« Ceci n’est pas un fait divers » de Philippe Besson

Ce n’est un secret pour personne j’aime beaucoup la plume de Philippe Besson alors, quand il nous propose d’aborder les violences conjugales et leurs conséquences, après avoir hésité, je me suis décidée à franchir le pas :

Résumé de l’éditeur :

Ils sont frère et sœur. Quand l’histoire commence, ils ont dix-neuf et treize ans.

Cette histoire tient en quelques mots, ceux que la cadette, témoin malgré elle, prononce en tremblant : « Papa vient de tuer maman. »

Passé la sidération, ces enfants brisés vont devoir se débrouiller avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et remonter le cours du temps pour tenter de comprendre la redoutable mécanique qui a conduit à cet acte.

Avec pudeur et sobriété, ce roman, inspiré de faits réels, raconte, au-delà d’un sujet de société, le long combat de deux victimes invisibles pour réapprendre à vivre.

Ce que j’en pense :

Tout commence par un appel téléphonique de Léa à son frère aîné : « il s’est passé quelque chose » parvient-elle à articuler, en état de sidération. Son père vient de tuer sa mère, après des années de maltraitance. Elle n’a que treize ans et lui dix-neuf.

C’est le frère aîné qui raconte : le père violent, les disputes, la maltraitance psychologique et physique, rabaisser l’autre, jour après jour, lui faire croire que tout est de sa faute, lui couper les ailes… sans oublier la fameuse « main qui part toute seule » pour justifier la gifle: c’est connu, la main est indépendants du système nerveux central, elle est autonome!!! en gros, ce n’est pas moi qui frappe, c’est ma main…

Philippe Besson décortique le processus de la violence, et la sidération qui suit l’assassinat de la mère, la réaction de chacun des deux enfants : pour le fils, qui avait pris ses distances depuis longtemps, ce qu’il redoutait a fini par arriver, alors qu’il n’a rien pu faire. Il tourne le dos définitivement à ce père abject, qui en plus a pris la fuite de manière minable, et n’a non seulement pas eu le courage de se rendre ou de se suicider, mais se pose en victime !!!

J’ai bien aimé la manière dont le fils comprend que son père est un pervers narcissique, et pas seulement un jaloux possessif…

Pour Léa, c’est plus compliqué, elle était la « chouchou » de son père (ah oui, j’oubliais c’était être un très bon père à défaut d’être un bon mari !). Elle ressent toujours cet amour paternel au plus profond d’elle-même.

Je lis peu de romans ou essais autour de la violence conjugale, il suffit d’ouvrir le journal, pour noter un nouveau féminicide, car ce n’est pas un fait divers ni un crime passionnel, terme trop longtemps mis en en avant par la société patriarcale et qu’on ne vieille surtout pas me dire que « il la frappe parce qu’il l’aime » sinon je vais sortir de mes gonds…

J’ai choisi de lire celui-ci, parce que c’est Philippe Besson, sa manière de raconter les choses, pleine de pudeur, sa sensibilité, sa belle écriture. Et c’est réussi comme je m’y attendais… Pour la petite histoire, il s’est lancé dans le récit après avoir rencontré un de ses fans qui avait perdu sa mère, victime de féminicide, et l’a autorisé à en parler).

Je suis une grande fan de cet auteur, mais pas une inconditionnelle, toutefois, car si le thème ne m’inspire pas je ne cherche pas lire le roman parce que c’est lui. Mes préférés restent « Se résoudre aux adieux » « L’arrière-saison » et « Son frère » et « Les jours fragiles » m’attendent sur une étagère de ma bibliothèque, que je garde pour la fin, (ou la faim ?) un peu comme « Les frères Karamazov » de mon ami Fiodor…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Julliard qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver une fois de plus la plume de son auteur.

#Cecinestpasunfaitdivers #NetGalleyFrance !

9/10

Philippe Besson est auteur, dramaturge et scénariste français, anciennement homme d’affaires. Il a été également critique littéraire et animateur de télévision. Il a publié 36 livres (si mes comptes sont à jour) notamment « Arrête avec tes mensonges », Le Dernier Enfant et Paris-Briançon.

Extraits :

Je suppose que certains instants décisifs sont inoubliables, et parfois, on sait, tandis qu’ils se produisent, qu’ils sont, en effet, décisifs…

J’étais là, nous allions affronter l’épreuve ensemble, à deux nous avions, qui sait, une petite chance d’y parvenir. En tout cas, j’étais convaincu que beaucoup dépendait de moi, de ma force, de mon amour pour elle, je ne devais pas flancher…

… C’était commode aussi de se répéter ce mantra, cela m’évitait d’être dévoré par le chagrin, par la stupeur et par la haine. Il y avait des choses qui passaient avant. Il y avait Léa. Avec le recul, je sais que, sans le faire exprès, ma sœur m’a sauvé de passions trop tristes, ou de bouillonnements trop amers. Ils ne m’étaient pas permis.

Ma seule certitude était que nous étions durablement endommagés. Il restait à déterminer jusqu’à quel point.

J’essaie de comprendre comment elle est allée vers lui, pourquoi ils se sont rejoints. En fait, je me tiens devant le mystère des inclinations de ma mère, le mystère de sa liberté.

Tout était prétexte à prendre la mouche et à déblatérer. Il n’était pas difficile de comprendre qu’il se sentait déclassé, méprisé, sa vie avait pris un mauvais tour et, puisque ça ne pouvait pas être de sa faute, c’était forcément celle des autres. Oui, d’aussi loin que je me souvienne, je vois mon père frustré, furieux et accusateur.

Toujours, il s’agissait d’un prétexte fallacieux. Il avait besoin d’une raison, n’importe laquelle, pour créer une altercation, mener sa guérilla. Il était débordé par sa paranoïa, sa jalousie, son narcissisme. Par son angoisse de l’abandon, puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat.

Ce que nous ignorions, c’est que l’amour familial ne s’efface pas d’un trait de plume, il en reste toujours quelque chose ; j’y reviendrai.

Certes, ses accès de violence la perturbaient et la maintenaient sur une sorte de qui-vive, mais il savait si bien lui faire croire que ce n’était rien, simplement des disputes entre grandes personnes, comme il y en a dans tous les couples et s’y entendait mieux que personne pour la reconquérir.

J’ai fini par comprendre que mon père n’était pas seulement un homme possessif et paranoïaque, pas seulement un être terrifié à l’idée d’être abandonné et qui compensait par la rage, il était aussi, peut-être avant tout, ce qu’on nomme un pervers narcissique.

Ceci encore : s’il était dur avec elle, il était adorable avec sa fille. D’ailleurs ma mère ne jurait-elle pas à qui voulait l’entendre qu’il était « un bon père » ? (elle occultait volontiers le dédain dont il me gratifiait ; il s’agissait de sauver les meubles j’imagine.

Lu en janvier 2023

« La revanche des orages » de Sébastien Spitzer

Comme je gardais un très bon souvenir de « Ces rêves qu’on piétine », ce dernier opus était très tentant à la bibliothèque, alors pourquoi résister ?

