« Le vestiaire américain » de Jean Desportes

Aujourd’hui, place à un roman un peu particulier :

Résumé de l’éditeur :

Paul Delorme, un jeune homme de bonne famille, a tout pour réussir. Bonne gueule, bonne éducation, bonne orientation sexuelle et bon job dans la finance. Une vie confortable et balisée : école privée, scouts, rallyes, prépa, ESSEC, et aujourd’hui consultant à la Défense chez McGinley. Vers la cinquantaine, il devrait naturellement rejoindre le groupe des vieux mâles blancs dominants, contents d’eux et du sort que l’existence leur a réservé. Mais la découverte d’irrégularités dans le dossier d’un client vient bouleverser ce fleuve tranquille.

Quelle décision prendre ? Se taire ? La terreur du déclassement sera-t-elle plus forte ou un sursaut de conscience est-il encore possible ? Une mise en quarantaine forcée qui pousse le héros à remettre en question tout un système, toute une éducation. 

Ce que j’en pense :

Le héros a découvert une fraude fiscale. Seulement, au lieu d’être récompensé, il est mis au placard, car il a mis le doigt dans un engrenage : ceux qui occupent le haut de la hiérarchie n’ont qu’une idée en tête : conserver leur poste, alors au diable les malversations, entre requins, on se soutient.

 Il nous explique que depuis il est persécuté et mis au placard, surveillé, pisté en mode big brother ce qui provoque une fuite « rocambolesque » peu crédible.

Un roman étrange qui semblait prometteur, dans ce milieu catholique ultra bourgeois, autoproclamé élite de la Nation et qui ne va pas réconcilier avec le monde de la finance et des magouilles.

Je reconnais, néanmoins qu’il y a quelques phrases percutantes, lucides dans ce récit.

Présenté comme un thriller économico-social, il ne tient pas ses promesses. J’ai réussi à le terminer cela relève de l’exploit, car le héros lui- même ne m’était pas sympathique.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Elidia qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur.

#LeVestiaireaméricain #NetGalleyFrance !

5/10

Extraits :

J’étais l’aîné, donc inutile de préciser qu’à moi seul, et quand bien même j’aurais décroché tous les prix d’excellence, les premiers prix de conservatoire et les médailles d’or aux compétitions sportives pour les déposer avec respect aux pieds de mes géniteurs, jamais je ne l’aurais satisfaite. Éternel mendiant de leur reconnaissance, sans frères et sœurs, je n’aurai recueilli dans leur regard qu’une constante impression d’insuffisance… 

Le cadre à la sensibilité assumée n’était pas encore né, la faute au CAC, bloc de virilité patriarcale à l’ancienne, où la gestion émotionnelle n’était pas du tout cotée. Chacun tenait sa place et donnait le change à ceux qui l’entouraient : ici, on se satisfaisait de la vie que le travail vous permettait.

La mondialisation inexorable de tous les marchés entraînait la vieille Europe dans sa danse folle. Chaque nation s’épuisait à garder le rythme en même temps qu’elle exhibait ses charmes pour séduire l’or et le retenir à coups de mesures fiscales avantageuses, d’ouvertures à la concurrence, de subventions aux industries étrangères, de relâchement des frontières, d’incitations de toutes sortes et tous azimuts.

… dès que l’éthique, la déontologie, les principes et autres garde-fous entrent frontalement en conflit avec des enjeux financiers ou de pouvoir – et les mirifiques possibles ou catastrophes abyssales qu’ils laissent entrevoir – on ne s’embarrasse pas longtemps de tous ces oripeaux présentés tout à coup comme des enfantillages. On a vite fait de tomber le masque, sans complexe, de la façon la plus crue, violente ou vulgaire…

Lu en janvier-février 2023

« Dessous les roses » d’Olivier Adam

Aujourd’hui, je vous parle d’un roman qui me faisait de l’œil à la bibliothèque alors pourquoi résister :

Quatrième de couverture :

– Tu crois qu’il va venir ? m’a demandé Antoine en s’allumant une cigarette.

J’ai haussé les épaules. Avec Paul comment savoir ? Il n’en faisait toujours qu’à sa tête. Se souciait peu des convenances. Considérait n’avoir aucune obligation envers qui que ce soit. Et surtout pas envers sa famille, qu’il avait laminée de film en film, de pièce en pièce, même s’il s’en défendait.

– En tout cas, a repris mon frère, si demain il s’avise de se lever pour parler de papa, je te jure, je le défonce.

– Ah ouais ? a fait une voix derrière nous. Je serais curieux de savoir comment tu comptes t’y prendre…

Antoine a sursauté. Je me suis retournée. Paul se tenait là, dans l’obscurité, son sac à la main. Nous n’avions pas entendu grincer la grille. J’ignore comment il s’y prenait. Ce portillon couinait depuis toujours. Aucun dégrippant, aucun type d’huile n’avait jamais réussi à le calmer. Mais Paul parvenait à le pousser sans lui arracher le moindre miaulement.

Ce que j’en pense :

Le père de famille est décédé et la famille doit se retrouver pour organiser les obsèques. Cependant, tout est suspendu à la présence ou non de Paul, l’artiste de la famille : cinéaste, auteur de théâtre. Viendra, viendra pas ? Tout est possible vues les relations familiales houleuses.

Nous avons donc, la mère de famille, persuadée que son rejeton préféré va venir, alors qu’il est en rupture totale depuis longtemps avec ses proches : il ne digère pas son « enfance malheureuse d’artiste incompris, à qui l’on n’a pas assez dit qu’on l’aimait et qu’il était exceptionnel et qui en profite pour régler ses comptes avec parents et fratrie dans chaque nouveau film ou nouvelle pièce de théâtre.

La fille aînée, Claire, a toujours été un modèle, travaillant, à l’école pour être infirmière, dévouée aux autres, sans se plaindre. Mariée, mère de deux adolescents, en pleine révolution, et un mari à peine plus mature.

Le benjamin, Antoine, a poussé sans problème, et a réussi dans ses études et son travail, même si sa vie n’est pas aussi enthousiasmante qu’il l’aurait souhaité, notamment côté cœur, car il semble toujours amoureux de sa première petite amie, et ne parvient pas à construire une vraie relation.

Le cadet, Paul, est donc l’artiste de la famille. Il ne se rend pas compte, dit-il, des ravages produits par ses créations artistiques sur la famille, (pour lui, c’est de la création, une œuvre d’art), non seulement il règle ses comptes avec sa famille mais aussi en bon Parisien, avec son village, n’hésitant pas cependant à plonger dans la satire sociale quand cela peut lui rapporter une bonne notoriété.

Olivier Adam a composé son roman, comme une pièce de théâtre, plusieurs actes, donnant la parole tantôt à Claire, tantôt à Antoine, ce n’est qu’à la fin qu’il donnera la parole à Paul, ce qui rend le récit fluide, agréable à lire (comme le plus souvent dans ses écrits). Il aborde très bien les difficultés relationnelles dans une fratrie, la place (ou l’absence de place) de chacun et surtout, la manière dont chacun des trois a vécu ce que Paul appelle l’absence de chaleur familiale, l’absence de compliments et les conséquences sur la confiance en soi que cela peut entraîner.

Aucun des trois enfants n’a les mêmes souvenirs, et tandis que Paul réinvente l’histoire, les autres, Antoine notamment, plonge dans le ressentiment, le jugement, la colère vis-à-vis de son aîné.

Il faut se souvenir, qu’à une époque pas si lointaine, les parents se cantonnaient à un rôle éducatif : leur fournir l’éducation, la nourriture, les habiller, leur fournir un toit, ce qu’eux-mêmes n’avaient pas toujours reçu, et que le père devait travailler pour subvenir à tout cela. Cela ne leur venait pas à l’esprit, qu’un enfant pouvait avoir besoin qu’on lui dise qu’on l’aime dans la mesure où ils avaient l’impression d’avoir rempli leur rôle. On a tous des griefs vis-à-vis de l’éducation qu’on a reçu, mais ce sont aussi les frustrations qui nous aident à nous construire.

J’aime bien retrouver la plume d’Olivier Adam, que j’ai découvert avec « Falaises » il y a une dizaine d’années et dont j’ai lu pas mal de livres, y compris ceux pour la jeunesse et ce roman m’a bien plu, pour l’analyse des relations familiales, et pour l’écriture.

