« Le Mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli

Cela faisait longtemps que je patientais sur la liste d’attente de la bibliothèque pour avoir accès au roman dont je vous parle aujourd’hui, mais cela en valait vraiment la peine :

Résumé de l’éditeur :

On l’appelait le « mage du Kremlin ». L’énigmatique Vadim Baranov fut metteur en scène puis producteur d’émissions de télé-réalité avant de devenir l’éminence grise de Poutine, dit le Tsar. Après sa démission du poste de conseiller politique, les légendes sur son compte se multiplient, sans que nul puisse démêler le faux du vrai. Jusqu’à ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre…


Ce récit nous plonge au cœur du pouvoir russe, où courtisans et oligarques se livrent une guerre de tous les instants. Et où Vadim, devenu le principal spin doctor du régime, transforme un pays entier en un théâtre politique, où il n’est d’autre réalité que l’accomplissement des souhaits du Tsar. Mais Vadim n’est pas un ambitieux comme les autres : entraîné dans les arcanes de plus en plus sombres du système qu’il a contribué à construire, ce poète égaré parmi les loups fera tout pour s’en sortir.


De la guerre en Tchétchénie à la crise ukrainienne, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, Le mage du Kremlin est le grand roman de la Russie contemporaine. Dévoilant les dessous de l’ère Poutine, il offre une sublime méditation sur le pouvoir.


Grand prix du roman de l’Académie Française 2022

Ce que j’en pense :

Ce récit nous plonge dans l’histoire de Vadim Baranov, homme de théâtre à la base, qui va participer à l’accession au trône, pardon au pouvoir de Vladimir Poutine. Vadim menait une vie plutôt tranquille, à l’ombre d’un père, fonctionnaire communiste entièrement dévoué à l’URSS, alors que son grand-père avait plutôt servi le Tsar Nicolas II. Il reçoit l’auteur dans la maison familiale dans laquelle il vit désormais, entouré des livres de son aïeul.

Vadim a été amené à rencontrer Poutine, alors à la tête du FSB, par son ami Berezovski, directeur d’une chaîne de télévision, qui craint la fin de l’ère Eltsine, qui pourrait l’éloigner du pouvoir. Ils décident de convaincre Poutine, de devenir le nouveau premier ministre, l’auréole de Primakov commence à se ternir, et de toute manière personne de sera surpris, Eltsine, changeant de premier ministre tous les mois, voire davantage, selon son taux d’alcoolémie, ou son état physique après un nouvel AVC.

J’ai apprécié comme il se doit la scène dantesque au FSB ex KGB où il fait semblant de se faire prier, convaincre de son destin futur, affirmant que son poste est nettement plus intéressant alors qu’il a déjà pris sa décision au fond de lui, déjà le Tsar pointe sous Volodia…

Vadim va devenir l’éminence grise de Poutine, le nouveau Raspoutine grincent certains politiques gravitant autour du Tsar et raconter la transformation de Poutine, la révélation plutôt car il n’a plus besoin de dissimuler ses opinions, son manque l’empathie, son goût du pouvoir absolu… Tout est bon pour que la Russie redevienne la puissance d’autrefois sur l’échiquier politique. Pour lui, les Occidentaux sont la cause de tout, (et pourquoi pas la CIA derrière Gorbatchev, ou manipulant Eltsine tant qu’on y est!!!). Il n’a jamais pu digérer le fou rire de Clinton lors de sa conférence avec Eltsine et encore moins le fait d’être accueilli à son premier G20 comme une république de seconde zoné : crime de lèse-majesté.

On va revisiter la tragédie du Kourtsk, la manière dont il s’est servi des jeux olympiques de Sotchi pour montrer sa puissance et son taux de testostérone, (tout le monde connaît les photos du Tsar torse nu à cheval, ou pêchant un saumon ou encore ses matches de Hockey avec son ami Loukachenko) à la manière d’un certain Adolf Hitler aux jeux de Berlin, sa vision de l’Ukraine, et comment la remettre au pas quitte à la détruire, les assassinats de ceux qui lui font de l’ombre…

Giuliano da Empoli nous entraine aussi sur les traces des oligarques qui ont fleuri sous l’ère de Boris Eltsine et qui vont tomber en disgrâce les uns après les autres : Khodorkovski, Federovski, Limonov, et l’inspirateur du groupe Wagner tristement célèbre… mais, « en Russie, on se tait ou on s’en va »

J’ai beaucoup aimé ce roman, je connaissais bien la manière dont on était allé le chercher au FSB pensant le manœuvrer comme une marionnette, mais je ne savais pas qui étaient les apprentis sorciers, et je connaissais moins les ficelles du Kremlin, qui fonctionne comme au temps du Tsar, avec les courtisans.

Je me suis toujours méfiée de Vladimir, dès que je l’ai vu pour la première fois sur les écrans, la froideur métallique de son regard ne présageait rien de bon et comme Vadim je l’ai surnommé le Tsar de toutes les Russies dès le début. Sur le plan psychologique il a une personnalité très intéressante comme tous les dictateurs avec lesquels il ne sert à rien de discuter, ils veulent passer en force… J’espère que l’on ne retrouvera pas Vadim Baranov suicidé mystérieusement en se jetant du quatrième étage d’un hôtel, car ce mode de « suicide » est très courant dans l’entourage du Tsar…

Ce livre a reçu le grand prix de l’Académie Française, un prix bien mérité.

9/10

D’origine italienne, Giuliano da Empoli est essayiste et conseiller politique. Son dernier livre, « Les ingénieurs du chaos », consacré aux nouveaux maîtres de la propagande politique, a été traduit en douze langues. « Le mage du Kremlin » est son premier roman.

Extraits :

Il avait démarré trop tôt et maintenant il s’ennuyait. De lui-même surtout. Et du Tsar. Qui lui en revanche ne s’ennuyait jamais. Et s’en rendait compte. Et commençait à le haïr. Quoi ? Je t’ai conduit jusqu’ici et tu as le courage de t’ennuyer ? Il ne faut jamais sous-estimer la nature sentimentale des rapports politiques.

Dans les années vingt, Zamiatine et Staline sont deux artistes d’avant-garde qui rivalisent pour la suprématie. Les forces en présence sont disproportionnées bien sûr ; car le matériau de Staline est la chair et le sang des hommes, sa toile, une nation immense, son public tous les habitants de la planète qui murmurent avec révérence son nom dans des centaines de langues.

Ce que le poète réalise en imagination, le démiurge prétend l’imposer sur la scène de l’histoire mondiale.

Quand on y pense, reprit-il, la première moitié du vingtième siècle n’aura, au fond, été que cela : un affrontement titanesque entre artistes, Staline, Hitler, Churchill. Puis sont arrivés les bureaucrates, car le monde avait besoin de se reposer.

Chez vous, l’argent est essentiel, c’est la base de tout. Ici, je vous assure, ce n’est pas comme ça. Seul le privilège compte en Russie, la proximité du pouvoir. Tout le reste est accessoire. C’était comme ça du temps du tsar et pendant les années communistes encore plus. Le système soviétique était fondé sur le statut. L’argent ne comptait pas. Il y en avait peu en circulation et il était de toute façon inutile.

On n’échappe pas à son destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le Terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les opritchniki, les chiens de garde du tsar…

Les russes ne sont pas et ne seront jamais comme les Américains. Cela ne leur suffit pas de mettre de l’argent de côté pour s’acheter un lave-vaisselle. Ils veulent faire partie de quelque chose d’unique. Ils sont prêts à se sacrifier pour cela. Nous avons le devoir de leur restituer une perspective qui aille au-delà du prochain versement mensuel pour la voiture. Dixit Berezovski, homme qui s’est plus qu’enrichi sous le règne de Eltsine…

A cette époque, le Tsar n’était pas encore le Tsar ; de ses gestes n’émanait pas l’autorité inflexible qu’ils acquerraient par la suite et, bien que dans son regard on devinât déjà la qualité minérale que nous lui connaissons aujourd’hui, celle-ci était comme voilée par l’effort conscient de la tenir sous contrôle. Cela dit, sa présence transmettait un sentiment de calme…

Je notais pour la première fois la complète indifférence de Poutine à la nourriture, comme il m’arriverait plus tard de constater la parfaite insensibilité du Tsar aux plaisirs qui adoucissent la vie. Comme dit Faust : « qui commande doit trouver son bonheur dans le commandement ».

Le fonctionnaire ascétique s’était soudainement transformé en archange de la mort. C’était la première fois que j’assistais à un phénomène de ce genre. Jamais, même sur les scènes des meilleurs théâtres, je n’avais été témoin d’une transfiguration de ce genre.