Résumé de l’éditeur :

Voici l’histoire vraie du jeune pilote Claude Eatherly qui, le 6 août 1945 a participé au bombardement d’Hiroshima. Démobilisé, il est accueilli en héros mais s’enferme dans le mutisme. Une étrange voix le hante. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Et si c’était la voix de sa conscience ? Tandis que les autorités le font passer pour fou, Eatherly entraîne sa femme et ses enfants dans une chute inexorable…

Ce que j’en pense :

Dans ce roman, l’auteur nous entraîne sur le parcours et les états d’âme du major Claude Eatherly. Nous faisons sa connaissance en décembre 1955 alors qu’il est hospitalisé en psychiatrie, bourré de neuroleptiques et d’électrochocs tandis que son mariage et sa famille sont en train d’exploser. Ensuite flash-back pour comprendre comment il en est arrivé là.

Claude a un parcours militaire hors du commun. Il est le plus jeune fils de la famille Eatherly qui exploite une ferme et mène une vie austère. Lorsque les USA entre en guerre, les fils aînés sont envoyés au front, cités en exemple, ce qui engendre chez lui une certaine frustration.

Il a épousé une jeune femme d’origine italienne, comédienne ce qui est difficile à une époque où les Américains assimilent tous les Italiens, même ceux nés aux USA, à des fascistes, idolâtres de Mussolini et n’hésitent pas à les placer dans des camps avec des Japonais, des Allemands… Et la belle Anna y a échappé grâce à un juge compréhensif.

Claude est pilote et s’entraîne dans le désert pour une mission : dont il ne connaît rien, top secret oblige, et après des heures d’entraînement direction la base de Tinian « un caillou qui affleure au ras de l’eau, aux confins de la mer des Philippines et du Pacifique Nord » où il va faire des missions de reconnaissance : Tokyo, Kyushu Shikoku, un avant-goût de Hiroshima et Nagasaki… Il ronge son frein, car on lui a parlé de larguer une bombe d’un nouveau genre : « le gadget » comme l’appelle le colonel Tibbets…

En plus, ce ne sera même pas lui que l’on va charger de larguer la bombe, ce qui entretient une énorme frustration et des comportements inappropriées pour manifester son mécontentement. Et pourtant, quand les deux bombes auront été lâchées, une voix va venir le hanter : elle s’appelle Hanae et elle est une des victimes…

Notre major souffre d’un syndrome de stress post-traumatique mais en 1945, l’armée n’en a cure et ne se penche même pas sur son état physique et mental, et de surcroît il devient malvenu d’émettre la moindre critique sur le bien-fondé du largage des bombes atomiques pour faire capituler le Japon, car l’ombre du Maccarthysme se profile à l’horizon.

Sébastien Spitzer alterne dans son récit passé et présent pour mieux faire comprendre le couple Eatherly, la difficulté de vivre avec un conjoint « qui entend des voix » et de cohabiter avec les parents de Claude, les exigences des uns et des autres, mais il donne aussi la parole à Hanae qui raconte le drame des irradiations des morts immédiates et des séquelles plus tardives, et on se plaît à penser que c’est la conscience de Claude qui vient le hanter.

L’auteur décrit bien l’ivresse de piloter, le désir de faire plier le Japon en lançant le « gadget » et la frustration de ne pas être désigné pour le faire, ainsi que le dur retour à la vie normale de celui qui est considéré comme un héros, mais personne n’a vraiment envie d’entendre de qu’il a à dire, ce qu’il ressent, le poids de la culpabilité. J’ai été très touchée par le témoignage d’Hanae retranscrit fidèlement par l’auteur.

Mais, je reste un peu sur ma faim probablement parce que le sujet est terrible, surtout dans le contexte actuel de guerre à nos portes alors qu’on sent que tout pourrait arriver… peut-être aussi parce que j’ai adoré « Ces rêves qu’on piétine » et espéré retrouver le même ressenti… J’ai encore « La fièvre » et « Le cœur battant du monde » en attente dans ma PAL.

8/10

L’auteur :

Sébastien Spitzer est l’auteur de « Ces rêves qu’on piétine » 2017, lauréat du prix Stanislas, du prix Emmanuel-Roblès et du prix Méditerranée des lycéens. Son second roman, « Le cœur battant du monde » a été finaliste du prix Goncourt des lycéens. « La fièvre » a obtenu le prix bibliothèques pour tous.

Extraits :

Elle sait que l’heure approche. Elle a hâte de retrouver son beau pilote chéri avant qu’il ne s’envole. Où ça ? Elle l’ignore. Lui aussi, il l’ignore. Personne ne sait vraiment à quoi il s’entraîne, ni où il va se rendre…

L’Amérique faisait la guerre aux Italiens comme elle. Et ses compatriotes, même naturalisés, étaient tenus en respect. Des camps avaient été construits, comme à Crystal City. On y parquait les Ritals comme les Japonais et les Allemands. Une dizaine de camps dont la presse parlait peu. Des camps par précaution… Elle y avait échappé de peu grâce à l’intervention du collaborateur d’un juge très influent, bien introduit dans l’armée.

Mais, ce qui le rend heureux, c’est surtout le mouvement. Non pas le but, parce que dans le but, il y a fatalement une fin. Mais l’élan. Le fait d’être porté vers un ailleurs, comme au temps de son enfance, quand il partait chasser. La prise importait peu. Ce qu’il aimait plus que tout, c’était la poursuite, le prétexte de la traque.

Hirohito est un dieu et leur devoir suprême est de défendre l’empereur coûte que coûte. Pas de défait possible. Aucune reddition. Formuler les contours, même vagues d’une capitulation, c’est l’assurance de devoir se crever le ventre d’un long sabre ou d’une fourche selon l’estime et le rang… La défaite de cet Empire est une apostasie.

Tibbets leur avait dit, pourtant, qu’ils marqueraient l’Histoire avec une nouvelle arme qu’il appelle le « gadget » … Voilà, c’est tout. Il faudra s’adapter à l’agenda mystère, à cette arme réduite à une expression ridicule, si banale qu’elle semble inoffensive : le « gadget ».

L’ambition, c’est que de la sauvagerie. Ça vous piétine l’ego, ça vous rapetisse l’âme jusqu’à ce qu’on vous accroche une breloque sur le poitrail.

Lui revient ce que lui confiait Pa’ lors de cette foire géante pleine de tracteurs, de batteuses, de moissonneuses-batteuses et de herses rotatives. Il l’avait mis en garde contre ces Prométhée, tous ces voleurs de feu, ces génies imbéciles, qui faisaient courir à l’homme le plus grand des dangers en promettant le progrès, la fin de la peine des champs, la coupe réglée du monde, taylorisant le bien, mécanisant le soleil au nom d’un intérêt plus élevé que la morale…

Il n’y a eu aucun bruit. Rien qui ressemble au fracas que fait la poudre qui se répand en pétards ou qui explose en bombe. Pourtant, j’ai vu cette boule prendre le ciel de court, le déchirer d’un coup. Un embrasement soudain, furieux, total. Comme si une main géante décrochait le soleil et le projetait sur nous. Sa lumière était blanche. Pas jaune comme le feu. Blanche. Crue. Absolument radieuse…


… C’est sans doute cela, la mort ; quand on ne s’appartient plus ; quand l’esprit se découple de tout ce qui nous retient. Respirer. Sentir. Se demander pourquoi. Bouger. Vouloir. Se souvenir. Espérer. Tenter de se relever.

Sa mère, Belle, prétendait que l’homme était fait de trois choses. Une tête. Un cœur. Un ventre. C’est la sainte trinité de notre humanité. Le reste, précisait-elle, c’est que de la chorale, de la flûte, de l’encens, de la matière à serments.