7,5/10

L’auteur :

Né en 1974, Olivier Adam est l’auteur de nombreux romans (quarante trois pour être précis) parmi lesquels : « Je vais bien, ne t’en fais pas » adapté au cinéma par Philippe Lioret, « Falaises » « Des vents contraires » « Le cœur régulier », « Les lisières », « Peine perdue »

Extraits :

Un écrivain dans la famille, c’est la mort de cette famille, disait Philip Roth. Ben c’est pareil pour les cinéastes et les metteurs en scène, m’avait-il asséné un jour…

Merde ; Papa était mort, non ? On l’enterrait demain ou j’avais rêvé ? Et après, c’est moi qui passais pour un type sans cœur. Mais, je suppose que c’est comme ça dans toutes les familles. Que les rôles sont distribués une fois pour toutes. L’aînée responsable et bienveillante. Le cadet instable, avec son tempérament d’artiste. Et puis moi, le benjamin dynamique, concret, efficace. Performant. Pragmatique…

Dans une fratrie, mieux vaut laisser à chacun son terrain d’excellence. Surtout quand on est le dernier. Qu’est-ce qu’on a pu m’emmerder au collège, au lycée, avec ma sœur si sage et sérieuse et mon frère si brillant.

Pour nos parents, je ne l’ai compris que plus tard, seuls les actes comptaient : nous assurer un toit, une éducation, des vêtements, trois repas par jour. Faire en sorte que nous ne manquions de rien. Que nous ayons toutes les chances de notre côté. La tendresse, il fallait en avoir le loisir…

Le vieillissement frappait ainsi. Par à-coups. Au gré des épreuves, des maladies et des deuils. Ce n’était pas vrai qu’on vieillissait peu e à peu. Non. On vieillissait subitement. Mais à plusieurs reprises. Par paliers. Je savais tout ça. Il n’empêchait que ça me préoccupait. D’autant que d’après moi ; la plus récente accélération avait commencé avec la maladie de Papa.

Lu en janvier 2023

« La mort en échec »: Isabelle Choko et Pierre Marlière

Aujourd’hui, dans le cadre de challenge consacré à l’holocauste, j’ai choisi de vous parler d’un livre témoignage bouleversant :

Résumé de l’éditeur :

En septembre 1939, les Allemands envahissent la Pologne. Izabela Sztrauch, qui survivra et deviendra Isabelle Choko, a 11 ans. Son enfance s’arrête du jour au lendemain lorsqu’elle est envoyée dans le ghetto de Lódz avec ses parents. Elle y perd son père de malnutrition et de mauvais traitements. A 15 ans, elle est déportée à Auschwitz, puis à Waldeslust et Bergen-Belsen.
La peur et la nudité. Le travail forcé, le froid, les coups, la promiscuité, la faim. La maladie et la mort, partout. Mais aussi les quelques moments de grâce et de fraternité. Le courage d’un prisonnier de guerre qui prend tous les risques pour la garder en vie. Et l’amour qu’Izabela porte à sa mère, qu’elle tient dans ses bras jusqu’à son dernier souffle – sur le sol noir de Bergen-Belsen. Elle revient de l’enfer seule. Par une force hors du commun, elle guérit du typhus dans un hospice en Suède et voyage jusqu’en France, avec pour unique bagage, son appétit de vivre, son humour et son intelligence. Défiant le destin, quelques années plus tard, elle est sacrée championne de France d’échecs et fonde une famille.

Aujourd’hui, Isabelle Choko raconte ce qu’elle a connu sous le régime nazi, d’abord dans le ghetto de Lódz en Pologne et puis dans les camps d’extermination – Auschwitz-Birkenau et Bergen-Belsen. Son livre est l’histoire de sa vie, un récit douloureux et passionnant pour que tous nous n’oublions pas ce que fut la Shoah.

Ce que j’en pense :

Chacun connaît ma passion pour la Seconde Guerre Mondiale, surtout la montée du nazisme et sa barbarie, alors ce témoignage ne pouvait m’échapper.

Izabela Sztrauch mène une vie heureuse et insouciante, comme tous les enfants de son âge, ses parents tiennent une pharmacie, mais, lorsque les Allemands envahissent la Pologne son univers bascule. Du jour au lendemain, la famille est jugée « indésirable » et on l’envoie au ghetto de Lódz. Elle n’a que onze ans et elle y restera jusqu’à ses seize ans. La famille survit mas le père d’Izabela va mourir de dénutrition tans les conditions de survie au ghetto sont difficiles.

A seize ans elle est déportée à Auschwitz avec sa mère. Un Français, parmi les prisonniers sur la voie lui conseille de se mettre du bon côté, pour éviter la chambre à gaz, et c’est ainsi qu’avec sa mère elle échappe à l’extermination. « Tu vois là-bas au bout du quai, il y a une sélection. A gauche c’est la vie, à droite c’est la mort, alors n’oublie pas, vas à gauche »

Les conditions de vie, survie plutôt son terrible : à l’arrivée elles sont tondues, et ne se considèrent plus comme des « humains à part entière ». La dénutrition, les mauvais traitements, les lieux de couchage terribles, sans oublier les brimades quotidiennes, vont les fragiliser de plus en plus, épidémies, typhus feront le reste.

Je ne peux m’empêcher de passer les mains sur ma tête … Mes doigts ne rencontrent que la peau rugueuse de mon crâne. Je ne sens plus mes cheveux, c’est une impression indescriptible, je n’ai pas les mots pour le dire, mais à ce moment, dans mon esprit, je cesse d’être une femme.

La mère d’Izabela ne survivra pas et la narratrice sera jusqu’au bout à ses côtés, dans la tendresse, alors que la guerre touche à sa fin et que l’Armée rouge avance.

Je connais bien l’histoire du ghetto de Varsovie, mais très peu celle de Lódz qui a réussi à tenir assez longtemps.

Ce court témoignage est bouleversant, il n’y a jamais de pathos ; le récit est simple, rempli de sagesse, de concision, pour évoquer la barbarie des nazis et les petits gestes entre déportés qui permettent de tenir. Je suis admirative devant le courage de cette jeune fille, qui va résister jusqu’au bout, et finir par changer de nom, et venir s’installer en France, car son père admirait le pays des « Droits de l’Homme ». Ensuite, c’est le silence, comment raconter l’indicible… Plus tard Izabela ira raconter son histoire dans les écoles, lycées, pour que personne n’oublie et que la barbarie ne revienne pas.

Quand on connaît le nombre d’élèves qui pensent que la Shoah n’a pas existé ou qu’elle a été largement surestimée, cela fait froid dans le dos, sans oublier l’antisémitisme qui perdure et a, hélas, de beaux jours devant lui…

Je n’en dirai pas plus, il faut lire ce témoignage bouleversant, et le faire lire autour de vous pour ne pas oublier.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce livre témoignage et la plume de son (ses) auteur(s) et donner l’envie de lire d’autres textes d’Isabelle Choko, « La jeune fille aux yeux bleus »

#Lamortenéchec #NetGalleyFrance !

Extraits :

C’est ce devoir de mémoire envers tous ces gens – ces hommes, ces femmes, ces enfants – qui ne sont pas revenus des camps nazis qui m’a poussée à témoigner dans les lycées, les collèges, à donner des conférences, à écrire un premier livre ; et qui me pousse à raconter à nouveau mon histoire, pour que la voix de ces millions de personnes assassinées ne n’éteigne jamais.

La priorité de mes parents avait toujours été de protéger et d’aider la famille. Ils ne pouvaient pas imaginer ce qui nous attendait, que les nazis déchaîneraient leur haine, que nous étions un peuple en sursis. Personne ne pouvait l’imaginer.

En quatre mois à peine, la guerre avait détruit notre vie, fait de nous des parias. Nous pensions avoir atteint le pire, que le plus dur était passé, que pouvaient-ils nous infliger de plus ? Nous n’avions plus rien. Mais la haine envers les Juifs était trop puissante.

Je sais que j’ai passé plus de quatre années dans le ghetto de Lódz – j’avais onze ans quand j’y suis entrée en février 1940 et presque seize quand je l’ai quitté, à l’été 1944 – pourtant j’ai l’impression que ça a duré à peine un an. J’ai des souvenirs encore nets mais j’ai du mal à reconstituer la trame des évènements, comme si la douleur avait creusé des failles, disloqué le temps.

