« Des saisons et une rose » de Franck Bouysse

Je m’applique (et ce n’est pas aussi simple qu’on ne pourrait le penser) à rattraper mon retard dans la rédaction de mes chroniques en vous parlant, aujourd’hui, de ce phénoménal pavé de 1200 pages environ qui regroupe, sous un beau titre, quatre romans de l’auteur :

Résumé de l’éditeur :

Grossir le ciel compose le premier récit de ce quatuor des saisons. Un roman noir fulgurant, qui a imposé Franck Bouysse parmi les incontournables de la littérature française contemporaine. Paraît ensuite Plateau, un texte dont la beauté incandescente a marqué la carrière de l’auteur. Prenant pour cadre ce territoire où la sauvagerie de la nature fait écho à l’âpreté des hommes, il nous livre une œuvre ciselée comme un joyau noir. Roman d’amour et de fureur, Glaise confirme l’immense talent de l’écrivain pour mettre en scène des êtres humains aux prises avec leurs démons et avec les fantômes du passé. Enfin, avec Né d’aucune femme, Franck Bouysse nous offre la plus vibrante de ses œuvres.

Ce que j’en pense :

Ce volumineux opus (environ 1 200 pages quand même) regroupe en fait 4 romans de Franck Bouysse et nous emmène dans des endroits reculés de la campagne, entre les Doges dans les Cévennes pour « Grossir le ciel », puis direction la Corrèze, avec le plateau de Millevaches, pour découvrir « Plateau », pour nous perdre ensuite le Cantal, avec « Glaise » et enfin on file dans le XIXe siècle avec le sublime « Né d’aucune femme ».

J’ai choisi ce pavé, alors que j’avais déjà lu et aimé « Grossir le ciel » https://leslivresdeve.wordpress.com/2020/10/11/grossir-le-ciel-de-franck-bouysse/

et « Né d’aucune femme », https://leslivresdeve.wordpress.com/2020/10/17/ne-daucune-femme-de-franck-bouysse/

en pensant lire seulement les deux romans que je ne connaissais pas, et en fait, je les ai lu tous les quatre ! Je vais donc parler davantage de ces deux derniers :

Dans « Plateau », on quitte les Cévennes pour investir la Corrèze notamment le Plateau de Millevaches tout aussi abrupt quoique différent. Un couple Virgile et Judith, son épouse malade qui ont élevé leur neveu George qui vit dans une caravane. Pas loin on trouve Karl, boxeur débordé par ses pulsions sexuelles entrecoupées de préoccupations religieuses, qui fait passer sa violence dans la boxe tandis que rode un mystérieux chasseur. Tout ce petit monde vit dans ce monde étrange de labeur lorsque surgit Cory, femme battue qui a fui celui qu’elle surnomme son homme-torture. Mais la jeune femme est belle et cela va venir mettre en danger la tranquillité relative rythmée par les rythmes d’une nature ancestrale. L’auteur aborde ici le thème de la violence, intérieure avec une conscience hantée par les démons, ou physique avec les coups,

Avec « Glaise », direction le Cantal, en 1914, où l’on fait la connaissance de Joseph, âgé de quinze ans qui aide sa mère pour tenir la ferme, aidé par un voisin âgé Léonard, tandis que dans une ferme voisine, vit Valette, qui n’a pas pu être mobilisé du fait de sa main atrophié ce qui le rend odieux avec tout le monde. Et lorsque son frère avec lequel il n’a pas gardé de relation (c’est un intello parisien !) lui envoie sa femme et sa fille pour les mettre à l’abri, il va se défouler sur elles, les faisant trimer. On entre dans la première guerre mondiale, avec les hommes valides qui partent au combat, laissant les fermes entre les mains des femmes et des enfants. Sur fond de journées rythmées par un travail harassant, ici encore, l’arrivée de personnes n’appartenant pas au décor immuable va tout remettre en question, révélant le bon comme le pire chez les êtres.