Lu en décembre 2022

« Ta seule issue » de Giles Kristian

Aujourd’hui, je vous parle d’un thriller que j’ai pu découvrir grâce à une opération masse critique spéciale organisée par mon site préféré Babelio :

Résumé de l’éditeur :

Une nature hostile. Un tueur impitoyable. Qui sera la proie ?

Les ténèbres à perte de vue. Une tempête pour tout horizon. La mort qui rôde. Comment en sont-ils arrivés là ? Erik et sa fille avaient pourtant prévu un simple trek dans les montagnes norvégiennes. Un moyen de se retrouver, après le drame qui a brisé leur famille. Mais à cause d’un accident, leur voyage tourne au cauchemar. Alors qu’ils ont trouvé refuge dans une maison isolée, ils sont témoins d’un crime atroce. Le père et la fille doivent fuir à tout prix. Fuir pour survivre. C’est le début d’une traque sans merci à travers des étendues hostiles…

Une chasse à l’homme dans une nature brute et inhospitalière.

Ce que j’en pense :

Cette histoire commençait assez bien avec ce père de famille en pleine sinistrose qui ne se remet pas du décès accidentel de sa fille aînée et qui finit par honorer sa promesse de partir pour un trek à ski dans les montagnes norvégiennes.

Après une soirée houleuse avec des amis militant contre la réouverture d’une mine qui va mettre à mal les Samis, leur culture et en particulier l’élevage des rennes, ils se lancent donc dans l’aventure mais pris dans la tempête font demi-tour et vont passer la nuit chez les amis.

Premier drame : le couple se fait assassiner par des sbires de la compagnie minière, aux méthodes de mafieux russes auxquels Erik et sa fille échappent de justesse. Et la traque commence…

Cette lecture devait être un moment de détente entre deux lectures difficiles (que je cumule ces derniers temps) mais trop c’est trop, traque, assassinats, fusils, kalachnikov, un père qui devient entre deux coups de blues aussi violents que ses poursuivants, une inversion des rôles avec une gamine qui se montre plus adulte que son père et cerise sur le gâteau, un labo perdu dans la neige avec des scientifiques plus ou moins tarés, des virus qui se réveillent après un long séjour dans le permafrost en cours de dégel…

Je suis arrivée au bout, mais j’ai renoncé plusieurs fois car une telle violence par les temps qui courent cela fait trop… en fait, j’étais curieuse de voir comment cette épopée allait se terminer: comment vont-ils s’en sortir? Est-ce que les mains d’Erik qui gèlent régulièrement seront sauvées ou non? La fin laisse autant perplexe que l’histoire… cet auteur est connu pour ses romans historiques et c’est sa première incursion dans le monde du thriller…

Un grand merci à Babelio et aux éditions Harper Collins qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

4-5/10

Lu en décembre 2022

JOYEUX NOËL!

Je vous souhaite à tous et à toutes un très joyeux Noël !

Pour respecter la tradition, place à Tino Rossi (mon père versait un larme, chaque fois en l’écoutant) dans cette version remastérisée:

Pour ma part, je préfère celle-ci 🙂

Et finissons bien et dans la joie cette année qui a si mal commencé! bonnes fêtes à tous et plein de livres sous le sapin bien sûr!

« Le dernier enfant » de Philippe Besson

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que je n’avais pas envie de lire à sa sortie, mais la bibliothécaire s’est trompée en me réservant « Paris-Briançon » alors je me suis dit pourquoi pas ? Quitte à me replonger dans l’univers de l’auteur, autant ne pas avoir de regret :

Quatrième de couverture :

« Elle le détaille tandis qu’il va prendre sa place : les cheveux en broussaille, le visage encore ensommeillé, il porte juste un caleçon et un T-shirt informe, marche pieds nus sur le carrelage. Pas à son avantage et pourtant d’une beauté qui continue de l’époustoufler, de la gonfler d’orgueil. Et aussitôt, elle songe, alors qu’elle s’était jurée de se l’interdire, qu’elle s’était répétée, non il ne faut pas y songer, surtout pas, non voici qu’elle songe, au risque de la souffrance, au risque de ne pas pouvoir réprimer un sanglot : « C’est la dernière fois que mon fils apparaît ainsi, c’est le dernier matin. »

Un roman tout en nuance, sobre et déchirant, sur le vacillement d’un mère le jour où son dernier enfant quitte la maison. Au fil des heures, chaque petite chose du quotidien se transforme en vertige face à l’horizon inconnu qui s’ouvre devant elle.

Ce que j’en pense :

Théo, le dernier enfant de la famille quitte le nid pour aller vivre en ville dans un studio. Être chez lui, autonome. Seulement voilà sa mère Anne-Marie n’est pas du tout prête à le laisser partir, et après lui avoir fait des suggestions maladroites pour qu’il reste à la maison (on est si bien à la campagne, l’air est pur !) force est de constater que la décision est prise.

Alors, pour lui tenir la main jusqu’au bout, elle arrive à le convaincre de faire le déménagement tous les trois, le père Patrick, ayant obtenu la permission d’emprunter le Kangoo de l’entreprise. Voyage à trois, serrés comme des sardines dans la voiture très encombrée.

Philippe Besson nous brosse le tableau d’une mère qui n’accepte pas le départ de son fils, qu’elle vit presque comme une trahison, elle a l’habitude de lui préparer le petit déjeuner, faire sa lessive ranger ses affaires, et ne comprend pas que passé un certain âge, un adolescent puis jeune adulte a besoin d’intimité, de souffler et de voler de ses propres ailes.

Cette mère qui aurait dû me toucher, m’a peu à peu horripilée, car elle ne veut rien lâcher, elle tient à être une victime de l’ingratitude de son fils alors qu’au fond d’elle-même elle sait très bien que c’est mieux de respecter son choix. Mais pour elle, c’est encore son bébé, comme s’il avait trois ans.

Tout se passe sur une journée, la dernière passée à trois, où les petites phrases fusent, visant tantôt Théo, tantôt Patrick, les sous-entendus : je souffre mais vous ne comprenez pas.

Le retour à la maison est très bien croqué par l’auteur : Anne- Marie, cherchant du réconfort chez son fils aîné ou encore sa voisine, la très sage Françoise, qui, quoi qu’ils puissent dire majore la colère rentrée, le sentiment d’être incomprise : elle cherche de l’aide mais refuse d’entendre ce qu’on peut lui dire…

Philippe Besson, avec sa sensibilité coutumière, nous dresse un beau portrait de femme, même si elle est exaspérante, Anne-Marie nous touche. Elle a tellement surinvesti son rôle de mère que son rôle de femme est passé au second plan, alors bien sûr comment continuer à vivre ? Elle est tellement crédible, son héroïne, que cela sent un peu le vécu. Mais ce n’est que mon interprétation…

Elle m’a rappelé l’attitude de ma mère quand j’ai décidé de quitter le nid, les éclats de voix ont résonné, j’ai dû partir les mains vides, accusée de haute trahison, d’ingratitude envers une femme qui a tout sacrifié pour moi ! mais, je n’en dirai pas plus il y a prescription !