A la fin du mois d’août 1944, le ghetto n’existe plus. Il aura perduré plus de quatre ans, un cas unique dans l’Europe nazie. Les habitants qui restent ont été déportés aux camps de Chelmno et d’Auschwitz. Environ 900 personnes sont parvenues à échapper à la liquidation, cachées dans les ruines, survivant comme elles le pouvaient jusqu’à l’arrivée de l’armée rouge en janvier 1945. Su la population totale du ghetto, 95% ont péri de malnutrition, de maladie ou dans les chambres à gaz.

A peine quelques heures  se sont écoulées depuis que nous sommes arrivées, et nous voilà déjà transformées, défigurées, comme ces « malades mentales » qu’on avaient aperçues en descendant du train. Nous appartenons à un autre monde, dehors n’existe plus.

J’ai l’impression d’être en enfer, pas celui décrit dans la Bible ou les contes que je lisais quand j’étais petite. Il n’y a pas de démons cornus, ni de créature aux yeux rouges qui crachent des flammes. Juste des êtres humains privés de liberté et affamés. Des morceaux de vie humiliées. Qui luttent, résistent et se débattent pour ne pas mourir. Avec pour seul horizon les barbelés de leur enclos.

On ne guérit jamais complètement des camps, une part de moi est restée dans les baraques de Bergen-Belsen.

Dans la baraque, il y a de plus en plus de cadavres qu’on ne prend même plus la peine de sortir. Nous sommes dans une décharge et les ordures, c’est nous.

Lu en janvier 2023

« Le Bureau d’Éclaircissement des Destins » de Gaëlle Nohant

Aujourd’hui, je vous parle d’un roman puissant que j’ai terminé en début d’années et me hante encore, ce qui a rendu ma chronique malaisée :

Résumé de l’éditeur :

Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand. 

 A l’automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?

Le bureau d’éclaircissement des destins, c’est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l’Europe. Une fresque brillamment composée, d’une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent. 

Ce que j’en pense :

Irène est une jeune femme française qui a épousé un Allemand, dont elle a divorcé peu après la naissance de leur enfant car son travail, sa curiosité, avait déplu à sa belle-famille. Elle est malgré tout restée en Allemagne.

En effet, Irène a été embauchée en 1990 à l’ITS International Tracing Service un centre de documentation sur les persécutions commises par les nazis. Eva, sa directrice lui a confié une mission : restituer aux familles, aux survivants du moins, des nombreux objets ayant appartenu à des déportés, dans les camps. Son enquête va commencer avec une marionnette sur laquelle est inscrit un numéro de déporté. En parallèle, le petit-fils d’une gardienne de camp, Elsie, fait parvenir au centre, une lettre de sa grand-mère décédée ainsi qu’un médaillon contenant un dessin d’enfant.

L’acharnement voire l’opiniâtreté à vouloir retrouver des survivants pour leur remettre quelque chose qui a appartenu à un parent mort dans les camps est bouleversante. Elle n’est pas sans risque, parce qu’elle aura raison très vite de son mariage, les parents de son époux, Allemands, non seulement n’accepte pas qu’elle enquête mais s’offusque qu’elle puisse se poser des questions sur la participation, notamment du père aux exactions nazis. Évidemment son époux prend fait et cause pour eux…

Au travers de l’histoire du petit garçon, on aborde le sort des enfants kidnappés par les nazis qui leur trouvaient des traits aryens, pour les confier à des bonnes familles allemandes, ou dans les tristement célèbres Lebensborn.

L’auteure revient, durant la quête d’Irène, sur les atrocités nazies, sur les assassinats commis dans les camps de concentration, la manière dont la fuite des nazis a été protégée, les filières, la fuite vers l’Amérique du Sud, la protection de la CIA (et du Vatican). Je me suis rendue compte avec stupeur, que seulement 10 % des criminels de guerre ont été condamnés, et que les nazis se sont retrouvés sans problèmes, dans les plus hautes instances, jusqu’au Bundestag : comment des juges anciens nazis pouvaient ils être capables de juger ? Mais l’ennemi avait changé n’est-ce pas ? C’était la guerre froide…

Je connaissais la terrible histoire des « petits lapins », qu’on appelait les Kaninchen : les médecins de la mort choisissaient pour leurs expérimentations « les filles les plus jolies, leur inoculaient des microbes, leur coupaient une jambe, leur ouvraient le ventre, pour voir comment cela évoluait, se contentant juste de les empêcher de mourir ».

J’avais écouté une émission à leur sujet sur France Inter, il y a longtemps, qui précédait Radioscopie, l’émission culte de Jacques Chancel et les phrases du journaliste m’ont hantée depuis, (la phrase entre guillemets est de lui), mais je ne savais pas qu’elles avaient tenté de se révolter… (Christian Bernadac ?)

J’aime la manière dont Irène construit ses enquêtes, fouille dans les dossiers, se rend sur place, jusqu’en Pologne, sa manière de ne jamais heurter qui que ce soit : elle raconte, montre les documents et la suite à donner leur appartient.

Ce livre est inspiré de faits réels mais les personnages sont issus de l’imagination de Gaëlle Nohant qui a des talents de conteuse extraordinaires : j’ai été happée par ce récit, et j’ai eu du mal à refermer le livre. J’avais déjà bien aimé, « La femme révélée » mais je trouve celui-ci encore meilleur, car cette époque qu’on espérait révolue est en train de se rappeler à nous avec les exactions du Tsar de toutes les Russies, autoproclamé représentant de Dieu sur terre à l’instar des Romanov, sous la houlette bienveillante du patriarche Kiril…

Tout m’a plu dans ce livre, de la couverture à la qualité de l’écriture, en passant par la force de ces destins.

Il me reste « La légende du dormeur éveillé » qui me nargue sur une étagère de ma bibliothèque « à lire » en fort bonne compagnie, ainsi que « La part des flammes »  

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.

#Lebureaudéclaircissementdesdestins #NetGalleyFrance !

Gaëlle Nohant a publié quatre romans dont La part des flammes (éditions Héloïse d’Ormesson, 2015 ; prix France Bleu/Page des libraires et prix du Livre de Poche) ; un roman biographique sur Robert Desnos, La Légende d’un dormeur éveillé (éditions HdO, 2017 ; Prix des libraires), et La Femme révélée (Grasset, 2020).

Extraits :

Jusqu’en 1948, l’ITS (International Tracing Service) s’appelait le Bureau central de Recherches, lui avait expliqué Eva. Cet endroit était né de l’anticipation des puissances alliées. Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, elles avaient compris que la paix ne se gagnerait pas seulement au prix de dizaines de millions de morts, mais aussi des millions de déplacés et de disparus…

Peut-on rester humain dans un cadre où l’inhumanité est la règle ? Ces questions me hantent…

Trente après la dénazification, sa vision du monde est encore imprégnée des critères raciaux inculqués dans sa jeunesse. Comme si plusieurs décennies de démocratie ne pouvaient effacer la trace des années où elle s’est sentie soulevée par les vagues de ferveur hitlériennes. Elsie, gardienne dans un camp.

Ce qu’elle ne lui pardonne pas, c’est d’être un fouille-merde. D’avoir débusqué les liens que leur famille entretenait avec le régime de Vichy, entre intérêts économiques et amitiés nauséabondes. Circonstance aggravante, Antoine a publié ses découvertes dans un essai remarqué sur la collaboration des notables français ? Ses oncles et ses cousins ne lui parlent plus, il est brouillé avec ses frères et sœurs à l’exception d’Alice la benjamine…

Dans toute l’Europe, les nazis ont trouvé des auxiliaires zélés pour les aider à se débarrasser des Juifs, des voisins avides de s’approprier leurs biens et leurs entreprises. L’antisémitisme n’était pas une exclusivité allemande ou polonaise. Il était partout…

Pendant l’Occupation, les nazis expulsaient les paysans polonais de leurs fermes pour y installer des colons de souche allemande. Pour échapper à la déportation, des milliers d’entre eux ont rejoint les partisans dans les forêts. Marek a intégré l’Armée de l’intérieur. A l’été 1944, Lublin a été la première grande ville polonaise libérées. Les communistes ont pris le pouvoir dans la foulée. Aux yeux de Staline, les membres de l’Armée de l’intérieur n’étaient que des gibiers de potence à déporter en Sibérie.

Au départ, ce n’étaient que des rumeurs persistantes. Des enfants « de bonne valeur raciale » étaient raptés par les nazis dans les pays occupés, pour être élevés par des familles allemandes. Ça ressemblait à un conte de croquemitaine… Puis des milliers de photos d’enfants ont afflué des pays de l’Est et des pays baltes, et il a fallu se rendre à l’évidence. Aujourd’hui, on estime à deux cent mille le nombre d’enfants kidnappés.

