ou imposées.
L’histoire de la transmigration de leur petite communauté allait se préciser, jour après jour, de confidence en confidence, de divination en secret chuchoté. Les Arméniens – ils étaient à peine une dizaine – ne cachaient pas vraiment la raison de leur préférence pour ce lieu qu’on choisissait rarement de son plein gré. Ils avaient cherché à ne pas trop s’éloigner de leurs proches, incarcérés dans l’attente d’un procès.
C’était un art commun aux peuples familiers des bannissements et des exodes, forcé de recréer, indéfiniment, leur espace vital – leur patrie transporté dans leurs maigres bagages. Oui, de gravir les tréteaux d’une existence vacillante, d’installer un décor où se joue le drame de leurs exils.
D’ailleurs, c’est seulement dans ma mémoire que cette chronique allait former une grande épopée d’un seul tenant. En réalité, à chacune de mes visites, Chamiram racontait un ou deux épisodes, citait quelques noms, quelques dates et, répondant à mes questions de plus en plus avisées, donnait aussi la réplique à Vardan qui retrouvait sa parole libérée d’étouffements. Puis soudain, elle s’interrompait, le regard perdu dans ses souvenirs, ses mots butant sur un secret ou un aveu dont je ne devinais pas encore la douleur.
La société où nous vivions, avec son projet messianique d’homme nouveau, excluait l’idée de tout ce qui risquait de contredire la perfection de ce futur héros destiné au bonheur du paradis sur terre. Il devait être totalement sain de corps, libre de toute ambiguïté intellectuelle, débarrassé des tares psychiques qui rongeaient les hommes du passé.
Dans ma mémoire, ces visites au « royaume d’Arménie » allaient constituer toute une époque, comme toujours quand les rencontres exceptionnelles et les émotions intensément neuves dilatent le temps par la vérité et la puissance de ce que nous ressentons.
Je compris que nos vies glissaient tout le temps au bord de l’abîme et que, d’un simple geste, nous pouvions aider l’autre, le retenir d’une chute, le sauver. Presque par jeu, nous étions capables d’être un dieu pour notre prochain.
« Tu sais, il y a chez nous un proverbe qui dit : « Honteux de ce qu’il voit dans la journée, le soleil se couche en rougissant » Ce serait bien si les hommes en faisaient autant.
Tiens, le mont Ararat, le sommet sacré des Arméniens, il est en Turquie, à présent. Nous l’avons perdu mais…En fait, ne pas l’avoir nous le rend encore plus cher. C’est ça le vrai choix : posséder ou rêver. Moi, je préfère le rêve.
Un conflit ethnique qui éclate, une quinzaine d’années auparavant, dans cette enclave arménienne du Karabagh entourée du territoire azerbaïdjanais. Comme une pénible réplique miniature des grands massacres de 1915, une brusque flambée de sauvagerie parcourt plusieurs villages avec son lot de violence.
Or, aucun livre, je m’en apercevais désormais, ne racontait l’effrayante banalité avec laquelle la vie reprenait son cours, démentant par sa démarche pataude tous les pas de deux passionnels et toutes les sagesses gravées dans le marbre.
La lecture était ma liberté et mon réconfort, ma consolation, mon stimulant favori : lire pour le pur plaisir de lire, pour ce beau calme qui vous entoure quand vous entendez dans votre tête résonner les mots d'un auteur. Paul AUSTER