Comme touts les grands politiques, il appartient au troisième type (d’acteur) : l’acteur qui se met lui-même en scène, qui n’a pas besoin de jouer parce qu’il est à tel point pénétré par le rôle que l’intrigue de la pièce est devenue son histoire, elle coule dans ses veines…

Disons-le franchement, il n’y a pas de dictateur plus sanguinaire que le peuple ; seule la main sévère mais juste du chef peut en tempérer la fureur…

Ton chef travaillait pour le contre-espionnage. Ce n’est pas la même chose du tout ! Tu sais quelle est la différence ? Que les espions cherchent des informations exactes, c’est leur métier. Le métier des gens du contre-espionnage en revanche est d’être paranoïaques. Voir des complots partout, des traitres, les inventer quand on en a besoin : ils ont été formés comme ça, la paranoïa fait partie de leurs obligations professionnelles.

A ce jeu-là ; vous les Occidentaux êtes les meilleurs. Toute votre vision du monde est fondée sur le désir d’éviter les accidents. De réduire le territoire des incertitudes afin que la raison règne, suprême. Nous au contraire, nous avons compris que le chaos est notre ami, à dire vrai, notre seule possibilité.

J’ai toujours pensé que parmi les choses que la politique a en commun avec la mafia, il y a le fait qu’on ne prend pas sa retraite. On ne peut pas se retirer et mettre à faire quelque chose d’autre.

Ç’a été la même chose dans les autres cas : le colonel, l’avocat, cette célèbre journaliste. Tu le sais parfaitement Vadia, ce n’était pas nous. Nous, nous ne faisons rien : nous créons juste les conditions d’une possibilité.

Que veux-tu que la Russie fasse de deux régions de plus ? On a repris la Crimée parce qu’elle était à nous, mais le but ici est différent. Ici, notre objectif n’est pas la conquête, c’est le chaos. Tout le monde doit voir que la révolution orange a précipité l’Ukraine dans l’anarchie. Quand on commet l’erreur de se confier aux Occidentaux, cela finit ainsi : ceux-ci te laissent tomber à la première difficulté et tu restes tout seul face à un pays détruit.

Lu en janvier 2023

« L’été où tout a fondu » de Tiffany McDaniel

Il y a plusieurs mois que j’avais envie de lire ce roman et de retrouver la plume de l’auteure, mais j’ai dû patienter car la liste d’attente à la médiathèque était longue, mais cela valait le coup d’attendre :

Quatrième de couverture :

Été 1984 à Breathed, Ohio. Hanté par la lutte entre le bien et le mal, le procureur Autopsy Bliss publie une annonce dans le journal local : il invite le diable à venir lui rendre visite. Le lendemain, son fils Fielding découvre un jeune garçon à la peau noire et aux yeux d’un vert intense, planté devant le tribunal, qui se présente comme le diable en personne. Cet enfant à l’âme meurtrie, heureux d’être enfin le bienvenu quelque part, serait-il vraiment l’incarnation du mal ? Dubitatifs, les adultes le croient en fugue d’une des fermes voisines, et le shérif lance son enquête. Se produisent alors des événements étranges qui affectent tous les habitants de Breathed, tandis qu’une vague de chaleur infernale frappe la petite ville.

Porté par une écriture incandescente, L’Été où tout a fondu raconte la quête d’une innocence perdue et vient confirmer le talent exceptionnel d’une romancière à l’imaginaire flamboyant.

Ce que j’en pense :

Durant l’été 1984, le procureur Autopsy Bliss, préoccupé depuis longtemps par la lutte entre le bien et le mal, a une idée étrange : publier dans le journal local une annonce où il invite le diable à se présenter devant sa porte. Fielding, le fils du procureur croise devant le tribunal, un jeune garçon noir âgé de treize ans, Sal, qui affirme être le diable et avoir répondu à l’annonce.

Autopsy l’invite dans sa maison, lui présente son épouse, qui ne sort jamais de chez elle car elle a peur de la pluie, et son fils aîné Grand. Ce jeune garçon est étonnant, par ses connaissances, donnant parfois l’impression d’avoir eu plusieurs vies ce qui sème le désarroi dans la petite ville de Breathed, chacun y allant de sa théorie. Pour le procureur il s’agit probablement d’un adolescent fugueur et aidé du shériff, il va recenser tous les enfants de cet âge portés disparus.

Nous sommes en été, et une vague de canicule s’abat sur la région, échauffant les esprits. Dès que survient un évènement un peu étrange, tous les soupçons se portent sur le diable bien évidemment. Par exemple, une femme enceinte fait une chute alors que Sal lui a simplement demandé s’il pouvait toucher son ventre… tous les habitants ont les yeux braqués sur la santé de la jeune femme et c’est forcément Sal qui l’a poussée…

Avec la canicule et ses conséquences difficiles sur la vie de chacun, tout risque de déraper à chaque seconde, les humains ont besoin d’un bouc émissaire c’est connu, et sous les prêches d’un messie autoproclamé, commencent des incantations, des rituels sur fond d’un racisme latent qui tout à coup est exacerbé, savamment entretenu…

La famille Bliss a bien accueilli Sal et tout se passe bien chez eux, comme deux mondes totalement opposés jusqu’à ce que tout explose…

Tiffany McDaniel a choisi de laisser la parole à Fielding, devenu vieux et solitaire pour raconter l’histoire, alternant ainsi passé et présent, ce qui attise le feu qui couve… elle dénonce, tour à tour, le racisme dans l’Ohio, l’intolérance envers les Noirs, les Etrangers en général, les homosexuels, dans cette année 1984 où l’ombre du SIDA plane déjà, l’obscurantisme : tout ce qui n’est pas comme nous, nous dérange, et il suffit d’une étincelle pour que tout flambe.

L’écriture est belle pleine de poésie, mais d’une intensité proportionnelle à la canicule, et l’auteure commence chacun des chapitres par une citation de Milton, extraite de « Paradis perdu » que je ne connaissais pas et qui a rejoint illico ma PAL.

J’ai choisi ce roman, à la médiathèque, car j’avais eu un coup de cœur pour « Betty », le précédent roman de Tiffany McDaniel et la magie à une nouvelle fois opéré, ce roman m’a vraiment plu, l’histoire les personnages, la démonstration magistrale de l’intolérance, du fanatisme religieux et de l’effet meute que peuvent entraîner les dérives sectaires car certaines scènes sont dures, même si on les sent arriver.

Je mettrais un tout petit bémol, je le trouve un peu moins abouti que Betty que j’ai préféré et l’avalanche de catastrophes m’a quand même déstabilisée.

9/10

D’autres avis: https://pamolico.wordpress.com/2022/08/29/lete-ou-tout-a-fondu-tiffany-mcdaniel/

http://: https://www.bulledemanou.com..

Tiffany McDaniel est née dans l’Ohio. Elle est romancière, poétesse et plasticienne. Betty dont elle a commencé l’écriture à l’âge de dix-huit ans, est paru en France en 2020 et a remporté un succès extraordinaire, avec sept prix littéraires.

Extraits :

Dans leur ensemble les années 1980 devaient s’avérer particulièrement active pour le diable. A cette époque-là, ses cornes n’étaient jamais bien loin. Le satanisme était à son apogée et ses sectes hystériques affichaient leur arrogance. Au cours de cette décennie, la peur avait pris la forme d’un quadrilatère afin de mieux s’emboîter dans nos maisons, dans nos petites vies bien rangées, bien carrées.

Breathed devait voir son diable arriver dans des conditions bien différentes. L’homme qui l’a invité n’était autre que mon père, Autopsy Bliss. Autopsy est un prénom des plus étranges pour un homme, mais sa mère était aussi une femme des plus étranges…

Ma chère maman, Dieu ait son âme, disait toujours qu’un garçon noir n’est bon que jusqu’à l’âge de treize ans. Après, il est parti pour devenir un homme, et un homme noir est un bon à rien, surtout depuis qu’ils ont voté toutes ces lois sur l’emploi de ces gens-là…

La mélancolie est une femme dont les côtes sont comme des clous et les mensonges comme des marteaux. Le mensonge de ma mère était que notre maison pouvait lui suffire. Que les pays qu’elle y créait pouvaient l’empêcher d’avoir l’impression qu’elle ratait quelque chose. Ce que redoute une femme cloitrée dans sa maison, ce n’est pas le couteau dans le tiroir de la cuisine. C’est que l’extérieur ne soit mieux.

Nous étions tous à haut risque. Cette canicule provoquait des palpitations, des fièvres, des choses dont on n’arrivait pas à se libérer. Elle agissait comme le parfait révélateur de toute douleur, de toute frustration, de toute colère, de toute perte. Elle faisait tout remonter à la surface, elle faisait tout transpirer.

Le garçon ne peut se rapprocher du bonheur si la fille qu’il aime n’est pas disposée à l’accompagner. Il peut toujours grandir, emprunter un smoking, un lever de soleil, une lune de miel sous les tropiques, mais sans elle, rien de tout cela ne sera à lui. Elle était sa vérité, sa sagesse, et sans elle, il n’était qu’in crétin. Rien qu’un imbécile menant une vie idiote.