Himmler avait ordonné à ses SS de « voler le sang pur » partout où il se trouvait. Ils repéraient les enfants de deux à douze ans, qui avaient des traits « aryens ». Ensuite, avec les infirmières nazies, qu’on appelait les sœurs brunes, ils raflaient les mômes dans les écoles, les orphelinats, parfois en pleine rue…

Ceux qui n’étaient pas assez aryens étaient renvoyés chez eux ou déportés dans les camps de travail forcé. Les autres étaient dirigés vers des cents spéciaux pour être « rééduqués » … les plus jeunes étaient confiés aux foyers Lebensborn avant d’être adoptés par des familles nazies. Les autres étaient mis au service du Reich.

Malheureusement, l’antisémitisme n’est pas mort à Auschwitz. Pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir les archives du Comités des Juifs de Pologne, qui assistait les rescapés après la guerre. Menacés, parfois assassinés à leur retour, les survivants ont été très mal reçus…

… Des policiers et des fonctionnaires ont participé aux pogroms de Kielce et de Cracovie. La majorité des Juifs qui avaient survécu à la Shoah ont quitté le pays ensuite. Ils avaient peur. En 1968, le gouvernement les a expulsés au terme d’une cabale médiatique.

Chaque pays impose un roman national. Le choix de ses héros et de ses victimes est toujours politique. Parce qu’il entretient le déni et étouffe les voix discordantes, ce récit officiel n’aide pas les peuples à affronter leur histoire.

Le camp lui a appris que la liberté commence au fond de soi. Il faut se défaire d’un sentiment d’impuissance, repousser la peur. La liberté se fraie un chemin à travers les murs les plus épais, mais elle oblige à se hisser à sa hauteur. Une fois engagée sur cette voie, il n’y a pas de retour en arrière.

Les parents avaient perdu toute crédibilité aux yeux de leurs enfants parce qu’ils avaient soutenu Hitler… Ils réclamaient des comptes. Mais, leurs parents se dérobaient, le pays refusait de se confronter à son passé. Il faut dire que les anciens nazis demeuraient à tous les niveaux de la société, et jusqu’au Bundestag…

Lu en décembre 2022-janvier 2023

« Hors d’atteinte » de Frédéric Couderc

Le titre et le résumé du roman dont je vous parle aujourd’hui, ont immédiatement attiré mon attention, d’autant plus que c’est une traque côté allemand, (que je n’ai pas encore bien exploré) :

Résumé de l’éditeur :

De nos jours, à Hambourg. Paul, écrivain à succès, apprend la disparition de son grand-père, Viktor. Sidéré, il découvre alors que de lourds secrets le relient à un officier SS complice de Josef Mengele à Auschwitz.

Dans le Berlin des années 1940, Viktor a vu sa sœur Vera enfermée au château de Sonnenstein. C’est le lieu du programme Aktion T4, visant à « débarrasser » le Troisième Reich de ses Aryens « déficients ».

Derrière le petit-fils, l’écrivain surgit bientôt. Et si son grand-père et ce passé brumeux devenaient le sujet de son prochain livre ?

Le roman de Paul raconte l’histoire de Viktor, du Hambourg de 1947 à aujourd’hui, en passant par le Ghana des années 1960. L’auteur découvre Horst Schumann, ce criminel nazi qui castrait les hommes et stérilisait les femmes à Auschwitz, resté impuni et pourtant recherché par le Mossad. Pourquoi sa traque a-t-elle échoué ? De quelles complicités a-t-il pu bénéficier ?

Tour à tour roman flamboyant, enquête historique, thriller haletant et roman d’amour, ce texte dénonce, éclaire et émeut.

Ce que j’en pense :

Paul est un écrivain à succès et entretient une relation « privilégiée » avec son grand-père Viktor. Un jour ce dernier disparait après avoir reçu une lettre qui le déstabilise complètement. Tout en le cherchant, Paul s’apercevant qu’il ne connaît rien en fait du passé de Viktor se lance dans une quête pour comprendre cette disparition et en savoir davantage sur le passé de Viktor.

Cette recherche, le met du la piste d’un criminel de guerre nazi Horst Schumann qui a sévi à Auschwitz en compagnie de Josef Mengele.

Viktor a été enrôlé vers la fin de la guerre par la SS, et a été affecté dans une unité au Danemark, et quand il revient en Allemagne, dans sa ville, les bombardements ont tout détruit, l’appartement de ses parents pulvérisé, où ils ont trouvé la mort. Mais quid de sa sœur Vera, pianiste ? Elle a été envoyée dans une institution au château de Sonnenstein, qui a été rapidement transformée en chambre à gaz, pour assassiner les personnes dépressives, les déficients mentaux dans une opérations appelée avec  « humour » « La mort miséricordieuse » : après tout, on leur rendait service, ils étaient inutiles…

A son retour du Danemark, en cherchant à retrouver des vivants sous les gravats, il croise Nina, qui est la seule rescapée des camps de concentration de sa famille. Il prend conscience de la Shoah, des méthodes nazis, notamment celles de médecins pour mettre au point la solution finale.

C’est ainsi que Viktor découvre en même temps, que sa sœur, soi-disant décédée d’u typhus a été assassinée et que celui qui officiait était Horst Schumann. Il va alors se lancer, avec obsession, toute sa vie durant, dans une croisade pour retrouver et faire condamner le nazi en fuite, rien n’aura plus d’importance, même son épouse et son fils seront tenus en dehors.

Il gardait Schumann pour lui, Leonore ne pourrait jamais comprendre son désir de vengeance, cette chose qui le tourmentait et dont il sentait venir que ce serait toute sa vie une obsession. Oui, il nouait Vera au plus profond de lui, et souvent Leonore lui trouvait un air triste, un air qu’elle attribuait à sa famille disparue, dont elle ne le ferait bien sûr jamais reproche, d’autant que c’était si poignant, un homme qui avait tout perdu.

J’ai aimé cette quête obsessionnelle qui va l’emmener sur les traces de Schumann, qui a trouvé refuge en Afrique, où on lui a même confié un hôpital de brousse. Le scenario est très crédible et on espère qu’il va réussir à faire (se faire ?) justice. Et pourtant, l’auteur nous a bien mis en garde dans son avant-propos retraçant la vie de Horst Schumann : « j’espère que tout le monde comprend que ceci est une fiction. Les choses ont pu se dérouler ainsi ou (un peu) autrement. »

Touts la partie consacrée à Horst Schumann est extrêmement bien documenté, l’auteur nous fournit des notes, des extraits de jugements des tribunaux, revient sur tous ces nazis zélés (et innocents bien sûr) et leurs expérimentations médicales toutes plus horribles les unes que les autres, la manière dont leur fuite a été protégée, en plus haut lieu.

J’ai beaucoup aimé ce roman, c’est une période de l’Histoire qui me passionne, et comme je ne connaissais pas Horst Schumann, je vais creuser… la relation qui s’établit entre Nina et Viktor est belle, même si chacun fait sa traque à sa manière, Nina respecte les lois, alors que Viktor se transforme en  justicier, étouffé par sa haine et sa colère.

On connaît la fascination de Mengele pour les jumeaux et bien, pour Schumann il s’agit d’irradier les détenus qui arrivent sur la plateforme avec des doses progressives de RX (il valait mieux être dans les premiers à être sélectionnés) avec les brûlures qui pouvaient en résulter, les castrations à vif : on enlève les ovaires, les testicules sans sourciller…

Un livre donc qui fait réfléchir, mêlant fiction et réalité, Histoire et histoire de famille avec en prime une belle écriture. Mais, je mettrai un petit bémol : je trouve le récit un peu déséquilibré, autant l’histoire de Viktor est passionnante autant celle de Paul me laisse un peu dubitative : vouloir faire tout de suite un roman pour parler de ce qu’a vécu son grand-père c’est un peu léger, je sais bien que Paul est écrivain, mais quand même…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur que je découvre avec roman.

8/10

L’auteur :

Écrivain-voyageur, Frédéric Couderc enseigne l’écriture au Labo des histoires à Paris. À la croisée des genres, ses personnages se jouent des époques et des continents. Il a écrit quatorze livres. La série Black Musketeer, prochainement sur Disney+, est librement adaptée de son premier roman.