J’ai lu beaucoup de livres de l’auteur et pour l’instant, mes préférés sont « Se résoudre aux adieux », « Son frère », « L’arrière-saison », qui sont des coups de cœur ou presque, mais aussi « Un garçon d’Italie » ou « La maison Atlantique » … j’ai gardé le meilleur pour la fin « Les jours fragiles » qui me fait de l’œil sur une étagère d’une de mes bibliothèques : à PAL dantesque, bibliothèques multiples bien sûr…

7/10

Depuis 2001, Philippe Besson a publié total 34 livres, dont « Son frère », adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L’arrière-saison, La maison Atlantique ou encore Arrête avec tes mensonges » en 2017.

Extraits :

Une précision : il ne lui vient pas à l’esprit que s’arrimer aux détails lui évite de flancher, et même de s’écrouler purement et simplement. Anne-Marie ne se dit pas des choses pareilles.

Il a l’impression qu’elle se sert de cette toux surgie d’on ne sait où pour lui reprocher sournoisement son installation : au lieu du bon air de la campagne, il aime mieux venir sentir l’air malsain des villes, voilà ce qu’elle a voulu dire.

D’ailleurs, ce n’est pas le premier reproche qu’elle lui jette à la figure. Un jour, elle a lâché un : tu nous abandonnes, qui, même prononcé avec le sourire, cherchait quand même sacrément à le culpabiliser.

… elle songe que désormais, elle se tient du mauvais côté de la cloison, elle songe que, jusqu’à une période récente, elle savait tout et que désormais elle ne sait plus grand-chose, elle partageait l’essentiel et désormais elle n’a plus droit qu’à l’accessoire, elle n’est pas jalouse, ce n’est pas ça le sujet, elle en est chagrinée, mortifiée…

… Et si elle ne flairait pas un danger qui le menacerait, et si elle ne discernait pas une métamorphose fondamentale, et si elle n’entendait plus ses tracas, ses inquiétudes, et s’il devenait un parfait étranger ?

Elle n’a donc pas anticipé le choc qui se produit à la seconde exacte où elle pousse la porte du pavillon, le choc provoqué par la maison vide, la vision de la maison vide, le silence épouvantable de la maison vide. Un foudroiement.

Sous l’effet du foudroiement, elle vacille. Littéralement. Elle a l’impression que ses jambes la trahissent. Donc ça arrive, les jambes qui se dérobent le corps qui lâche.

Il y a des hommes comme ça qui ont besoin d’être tenus par les femmes, ou qui ne trouvent leur salut que dans une forme de soumission consentie… à propos du son fils aîné !

J’ai passé presque trente ans à protéger mes enfants, à m’inquiéter pour eux, à les écouter. Et c’est fini. Fini. À quoi je vais servir maintenant ?

Elle avait une occupation, un but. Comment fait-on quand cette occupation disparaît du jour au lendemain ? Avec quoi on remplit la vie ?

Lu en août 2022

« Le chef-d’œuvre d’Honoré de Balzac » de Julien Spiewak

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai eu la chance de recevoir grâce à Masse Critique organisée par Babelio, connaissant mon « amour » pour Balzac, il était impossible de résister à la tentation, alors quand la nouvelle est tombée (le courriel en fait) j’ai rugi de plaisir :

Résumé de l’éditeur :

Après lecture du Chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac, Julien Spiewak est stupéfait ! Non seulement tout « parle » au photographe dans ce conte fantastique de Balzac, mais certaines phrases – qu’il s’empresse d’annoter – semblent avoir été écrites pour lui, se référant au plus près aux images qu’il a déjà réalisées pour sa série de photographies Corps de style.

Dans la première partie de ce catalogue monographique, des doubles pages proposent à chaque fois une citation de Balzac, extraite du Chef-d’œuvre inconnu, et une photographie que l’artiste a réalisée dans un musée en associant des œuvres d’art et une partie du corps humain. Dans la seconde partie, Julien Spiewak publie la reproduction du texte complet de Balzac, avec ses annotations dans la marge.

Dominique Baqué voit en Julien Spiewak « la version heureuse de Frenhofer, le vieillard fou et suicidé ». Car là où Frenhofer échoue, Spiewak réussit à insuffler la vie dans l’art, et d’une double façon : en revivifiant le texte de Balzac, avec lequel il entre en écho et noue de surprenantes affinités électives, et en faisant revivre intérieurs de style et espaces muséaux avec ses corps de chair.

Ce que j’en pense :

Ce livre nous propose une idée magnifique : illustrer grâce à des photos, la nouvelle d’Honoré de Balzac.

Dans la première partie du livre, l’auteur a choisi de présenter les photographies sur la page de droite et une citation tirée de la nouvelle sur la page de gauche, utilisant des clichés de sa série Corps de style. Il visite les musées durant la journée et revient photographier les œuvres d’art : peintures, sculptures, tissus… toujours en incorporant un élément du corps, pour coller au mieux au texte.

 Dans la deuxième partie, il nous propose une belle version de la nouvelle de Balzac qu’il a annotée, surligner car il part du texte et l’illustre d’une photographie, avec un travail très minutieux : il surligne en vert, les points importants du texte de Balzac et en orange les citations pour les photos « Corps de style », tout en ajoutant des commentaires…

Ce livre est absolument magnifique, c’est un objet d’art, préfacé de manière magistrale par Dominique Baqué qui nous rappelle au passage le thème de la nouvelle : un jeune peintre qui n’est autre que Nicolas Poussin, vient rendre visite à un maître, Probus, et dans l’escalier il croise un vieux peintre Frenhofer qui s’acharne sur un tableau « La belle Noiseuse » à la recherche de la perfection… il se livre à une critique acerbe des tableaux de Probus qu’il juge sans âme.

Pour Dominique Baqué, du fait de son côté perfectionniste, Spiewak est un Frenhofer qui aurait atteint son but… voici ce qu’elle écrit :

Frenhofer apparaît en fait comme l’emblème du génie fou, qui s’égare dans une quête démiurgique de l’absolu, voulant dérober le secret de Dieu, si ce n’est en devenir le rival. Car, représenter, pour Frenhofer, c’est créer. Donner la vie, au sens quasi littéral du terme.

Comme je le disais en préambule, après l’exultation liée à l’obtention du livre, la joie d’ouvrir le paquet et la découverte, une question s’est posée : comment rédiger une chronique à la hauteur ? côté perfectionnisme je suis imbattable, comme l’auteur ! C’est très difficile de parler d’un tel livre, tant la beauté nous subjugue, il faudrait des superlatifs à chaque phrase. Ce magnifique objet d’art m’a donné envie de me précipiter sur la nouvelle de Balzac car je voulais la découvrir sans les annotations, les interprétations de l’auteur. Je vous en parlerai demain…

Julien Spiewak a eu la délicate attention de joindre à son livre un superbe marque-page, (format carte postale, en fait) dédicacé. Ce fut un très beau cadeau de Noël et si l’art, la photographie, et le texte vous attirent, surtout n’hésitez pas, c’est une belle aventure qui vous attend. Un dernier conseil, pour la route : aller visiter son site Internet.