LA FOLIE. Un violon qui nous accompagne partout lorsqu’elle est dans notre tête, un chaos absurde lorsqu’elle est à l’extérieur de nous. En fin de compte, n’est-ce-pas cela la folie ? La clarté pour celui qui voit à travers elle, l’aberration pour le monde qui en est témoin.

Lu en novembre 2022

« Un miracle » de Victoria Mas

Destination la Bretagne aujourd’hui, plus précisément l’île de Batz, au large de Roscoff, avec ce roman :

Quatrième de couverture :

Une prophétie. Une île du Finistère Nord. Les visions d’un adolescent fragile. Et, au-delà de tout, jusqu’à la folie, le désir de croire à l’invisible.

Après « Le bal des folles », Victoria Mas affirme la puissance de son univers singulier et de son écriture.

Ce que j’en pense :

Tout commence par une prophétie : une des congénères de sœur Anne, religieuse chez « Les Filles de la Charité », lui affirme que la Vierge va lui apparaître en Bretagne. Elle s’y rend en mission, mais en fait c’est à un enfant, Isaac, qu’elle apparaît. Désillusion donc.

La famille Bourdieu, catholique pratiquante de manière assidue est venue s’installer sur l’île de Batz pour tenter d’améliorer l’asthme dont souffre sa fille Julia. Cette famille est étrange, avec le père quasi intégriste, la mère soumise, un fils décédé au combat, et le deuxième, Hugo, passionné d’astronomie qui explore le ciel avec sa lunette.

Du côté d’Isaac, la famille n’est guère folichonne non plus : la mère est décédée et le père est incapable de faire son deuil ; l’enfant mange grâce à Madenn l’aubergiste, croyante et pratiquante mais sans tomber dans l’excès. Isaac et Hugo deviennent amis.

Victoria Mas nous entraîne dans un monde mystico-religieux, dressant un portrait élaboré de ses personnages, dénonçant les dérives de la pratique pratiquement intégriste que Michel Bourdieu impose à sa famille, détestant pratiquement ce fils de seize ans qu’il ne comprend pas et compare sans cesse à son fils aîné mort au combat : un homme, un vrai, lui ! et puis quelle idée de scruter ainsi le ciel, pour lui il ne peut en arriver que des menaces d’apocalypse…

En face, on a une religieuse qui ne supporte pas qu’Isaac voit la Vierge et pas elle, donc jalousie, comportement intolérant à l’égard d’autrui…

J’ai été plutôt déçue par ce roman, et la fin m’a laissée assez perplexe. Les intégrismes religieux me heurtent c’est un fait, mais le père relève de la psychiatrie, son intransigeance à l’égard de son fils s’apparente à de la maltraitance, ainsi que la manière dont il veut instaurer sa domination sur les autres personnes ou encore le mépris qu’il éprouve envers ce qu’il appelle ma société actuelle. Je n’ai pas encore lu « Le bal des folles » de l’auteure, qui m’attend depuis sa sortie, et j’espère qu’il me plaira davantage.

Dans les prochains jours, je parlerai d’un coup de cœur et d’un autre livre qui m’a beaucoup plu…

6/10

Après des débuts au cinéma, Victoria Mas (qui est la fille de Jeanne Mas) signe son premier roman chez Albin Michel en 2019. Prix Renaudot des lycéens, « Le bal des folles » est un best-seller.

Extraits :

Michel Bourdieu se retourna enfin, toisa à l’entrée du salon ce second fils qui n’avait ni la carrure ni l’aplomb du premier, dont la présence seule suffisait à soulever en lui un mépris qui lui échappait encore. Certains enfants se résument à ceux qu’on leur préfère.

Car il fallait obéir, oui, se soumettre au plus grand, reconnaître le sacré et tendre vers le divin, et c’est parce que l’homme contemporain l’avait négligé, parce qu’il avait cru s’émanciper en désacralisant toute chose, qu’il causait l’effondrement de son temps…

Il contemplait le ciel, voyant passer les nuages épais et mauves, ou était-ce autre chose qu’il regardait, la ronde des goélands au-dessus de la côte, la lune croissante qui apparaissait déjà, une lueur particulière que lui seul cavait voir. A nouveau son nom résonna dans le vide, écho d’un monde auquel il n’appartenait plus, pareil aux morts qui tentent en vain d’être entendus des vivants.

Aucun homme n’éprouve jamais l’impéritie autant qu’un père…

Ce second fils lui inspirait une hostilité qui le dépassait. Son esprit était sans doute trop différent du sien, sa sensibilité trop affinée aussi, manquant d’une fermeté qu’il estimait nécessaire en tout homme. Il avait tenté de l’apprécier pourtant, avait essayé de trouver des qualités à ce fils qui ne lui ressemblait par aucun trait. Cet effort avait été au-delà de sa volonté ; certains enfants devaient au mieux se tolérer.

Lu en novembre 2022

« Quand tu écouteras cette chanson » de Lola Lafon

Comme vous le savez, j’apprécie beaucoup la série « une nuit au musée » avec deux livres en particulier, l’amour que m’a transmis Leonor de Recondo pour El Greco et l’hommage que Lydie Salvayre rend au célèbre « Homme qui marche » alors comment résister à ce nouvel opus, dont je vous parle aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :

Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?

Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.

Ce que j’en pense :

Dans le cadre de la collection « Une nuit au musée », Lola Lafon a choisi le musée Anne Frank, à Amsterdam, dans l’Annexe pour être plus précise, sur les lieux où la jeune fille a vécu, en recluse avec sa famille de l’été 42 à l’été 44, avant d’être déportée et être assassinée au camp de Bergen-Belsen. Seul, Otto Frank reviendra de l’enfer des camps.

J’aime beaucoup cette collection « Ma nuit au musée » (j’en ai lu plusieurs) mais celui-ci me tentait encore plus car une nuit au musée Anne Frank qui n’a pas rêvé de visiter cette maison où la jeune fille a écrit son journal, mettre ses pas dans ce qui fut son dernier logement.

Comme tout le monde ou presque, j’ai lu ce journal il y a très, très longtemps et il reste encore présent dans ma mémoire, mais Lola Lafon m’a donné envie de le ressortir, de le relire à la lumière de ce que j’ai appris durant cette nuit.

On se rend compte de l’étroitesse des lieux, de la nécessité de vivre et marcher à pas de loups pour ne pas attirer l’attention, se contenter de peu. Cette expérience doit vraiment marquer profondément la personne qui accepte de vivre de tels instants.

J’ai aimé la manière dont l’auteure hésite à mettre ses pas dans ceux d’Anne, se cachant souvent derrière les citations d’autres auteurs comme si elle ne se donnait pas le droit de parler en son propre nom, comme si elle doutait de sa légitimité pour en parler. Mais tout change lorsqu’elle commence à évoquer la propre histoire de sa famille, les déportations, l’exil…

Mes grands-parents ont survécu en faisant comme si la France avait vraiment été une terre d’accueil. Ils ont fait de l’oubli un savoir. Ils ont prêté allégeance à l’amnésie…

La manière dont elle hésite pour entrer dans la chambre d’Anne, comme si elle franchissait un interdit commettait un sacrilège, m’a beaucoup touchée car je me suis demandée si j’aurais osé entrer moi aussi, en étant à sa place ?

Je retiens aussi l’hommage à Laureen Nussbaum, l’une des dernières personnes à avoir bien connu la famille Frank, qui a beaucoup étudié le « Journal »

J’ai appris au passage, qu’Anne Frank avait retouché son journal, après avoir entendu une annonce du ministre de l’Education des Pays-Bas en exil à Londres, qui demandait aux Hollandais de conserver leurs lettres, journaux intimes en vue d’être publiés plus tard, ce que j’ignorais totalement, je pensais vraiment qu’il avait été édité tel quel. De même, j’ai aimé en apprendre davantage sur sa sœur.

Je retiendrai aussi les propos sans concession de l’auteure concernant les négationnistes de tous poils :

… Mais, si je n’écris pas leurs noms, il me faut dire leur acharnement à effacer Anne Frank. La gamine d’Amsterdam leur est insupportable, dont le récit est la preuve qu’on savait, celle qui nous interdit de prétendre qu’on ne savait pas.

Lola Lafon nous livre une belle réflexion sur l’écriture : pourquoi écrit-on, que cherche-t-on ?

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure dont j’ai beaucoup apprécié La Petite Communiste qui ne souriait jamais à sa sortie…

#Quandtuécouterascettechanson #NetGalleyFrance

9/10

Lola Lafon est l’autrice de six romans, tous traduits dans de nombreuses langues, dont La Petite Communiste qui ne souriait jamais(Actes Sud, 2014), récompensé par une dizaine de prix, et Chavirer(Actes Sud, 2020) qui a reçu le prix Landerneau, le prix France-Culture Télérama ainsi que le choix Goncourt de la Suisse.