Extraits :

Je ne sais vraiment pas grand-chose, c’est la génération silencieuse, tu sais. Viktor se contente de bribes de récit, il vient d’une famille d’ouvriers du port. Il s’est retrouvé seul au monde après les bombardements de 1943. J’imagine que ses parents et sa sœur ont été portés disparus. Elle s’appelait Vera, c’est tout ce que je sais d’elle.

Il vivait comme ces tas de gravats. La désolation était imprimée dans sa chair. Depuis qu’il avait retrouvé Hambourg, il avait appris à se soumettre comme se soumet un chien, un cheval, quand son maître lui demande d’obéir. Et ainsi passait 1947.

Les orphelins de guerre erraient partout dans Hambourg. Quarante mille enfants abandonnés, disait-on, certains ne connaissaient pas leur propre nom, échappaient pour toujours aux signalements de disparition.

Parfois, Viktor se cabrait au hasard d’un visage croisé en ville, l’habitude lui faisait reconnaître les criminels de guerre, pas besoin de voir le tatouage qui marquait leur numéro de matricule sous l’aisselle gauche, sur la poitrine, ou sa trace effacée à la flamme d’un briquet…

Nina venait des photos terrifiantes affichées sur les mirs de Hambourg, des tirages effroyables, réalisés à la libération des camps d’extermination, pour que chacun mesure l’étendue des crimes hitlériens, ces hommes qui avaient des loups dans la tête…

Reviennent systématiquement la fuite, l’impunité, la conviction par le personnage et son entourage qu’ils sont innocents, jusqu’au bout…

Ne doutant de rien, il prépare également son dossier pour accéder à une retraite d’Etat et réclame un livret de famille à la municipalité de sa ville natale, Halle-sur-Saale, en RDA. On vérifie ses antécédents ? Les fonctionnaires n’en croient pas leurs yeux et transmettent la copie d’un jugement par contumace pour crimes de guerre aux autorités ouest-allemandes. Plus tard en Afrique, il agira plus prudemment, il ne laissera pas cette paperasse le désigner de nouveau aux policiers…

La médecine est un pilier de l’idéologie raciale du système national-socialiste, je découvre que Himmler s’est entouré d’un aréopage de doktor-tortionnaires pour lesquels les déportés sont juste du matériau à sélectionner, charcuter, mettre à mort.

Nous sommes une longue chaîne d’artisans dans la maison, le public voit la silhouette élégante de l’instrument, mais les plus infimes réglages demeurent secrets. Viktor m’a transmis cet extraordinaire équilibre entre basses, médiums, aigus. Un Steinway c’est presque un orchestre à lui seul.

Comment admettre en une poignée de mois l’assassinat de très exactement treize mille sept cent vingt personnes au bâtiment C16, dit Block de la mort, une « mort miséricordieuse » dont jamais Viktor et sa famille n’avaient entendu parler, la fable du typhus recouvrant tout ?

A défaut d’aveu, personne ne sait s’il est l’un des passagers de ce tapis volant tricoté par le Vatican appelé réseau Odessa. Aucun document ne le relie à Alois Hudal, le recteur du Pontifico Teutonico Santa Maria dell’Anima et à aucun moment il n’a usé d’un laissez-passer, le fameux Red Cross des nazis en cavale…

Il arrive en Italie après les autres, nous sommes en février 1951 et après tout c’est assez tard, Mengele était déjà là en 1949, Eichmann en 1950, quoique Barbie s’en rapproche lui-aussi, mais lui, bénéficie du concours de la CIA.

Terminé en janvier 2023

« L’ancien calendrier d’un amour » par Andreï Makine

Aujourd’hui, je vous propose un voyage en Russie, avec ce roman qui traverse un siècle d’Histoire :

Résumé de l’éditeur :

« Qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance. » (Baudelaire)


  Tel serait l’esprit de cette saga lapidaire – un siècle de fureur et de sang que va traverser Valdas Bataeff en affrontant, tout jeune, les événements tragiques de son époque.
Au plus fort de la tempête, il parvient à s’arracher à la cruauté du monde : un amour clandestin dans une parenthèse enchantée, entre l’ancien calendrier de la Russie impériale et la nouvelle chronologie imposée par les « constructeurs de l’avenir radieux ».


Chef-d’œuvre de concision, ce roman sur la trahison, le sacrifice et la rédemption nous fait revivre, à hauteur d’homme, les drames de la grande Histoire : révolutions, conflits mondiaux, déchirements de l’après-guerre. Pourtant, une trame secrète, au-delà des atroces comédies humaines, nous libère de leur emprise et rend infinie la fragile brièveté d’un amour blessé.

Ce que j’en pense :

Octobre 1991, le narrateur se rend dans un cimetière de Nice où sont enterrés des russes blancs ayant fui leur pays au moment de la Révolution. Il rencontre un vieil homme, Valdas Bataeff qui lui raconte son histoire familiale et personnelle.

On retrouve alors Valdas en Crimée, alors qu’il est âgé d’environ treize ans, et passe ses vacances en famille dans une villa l’Alizé, dont l’architecture rappelle les villas de la Riviera, pas loin de la résidence des Romanov et de leur génie malfaisant Raspoutine. La vie s’écoule en douceur, au rythme des pièces de théâtre, de la culture et des arts des nobles de l’époque. Un soir, alors qu’il est sorti et venu errer près du port, il tombe sur Taïa qui fait partie d’un groupe de contrebandiers faisant des trafics de tabac. Premiers émois amoureux…

Mais, la guerre se profile à l’horizon, Valdas s’engage auprès de l’armée du tsar, se fiançant avec Kath-leen alias Katia, amour bien platonique. Une guerre qui devait être rapide, rondement menée, comme l’a vendue Nicolas 2 (ah les ruses de l’Histoire !). En 1917 la révolution fait irruption dans la guerre et la vie devient difficile pour les personnes s’étant engagées pour le tsar.

Avec son style bien à lui, Andreï Makine nous fait revisiter l’histoire de la Russie, de la fuite des Russes blancs, du pouvoir bolchévique, de l’URSS, des purges staliniennes, de la désillusion, jusqu’en 1991 avec la chute de l’empire soviétique (que certains ont du mal à digérer, de nos jours), et en parallèle l’exil de Valdas vers Paris, les tragédies familiales, en traversant la seconde guerre mondiale, l’Occupation…

Je suis assez fidèlement Andreï Makine depuis « Le testament français » et j’ai toujours un immense plaisir à retrouver sa plume, pleine de poésie, de mélancolie qui parle si bien de l’âme slave et ce pays, sa littérature, sa musique, sa langue que j’aime tant. Ce roman m’a vraiment beaucoup plu, il n’a qu’un tout petit défaut : il est un peu court !

J’ai aimé suivre Valdas dans Paris, notamment sur son vélo-taxi, tout autant que dans ses premiers émois amoureux ainsi que la réflexion sur les quelques jours qui séparent le calendrier julien du calendrier grégorien, comme entre parenthèses… et ce sera mon dernier coup de cœur de l’année 2022, mais qu’on se rassure, 2023 va commencer sur un autre coup de cœur, quand j’aurai enfin rattrapé tout mon retard !

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouve la plume de son auteur. Un remerciement spécial aux éditions Grasset qui m’ont particulièrement gâtée durant toute cette année!

#Lanciencalendrierdunamour #NetGalleyFrance !

L’auteur :

Andreï Makine, de l’Académie française, auteur sous son nom d’une œuvre considérable maintes fois couronnée (prix Goncourt, prix Goncourt des lycéens, prix Medicis pour Le Testament français en 1995, grand prix RTL-Lire pour La musique d’une vie en 2001, prix Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre en 2005, prix Casanova pour Une femme aimée en 2013, prix mondial Cino Del-Duca pour l’ensemble de son œuvre en 2014), est aussi l’auteur, sous le pseudonyme mystérieux de Gabriel Osmonde, de plusieurs romans.

