Retour en Europe de l’Est, plus exactement l’Ukraine avec le roman dont je vais vous parler aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :
Pour tromper sa solitude, Victor Zolotarev a adopté un pingouin au zoo de Kiev en faillite. L’écrivain au chômage tente d’assurer leur subsistance tandis que l’animal déraciné traîne sa dépression entre la baignoire et le frigidaire vide.
Alors, quand le rédacteur en chef d’un grand quotidien propose à Victor de travailler pour la rubrique nécrologique, celui-ci saute sur l’occasion. Un boulot tranquille et lucratif. Sauf qu’il s’agit de rédiger des notices sur des personnalités encore en vie. Et qu’un beau jour, ces personnes se mettent à disparaître pour de bon.
Une plongée dans le monde impitoyable et absurde de l’ex-URSS. Un roman culte…
Ce que j’en pense :
Victor s’ennuie au chômage, il se rêve écrivain, mais ses courts textes ne semblent intéresser personne, jusqu’au jour où, remettant l’un d’eux au rédacteur en chef d’un grand quotidien, « Les nouvelles du soir », celui-ci lui propose d’écrire des nécrologies : les « petites croix ». Seule ombre au tableau, il s’agit de personnes encore vivantes.
Il s’attèle à la tâche avec entrain, aidé par Fiodor, du service des crimes, sous l’œil bienveillant de Micha, un pingouin qu’il adopté au zoo en faillite. Tous deux cohabitent, tristement, chacun dans sa solitude, Victor parce qu’il n’a pas de famille, Micha parce qu’il n’est plus dans son milieu naturel, malgré les bains froids dans la baignoire, ou l’écuelle remplie de poissons.
Victor fait la connaissance d’un policier qui vient garder Micha pendant son absence, et d’un homme inconnu, prénommé Micha comme le pingouin, qui lui propose une grosse somme pour écrire d’autres nécrologies. Un jour, alors qu’il s’était plaint que personne ne lise sa belle prose, car il fignole ses nécrologies, ce dernier lui propose d’arranger cela et… Premier mort d’une longue série…
Micha, « pas le pingouin, l’autre » comme se plaît à le répéter Andreï Kourkov, finit par faire partie de la série, et Victor se retrouve en charge de sa fille de quatre ans, Sonia, aidé par Nina la nièce du policier… et c’est comme une petite famille qui constitue dans l’appartement de Victor.
On a une jolie rencontre : Victor se rend chez l’homme grâce auquel il a adopté Micha, Pidpaly, qui s’est autoproclamé « pingouinologue » pour avoir des conseils. Et une relation étrange s’établit entre eux.
On pourrait prendre cette histoire pour une fable, (l’auteur a commencé par écrire des contes pour enfants) avec le gentil couple Victor et son pingouin, dans une ville grise et triste à pleurer que Victor arpente dans l’hiver, promenant sa tristesse, souvent en compagnie de Micha, se réchauffant à coups de vodka ou de thé selon les moments.
En fait, cela va bien au-delà, car on est plus dans la description de la société postsoviétique, où tout change, mais on est dans l’inconnu, dans l’incertitude, ce qui n’arrange pas la morosité ambiante, avec ces VIP corrompus, qui s’enrichissent plus ou moins frauduleusement avec les privatisations en série ; on ne sait plus très bien s’il s’agit d’élimination de politiciens véreux au nom de la morale ou d’exécutions sommaires d’allure mafieuse, voire trafic d’organes …
Andreï Kourkov nous propose donc, l’air de rien, sur un ton humoristique, et une démonstration par l’absurde, une belle analyse de la société ukrainienne après la dislocation de l’URSS, ses dérives, mais aussi les espoirs des habitants en une vie meilleure. On peut prendre le pingouin au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs.
J’ai pensé quelquefois, au cours de cette lecture, à Fiodor Dostoïevski, auteur que j’affectionne, lorsqu’il écrivait des textes drôles ou ironiques comme « Le crocodile » ou « La femme et le mari sous le lit » à prendre également au premier, deuxième ou même ixième degré…
J’ai rajouté ce roman à ma PAL, après l’avoir découvert il y un ou deux ans grâce au challenge « Le mois de l’Europe de l’Est » et je l’ai adoré. Maintenant que j’ai goûté à la plume, à l’humour plein de tendresse d’Andreï Kourkov, je n’ai plus qu’une envie dévorer ses autres romans… et voilà que ma PAL vient de porter plainte pour maltraitance, car elle est devenue franchement obèse …
On peut retrouver la suite des aventures du Pingouin et Victor dans « Les pingouins n’ont jamais froid » …
Vive l’Ukraine et les Ukrainiens si courageux, sa belle littérature, sa culture, un beau pays qui a le droit d’exister n’en déplaise à Vladolf Poutler…
L’auteur :
Andreï Iouriévitch Kourkov (en russe Андрей Юрьевич Курков, en ukrainien Андрій Юрійович Курков), le plus célèbre écrivain ukrainien d’expression russe est né à Saint-Pétersbourg en 1961 et vit à Kiev depuis son enfance.
A dix ans, il possède « la septième collection de cactus d’Ukraine » dont il aime égrener les noms latins ; c’est le début d’une passion pour les langues étrangères (il en parle une dizaine, dont le français et le japonais.
Depuis la publication de son roman « Le pingouin« , ses livres sont traduits dans le monde entier. Le succès de ce premier roman est confirmé par ses romans suivants : « Laitier de nuit », paru en 2010 en France, « Le Caméléon » et très récemment « Les abeilles grises »
Extraits :
Il s’arrêta près de la table. Haut de presque un mètre, il parvenait à embrasser des yeux tout ce qui s’y trouvait. Il fixa d’abord la tasse de thé, puis Victor, qu’il examina d’un regard pénétrant, comme un fonctionnaire du Parti bien aguerri. Victor eut envie de lui faire plaisir. Il alla lui préparer un bain froid.
L’existence de Victor s’était organisée d’elle-même autour du travail. Il y mettait tout son cœur. Heureusement, Fiodor, du service des crimes, lui confiait tout ce dont il disposait : noms des amants et maîtresses des VIP, délits précis commis par ces notables, divers éléments importants de leur vie…
Il songea que c’était une drôle d’époque pour un enfant, un drôle de pays, une drôle d’existence, qu’on n’avait pas même envie de chercher à comprendre ; juste survivre, pas plus.
Le silence relatif, seulement troublé par le pingouin qui déjeunait, ramena Victor au temps où ils vivaient seuls tous les deux, tranquilles, muets, sans attachement très marquée, mais avec ce sentiment de dépendance réciproque qui créait presque un lien de parenté, comme quelqu’un dont on s’occupe quand on est amoureux :
Les membres de la famille, on ne les aime pas forcément, on les aide, on se fait du souci pour eux, mais les sentiments et les émotions sont secondaires, facultatifs. On souhaite juste que tout aille bien pour eux…