Un grand merci à Babelio et aux éditions Espace L qui m’ont permis de découvrir ce livre et son auteur dont on peut apprécier le travail sur le site: https://www.julienspiewak.com/

Je vous conseille également l’excellente chronique: https://clesbibliofeel.blog/2022/01/04/julien-spiewak-le-chef-doeuvre-inconnu-dhonore-de-balzac/

Lu en janvier 2022

« Cortome Biotech, Inc. » d’Alex Milnow

Je vous parle aujourd’hui d’un livre particulier, que j’ai choisi par curiosité, du fait qu’il se passe en 2031 et que ma réticence envers la Silicon Valley et les USA est de notoriété publique :

Résumé de l’éditeur :

Inspiré de faits réels, ce thriller vous plongera dans les rêves les plus fous des dirigeants de la Silicon Valley.

Eileen vit en Californie. Elle est infirmière. Son mari, Brad, est un policier affabulateur et violent qui la bat depuis des années. Alors quand il est criblé de balles en service et retrouvé mourant, Eileen se rend à son chevet en étant secrètement soulagée : son calvaire touche peut-être à sa fin.

C’était sans compter sur Terrence Page, qui attend Eileen à l’hôpital et prétend être la seule à pouvoir sauver Brad grâce aux recherches de sa startup : Cortome Biotech.

Eileen hésite, mais a-t-elle vraiment le choix ? Elle voudrait refuser, mais le gouverneur et les collègues de son mari sont présents. Ils prennent au sérieux les promesses de Cortome !

Un engrenage infernal s’engage, où se mêleront des intérêts qui dépassent la jeune femme. Mais elle est peut-être plus forte qu’ils ne le pensent. Et aussi plus dangereuse…

Ce que j’en pense :

Bienvenue en Californie en 2031 ! Eileen, infirmière de son état, apprend que son mari, Brad, policier vient d’être victime d’une fusillade et se trouve dans un état critique.

Un collègue et ami de Brad vient la chercher pour lui annoncer la nouvelle et, en l’accompagnant à l’hôpital, il est choqué car elle n’a pas pleuré suffisamment. Et pour cause, Brad est un pervers narcissique, violent qui la frappe. Mais solidarité et machisme obligent, il va la surveiller de très près, la suspectant d’avoir peut-être commandité la fusillade pour se débarrasser de son époux.

Une autre surprise attend Eileen : deux médecins, travaillant pour Cortome Biotech, startup qui a le vent en poupe et travaille sur la régénération des neurones, pour maintenir en vie à tout prix les humains, dans une sorte de « soupe » … Brad est le candidat idéal pour leurs expérimentations, mais Eileen demande à réfléchir, alors on va se passer de son autorisation qui sera donné par le nouveau gouverneur de Californie en personne.

Le but de l’opération en fait est de préserver le cerveau, « la seule chose à sauver car tout le reste du corps deviendrait obsolète » selon ces médecins (Terrence et Esteban) que n’étouffent ni les scrupules ni la déontologie, et encore moins l’éthique, et en filigrane non seulement repousser la mort, mais rendre l’individu immortel.

On fait la connaissance du frère d’Eileen, ancien militaire qui est intervenu en Afghanistan, en particulier, dont il est revenu atteint d’un syndrome de stress post traumatique, et s’est reconverti en mercenaire à la solde de dictatures… sa relation avec Eileen est complexe et ce d’autant plus que cette dernière évolue de manière magistrale dans le roman, s’éloignant de plus en plus de la femme soumise qu’elle était au début.

On tombe dans un engrenage infernal, où on finit par ne plus savoir où sont les bons et les méchants. La Silicon Valley est devenue encore plus folle à lier, chacun voulant accéder au pouvoir suprême, s’enrichir, dominer le monde… le sous-titre du roman est déjà une invitation au voyage : « Une startup qui vous veut du bien » Mais, ne divulgâchons pas, je vous laisse découvrir ce roman qui sort de l’ordinaire.

Alex Milnow nous brosse un portrait au scalpel de la société américaine, toujours aussi imbue d’elle-même en 2031 que de nos jours (et comment cela pourrait-il changer ? Certes, Trump n’est plus au pouvoir, mais le président démocrate en place est largement aussi toxique et corrompu, entouré lui-aussi de milliardaires influents qui en veulent toujours plus et bien sûr, l’immortalité leur est destinée, les autres, ils s’en moquent éperdument.

Après avoir été très réticente durant les tout premiers chapitres, mon aversion pour les médecins qui se prennent pour Dieu, à l’instar de célèbres Nazis, et également, ma réticence vis-à-vis ce l’évolution de la société que décrit l’auteur (avec beaucoup de talent) je me suis laissée emporter par le rythme effréné de l’action, les surprises qui guettent le lecteur presque à chaque page et j’ai terminé ma lecture en mode addictif. Bref, j’ai dévoré ce roman, avec un plaisir immense.

Roman qualifié de thriller pour les uns, de dystopie pour les autres, qui est quand même une critique de la société actuelle. Je rappelle, au passage, qu’il est inspiré de faits réels.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions 3.0 qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur que je connaissais pas du tout et dont j’ai hâte de retrouver la plume. Il propose un chapitre de son prochain roman « F. A. R. » à la fin du livre, et cela donne déjà envie de le lire…

#cortome #NetGalleyFrance !

8,5/10

https://www.alexmilnow.com/

L’auteur :

Adrien Mellino, alias Alex Milnow a commencé à écrire à plein temps sur le tard. Car il a déjà eu trois ou quatre vies. Cela lui permet de décrire des environnements riches et bien documentés, peuplés de personnages complexes et attachants, le tout agrémenté de suspense !

Extraits :

Siège de la conscience, il (le cerveau) était la seule chose à sauver, s’il fallait n’en choisir qu’une. C’était le Minimum Viable Product – le produit minimal permettant de répondre au besoin du client, objectif de toutes les startups dans leurs débuts – de l’être humain. Si on peut faire fonctionner le cerveau indépendamment, tout le reste du corps devenait obsolète.

Il faut se rendre compte, intervint Terrence, que votre cortex est déjà une boite obscure, Eileen. On appelle juste ça le crâne. Ensuite, il est connecté à tout un ensemble de capteurs : les yeux pour l’image, les oreilles pour le son, l’oreille interne pour l’orientation, les nerfs, et j’en passe. C’est avec les informations de tous ces moyens de détection qu’il construit la réalité que vous percevez en ce moment…

… Un fauve est un fauve. Montrez le dos à un lion, il ne peut s’empêcher de vous attaquer, c’est dans sa nature, qui l’a sélectionnée pour cela au cours de millénaires d’évolution ; il bondira, même si vous lui avez consacré votre vie. Alors, est-ce votre faute d’avoir montrer le dos, ou la sienne de ne pas savoir se retenir…

Eileen, il était grand temps que tu sortes un peu. Que tu vois le monde. Je crois que tu comprendras beaucoup de choses sur les États-Unis et la place réelle que nous avons sur cette planète… Le tiers-monde d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui. [Qu’] il y a beaucoup de domaines dans lesquels nous ne sommes plus sien avance que cela. Mis à part le nombre de fusillades annuelles et le pourcentage de citoyens incarcérés, bien sûr.

Lu en décembre 2021

« Un mariage en été » de Beatriz Williams

Comme je l’avais prévu, j’ai du mal à rédiger ma chronique sur le dernier livre de Metin Arditi : « L’homme qui peignait les âmes » (j’ai tellement de notes, de citations qu’il faut épurer !).  Je vais donc vous parler aujourd’hui d’un livre qui ne me posera pas de problèmes au niveau de la réflexion avec :

Résumé de l’éditeur :

Sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre se joue une passionnante histoire d’amour, de trahison, de quête de pouvoir et de rédemption.