On lui doit aussi « au-delà des frontières » « L’ami arménien », « L’archipel d’une autre vie » etc …

Extraits :

Cela parait un peu saugrenu, ces particules accolées à des noms russes. Mais… Il s’agissait des exilés qui ne possédaient plus rien et ceux qui avaient un titre de noblesse s’y accrochaient tels des mendiants à leur sébile. D’où ces ajouts – simple rappel de leur vie d’avant la révolution. Un réflexe d’apatrides… 

Cela parait un peu saugrenu, ces particules accolées à des noms russes. Mais… Il s’agissait des exilés qui ne possédaient plus rien et ceux qui avaient un titre de noblesse s’y accrochaient tels des mendiants à leur sébile. D’où ces ajouts – simple rappel de leur vie d’avant la révolution. Un réflexe d’apatrides… 

Au mois d’août 1913, Valdas allait avoir quinze ans et c’est alors que les décors du monde tombèrent…  La Crimée vivait dans une lenteur agréablement provinciale et seuls les jeunes invités des Bataeff apportaient de l’excitation – électrique – le mot devenait alors à la mode. Le père recevait des artistes et des avocats libéraux, ses confrères.

L’Alizé profitait de l’opulence des riches, tandis que la misère poussait le peuple à voler, à tuer ou, au mieux, à travailler dans une gargote où venaient ceux que le père de Valdas appelait les « bas-fonds ».

Sous le regard de la jeune fille, tout demandait à être redécouvert ? Saint-Pétersbourg semblait être conçu pour eux, les deux amoureux aux gestes aussi platoniques que le frôlement des flocons de neige sur les cils. C’est ce que Valdas rimait dans ses vers : leurs longues promenades chastes, la sonorité des syllabes « Kath-leen » (tellement plus stylish que le « Katia » russe, son prénom d’origine) ses yeux « célestes », des perspectives bordées de palais, la saveur d’un vin très doux, dans un café tenu par un Français sur la Nevski.

Il pensait qu’on ne le reprendrait plus à ce jeu où les peuples se massacraient au profit de politiciens va-t’en-guerre et des financiers transmutant le sang en or. C’est la faiblesse de la mémoire humaine qui l’étonnait : vingt ans auparavant, on avait déjà entendu les appels aux sacrifices et observé la même sauvagerie.

Comparé à la précarité de l’après-guerre, le projet se présentait particulièrement tentant ? Les gens recommençaient à croire que là-bas leur vie allait pouvoir se ressouder, tel un os cassé. Valdas était peu attiré par cette ruée vers l’URSS. Il n’avait pas besoin de voyager pour retrouver son « champ des derniers épis ». C’était là, sa véritable patrie intérieure…

Prier pour ceux pour qui personne ne prie allait devenir sa façon de résister à l’oubli.

Lu en décembre 2022

« La Juive de Shanghai » de Marek Halter

Aujourd’hui, je vous parle d’un roman dont le titre a immédiatement attiré mon attention, ainsi que l’envie de retrouver la plume de son auteur :  

Résumé de l’éditeur :

Un roman vrai sur un incroyable exode oublié

Berlin, 1937. Ruth, juive et talentueuse couturière de 22 ans, se lie d’amitié avec Clara, jeune résistante allemande. Pourchassées, elles décident de rejoindre une destination inattendue : Shanghai, où des milliers de juifs se sont réfugiés.

Clara est la première à partir pour la Chine. Ruth, elle, doit traverser l’Europe entière… jusqu’en Sibérie. Grâce au consul japonais de Lituanie, elle obtient un visa pour Kōbe, le grand port du pays du soleil‑levant. Parvenue enfin à Shanghai – ville bouillonnante où se côtoie un monde interlope d’espions, de trafiquants d’opium et de résistants –, elle y retrouve miraculeusement Clara, devenue agente des communistes.

La suite ? C’est Bo Xiao Nao, la fille de Ruth, qui la raconte. Orpheline, elle tombe sur un carnet tenu par sa mère. En le feuilletant, elle découvre, bouleversée, le destin fascinant de celle qu’on appellera à jamais la Juive de Shanghai…

Une œuvre magistrale de Marek Halter.

Ce que j’en pense :

A Berlin, en 1937, Ruth travaille comme couturière chez Frau Opel. Elle est très talentueuse, mais elle a un « défaut » majeur en cette époque troublée : elle est Juive. Sa patronne le sait, mais lui procure des papiers : Ruth Rotstein devient Ruttie Roth. Un jour en rentrant chez elle, elle rencontre Clara, militante et résistante tombée dans une embuscade et lui sauve la vie. C’est le début d’une belle et forte amitié.  

Elles décident de fuir l’Allemagne nazie, et de partir vers la Chine. C’est relativement facile pour Clara, mais Ruth a des scrupules et retourne dans son pays, à Varsovie, où elle n’est pas très bien accueillie par la nouvelle femme de son père. Le voyage sera plus dur pour elle car c’est dur de quitter la famille ; elle va tenter sa chance par l’intermédiaire du consul du Japon en Lituanie et traverser la Sibérie, en train direction Kobé avant de mettre le cap sur Shanghai où elle finira par retrouver Clara.

Mark Halter nous raconte cette belle amitié entre les deux femmes, les destins qui s’entremêlent, la dureté du voyage, de l’exil, confiant la narration à Bo Xiao Nao, la fille de Ruth. Ce texte est magnifique et repose sur des faits ayant vraiment existé, et par conséquent on apprend beaucoup de choses au passage, notamment la fuite des Juifs vers la Chine. Et quel plaisir de retrouver la prose de Mark Halter dont je n’avais rien lu depuis longtemps, trop longtemps. Tout est soigné, ciselé dans ce roman et la couverture est très belle…

Une scène, en particulier, m’a touchée : Ruth dessine et réalise un ensemble pour le défilé que tient à organiser malgré le contexte Frau Opel, et Eva Braun tombe sous le charme de ce vêtement, l’achète pour plaire à son cher Adolf qui trouve cela dégénéré, contraire aux bonnes mœurs selon le Reich et fait fermer la boutique purement et simplement…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions XO qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

#LaJuivedeShanghai #NetGalleyFrance

D’autres avis sur ce roman:

Ma voix au chapitre: https://mavoixauchapitre.home.blog/2022/11/21/la-juive-de-shanghai/

Matatoune: https://vagabondageautourdesoi.com/2022/10/28/marek-halter/

L’auteur :

L’œuvre – immense – de Marek Halter a été traduite en plus de vingt langues et s’est vendue à des millions d’exemplaires à travers le monde. Depuis plus de dix ans, il explore dans des romans-événements la place des grandes figures féminines dans les religions monothéistes. Les Éditions Robert Laffont ont publié Les Femmes de la Bible (Sarah, 2003, Tsippora, 2003, Lilah, 2004), Marie(2006), La Reine de Saba (2008) et Les Femmes de l’Islam (Khadija, 2014, Fatima, 2015, Aïcha, 2015) et Où allons-nous mes amis? (2017) qui appelle à l’apaisement et à la réconciliation dans une France toujours plus exposée aux tensions religieuses.

Son précédent livre, Je rêvais de changer le monde (2018, Robert Laffont / XO éditions) nous invitait à revisiter, à travers son propre « voyage », presque un siècle d’Histoire.

Extraits :

La guerre. Jamais encore je n’ai écrit ce mot. Tous les jours, on le lit dans les journaux, pourtant, jusqu’à ce soir, ce n’étaient que des lettres mille fois répétées sur le papier.

Les lieux nous ont tant entendus nous plaindre et nous réjouir qu’ils en sont fatigués et ne peuvent plus rien nous enseigner de l’avenir.

L’article était signé Hugo Rotstein. Il s’achevait en assurant que la ruine de la Tchécoslovaquie était pour les nazis le modeste apéritif du festin à venir : le dépeçage de la Pologne et l’élimination du peuple juif. Qui peut croire que la sonnerie de Rosh Hashana, qui a retenti nier soir dans la grande synagogue de Varsovie, annonce autre chose que notre extermination ? Il est temps de nous préparer à survivre, concluait Hugo.

Je n’aime plus nos fêtes… Il y en a trop. Et bonnes à quoi ? Je m’y sens très mal à l’aise. J’ai l’impression que nous y perdons notre temps. Que nous nous contentons d’entretenir nos faiblesses au lieu de nous endurcir et de rassembler nos forces…

C’était comme une très, très vieille maladie du peuple juif. Elle courait sous la peau sans qu’on puisse jamais en guérir : la menace, la peur, la valise.

Nos valises à nous ne pèsent plus grand-chose. C’est tout ce qui est à, l’intérieur de nous qui est épuisant à transporter…

Le colonel Meisinger, l’homme de la SS en Asie, avait suggéré au gouvernement de régler la question des Juifs de Shanghai de manière plus efficace et plus économique : réquisitionner la multitude de jonques et de barques délabrées du Wangpoo, y entasser les Juifs et les tirer jusqu’à l’embouchure du Yangtsé. Les bateaux ne résisteraient pas longtemps à la haute mer. « Les youpins pourraient même considérer cela comme un rappel de la colère de Dieu avant le Déluge » avait conclu Meisinger.