Extraits :

Comme elle est aimée, cette jeune fille juive qui n’est plus. La seule jeune fille juive à être si follement aimée. Anne Frank, la sœur imaginaire de millions d’enfants qui, si elle avait survécu, aurait l’âge d’une grand-mère ; Anne Frank l’éternelle adolescente, qui aujourd’hui pourrait être ma fille, a-t-on pour toujours l’âge auquel on cesse de vivre ?

Anne Frank… Un symbole, mais de quoi ? De l’adolescence ? De la Shoah ? De l’écriture ?

Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au musée Anne Frank, dans l’Annexe. Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois cachés à huit dans ces pièces exigües ?

Certains viennent chaque année, depuis des décennies, se recueillir dans sa chambre. Ils laissent des lettres, des peluches, des chapelets, des bougies. Il n’est pas rare qu’une visiteuse du musée refuse de quitter l’Annexe, persuadée d’être la réincarnation de la jeune fille.

Comme à quantité d’enfants, mes parents m’ont offert le Journal, j’ai commencé à écrire, pour faire comme elle. Ma mère a été cachée, enfant, pendant la guerre. Je suis juive. Mais je crois que ceci est sans importance, ou d moins, ça n’est pas suffisant pour expliquer ma volonté d’écrire ce texte…

« Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sur la vie. N’oubliez pas ceci, insiste Laureen Nussbaum : Anne Frank désirait être lue, pas vénérée…  Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son Journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient…

Je sais l’histoire de ces familles élevées dans l’amour d’une France de fiction, celle d’Hugo, de Jaurès et de la Déclaration des droits de l’homme. Je sais que, loin du havre qu’ils espéraient y trouver, ils y ont été humiliés, pourchassés, déportés.

Et l’histoire que je connais est un récit troué de silences, dont la troisième génération après la Shoah, la mienne, a hérité. Nos arbres généalogiques ont été arrachés, brûlés, calcinés, le récit s’est interrompu.

Les mots se sont révélés impuissants, se sont éclipsés de ces familles-là, de ma famille. L’histoire qu’on ne dit pas tourne en rond, jamais ponctuée, jamais achevée… Dans ces familles, on conjuguera tout au « plus jamais » …

Elles ne connaissent que les extrêmes, ces familles. L’exil ou la mort. L’héroïsme ou la mort. Naître après, c’est vivre en dette perpétuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d’être sur-vivant.

La dernière entrée de son Journal est piquée de points de suspension, comme autant de silences, ceux d’une enfant confinée, d’une « prisonnière dans une cage », rappelle Cynthia Ozick.

« Si tous les hommes sont bons, Auschwitz n’a pas existé. » Bruno Bettelheim, survivant de Dachau et Buchenwald.

Helen Epstein, dans son essai Le traumatisme en héritage, a rencontré les enfants et les petits-enfants de survivants de la Shoah. Des enfants à qui leurs parents n’ont rien raconté, des enfants pourtant hantés par un passé qui n’est pas le leur.

Mister Frank le survivant, que des négationnistes ont accusé d’avoir inventé sa fille.

Lu en octobre novembre 2022

« Nous, les Allemands » d’Alexander Starritt

Quand j’ai vu ce livre et sa belle couverture sur NetGalley, je me suis dit, immédiatement qu’il m’était destiné et j’en aurais probablement fait un drame, si l’éditeur n’avait pas accédé à ma demande. Il s’agit de :

Résumé de l’éditeur :

Lauréat du Dayton Literary Peace Prize, un court roman stupéfiant d’intensité, un texte riche, souvent dérangeant, sur un passé qui n’en finit pas de résonner.

Longtemps, les questions posées par Callum à son grand-père allemand sur la guerre sont restées sans réponse. Et puis, un jour, Meissner s’est décidé à raconter.

Sa vie de soldat sur le front de l’Est, les débuts triomphants, l’esprit de corps, l’ivresse des batailles, et puis le froid, la faim, la misère. Et surtout l’année 1944 quand lui et ses camarades ont compris que la guerre était perdue ; que tout ce en quoi ils avaient cru, tout ce qui les faisait tenir, l’appartenance à une nation, l’espoir d’une guerre rapide, les rêves de retour, tout était en train de s’écrouler ; que dans la déroute, les hommes ne sont plus des hommes ; que le désespoir vous fait accomplir le pire et que rien, jamais, ne permettra d’expier la faute de tout un peuple.

« Je n’ai pas été un nazi. Ce que je veux te raconter ne concerne ni des atrocités, ni un génocide. Je n’ai pas vu les camps de la mort et je ne suis pas qualifié pour en dire un seul mot. J’ai lu le livre de Primo Levi sur ce sujet, comme tout le monde. Sauf qu’en le lisant, nous, les Allemands, nous sommes obligés de penser : Nous avons commis cela. »

Ce que j’en pense :

Opa Meissner, dont on ne saura jamais le prénom, après avoir longtemps refusé de parler de son passé pendant la deuxième guerre mondiale, (il a éludé les questions de sa fille) mais confronté à son petit-fils, Callum, il finit par répondre, sous forme de lettres que ce dernier trouvera après sa mort. (En fait, sa narration commence en 1944).

Il alterne les descriptions des évènements, la lutte pour survivre, les combats avec les Russes, la faim, le froid, et ses états d’âme, son questionnement : est-il un homme bon, se sent-il coupable, culpabilité individuelle et collective, mérite -t-on d’être aimé après tout cela ? et le récit s’accompagne des légendes sur lesquelles s’est bâti le Reich, Nibelungen, la chevauchée des Walkyries de Wagner, légendes et musiques qui ont servi de propagande.

Les compagnons de cavale du grand-père de Callum sont intéressants chacun à leur manière : le poney Ferdinand, Lüttke, nazi caricatural, antisémite, antibolchévique, qui voue une haine en fait à tout ce qui n’est pas aryen, et hitlérien, Jansen, le plus sensible donc le plus sujet à la culpabilité, qui s’inquiète pour sa mère et qui finit par disparaître dans la forêt, Ottermann, Himmelsbach etc… ils sont sur le front de l’Est à défendre un Reich qui est parti en fumée, avec les suicidés de Bunker, mais ils n’en savent rien et tentent survivre, en luttant contre les Russes qui n’ont rien aux nazis au combat, barbarie quand tu nous tiens… les échanges entre eux ne manquent pas de piquant, car comment supporter Lüttke et ses diatribes ?

Opa évoque la honte, tellement différente de la culpabilité, avec des phrases magnifiques. Il raconte son internement dans les camps bolchéviques, comment il a résisté, et ensuite rencontré celle qui a redonné un sens à sa vie, et son installation comme pharmacien, mais peut-on vivre paisiblement après cela ?

Le récit est entrecoupé d’interventions de Callum, qui se demande si on peut continuer à aimer un grand-père qui a fait partie de la Wehrmacht, contre son gré en fait car c’était un étudiant consciencieux, fils de pasteur, qui était programmé pour obéir.

J’ai aimé l’utilisation de l’anaphore « nous, les Allemands », leitmotiv qui constitue la trame du récit, la base de la réflexion, opposant le particulier au collectif.

J’ai beaucoup aimé la couverture, ce loup qui hurle, appelant sa meute, qui illustre ce que l’effet meute déclenche chez un individu qui seul n’est pas violent à la base, pour aboutir aux chemises brunes qui défilent au pas de l’oie…

Qu’est-ce que nous aurions fait, si nous avions été à leur place ? On est toujours tenté de penser qu’on aurait été des héros, mais ce n’est pas si simple. Je vous renvoie, une fois de plus vers une de mes chansons préférées de Jean-Jacques Goldman, si j’étais né en 17 à…

Ce livre m’a bousculée, car comment ne pas faire le rapprochement avec la guerre en Ukraine, avec un peuple russe dont le cerveau a été lavé, essoré par la propagande du chef du Kremlin ? Le froid, la neige, la destruction de toutes les infrastructures d’un pays pour l’affamer, le faire crever de froid, cela ne peut que résonner dans notre esprit, en même temps que notre sentiment d’impuissance et notre révolte.

Hier j’ai tué une demi-douzaine d’Ukrainiens d’un obus ciblé avec professionnalisme ; aujourd’hui, je vais au ravitaillement. Voilà pourquoi tout le monde s’accorde à dire que les guerres sont une calamité. Et prendre des choses à des gens qui ne veulent pas les donner, telle est bien la réalité de la guerre.

J’ai beaucoup aimé ce livre, qui fait réfléchir, qui montre un autre visage des Allemands, car j’ai lu beaucoup de choses sur les bourreaux nazis, l’Holocauste, mais très peu sur ce qu’ont vécu ceux qui ont survécu, ont été internés à l’Est… comme toujours, quand un livre me touche profondément, je n’en parle pas forcément très bien, mais s’il vous tente, un conseil, foncez !

