Je vous parle aujourd’hui d’un livre dont le titre m’a attirée, Jiyoung étant le prénom coréen de ma fille aînée, et j’avais envie de connaître un peu plus son pays, démarche pas très simple vu le contexte, et il est présenté comme « le roman coréen phénomène » …

Résumé de l’éditeur :
Kim Jiyoung est une femme ordinaire, affublée d’un prénom commun – le plus donné en Corée du Sud en 1982, l’année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu’elle aime mais qu’il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d’autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ?
En six parties, qui correspondent à autant de périodes de la vie de son personnage, d’une écriture précise et cinglante, Cho Nam-joo livre une photographie de la femme coréenne piégée dans une société traditionaliste contre laquelle elle ne parvient pas à lutter. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Kim Jiyoung est bien plus que le miroir de la condition féminine en Corée – elle est le miroir de la condition féminine tout court.
Ce que j’en pense :
Kim Jiyoung vit à Séoul, avec son époux et leur petite fille, elle avait un travail qu’elle a dû abandonner pour s’occuper de « sa famille », alors que son mari rentre de plus en plus tard le soir, à cause du travail. Un jour, tout dérape : elle se met à parler avec la voix et les expressions d’autres personnes. Au début, son mari pense qu’elle est peut-être sous l’effet de l’alcool, mais non, le lendemain cela recommence. Que se passe-t-il ? Est-ce un mode d’entrée dans la schizophrénie, un burn-out ou autre chose ?
A partir de là, flash-back et on revient sur le passé de Kim Jiyoung, son enfance, dans les années 1982-1994, dans une famille traditionnelle : dans la maison seul le père travaille, la mère a dû abandonner son désir de devenir enseignante. La mère de son père vit avec eux, et ne donne jamais un coup de main.
Elle a eu deux filles et lorsque la troisième grossesse se profile, elle est « sommée » d’avoir recours à un avortement thérapeutique car c’est encore une fille !!!! et elle doit se débrouiller seule :
Sa mère est allée toute seule à la clinique et a fait « effacer » la petite sœur de Kim Jiyoung. Ce n’était pas son choix, mais c’était sa responsabilité.
Quelques années plus tard, ils ont enfin un garçon, qui est le roi du monde, rien n’est assez bien pour lui, il y a une hiérarchie bien établie qui fait frémir :
Quand on servait un bol de riz bien chaud, tout juste cuit, l’ordre normal de distribution était d’abord le père, puis le petit frère et la grand-mère. Il était normal que le petit frère mangeât des morceaux de tofu frit, des raviolis et des galettes de viande, tandis que Kim Jiyoung et sa sœur se contenteraient des morceaux effrités ou de miettes.
Les filles travaillent bien à l’école mais donnent un coup de main à leur mère, les hommes de la maison et la grand-mère se tournant les pouces, (rendons justice à cette dernière : elle est très douée pour une chose, critiquer sa belle-fille !)
Cho Nam-Joo nous dresse un portrait de la société coréenne qui fait frémir, tant dans la famille, que plus tard au collège, au lycée, on voit Kim Jiyoung et sa sœur lutter sans cesse pour réussir, faire des études supérieures. La fille aînée finit par écouter sa mère et devient enseignante pour la sécurité de l’emploi, mais Jiyoung veut faire autre chose, des études de communication, car les médias l’intéressent…
L’auteure a très bien construit son roman, elle nous propose quatre périodes dans la vie de son héroïne et met en parallèle la société coréenne et son « évolution » : 1982-1994, puis 1995-2000 avec les études, le harcèlement des hommes dans les moyens de transport entre autres, mais aussi de la part des enseignants, les discriminations parce que ce sont des filles.
Les années 2001-2011 avec les études supérieures et l’entrée dans le monde du travail, et la manière immonde dont les femmes sont traitées, et les années 2011-2015 où Kim Jiyoung doit choisir.
A chaque période, le gouvernement vote des lois pour modifier les choses, mais elles restent toutes dans le placard : la loi interdisant la discrimination homme femme a été promulguée en 1999 mais c’est resté une loi !!!! on a même créé un ministère de l’égalité des sexes !!!
Une phrase en particulier :
D’ailleurs s’il avait confié à Kang Hyesu et à Kim Jiyoung des clients difficiles, ce n’était pas parce qu’il leur faisait confiance, mais parce qu’il ne fallait pas user les employés hommes, réputés pérennes, avec des tâches épuisantes.
Le régime patriarcal a soi-disant été aboli en Corée mais le statut de la femme est loin d’avoir évolué.
J’ai beaucoup apprécié ce livre, la manière dont Cho Nam-Joo l’a construit et son étude de la société coréenne est très bien faite, statistiques à l’appui. Il est dur et fait réfléchir sur les droits de la femme dans les autres sociétés où le patriarcat est bien établi…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Robert Laffont qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.
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L’auteure :
Née en 1978 à Séoul en Corée du Sud, Nam-joo Cho est une ancienne scénariste de télévision. Dans l’écriture son troisième roman « Kim Jiyoung, née en 1982 », elle s’est en partie inspirée de sa propre expérience de femme qui a quitté son emploi pour rester à la maison après avoir donné naissance à un enfant.