Il n’est qu’une façon de survivre aujourd’hui en ce monde : croire en l’impossible de toutes ses forces.

Ressentir la peur, c’est le signe qu’on ne vit plus avec des fantômes.

Il est une chose dont je suis certaine aujourd’hui : la guerre n’existe que pour séparer ceux qui s’aiment. De la jalousie et rien d’autre. Rendre le monde si obscur qu’on ne puisse plus voir où on va, que le bonheur ne brille plus nulle part pour nous guider. Simplement cette cruauté-là.

Lu en novembre- décembre 2022

« Il n’y a pas de Ajar » de Delphine Horvilleur

Aujourd’hui, je vous parle d’un essai, avec ce texte :

Résumé de l’éditeur

L’étau des obsessions identitaires, des tribalismes d’exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l’idée d’un « purement soi », et d’une affiliation « authentique » à la nation, l’ethnie ou la religion. Nous étouffons et pourtant, depuis des années, un homme détient, d’après l’auteure, une clé d’émancipation : Émile Ajar.

 
Cet homme n’existe pas… Il est une entourloupe littéraire, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu’on n’est pas que ce que l’on dit qu’on est, qu’il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu’offre le texte de se glisser dans la peau d’un autre. J’ai imaginé à partir de lui un monologue contre l’identité, un seul-en-scène qui s’en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment.  
 
Dans le texte, un homme (joué sur scène par une femme…) affirme qu’il est Abraham Ajar, le fils d’Emile, rejeton d’une entourloupe littéraire. Il demande ainsi au lecteur/spectateur qui lui rend visite dans une cave, le célèbre « trou juif » de La Vie devant soi : es-tu l’enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ?  Es-tu sûr de l’identité que tu prétends incarner ?

 En s’adressant directement à un mystérieux interlocuteur, Abraham Ajar revisite l’univers de Romain Gary, mais aussi celui de la kabbale, de la Bible, de l’humour juif… ou encore les débats politiques d’aujourd’hui (nationalisme, transidentité, antisionisme, obsession du genre ou politique des identités, appropriation culturelle…). 


 Le texte de la pièce est précédé d’une préface Delphine Horvilleur sur Romain Gary et son œuvre. Dans chacun des livres de Gary se cachent des « dibbouks », des fantômes qui semblent s’échapper de vieux contes yiddish, ceux d’une mère dont les rêves l’ont construit, ceux d’un père dont il invente l’identité, les revenants d’une Europe détruite et des cendres de la Shoah, ou l’injonction d’être un « mentsch », un homme à la hauteur de l’Histoire. 

Ce que j’en pense :

Comme beaucoup d’entre nous, je vous une admiration particulière pour Roman Kacew alias Romain Gary, alias Emile Ajar, alors ce texte ne pouvait que me réjouir à l’avance. Il s’agissait au départ d’un texte destiné à être lu, sur une scène, devant des spectateurs à la manière d’une pièce de théâtre. Dans un premier temps, l’auteure revient sur sa fascination pour Romain Gary, le tour de force de recevoir deux fois le prix Goncourt, la première en son nom pour « Les racines du Ciel » (je ne vous cacherai pas que ma préférence va au magnifique « Les promesses de l’aube » il en méritait 3 finalement!) la deuxième sous une autre identité, pour « La vie devant soi » tout aussi magistral, en brouillant bien les pistes : une belle mystification !

Puis, Delphine Horvilleur donne la parole au fils présumé d’Émile : Abraham Ajar, double A comme s’il s’agissait d’une identité primordiale, Abraham pour le père des Hommes, dans les religions monothéistes. Abraham se livre à un monologue très intéressant sur l’identité, les pseudos, les revenants alias « dibbouks », et ce qui fait l’identité d’un être humain, homme ou femme.

L’auteure nous livre une réflexion truculente sur l’identité, sur les dérives vers l’identitaire, le communautarisme, l’appropriation culturelle (vérifier que l’auteur a le droit de se mettre dans la peau d’un autre). Truculente est le terme adéquat, à mon sens, car ce texte, sur fond de colère, est teinté d’humour, notamment quand Abraham reprend la notion de « Trou juif » : au départ la cave dans laquelle s’était réfugiée sa mère, avec une interprétation freudienne à la clé qui m’a beaucoup plu.

La préface, déjà, se déguste avec plaisir, et déborde de belles citations… Un seul bémol: le résumé révèle trop de choses…

Ce texte est très fort, comme toujours avec Delphine Horvilleur, que j’aime retrouver dans ses livres comme lors de ses apparitions télévisées. Je n’ai pas appris à lire avec Romain Gary car je suis plus âgée, mais comme elle, j’aime lire et revoir ses apparitions à la télévision, notamment « Apostrophes »

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.

#IlnyapasdeAjar #NetGalleyFrance 

8/10

Rabbin de Judaïsme en Mouvement, Delphine Horvilleur dirige la rédaction de la revue Tenou’a. Elle est notamment l’auteur de : En tenue d’Eve : féminin, pudeur et judaïsme (Grasset, 2013), Comment les rabbins font des enfants : sexe, transmission, identité dans le judaïsme (Grasset, 2015), Réflexions sur la question antisémite (Grasset, 2019) et Vivre avec nos morts (Grasset, 2021).

Extraits :

« J’avais 6 ans lorsque Gary s’est suicidé, l’âge où j’apprenais à lire et à écrire. Il m’a souvent semblé, dans ma vie de lectrice puis d’écrivaine que Gary était un de mes « dibbouks » personnels… Et que je ne cessais de redécouvrir ce qu’il a su magistralement démontrer : l’écriture est une stratégie de survie. Seule la fiction de soi, la réinvention permanente de notre identité est capable de nous sauver. L’identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité. » 

Je m’appelle Ajar. Abraham Ajar. Initiales « A.A. ». Mon père y tenait absolument. Il voulait que ma signature ressemble au commencement de tout, « A.A. ». Faire comme si y’avait rien eu avant moi.

Un idolâtre, tu sais, c’est quelqu’un qui croit que Dieu s’intéresse vraiment à ses problèmes, qu’il peut lui demander de l’argent, du succès ou un vélo électrique, du moment qu’il ne le vexe pas et le caresse avec ferveur dans le sens du poil.

Les juifs ont un contrat très spécial avec tu-sais-qui. Il s’est engagé formellement à ne pas intervenir dans l’Histoire et surtout pas dans la leur.

Avant, on rencontrait des gens qui étaient plein de choses à la fois : pied-noir, fils d’immigrés et homosexuel, communiste et gymnaste… ou alors juif-athée-joueur d’échecs et goyophile ; et ben là, c’est fini. Chacun n’est plus qu’un seul truc ; catho, gay, vegan qu’importe, mais exclusivement l’un ou l’autre…

Tu savais qu’en hébreu, le verbe être, ça n’existe pas au présent ? Tu ne pas dire je suis ceci ou je ne suis pas cela…

… Tu as été et tu deviendras, mais tu es forcément en plein dans ta mutation. En clair, l’hébreu c’est la langue des trans.

Ça veut dire que tu transmets à tes enfants un morceau de ton histoire, qui n’est pourtant pas la leur ! C’est absent de ton génome mais eux, ils le récupèrent quand même. Ça s’appelle l’épigénétique. C’est une filouterie, une arnaque à la génétique.

On n’a pas bougé d’ici, elle et moi. On n’a jamais quitté le « trou juif » de ma mère. C’est comme ça qu’elle voulait qu’on appelle cette planque, en dessous de son immeuble : le « trou juif’. Bien sûr, c’est juste un nom de code. Il n’a rien de juif ce trou. A part peut-être son inventeur, un médecin viennois qui fumait des cigares pour s’abîmer la langue. Lui, il appelait cet endroit autrement, « l’inconscient », je crois, ou quelque chose comme ça. A chacun son délire. Mais la vérité, c’est qu’il ne savait pas mieux que les autres comment on y entre, ni ce qu’on y planque, ni même pourquoi.

Lu en octobre novembre 2022

« Un miracle » de Victoria Mas

Destination la Bretagne aujourd’hui, plus précisément l’île de Batz, au large de Roscoff, avec ce roman :

Quatrième de couverture :

Une prophétie. Une île du Finistère Nord. Les visions d’un adolescent fragile. Et, au-delà de tout, jusqu’à la folie, le désir de croire à l’invisible.