C’est presque un coup de cœur, en tout cas, c’est un monumental uppercut qui m’a laissée un peu sur le carreau!

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur.

 #NouslesAllemands #NetGalleyFrance

9,5/10

Pour en savoir davantage: « Nous, les Allemands » : apocalypse sur le front de l’Est | Les Echos

ou encore: http://Nous, les Allemands, d’Alexander Starritt : la honte ne s’expie pas (en-attendant-nadeau.fr)

Né en 1985 d’un père écossais et d’une mère allemande, Alexander Starritt a grandi au Nord de l’Écosse et vit désormais à Londres. Journaliste pour des parutions aussi diverses que NewsweekThe GuardianThe Daily Mail ou le Times Literary Supplement, il est aussi traducteur de l’Allemand, notamment de Kafka et de Stefan Zweig. Après The Beast (non traduit) paru en Angleterre en 2017, Nous, les Allemands est son deuxième roman, le premier à paraître en France.

Extraits :

Mais même si j’avais voulu te donner une réponse digne de ce nom quand tu étais ici, je n’en aurais pas été capable. Il faut que tu le comprennes : même des expériences aussi extrêmes ne restent pas distinctes dans notre mémoire à jamais.

Nous qui avons vécu cette époque, quand nous l’évoquons, et cela nous arrive de plus en plus souvent avec l’âge, nous parlons de Hitler et de l’histoire mondiale au lieu de parler de nous.

Donc, je me suis « battu », oui, mais principalement en creusant des trous, en déchargeant mon fusil, en utilisant mon expérience pour améliorer l’agencement de nos positions. Je restais pratique. Au lycée, j’avais souvent été premier de ma classe ; toute mon éducation me prédisposait à être diligent, appliqué, à ne pas me contenter du travail imposé, mais à consacrer un peu de réflexion à la manière de le faire au mieux.

Nul n’a jamais la pleine responsabilité de son propre équilibre moral. Et l’impitoyable vérité, la dure et antique vérité, c’est que vous pouvez être coupable qu’une chose qui ne dépendait pas de vous. Et moi, à titre personnel ? Telle est la question à laquelle je m’efforce ici de répondre.

Donc, pour ce qui est de savoir si mon grand-père était ou non un homme bon, vous êtes prévenus ; je suis son petit-fils et je l’adorais. Et pourtant, il s’est battu pour les nazis. Il a porté l’uniforme, il a tué des gens. Il a accompli les actes dont je vous parle ici. Je l’adorais tellement que je me demande si je lui aurai pardonné n’importe quoi. Probablement pas n’importe quoi, bien que je me sente triste rien qu’à le dire.

Nous, les Allemands, avons toujours été plus susceptibles. Et, après avoir été les nouveaux maîtres de l’Europe, nous étions devenus ces Allemands haïs, ces « salauds d’Allemands » comme disaient les Russes. Or, être haï tant qu’on gagne est une chose ; c’en est une autre dès lors qu’on perd.

Mais, nous, les Allemands, nous savons dans notre chair – et les Polonais, les Ukrainiens, les Juifs et les Russes le savent aussi – que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’Est…

La honte, ce n’est pas comme la culpabilité ; elle n’admet pas de réparation. Les Juifs dont je parle sont morts. Ceux qui avaient mon âge à l’époque n’auront jamais donné le jour à des enfants, à des petits-enfants. La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à acquitter…

Une des raisons qui faisaient que nous nous attachions tant aux animaux, c’est qu’ils ne savaient pas que nous étions en guerre.

Chacun de nous se dit : Ce n’est pas moi qui ai fondé le parti nazi ; je n’ai déclaré la guerre à personne, moi, je n’ai envoyé personne dans les camps. Mais, nous l’avons fait.

J’avais besoin, moi, de régler ma vie sur quelque chose, et de savoir si je pouvais me considérer comme un homme bon. J’ai retourné cette question dans ma tête pendant l’essentiel de ma vie…

… Et peut-on vraiment mal agir sans en avoir l’intention ? Ce sont des questions à laisser aux prêtres et aux philosophes. Et il m’est arrivé de me dire, pendant des années d’affilée : j’étais jeune, c’est tout ; je faisais mon devoir, aujourd’hui, je m’occupe de mes enfants, de ma femme et je paye mes impôts, en quoi serais-je un homme mauvais ?

Je porte une marque d’infamie. Avec les années, j’ai compris qu’au lieu d’essayer de la laver, je devais me contenter de la porter, encore et encore…

Lu en octobre 2022

« La mémoire de l’eau » de Miranda Cowley Heller

Aujourd’hui, on met le cap aux USA, direction Cap Cod (oui, c’est facile, je le reconnais !) avec une histoire sympathique :

Résumé de l’éditeur

Un matin d’août. Tout le monde dort encore dans la maison familiale nichée au milieu des bois. Ellie se glisse dans l’eau froide de l’étang voisin. C’est ici, au cap Cod, que sa famille passe l’été depuis des générations. Mais ce matin est différent. La veille, Ellie et Jonas, son ami d’enfance, se sont échappés quelques instants pour faire l’amour.

Dans les heures à venir, Ellie va devoir choisir entre ce qu’elle a construit avec l’époux qu’elle chérit, Peter, et l’histoire qu’elle a longtemps désirée avec Jonas, avant que le sort en décide autrement. Vingt-quatre heures et cinquante ans de la vie d’une femme au bord du précipice. Durant cette journée de doute mêlant bonheurs et regrets, Ellie sera rattrapée par l’héritage familial, tissé de tragédies intimes et de secrets.

Ce que j’en pense :

Comme chaque été, Ellie passe ses vacances en famille au cap Cod, mais cette année, son ami d’enfance Jonas est là avec sa femme Gilda. Elle est mariée avec Peter et ils ont trois enfants, donc tout devrait aller pour le mieux. La mère d’Ellie règne sur tout ce petit monde.

Seulement voilà rien n’est vraiment solide et joué dans la vie et un soir, après le barbecue, Jonas et Ellie font l’amour. Le lendemain matin, la culpabilité a fait place au désir et Ellie va se baigner dans les eaux froides de l’étang qu’elle connaît si bien, pour revenir sur terre mais les souvenirs vont remonter : comment a-t-elle pu en arriver là alors qu’elle a fait un mariage d’amour avec Peter, même si ses enfants comme tous les adolescents (on pourrait presque parler d’adulescents en fait !) sont agressifs avec elle.

Miranda Cowley-Heller nous raconte une journée de l’époque actuelle, heure par heure, presque minute par minute, à l’entremêlant des souvenirs d’enfance d’Ellie. On découvre ainsi le couple étrange formée par ses parents : la mère très autocentrée qui se dérobe dès que ses filles veulent aborder un sujet important, le père qui ne sait faire que des promesses qu’il ne tient jamais.

Le mariage ne résiste pas et chacun refait sa vie de son côté, mais les conjoints, pièces rapportées ne sont pas forcément à la hauteur, car les deux « nouveaux couples » se comportent en parfaits égoïstes, car il ne faut surtout pas de vagues, et si on ne dit rien, cela signifie qu’il ne s’est rien passé, donc secrets trahisons pointent le bout de leur nez.

L’été Ellie et sa sœur retrouvent Jonas qui est plus jeune qu’elles et quand on est ados, quelques années c’est important. Tout est prétexte à baignade, promenades en bateau etc. Mais, un été, débarque Conrad, le fils de la nouvelle épouse de leur père, gamin obèse, pervers, ignoble, qui ne pense qu’à épier les filles, avec des remarques crues, désobligeantes et un drame va se jouer qui va marquer le reste de leur vie, et dont Ellie ne parlera jamais, sauf à son journal intime…

Avec la baignade en eau fraiche, l’auteure suggère que l’eau se souvient de ce qui s’est passé dans la vie chacun, un peu le procédé utilisé par Clara Dupont-Monod quand elle fait parler les pierres dans « S’adapter » mais c’est moins abouti.

J’ai aimé ce roman car il traite de sujets qui m’intéressent : secrets, familles, déconstruction, reconstruction, harcèlement et tutti quanti, et les personnages sont intéressants certes, mais un peu trop futiles pour moi, des bobos qui se posent des questions existentielles.

Ce roman se lit tranquillement au coin du feu, on a du mal à le lâcher, le style est lapidaire, avec des phrases courtes, mais cela m’étonnerait qu’il reste beaucoup de choses après l’avoir refermé. (cf. les quelques extraits que je vous propose!) J’aurais aimé plus de profondeur, mais il s’agit d’un premier roman alors je vais être indulgente car j’ai passé un bon moment…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Presses de la Cité qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

 #LaMémoiredeleau #NetGalleyFrance

7/10

Miranda Cowley Heller a grandi à New York. Diplômée de Harvard, elle a travaillé comme éditrice avant de devenir vice-présidente de HBO, où elle a développé des séries telles que Les SopranosSix Feet Under ou encore The Wire. Elle vit aujourd’hui entre la Californie, Londres et le cap Cod. La Mémoire de l’eau est son premier roman.