Miranda Schuyler n’est qu’une adolescente lorsqu’elle découvre Winthrop Island, durant l’été 1951, à l’occasion du mariage de sa mère et du richissime Hugh Fisher. Plongée dans une vie légère et glamour faite de pool parties et de sorties au Country Club, Miranda est également fascinée par la communauté de pêcheurs portugais installée sur l’île depuis des générations, et notamment par Joseph Vargas, le fils du gardien du phare.

Mais les rapprochements entre les deux clans sont mal vus. Et alors que Miranda tisse des liens de plus en plus forts avec Joseph, un drame éclate qui va bouleverser le destin de chacun…

Dix-huit ans plus tard, c’est une Miranda accablée qui revient à Winthrop. Mais loin de lui apporter la paix qu’elle espérait, son retour va raviver des plaies laissées béantes. Quels lourds secrets planent sur cette île coupée du monde ? Miranda parviendra-t-elle à briser l’omerta ?

Ce que j’en pense :

Miranda Shuyler débarque pour la première fois sur Winthrop Island en juin 1951 pour assister au mariage de sa mère avec « le richissime » Hugh Fisher. Elle est accueillie par Isobel.

Il s’agit du deuxième mariage de sa mère, dont le premier mari, le père donc de Miranda, est mort sur le front, pendant la guerre, et c’est la même chose pour Hugh qui a divorcé d’Abigail, la mère d’Isobel. Mariage en grande pompe, départ pour le voyage de noces sur un yacht bien-sûr.

Mais, un drame va se produire et Miranda va quitter l’île pour n’y revenir que dix-huit ans plus tard. On a hâte de connaître le pourquoi du comment…

De sa fenêtre, Miranda aperçoit un pécheur en train de se noyer, et un jeune homme se porter à son secours. Il s’agit de Joseph Vargas. Les autres personnages, ne sont que des satellites pour corser un peu l’histoire, il faut bien qu’il y ait grands mariages, adultères, troussage de jupons sur les domestiques sinon …

Le découpage est intéressant, l’auteure raconte l’histoire sur les trois mois d’été, juin, juillet et août et pendant trois années essentielles :1930, 1951 et 1969 ; chaque partie consacrée à Bianca et Miranda autour desquelles tournent les autres personnages.

C’était une idée intéressante, du moins en théorie, car le statut des femmes a certes évolué entre les années trente et l’année où l’homme a marché sur la lune.

Hélas, on est dans les stéréotypes : les nantis d’un côté, qui viennent sur l’île uniquement l’été, qui ne font rien de leurs journées, à part picoler, et les insulaires, en général pauvres, qui vivent de la pèche. Bien-sûr, les rejetons mâles des premiers troussent les filles des seconds, mais ne se marient qu’entre gens de bonne famille…

J’ai trouvé dès le premier tiers du roman quel était le secret (les secrets ?) liant Bianca, Miranda, Isobel (insupportable cette femme, je dirai même plus horripilante) et le beau Joseph. Je suis allée au bout, uniquement pour savoir si j’avais raison, en comptant les pages qui restaient.

J’ai choisi ce roman, car j’avais besoin, encore un peu, de lectures faciles mais là, c’est le summum, on a même droit au milieu des stars, starlettes de cinéma avec des comportements à la Weinstein, et imaginer ces bourgeois oisifs tenter de regarder l’alunissage (qu’ils s’obstinent à qualifier atterrissage !) à la télévision, coupes de champagne à la main, c’est drôle mais affligeant. Ils avalent le champagne, comme le commun des mortels boit de l’eau, à n’importe quelle heure de la journée, et vomissent tout aussi allègrement.

Ils sont désabusés car leurs parents ont été des héros ou ont construit un empire et qu’il ne leur reste rien pour faire quelque chose de leur vie…

Heureusement, il y a quelques bouffées d’air pur dans ce roman, des citations de Shakespeare, notamment « La tempête » … sinon, je ne parlerai pas de l’écriture les extraits que je vous propose ci-dessous sont éloquents. On va dire que c’est une erreur de casting et passer illico presto à la lecture suivante!

En fait, la rédaction de cette critique est assez jouissive, j’ai retrouvé ma tendance à l’ironie et à la dérision (et aussi l’autodérision !). Les quelques neurones qui avaient survécu aux confinements covidiens ont dû se reconnecter et je pense même que d’autres se sont réveillés, car je retrouve mes centres d’intérêt habituels. OUF !  

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman ainsi que son auteure.

#BeatrizWilliams #NetGalleyFrance

5/10

L’auteure :

Beatriz Williams est née en 1972 à Washington. Après une carrière dans le conseil financier, elle s’est tournée vers l’écriture de romans historiques, publiés sous le nom de Juliana Gray. Après L’Été du cyclone vient la série des sœurs Schuyler : La Vie secrète de Violet Grant, Les Lumières de Cape Cod et Une maison sur l’océan et Un mariage en été, son cinquième roman publié aux éditions Belfond.

Extraits :

Ah, les parfums de l’enfance ! Même quand cette enfance a été courte et amère et s’est terminée en catastrophe, un horrible désastre, on se rappelle encore de ces petits bonheurs avec une langueur douloureuse.

Plus âgé que moi. Peut-être pas tant que ça, mais quand même. Pas un garçon, mais un adulte, un homme qui travaillait pour gagner sa croûte, alors que je n’étais encore qu’une enfant, je venais juste de finir ma scolarité. Dix-huit ans au mois de février. Dix-huit ans, mais huit ans dans ma tête, aussi naïve et inexpérimentée qu’un chaton.

A l’époque, maman était quelqu’un d’enfantin, et je le dis comme un compliment. Bien sûr, elle était intelligente, mais elle avait cette innocence si particulière, comme un petit agneau, et, avec la mort de mon père, cette innocence était probablement trahie pour la première fois.

C’est tellement chouette d’avoir de l’argent. Je ne sais pas comment je ferais sans. Je serais obligée de travailler ou un truc comme ça, sûrement a-t-elle dit en bâillant. Sauf que je suis comme papa, je ne sais rien faire, à part faire de la figuration et la conversation.

Ça semble peut-être ennuyeux à mourir pour vous et moi, je sais, mais au moins il faisait quelque chose, non ? Il gagnait sa vie au lieu de dépenser la fortune familiale en restant oisif.

Nous avons échangé les politesses d’usage. Livy et sa mère étaient très gentilles, très jolies, comme deux belles boules de glace vanille ; la jeune fille portait une robe semblable à une meringue au citron. Je me souviens avoir pensé qu’elles semblaient totalement inoffensives, dénuées de crocs et de serres.

Épouser les fils de bonne famille qu’on n’aime pas vraiment, avoir des enfants que l’on ne veut pas vraiment. Je te le dis, je ne le supporte plus. Je vais exploser…

Quand tu as tout raconté, Miranda, quand tu as parlé à la presse, ça, c’était le véritable crime. Tu sais, assassiner quelqu’un c’est une chose mais en parler aux journalistes ?