Après « Le bal des folles », Victoria Mas affirme la puissance de son univers singulier et de son écriture.

Ce que j’en pense :

Tout commence par une prophétie : une des congénères de sœur Anne, religieuse chez « Les Filles de la Charité », lui affirme que la Vierge va lui apparaître en Bretagne. Elle s’y rend en mission, mais en fait c’est à un enfant, Isaac, qu’elle apparaît. Désillusion donc.

La famille Bourdieu, catholique pratiquante de manière assidue est venue s’installer sur l’île de Batz pour tenter d’améliorer l’asthme dont souffre sa fille Julia. Cette famille est étrange, avec le père quasi intégriste, la mère soumise, un fils décédé au combat, et le deuxième, Hugo, passionné d’astronomie qui explore le ciel avec sa lunette.

Du côté d’Isaac, la famille n’est guère folichonne non plus : la mère est décédée et le père est incapable de faire son deuil ; l’enfant mange grâce à Madenn l’aubergiste, croyante et pratiquante mais sans tomber dans l’excès. Isaac et Hugo deviennent amis.

Victoria Mas nous entraîne dans un monde mystico-religieux, dressant un portrait élaboré de ses personnages, dénonçant les dérives de la pratique pratiquement intégriste que Michel Bourdieu impose à sa famille, détestant pratiquement ce fils de seize ans qu’il ne comprend pas et compare sans cesse à son fils aîné mort au combat : un homme, un vrai, lui ! et puis quelle idée de scruter ainsi le ciel, pour lui il ne peut en arriver que des menaces d’apocalypse…

En face, on a une religieuse qui ne supporte pas qu’Isaac voit la Vierge et pas elle, donc jalousie, comportement intolérant à l’égard d’autrui…

J’ai été plutôt déçue par ce roman, et la fin m’a laissée assez perplexe. Les intégrismes religieux me heurtent c’est un fait, mais le père relève de la psychiatrie, son intransigeance à l’égard de son fils s’apparente à de la maltraitance, ainsi que la manière dont il veut instaurer sa domination sur les autres personnes ou encore le mépris qu’il éprouve envers ce qu’il appelle ma société actuelle. Je n’ai pas encore lu « Le bal des folles » de l’auteure, qui m’attend depuis sa sortie, et j’espère qu’il me plaira davantage.

Dans les prochains jours, je parlerai d’un coup de cœur et d’un autre livre qui m’a beaucoup plu…

6/10

Après des débuts au cinéma, Victoria Mas (qui est la fille de Jeanne Mas) signe son premier roman chez Albin Michel en 2019. Prix Renaudot des lycéens, « Le bal des folles » est un best-seller.

Extraits :

Michel Bourdieu se retourna enfin, toisa à l’entrée du salon ce second fils qui n’avait ni la carrure ni l’aplomb du premier, dont la présence seule suffisait à soulever en lui un mépris qui lui échappait encore. Certains enfants se résument à ceux qu’on leur préfère.

Car il fallait obéir, oui, se soumettre au plus grand, reconnaître le sacré et tendre vers le divin, et c’est parce que l’homme contemporain l’avait négligé, parce qu’il avait cru s’émanciper en désacralisant toute chose, qu’il causait l’effondrement de son temps…

Il contemplait le ciel, voyant passer les nuages épais et mauves, ou était-ce autre chose qu’il regardait, la ronde des goélands au-dessus de la côte, la lune croissante qui apparaissait déjà, une lueur particulière que lui seul cavait voir. A nouveau son nom résonna dans le vide, écho d’un monde auquel il n’appartenait plus, pareil aux morts qui tentent en vain d’être entendus des vivants.

Aucun homme n’éprouve jamais l’impéritie autant qu’un père…

Ce second fils lui inspirait une hostilité qui le dépassait. Son esprit était sans doute trop différent du sien, sa sensibilité trop affinée aussi, manquant d’une fermeté qu’il estimait nécessaire en tout homme. Il avait tenté de l’apprécier pourtant, avait essayé de trouver des qualités à ce fils qui ne lui ressemblait par aucun trait. Cet effort avait été au-delà de sa volonté ; certains enfants devaient au mieux se tolérer.

Lu en novembre 2022

« L’ombre de l’ornithorynque » de Stéphane Dovert

Aujourd’hui, je vous parle d’un roman étrange et difficile qui mêle la mythologie, l’aventure, l’ésotérisme  :  

Résumé de l’éditeur :

L’homme est-il digne de ses créateurs ? Les dieux, confrontés à l’enjeu de leur propre survie, envoient trois des leurs pour tenter de répondre à cette question qui les déchire. Salai Saudarh, Abengan et leur sœur Pattenloé parcourent le monde et traversent l’histoire au gré de leurs incarnations. On les retrouve dans les plaines septentrionales de l’Europe paléolithique, aux confins des grands empires d’Extrême-Orient, à Babylone, en Occitan cathare ou dans une Afrique déchirée par la traite des esclaves. Ils participent à leur manière à la Deuxième guerre mondiale, avant de se perdre, à Chicago et à Jakarta, aux portes d’un futur qui les amènera jusqu’au XXIIe siècle.

Mais leurs expériences, loin de les conduire à une commune conclusion, ne cessent de les opposer. Chacun perçoit le monde à travers son propre prisme, reniant bien souvent sa mission de contemplation pour infléchir le cours du destin. Les trois observateurs ne sortiront pas indemnes de ce parcours initiatique et leurs conclusions auront de quoi perturber le Panthéon divin, à la veille d’un jugement dernier inattendu. Une épopée haletante, à la croisée de l’histoire et de la science-fiction.

Ce que j’en pense :

Ma chronique sera brève car je n’ai pas réussi à vraiment terminer ce roman, je l’ai lu en diagonale car je ne parvenais pas à mémoriser les noms des divinités. Si j’ai bien compris, les divinités : Salai Saudarh, Abengan et leur sœur Pattenloé ont décidé de s’incarner, de prendre forme humaine, pour tenter de comprendre le processus de la Création et pour cela ils vont apparaître sous forme de dinosaures, de moines bouddhistes, ou encore de Cathares etc…

Le but est de comprendre comment l’être humain s’incarne, et pourquoi, et par voie de conséquence les imperfections des espèces et comment elles se transmettent d’une entité à une autre, tout en revisitant la préhistoire, l’Histoire, et les contrées de l’Europe à l’Asie.

Ce roman, en fait, a tout pour me plaire, mais tout va trop vite, et en ce moment ma lenteur d’idéation était un obstacle. Je le mets précieusement de côté, pour le reprendre tranquillement car le thème et l’écriture de Stéphane Dovert m’ont plu, mais voilà, un mois c’est trop court.

Je me réserve la possibilité de reprendre cette chronique quand j’aurai tout assimilé car ce livre est impressionnant …

Un grand merci à Babelio et aux éditions Arkuiris (Nom inspiré du portugais, signifiant « Arc en ciel » que je ne connaissais pas, mais dont le catalogue est intéressant et tentant !) qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur.

Je préfère de pas mettre de note car elle ne reflèterait pas la teneur et la qualité du roman.

L’auteur :

Stéphane Dovert a passé plus de vingt ans en Asie entre la recherche en sciences humaines et la diplomatie. Il a notamment fondé l’Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est Contemporaine en 1999, avant de coordonner la coopération française en Birmanie, puis en Malaisie. Il a également été, au ministère des Affaires étrangères, responsable du pôle de l’Écrit et des Industries culturelles puis de celui des Partenariats universitaires avant d’être nommé commissaire-général de l’année France-Corée.


Il a écrit ou coordonné plus d’une dizaine d’ouvrages de recherche dont Timor-Est le génocide oublié (L’Harmattan), Les Musulmans d’Asie du Sud-Est face au vertige de la radicalisation (Les Indes savantes), Réfléchir l’Asie du Sud-Est (Les Indes savantes) ou Les Rohingya de Birmanie (Aux Lieux d’Être). Il a aussi codirigé une anthologie de poésie avec l’intellectuel birman Jimmy Kyaw Nyunt Lynn, publiée aux éditions Arkuiris….

http://www.arkuiris.com/auteur.php?id=4

Un aperçu du catalogue: https://www.babelio.com/editeur/66804/Arkuiris

Lu en octobre 2022