Extraits :

Je me dirige vers le chalet des enfants, en songeant que le plus étrange dans cette histoire, c’est que ma mère a perdu toute estime pour les femmes, pas pour les hommes. Son beau-père était un pervers, c’est la dure réalité. Mais la faiblesse et la trahison de Nanette l’ont dégoûtée des femmes. Dans le monde de ma mère, les hommes ont droit au respect. Le plafond de verre n’est pas fait pour être brisé.

J’ai des haut-le-cœur au-dessus de la cuvette. Finalement la nausée passe. Je n’ai jamais réussi à me forcer à vomir. Je le déteste. Tout ce qu’il n’a jamais fait pour nous. Tout ce qu’il a promis. Les trahisons à répétition…

L’attente commence tôt. Les mensonges commencent tôt. Mais les rêves et les espoirs aussi, je suppose.

Je sais que toutes les familles malheureuses le sont chacune à leur façon, mais là, pendant quelques heures, je veux juste une putain de Famille Heureuse. Tant que je ne serai pas en sécurité sur le rivage, j’aurais besoin de me raccrocher à cette idée comma à une bouée de sauvetage. Ne pas lâcher.

Les hommes s’écroulent après l’orgasme. Les femmes se réveillent. C’est curieux, ce décalage. Peut-être est-ce parce qu’ils ont accompli leur tâche. Ils ont essayé de nous féconder, maintenant ils doivent récupérer. La nôtre, c’est de nous lever pour balayer la caverne, border les enfants sur leur couche de paille, les épouiller, leur raconter des histoires qu’un jour ils répèteront à leurs propres enfants…

Lu en novembre 2022

« On était des loups » de Sandrine Collette

Aujourd’hui, je vous parle d’un roman que beaucoup de lecteurs ont apprécié mais qui fut pratiquement un pensum pour moi, et pourtant Dieu sait si j’aime les loups et la montagne :

Résumé de l’éditeur

Ce soir-là, quand Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser, il devine aussitôt qu’il s’est passé quelque chose. Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l’attend pas devant la maison. Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours. À côté, sous le corps inerte de sa femme, il trouve son fils. Vivant. Au milieu de son existence qui s’effondre, Liam a une certitude. Ce monde sauvage n’est pas fait pour un enfant. Décidé à confier son fils à d’autres que lui, il prépare un long voyage au rythme du pas des chevaux. Mais dans ces profondeurs, nul ne sait ce qui peut advenir. Encore moins un homme fou de rage et de douleur accompagné d’un enfant terrifié.

Dans la lignée de Et toujours les Forêts, Sandrine Collette plonge son lecteur au sein d’une nature aussi écrasante qu’indifférente à l’humain. Au fil de ces pages sublimes, elle interroge l’instinct paternel et le prix d’une possible renaissance.

Ce que j’en pense :

Liam a choisi de vivre dans la montagne, mais pas n’importe laquelle, une zone austère difficile, loin de la compagnie des hommes. Il vit de la chasse comme autrefois et se suffit à lui-même mais un jour une jeune femme Ava fait irruption dans sa vie, intriguée par son côté ours des cavernes. Malgré les réticences de Liam, ils finiront par avoir un enfant, le petit Aru. Mais comment devient-on père et comment élève-t-on un enfant dans ses conditions. Il n’est pas prêt mais joue le jeu, continue d’aller chasser pendant plusieurs jours loin dans sa montagne.

Aru l’attend toujours et lui « saute au cou » à chacun de ses retours. Un jour c’est le drame, Aru n’est pas là pour l’attendre, Ava a été tuée par un ours, et a protégé son enfant en se couchant sur lui.

Tout à sa tristesse, Liam ne sait pas comment expliquer ce qui s’est passé à Aru, qui est devenu encombrant, alors il l’emmène pour le confier à sa tante et reprendre sa vie d’avant, comme si rien n’avait existé.

Je respecte l’idée d’aller vivre loin de la civilisation, en autarcie, mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin en abandonnant son enfant et même pire, mais ne divulgâchons pas.

Ce roman aurait pu être une ode à la nature avec des passages magnifiques sur les loups par exemple, sur les chevaux qui accompagnent docilement le père et le fils, et le respect que Liam leur porte mais cet homme m’a tellement révoltée même s’il paraît trouver la rédemption que, non, cela n’a pas fonctionner : la colère l’a emporté sur l’empathie. On ne nait pas père, on le devient (hommage à Simone !) mais quand même… Je suis contente, je l’ai terminé mais je vais essayer de l’oublier très vite (en fait certains passages sont tellement durs que je redoute que des images ne s’installent trop profondément dans ma mémoire.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions J.C Lattès qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure dont j’avais aimé le précédent roman Et toujours les Forêts.

#Onétaitdesloups #NetGalleyFrance

5/10

Extraits :

On est seuls au monde quoi. On croit qu’on a quelques voisins autour et qu’on peut compter dessus et c’est vrai et pourtant ça ne change rien au fait qu’en cas de situation grave il n’y a pas de solution. Je le savais et Ava le savait.

Je me sentais tellement loin d’eux même si j’étais content de les avoir ce n’est pas ça, c’est juste qu’on ne vivait pas dans le même univers, c’est tout, ils étaient fragiles et doux et ça me décontenançait parce que je n’ai jamais rien vu de fragile et doux qui perdure dans ce coin et puis, c’était comme j’avais dit, le môme il ne servait à rien.

… Il dormait et on le regardait et franchement je m’ennuyais un peu. Il ne changeait pas et je n’avais jamais réalisé que c’était aussi lent un enfant, je n’allais pas applaudir parce qu’il avait les cheveux qui poussaient ou les dents qui sortaient, c’était idiot.

… ici, évidemment on ne se voit pas beaucoup, on ne se reçoit pas comme les gens de la ville, on est trop loin les uns des autres et surtout on veut qu’on nous foute la paix on est heureux comme ça. C’est quand même pour ça qu’on est tous là au bout de nulle part. Si c’est pour avoir la même vie qu’en ville ça ne valait pas la peine de se perdre dans la montagne…

Le loup lui il chante c’est très différent, ce n’est pas gueuler pour gueuler, il y met du cœur et des intonations surtout quand ils sont plusieurs ça me donne des frissons et je n’ai qu’une envie c’est faire partie de la meute, ça vient de loin à l’intérieur de moi.

J’en ai vu des loups qui chantaient j’en ai vu de mes yeux j’étais caché dans la montagne et je peux dire qu’ils n’avaient l’air tristes pas du tout. Ils causent c’est tout et si nous les hommes on se parlait en chantant comme ça il y aurait peut-être moins de problèmes entre nous.

Il y a toujours quelque chose qu’on ne prévoit pas, quelque chose qui semble impossible et puis ça arrive. Ces choses impossibles, c’est une suite de coïncidences qui individuellement ne représentent aucun danger pourtant mises bout à bout ça fait une chaîne et à la fin il y a une catastrophe.

… un enfant c’est une tâche immense, ça signifie s’occuper de quelqu’un d’autre que soi et je ne suis pas sûr qu’on en soit tous capables…

Lu en octobre 2022

« Sous les feux d’artifice » de Gwenaëlle Robert

Aujourd’hui, on fait un bond en arrière dans l’Histoire : 1864 sur fond de guerre de Sécession, en passant par le Mexique :

Résumé de l’éditeur

Lorsqu’un navire yankee entre en rade de Cherbourg un matin de juin 1864 pour provoquer l’Alabama, corvette confédérée que la guerre de Sécession condamne à errer loin des côtes américaines, les Français n’en croient pas leurs yeux.

Au même moment, Charlotte de Habsbourg, fraîchement couronnée impératrice du Mexique, découvre éberluée un pays à feu et à sang.

Le monde tremble. Mais le bruit des guerres du Nouveau Continent ne doit pas empêcher la France de s’amuser. Encore moins de s’enrichir. Théodore Coupet, journaliste parisien, l’a bien compris. Envoyé à Cherbourg pour couvrir l’inauguration du casino, il rencontre Mathilde des Ramures, dont le mari s’est ruiné au jeu avant de partir combattre au Mexique. Ensemble, ils décident de transformer la bataille navale en un gigantesque pari dont ils seront les bénéficiaires. À condition d’être les seuls à en connaître le vainqueur…

Pendant cette semaine brûlante, des feux d’artifice éclatent de chaque côté de l’Atlantique. Dans le ciel de Mexico comme dans celui de Cherbourg, ils couvrent les craquements d’un vieux monde qui se fissure et menace d’engloutir dans sa chute ceux qui l’ont cru éternel.