Il a eu un impact profond sur l’inégalité des sexes et la discrimination dans la société coréenne et a été traduit en 18 langues
Extraits :
Automne 2015
Jeong Daehyeon a cru que sa femme plaisantait. On aurait vraiment dit sa mère, avec ce léger clignement de l’œil lorsqu’elle lui demandait ou lui rappelait quelque chose, et cette façon de prononcer geeeendre en traînant sur la première syllabe.
Était-ce un jeu ? Était-elle ivre ? Se pouvait-il qu’il s’agisse d’un de ces trucs qu’on voyait à la télévision, genre une possession ?
D’autres symptômes ont succédé à ces premières alertes. Par exemple l’envoi de SMS avec des émoticônes un peu niais, totalement inhabituels. Ou la préparation d’un bouillon avec des os de bœuf, ou des nouilles sautées aux légumes, des plats qui n’étaient ni à son goût ni dans ses habitudes. Jeong Daehyeon ne reconnaissait plus sa femme.
1982-1994
C’était l’époque où le gouvernement mettait en œuvre toute une série de mesures pour contrôler les naissances, au nom du planning familial. Dix ans plus tôt, l’IVG pour raison médicale avait été rendue légale. Comme si avoir une fille constituait une raison médicale, l’avortement des fœtus filles était pratiqué de façon massive. Cette tendance allait persister durant toutes les années quatre-vingt, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix où la population atteignit le point culminant du déséquilibre des naissances garçon/filles.
Dans ce temps-là, tout le monde pensait que le fils ferait la réussite et le bonheur de la famille, qu’il allait l’élever dans l’échelle sociale. Aussi les filles se chargeaient-elles volontiers du soin de leurs frères.
Sa mère regrettait sa vie manquée et regrettait d’être devenue la maman de Kim Jiyoung – une pierre, ferme et lourde, quoique petite, qui pèse contre un pan de sa longue jupe. Kim Jiyoung avait d’un coup l’impression d’être cette pierre et ça la rendait triste. La mère, percevant sa peine, de ses doigts, tendrement, a remis de l’ordre dans les cheveux de sa fille.
1995-2000
Tu m’étonnes. De nos jours on guérit des cancers, on transplante des cœurs, et il n’existe pas un seul traitement pour la douleur des règles, c’est dément. Ils croient que c’est la catastrophe si un soin concerne l’utérus. C’est quoi le problème, c’est un territoire sacré, ou quoi ?
Le prof principal de première année avait la cinquantaine. Il tenait toujours une baguette dont l’extrémité était en forme de main avec l’index tendu. Sous prétexte de contrôler le badge, il appuyait sur la poitrine des filles ; sous prétexte de contrôler les uniformes, il soulevait leurs jupes.
Et ces clients, nombreux eux aussi, qui croyaient avoir acquis le droit de draguer les filles parce qu’ils avaient acheté ceci ou cela. Les filles, presque inconsciemment, entassaient petit à petit au fond de leur cœur la désillusion et la peur des hommes.
Apparemment, plus aucun parent coréen ne considérait que les filles pussent ne pas bien travailler à l’école ni aller aussi loin dans leurs études que les garçons.
2001-2011
Kim Jiyoung eut l’impression qu’un troisième œil s’ouvrait grand en elle. Effectivement, c’était cela. Depuis qu’elle avait entamé sa quatrième et dernière année universitaire, Kim Jiyoung avait assisté à un maximum de forums avec d’anciens étudiants et à de nombreuses réunions d’information sur l’emploi. Parmi toutes ces séances, elle n’avait pas vu une seule ancienne étudiante.
Pour l’entreprise, une femme trop intelligente est un problème. Vous voyez, rien que là, pour nous, vous êtes un problème. Pardon ? Si nous ne sommes pas assez intelligentes, c’est un problème, si nous le sommes trop, c’est encore un problème, et avec tout ça si nous sommes moyennes nous allons entendre que c’est un problème d’être moyennes ? Elle en avait conclu que sa lutte était vaine et avait cessé de protester.
Mais le quotidien de Kim Jiyoung était une lutte permanente. Si elle relâchait un tant soit peu la pression, elle pouvait être écrasée du jour au lendemain ; elle n’avait pas l’esprit assez en paix pour se préoccuper du bien-être des autres. Comme de la poussière qui se dépose peu à peu sur l’étagère de la salle de bain ou le frigo sans que cela se voie au quotidien, les déceptions et les griefs n’avaient cessé de s’accumuler entre eux.
2012-2015
Le système patriarcal fut finalement aboli. En février 2002, la cour constitutionnelle déclara que le patriarcat enfreignait le principe d’égalité des sexes et était par là même anticonstitutionnel.
Des gens qui gobent sans réfléchir un cachet à la moindre migraine, qui n’oublient pas de mettre de la pommade anesthésiante pour enlever un petit grain de beauté, disent aux femmes de mettre leur enfant au monde dans la douleur et d’oublier les menaces qui pèsent sur leur vie à cet instant. Ils parlent comme si cette souffrance était la quintessence de l’amour maternel. Il s’agit de quoi, là, d’une religion ?