Lu en juillet 2021

« Femmes en colère » de Mathieu Menegaux

Après une première incursion dans l’univers de l’auteur, avec « Disparaître », j’ai eu envie de tenter l’aventure, avec le livre dont je vous parle aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :

Cour d’Assises de Rennes, juin 2020, fin des débats (auxquels le lecteur n’a pas assisté) : le président invite les jurés à se retirer pour rejoindre la salle des délibérations. Ils tiennent entre leurs mains le sort d’une femme, Mathilde Collignon. Qu’a-t-elle fait ? Doit-on se fier à ce que nous apprennent les délibérations à huit-clos, ou à ce que révèle le journal que rédige la prévenue qui attend le prononcé du jugement ?

Accusée de s’être vengée de manière barbare de deux hommes ayant abusé d’elle dans des circonstances très particulières, Mathilde Collignon ne clame pas son innocence, mais réclame justice. Son acte a été commenté dans le monde entier et son procès est au cœur de toutes les polémiques et de toutes les passions. Trois magistrats et six jurés populaires sont appelés à trancher. Doivent-ils faire preuve de clémence ou de sévérité ? Vont-ils privilégier la punition, au nom des principes, ou le pardon, au nom de l’humanité ? Avoir été victime justifie-t-il de devenir bourreau ?

Nous plongeons en apnée dans cette salle des délibérations d’un jury de cour d’assises. Neuf hommes et femmes en colère qui projettent sciemment ou inconsciemment sur l’écran de cette affaire le film intérieur de leur propre existence.

Ce que j’en pense :

A la suite du long réquisitoire de l’avocat général qui se termine, après un long silence savamment entretenu (une aposiopèse) sur une demande de vingt ans de prison. L’accusée, Mathilde Collignon, se rend compte qu’elle avait sous-estimé son acte. On ne sait pas de quoi, il s’agit, car le livre commence sur ce réquisitoire.

Ensuite, le jury est appelé à se retirer pour délibérer sous la houlette du juge Largeron qui, entre parenthèses s’est rué sur le dossier pour faire un coup d’éclat. Nous aurons accès aux délibérations et en apprendre plus sur ce qu’a fait Mathilde.

Elle est gynécologue en milieu hospitalier, divorcée, mère de deux enfants et, ô scandale, elle aime le sexe via un site de rencontre sur une application. Un jour, elle se rend chez l’un des hommes avec lequel elle a pris rendez-vous, et va se faire violer par lui et son copain avec toute la violence qu’on peut imaginer, viol sodomie coups…

Elle a le courage de s’enfuir et sous l’effet du traumatisme, décide de ne pas aller raconter ce viol à la police, car elle n’a pas envie d’entrer dans certains détails, et sait par expérience (des patientes lui en ont parlé) que la bienveillance n’est pas toujours au rendez-vous et qu’au procès, si procès il y a les violeurs disent toujours que la victime était consentante. Elle va mûrir sa vengeance…

Mathieu Menegaux explore tous les tenants et aboutissants, les violeurs qui se présentent en victimes, les juges ou jurés qui pensent qu’elle a inventé le viol, pour s’en prendre aux hommes (me-too à l’envers), la notion de consentements, le fait de ne pas se faire justice soi-même. En tout cas, je vous laisse découvrir la manière dont Mathilde s’est vengée et ce qui en a découlé, avec une mise en accusation pour « torture et acte de barbarie ». c’est étrange, quand même de constater que le viol n’est pas considéré  comme un acte de barbarie, alors qu’il a été largement utilisé pendant la guerre dans l’Ex-Yougoslavie par exemple pour réduire les femmes au silence et les briser à jamais…

Les échanges entre les jurées femmes et les hommes sont à la limite du supportable, tout comme le fait que ce sont des hommes qui ont mené l’enquête, mis en examen, emprisonné… Sans oublier que nous sommes à l’heure et l’ère des réseaux sociaux avec des échanges musclés des me-too balance ton porc d’un côté et les intégristes de la condition masculine de l’autre. Et cela a forcément des répercussions sur la réflexion du jury.

Ce roman fait donc réfléchir, on ne sait pas ce qu’on aurait pu faire, à la place de Mathilde, les trucider ou faire confiance à la justice ? Je suis passée par différents stades, la colère, l’empathie limitée à l’égard de Mathilde qui ne montre aucun regret ou remords, l’envie de frapper les deux hommes du jury : une femme dit aimer le sexe est forcément une folle dépravée, qui a bien mérité ce qui lui est arrivé (on est en 2021, il me semble, ou alors c’est ma mémoire qui me joue des tours ?) alors que dix minutes avant, les mêmes affirmaient qu’elle avait inventé le viol…

Moralité de l’histoire : comment gérer l’intime conviction ? Et juger en toute impartialité ?

C’est ma deuxième incursion dans l’univers de Mathieu Menegaux dont j’avais plutôt apprécié « Disparaître » et   j’ai beaucoup aimé ce livre avec des rebondissements, une évolution des jurés (certains du moins !) au cours des délibérés avec un juge dont les certitudes vont être chahutées.

Je tiens à préciser au passage que je ne suis pas passionnée par les tribunaux, les jugements, les prétoires, les plaidoiries, je préfère en général le côté « enquête policière », aussi bien dans les livres que dans les séries télévisées, donc je suis sortie de ma zone de confort et c’est une expérience intéressante.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis  de découvrir ce livre et de retrouver son auteur.

#Femmesencolère #NetGalleyFrance

8/10

L’auteur :

Mathieu Menegaux est né en 1967. Il est l’auteur Je me suis tue (Grasset, 2015, Points 2017), primé aux Journées du Livre de Sablet, Un fils parfait(Grasset, 2017, Points 2018), prix Claude Chabrol du roman noir, porté à l’écran en 2019 (France 2), Est-ce ainsi que les hommes jugent ? (Grasset, 2018, Points, 2019), prix Yourcenar, en cours d’adaptation pour la télévision, et de Disparaître(Grasset, 2020, Points, 2021).

Extraits :

Moi qui ai répondu aux questions de la cour sans ressentiment, sans haine, sans rien masquer de la violence que j’ai subie ni de celle que j’ai infligée à mon tour. Moi qui ai cru, naïve, que les hommes pourraient faire montre de clémence à défaut de m’accorder leur pardon. Une barbare, donc. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, j’étais accusée d’être un monstre froid, calculateur, incapable de repentir et privé de conscience…

Pour mon malheur, l’avocat général s’est révélé excellent orateur. Alternant les crescendos et les andantes, il a ménagé son effet final par une interminable aposiopèse, afin d’être bien certain de capter l’attention de la salle tout entière suspendues à ses lèvres.

La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? »

Aux États-Unis, les jurés sont livrés à eux-mêmes, et doivent revenir avec un verdict unanime, dans quarante-huit états sur cinquante. La réalité des délibérés en France est plus prosaïque : un jury se compose de six jurés et trois magistrats professionnels, lors d’un procès de première instance. Le peuple est souverain, certes, mais il a semblé bon au législateur qu’il soit guidé parla présence des magistrats lors des délibérations. Quant au verdict de culpabilité, il n’a pas besoin de recueillir l’unanimité. Il repose sur une majorité des deux tiers, six jurés sur neuf…

Seul le droit nous permet de vivre ensemble, et il constitue le dernier rempart contre le populisme. « Continuez à bafouer le droit, laissez l’opinion juger à l’emporte-pièce, à coups de tweets et de posts, imposez l’instantanéité, et vous récolterez à coup sûr le chaos et la dictature. » avait déclaré Largeron…

Il s’agit d’une maladie. Comme les homosexuels jadis, qu’il fallait soigner ou exorciser, les femmes qui avouent aimer le sexe relèvent de la pathologie. Je ne connais pas d’équivalent masculin de « nymphomane » pour un homme. Un Dom Juan, c’est chic. Casanova idem. Rien qui nécessite un séjour en asile psychiatrique.