Ce que j’en pense :

Par un matin de juin 1864, un bateau yankee, le Kearsarge, mouille en rade de Cherbourg et vient provoquer l’Alabama, une corvette appartenant aux confédérés. Le capitaine de la corvette est confiant dans la solidité et la sûreté de son vaisseau et regarde sans se laisser impressionner le bateau qui fait des manœuvres d’intimidation.

Nous sommes en pleine guerre de Sécession, la France qui importe du coton du Sud est en mauvaise posture : pas de coton implique la fermeture des filatures. Il est donc urgent que le Sud gagne pour que le commerce reprenne.

C’est l’époque des bains de mers, des cures, lancée par l’impératrice Eugénie, et Cherbourg tient à inaugurer son casino en grande pompe, feux d’artifice et accès aux tables de jeux. On attend l’arrivée des Parisiens pour ce week-end (cela ne s’appelle pas encore ainsi !). Théodore Coupet, journaliste en charge des potins mondains, alors qu’il rêve de la rubrique politique, est envoyé sur les lieux pour couvrir les festivités et il fait la connaissance de Mathilde dont le mari s’est ruiné au jeu, alors qu’il faut payer la dot de leur fille.

Qui dit jeu, dit enrichissement possible ou au contraire ruine. Ce qui donne des idées à Mathilde et Théodore : organiser un pari sur la bataille qui va opposer les bateaux américains.

En même temps, Charlotte, la fille du roi Léopold Ier de Saxe-Cobourg, qui vient d’épouser Maximilien de Habsbourg, hérite ainsi du titre d’impératrice du Mexique, couronne dont personne ne voulait, et même Napoléon III semble surpris que le couple ait accepté ce cadeau empoisonné. De surcroît la nuit de noces de Charlotte ne n’est pas passée comme prévu : les deux époux ont dormi côté en côté et rien ne s’est passé.

Après un voyage harassant, le couple débarque dans un pays à feu et à sang, où il n’est pas très bien accueilli : le palais qui les attendait ne peut les recevoir et ils vont parcourir dans une calèche aux couleurs de la République, des chemins particulièrement difficiles : ils arrivent couverts de poussière, et Charlotte sent bien qu’ils font l’objet de moqueries.

Quelle sorte de respect peuvent-ils inspirer, si sales, si fatigués, ballottés par des mulets dans une voiture aux couleurs de la République ? Elle pense à son père, aux convois grandioses dans lesquels il traversait avec elle son royaume flamand.

J’ai aimé ce récit à deux voix, les Habsbourg au Mexique, et Cherbourg qui se transforme en Casino géant, sur fond de bataille navale. On ne peut pas dire que les Habsbourg apparaissent sous leur meilleur jour : Charlotte a appris la politique auprès de son père et elle se rend bien compte de leur situation, alors que Maximilien se livre à la chasse aux papillons entre deux plongées dans la mélancolie…

Gwenaëlle Robert raconte très bien les évènements, tant politiques que les paris, avec un style incisif qui rend la lecture agréable. Je gardais un souvenir assez confus de « l’expédition au Mexique » de Napoléon III, de l’essor des bains, des cures, sur fond de travaux haussmanniens mais cela remontait à très loin, et la couronne des Habsbourg m’était complètement sortie de la mémoire.

Bref, un roman agréable à lire, mais dont la fin m’a laissée perplexe, car en fait, cela n’en est pas une, notre histoire, notamment celle ce rapportant à Théodore, Mathilde et la jeune femme qui recueille les paris se termine en queue de poisson…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Cherche Midi qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure

#Souslesfeuxdartifice #NetGalleyFrance

8/10

Gwenaële Robert est professeure de lettres. Elle a publié trois romans dans la collection des Passe-murailles : Tu seras ma beauté (2017), Le Dernier Bain (2018), lauréat de six prix littéraires dont le prix Bretagne, et Never Mind (2020), lauréat du prix Albert Bichot, du prix Maintenon et du Prix du marque-page. Elle est également l’auteure d’un roman policier, Le Dernier des écrivains, aux Presses de la Cité (2022). Elle vit à Saint-Malo.

Extraits :

Son mari est accoudé au bastingage de la frégate, il regarde au loin, il aime la mer passionnément. Elle est le décor idéal pour ses épanchements mélancoliques, les rêveries de son esprit malade, gavé des poèmes romantiques mal digérés – Goethe, Hölderlin, Byron.

Eugénie dévisage son mari (Napoléon III). Elle est surprise. Un peu embarrassée aussi. L’impression d’avoir été complice d’une duperie. Pas un crime, non, mais un mauvais tour. Elle s’est prise d’affection pour cette Charlotte de Habsbourg qu’elle a accueillie à Paris avec beaucoup de chaleur et d’empressement. C’était si inattendu que ces jeunes mariés acceptent la couronne du Mexique dont personne ne voulait. Si inespéré.

C’est un nom d’Indien, gonflé du vent chaud des plaines du Sud, un nom accroché de broussailles, secoué de typhons, un nom gorgé du sang des pionniers, bercé du chant des esclaves. ALABAMA. Avec ses quatre A et le balancement cadencé de ses syllabes, on dirait les premières notes d’une musique qu’il fait sienne, tandis qu’il avance vers la plage des Mielles, les yeux fixés sur le vaisseau sudiste.

Chaque ville maintenant rêve de transformer sa mer en baignoire de luxe et ses plages en séchoirs géants – au lieu des poissons, mettez des bourgeoises, à la place des bicoques de pêcheurs des villas à tourelle, avec des noms de poèmes : Beau Rivage, Remember, Rochambelle, Castelroc. Ça attirera les Anglais d’Outre-Manche et les Parisiens de la rive droite…

Seulement Cherbourg n’est pas Cabourg – et n’est pas Morny qui veut. Tous les maires de la côte n’ont pas la chance d’être le bâtard d’une reine, le petit-fils naturel d’un évêque et le demi-frère de l’empereur pour transformer un port de pêche en ville de plaisir.

Le bottin de Paris est plein de ces noms des vieilles lignées qui achèvent de dilapider sur le tapis vert les terres acquises par leurs ancêtres, à la pointe de l’épée. Vice de l’aristocratie en un siècle bourgeois, ou sursaut d’orgueil : après tout, le jeu est une façon comme une autre de défier l’équilibre d’une société fondée sur le travail et l’argent…

Si seulement les Américains pouvaient en finir avec leur foutue guerre pour que le travail reprenne… Ou bien il faudrait que les balles de coton transitent par le Mexique, c’est bien pour ça que des milliers de soldats ont embarqué pour Veracruz avec la mission d’y placer un empereur à la solde des Français, oui ou non ?

Car les Cherbourgeois ne sont pas des joueurs, ils viennent en curieux, en badauds, voir de leurs propres yeux cette arène infernale où se précipitent les fortunes sous les regards avides des possédés.

Les Etats du Sud appartiennent au passé. Leur aristocratie un peu frelatée, leur économie fondée sur la terre, leur mode de vie… Ce sont des restes d’Ancien Régime, tout cela sera balayé par la révolution industrielle. On n’entrera pas dans le XXe siècle avec du coton et des esclaves, c’est… c’est impossible.

Elle est prisonnière. Mais de qui ? Du peuple mexicain ? Des militaires français ? Des appétits impérialistes de Napoléon III ? Ou de sa propre ambition, cette passion du pouvoir contractée à Laeken, quand elle bavardait avec son père, dans son bureau, des heures entières, après le souper ?

Lu en septembre-octobre 2022

« Cher Connard » de Virginie Despentes

Aujourd’hui, je vous parle du dernier opus de Virginie Despentes, car j’ai cédé aux appels des sirènes, en pensant que son esprit caustique me plairait peut-être en cette période #metoo

Résumé de l’éditeur

« Cher connard,


J’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve : je t’écris. »


Après le triomphe de sa trilogie Vernon Subutex, le grand retour de Virginie Despentes avec ces Liaisons dangereuses ultra-contemporaines.

Roman de rage et de consolation, de colère et d’acceptation, où l’amitié se révèle plus forte que les faiblesses humaines…

Ce que j’en pense :

Tout commence par un post sur Instagram d’Oscar, écrivain en manque d’inspiration et de popularité depuis quelques temps, dans lequel il s’en prend au physique d’une actrice culte cinquantenaire, Rebecca, qui selon lui aurait « mal vieilli » …

Il s’en suit un échange épistolaire des temps modernes sur les réseaux sociaux. Oscar étant en parallèle dénoncé comme harceleur par une attachée de presse qu’il a conduit naguère à la démission et que règle ses comptes avec lui, via #metoo.

Cet échange commence de manière assez drôle mais Oscar s’enfonce tout seul en exhibant un déni phénoménal, il était amoureux d’elle et elle n’a rien compris bien-sûr… Le genre de mec qui entend « oui » quand on lui dit et répète sur tous les tons « non ». Très vite j’ai eu envie d’envoyer promener ce livre mais j’ai eu pitié de ma liseuse…

L’idée était intéressante, mais on assiste très vite à deux monologues qui ne tentent même pas de se répondre, chacun étant obnubilé par son image.

Je m’attendais à moins de « sympathie » de la comédienne vis-à-vis d’Oscar, derrière laquelle je n’ai pas pu m’empêcher d’entrevoir Catherine Deneuve revendiquant son droit à être importunée, (non mais, je rêve elle se rend compte de ce qu’elle dit ! tout le monde n’a pas une harde de garde du corps derrière son postérieur pour le protéger !). Elle se réveille un peu tard, alors que Zoé est entrée dans sa vie, comme par hasard.

Je me suis laissée tenter par le tapage médiatique autour ce dernier opus de Virginie Despentes mais décidément, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas… Déjà, je n’avais pas réussi à survivre au premier tome de « Vernon Subutex » donc c’était ma dernière chance pour tenter d’apprécier l’auteure.

Je suis satisfaite d’être arrivée au bout de ce livre, lecture qui fut un pensum et m’a fait beaucoup grincer des dents et donner envie de mettre des baffes… Cela relève de l’exploit.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

 #Cherconnarddespentes #NetGalleyFrance

4/10

Lu en octobre 2022

« La fille de l’ogre » de Catherine Bardon

Retour en République Dominicaine, et à une auteure dont j’avais apprécié la tétralogie, « Les déracinés » surtout le premier tome en fait, avec le roman que je vous propose aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur

Le bouleversant destin de Flor de Oro Trujillo, la fille d’un des plus sinistres dictateurs que la terre ait porté.

1915. Flor de Oro naît à San Cristóbal, en République dominicaine. Son père, petit truand devenu militaire, ne vise rien moins que la tête de l’État. Il est déterminé à faire de sa fille une femme cultivée et sophistiquée, à la hauteur de sa propre ambition. Elle quitte alors sa famille pour devenir pensionnaire en France, dans le plus chic collège pour jeunes filles du pays.

Quand son père prend le pouvoir, Flor de Oro rentre dans son île et rencontre celui qui deviendra son premier mari, Porfirio Rubirosa, un play-boy au profil trouble, mi gigolo, mi diplomate-espion, qu’elle épouse à dix-sept ans. Mais Trujillo, seul maître après Dieu, entend contrôler la vie de sa fille. Elle doit lui obéir comme tous les Dominicains entièrement soumis au Jefe, ce dictateur sanguinaire.

Marquée par l’emprise de ces deux hommes à l’amour nocif, de mariages en exils, de l’Allemagne nazie aux États-Unis, de grâce en disgrâce, Flor de Oro luttera toute sa vie pour se libérer de leur joug.

Ce que j’en pense :

On fait la connaissance de Flor de Oro (Fleur d’or), fille aînée du dictateur Rafael Leonidas Trujillo et de sa première épouse Aminta Ledesma, alors que son père est encore un « apprenti soldat », gravissant les degrés qui le conduiront vers le grade de général. Flor est en adoration devant son père, mais elle porte en elle la tache originelle qui prouve son origine haïtienne (comme son père d’ailleurs !) et ceci va la poursuivre durant toute son existence.

Le Jefe, comme on le surnomme l’envoie faire des études dans un collège en France, où elle découvre le froid, la solitude et la difficulté à se faire des amis. Elle se concentre sur les études, car son père, à chaque retour, épluche le carnet de notes. Elle se défend des moqueries en citant César : « Mieux vaut être le premier dans son village, que le second à Rome ».

Un jour, cependant, elle devient intéressante, son père est devenu Président de la République Dominicaine, via une élection truquée, les opposants ayant été muselés. Cela va signer son retour au Pays…

En fait, personne n’est là pour l’accueillir, son père ayant d’autres préoccupations, un remariage, d’autres enfants… Une brève période de bonheur, quand elle rencontre le beau lieutenant Porfirio Rubirosa, qui sera célèbre pour son côté bourreau des cœurs, (il épousera même une célèbre actrice française !) mais le dictateur veille, leur coupe les vivres lorsqu’ils s’exilent à New-York, notamment. L’argent et le pouvoir permettent tout…

Tout au long de son existence, Flor va essayer d’exister aux yeux de son père, qui ne cessera de la surveiller, de la manipuler, lui imposant ses choix, à travers ses nombreux mariages (neuf au total et tous plus ou moins ratés, car le Jefe œuvre en sous-main -sous-marin ?) au gré de ses intérêts personnels : chacun des nouveaux maris devant lui apporter des contrats juteux, le servir.

On se prend d’affection pour cette femme qui brille par son manque d’estime d’elle-même, toujours en quête de l’approbation paternelle qui ne vient jamais bien sûr, car il adore l’humilier, lui lancer des petites phrases assassines mais elle reste sous sa domination, il y a trop longtemps qu’on lui a coupé les ailes. Elle fuit de l’alcool, l’anorexie, se détruisant lentement.

Catherine Bardon nous offre, à travers l’histoire de cette femme manipulée, malmenée, celle de la République Dominicaine durant les trente ans de la poigne de fer de Trujillo ce qui rend ce roman encore plus intéressant, on est au-delà d’un destin individuel brisé.

Je connais mal l’histoire de la République Dominicaine, j’ai découvert Trujillo en lisant « Les déracinés », je l’avoue ! Je n’ai pas terminé la tétralogie, d’ailleurs, il me reste le dernier tome, mais les personnages m’intéressaient moins que ceux du premier tome.

L’auteure sait bien décrire la situation du Pays comme, la culture, et la famille du dictateur alors j’ai dévoré ce roman, même si parfois j’avais envie de secouer un peu notre héroïne, un passage sur le divan aurait été très intéressant, elle l’a d’ailleurs tenté mais son psy presque époux est décédé dans des conditions étranges… Alors elle n’a pas retenté l’expérience.

Comment ne pas sourire en voyant Trujillo tenter de masquer ce qui est tout sauf un teint d’albâtre, en se poudrant abondamment le visage !

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

 #Lafilledelogre #NetGalleyFrance

7/10

Après une carrière dans la communication, Catherine Bardon se consacre désormais à l’écriture et partage son temps entre la France et la République dominicaine. Elle est l’autrice de la saga Les Déracinésqui s’est vendue à plus de 500 000 exemplaires et qui a été distinguée à de nombreuses reprises, notamment par le Prix Wizo et par le Festival du premier roman de Chambéry en 2019.

Extraits :

Voilà, Papi a décidé. Il a toujours raison, il ne faut pas le contrarier, pas le décevoir. Surtout pas. Une petite fille doit se plier aux décisions de son père, surtout quand c’est un soldat. Son chiot, ce sera Boule de Neige. Flor ne sait pas ce qu’est la neige.

Dans l’enfance de Flor, il y a cette tache originelle. Dont elle ne pourra jamais se laver. Celle qui explique peut-être tout. C’est une goutte. Une goutte de sang noir. Haïtien. Celle dont on ne parle pas. Celle qui fait si honte à son père.

C’est pour ça que Papi et Mami la regardent avec pitié et ne l’aiment pas beaucoup, car elle, Flor de Oro, n’est pas parfaite. Cette goutte de sang qui la hantera toute sa vie…

Ce qu’elle omet de préciser, Aminta, c’est que, menacés de mort, les opposants politiques ont préféré jeter l’éponge ; que, contraints à la démission, les membres de la commission électorale ont été remplacés par des hommes à sa botte ; que la campagne électorale s’est déroulée dans un climat de véritable terreur…

Le cœur de Flor s’emballe, son souffle se fait court. Lieutenant Porfirio Rubirosa. Il est encore plus beau de près. Il incline légèrement la tête. C’est fugitif. Elle croit avoir capté une lueur victorieuse, un friselis dans son regard…

… 8 décembre 1941. Les États-Unis entrent en guerre… Malgré son admiration pour Mussolini et Hitler, le Jefe a écouté la voix de la sagesse et s’est rallié aux Yankies qu’il exècre…

Elle sait trop à quel point son cœur est avide de la reconnaissance et de l’amour de son père, à quel point exister à ses yeux, capter son attention, conquérir une approbation, le satisfaire est vital pour elle. Car si elle n’existe pas à ses yeux, elle n’existe tout simplement pas…

Quand il y a de l’argent, on ne visite pas l’arrière-cour de la banque…

Avec lui, on ne sait jamais comment interpréter les choses, un piège, une bonté, un caprice ? Ne pas savoir sur quel pied danser, ne pas savoir quel sera le prochain faux-pas, être toujours sur ses gardes, sous tension permanente, Flor partage le quotidien des Dominicains.

Lu en septembre 2022