Le procès, qui devait être l’occasion de former leur jugement, n’est vu par certains jurés qu’au travers d’un colossal biais de confirmation. Tout ce qui conforte leur thèse est vrai, ce qui la déstabilise est mensonge, et ce qui manque est dissimulation.

Lu en avril-mai 2021

« Attalea princeps » de Vselovod Garchine

Pour clore ce challenge, je vous parle aujourd’hui d’une nouvelle et d’un auteur russe du XIXe siècle que je ne connaissais pas :

Ce que j’en pense :

C’est l’histoire d’Attalea Princeps, un palmier originaire du Brésil qui vit (cohabite plutôt) avec d’autres arbres exotiques dans une superbe serre, sous la férule d’un conservateur imbu de lui-même. Un jour, un Brésilien, en visite, raconte que cet arbre est un palmier très répandu dans son pays. Le gardien des lieux outragé, répond que c’est un spécimen avec donc un nom latin, étalant sa science alors notre touriste s’en va au grand désespoir de l’arbre qui, s’étant enfin senti compris, espérait repartir avec lui.

Il n’est pas aimé des autres arbres, qui sont jaloux, seule une petite herbe l’écoute et le soutient, s’enroulant amoureusement autour de son tronc. Le palmier est triste et n’a plus qu’une envie, grandir le plus possible, pour crever le plafond de verre et aller toucher le ciel.

Vsevolod Garchine, nous propose ici, beaucoup plus qu’un récit, il s’agit d’un conte philosophique. On comprend très vite, qu’il faut lire ce texte au second degré, le premier étant destiné à échapper à la censure. La serre représente la prison, (le goulag) dans laquelle le tar envoie les dissidents, voire carrément le tsarisme, la solitude de l’intellectuel, les autres arbres qui se moquent, les codétenus prêts à moucharder.

On ne peut pas avoir d’amis dans cet univers clos, sauf parfois quelqu’un qui soutient moralement ou physiquement, comme la petite herbe aux feuilles fanées du récit, qui va soutenir son champion, l’encourager dans sa tentative d’évasion, d’aspiration à un ailleurs. Mais, cela va mal se terminer, car s’il réussit à briser l’armature, la liberté n’aura pas le goût escompté, et ce ne sera rien de plus qu’un mirage, une illusion.  

Ce texte est plein de poésie, et se déguste avec lenteur et compassion. J’ai aimé le thème et l’écriture, la manière dont l’auteur tente de s’exprimer, à la recherche de la liberté (d’expression).

Vsevolod Garchine qui, je le rappelle est mort en 1888, à l’âge de trente-trois ans, livre avec cette nouvelle une analyse du régime tsariste dont l’autoritarisme l’étouffe peu à peu. Alexandre II qui était un grand réformateur à qui on doit l’abolition du servage, a été assassiné en 1881, ce qui a mis fin aux réformes libérales, et donc aux illusions. L’auteur a une vision sombre et mélancolique de sa Russie qu’il aime tant et pourtant son écriture est lumineuse.

Un grand merci au site Littérature russe et slave qui m’a permis cette nouvelle découverte, une pépite de plus, et comme je le redoutais, ma chronique est presque aussi longue que la nouvelle elle-même (14 pages seulement mais d’une telle densité !) Ce récit revêt une connotation particulière, ces derniers temps, car comment ne pas mettre l’histoire de notre palmier avec celle d’Alexeï Navalny, bouclé dans sa colonie pénitentiaire, sous le règne d’un nouveau tsar qui n’a rien à envier à ceux qui ont gouverné la Russie autrefois.

9/10

L’auteur :

Vsevolod Mikhaïlovitch Garchine (Все́волод Миха́йлович Гаршин)1855 1888 était un nouvelliste russe.

Il naît à Priyatnaïa Dolina, dans la province de Ekaterinoslav Ses parents divorcent et sa mère l’emmène en 1863 à Saint-Pétersbourg, où il fréquente le lycée de 1864 à 1874. Il s’inscrit ensuite à l’École des Mines, mais ne parvient pas à obtenir le diplôme d’ingénieur.

Durant la Guerre russo-turque de 1877-1878, ce pacifiste se porte volontaire comme simple soldat dans l’infanterie. Il est apprécié dans son unité, aussi bien de ses camarades que des officiers. Il est blessé dans une bataille en Bulgarie et restera durablement marqué psychologiquement par la guerre.

Ses expériences militaires lui fournissent la base de ses premières nouvelles, dont la toute première, « Quatre jours », œuvre forte inspirée d’un incident réel. Le récit se présente comme le monologue intérieur d’un soldat blessé et laissé pour mort sur le champ de bataille pendant quatre jours, face à face avec le cadavre d’un soldat turc qu’il vient de tuer.


En dépit de succès littéraires précoces, Garchine est tourmenté périodiquement par des accès de maladie mentale. Le 31 mars 1888, à l’âge de 33 ans, en état de profonde dépression, il se suicide en sautant dans l’escalier de l’immeuble pétersbourgeois, où il habitait au cinquième étage.

Il laisse une œuvre relativement mince composée d’une vingtaine de nouvelles dans lesquelles s’expriment une sensibilité mélancolique teintée d’angoisse et d’absurde. Une œuvre brève mais importante tant l’écriture de Garchine peut rappeler celle d’Anton Tchékhov.

Sa nouvelle la plus connue, « La fleur rouge » évoque les asiles d’aliénés.

Extraits :

La serre était belle, surtout quand le soleil se couchait et l’éclairait de sa lumière rouge. Alors, elle s’embrasait tout entière ; des reflets rougeâtres se jouaient et se transfusaient, comme dans une grande pierre précieuse finement taillée.

On apercevait, à travers les gros carreaux transparents, les plantes enfermées dans la serre. Mais, malgré la grandeur de celle-ci, elles y étaient à l’étroit. Les racines se confondaient et s’enlevaient l’une à l’autre l’humidité et la nourriture…

La bise soufflait violemment, battait les châssis et les faisait trembler. Le toit se couvrait de neige. Les plantes se dressaient et écoutaient le hurlement du vent ; elles se souvenaient alors d’un autre vient, tiède, moite, qui leur donnait la vie et la santé.

Il (le palmier) s’élevait à cinq toises au-dessus des cimes de tous les autres arbres ; ceux-ci ne l’aimaient pas, l’enviaient et le considéraient comme un orgueilleux. Sa haute taille ne lui causait que du chagrin, tous les autres étaient réunis et Attalea restait isolé.

Seule, une toute petite herbe n’avait pas d’animosité contre le palmier et ne se fâchait pas de ses discours. C’était la plus pitoyable et la plus misérable de toutes, faible, décolorée, rampante, avec de grosses feuilles fanées.

  • Oui, je vous ai encouragé, mais je ne savais pas que c’était si difficile. Je vous plains, vous souffrez tant.
  • Tais-toi, petite plante ! Ne t’apitoie pas sur moi !   Je mourrai ou je m’affranchirai.

Lu en mars 2021