Quatre histoires, quatre thèmes évoqués : les secrets de famille via la filiation, la guerre, la violence, et la misère des pauvres qui ne sont rien pour les riches qui pensent avoir tous les droits sur eux.

J’aime la manière dont Franck Bouysse parle de la nature, de ces territoires reculés, beaux mais d’accès difficile qui se méritent et qui forgent le caractère des hommes notamment leur côté taiseux, leur acharnement à faire survivre leur ferme, leur respect immense pour ce que la Terre leur donne et les sacrifices qu’elle exige d’eux. La plume est magnifique, nous saisit, nous émeut. Bref, ce récit multiple m’a littéralement envoûtée, et pourtant je m’y attendais…

J’avais eu un coup de cœur en première lecture pour « Né d’aucune femme » et paradoxalement c’est celui que j’ai eu le plus de mal à terminer, tant la violence m’a sauté à la figure, peut-être est-ce dû au contexte actuel (violences familiales, féminicides). Ce pavé est remarquable, digne de la plume d’un Zola ou d’un Maupassant par exemple.

Par contre, si vous avez quelque peu le blues en ce moment, il vaudrait peut-être mieux remettre cette lecture à plus tard…

Ah j’allais oublier ! ce pavé est préfacé de belle manière par François Busnel !

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Livre de Poche qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la belle plume de son auteur.

#DesSaisonsetuneRose #NetGalleyFrance !

9,5/10

Extraits :

Les gens diraient plus tard qu’on n’aurait pas dû le secouer comme on l’avait fait pour lui extorquer ce fameux cri et que, si dans le futur il s’était mis à parler plus volontiers aux animaux qu’aux hommes, c’était un peu à cause de ce retard à l’allumage. (Grossir le ciel)

La grand-mère lui avait toujours dit que le bonheur était comme la promesse de l’aube, si l’on s’en tient à la promesse sans s’obstiner à vouloir deviner ce qu’on aurait envie qu’elle révèle à l’avance. (Grossir le ciel)

Depuis toujours, il a le sentiment de serrer si fort son destin de paysan entre ses mains, qu’il a fini par ne plus sentir palpiter son cœur au bout de ses doigts. Il a fait ce qu’il fallait pour étouffer la moindre velléité désordonnée de tout autre forme de destin. Constamment dans la maîtrise. Personne ne s’est assis à sa table sans y être invité. (Plateau)

Il est certes une vérité humaine qui promet son lot de chagrins à chaque génération, s’ajoutant aux malheurs accumulés par les générations anciennes. Il y a l’ordre des choses et il y a les rafales imprévisibles qui balaient nos vies. Les trois longues rides qui barrent le front de Virgile font partie de l’ordre des choses, pas ce silence qu’il ne peut partager avec personne. (Plateau)

Victor ne réagit pas lorsqu’on l’appela « soldat » pour la première fois. Cette manière de les désigner frères, de les démembrer de leur passé, parut ruisseler sur lui. Ce n’est qu’une fois l’uniforme revêtu qu’il prit véritablement conscience qu’on le volait à lui-même et à ceux qu’il aimait. (Glaise)

Il fallait croire que ça ne changerait jamais, des choses naissaient quand d’autres mourraient, et ces « choses » muées en vérité, englobaient tout ce qui pouvait contenir la vie. Alors, on pensait que ça ne finirait jamais, qu’il y aurait toujours un moyen pour que ça continue, sans qu’on demandât à quiconque d’y pourvoir, et que le véritable miracle résidait en cela, que les vies fussent capables de se relayer, des fois avec un peu de retard et quelques surprises. (Glaise)

J’aurais eu envie de disparaître dans un trou pour plus jamais en sortir, de ne pas être du tout, parce que cela ne valait pas le coup d’être, si c’était juste pour vivre de cette façon. (Né d’aucune femme)

C’est avoir que veulent les hommes, les femmes c’est pouvoir. On ne fait rien pour, et elles tout. (Né d’aucune femme)

C’est tout le problème des bonnes gens, ils savent pas quoi faire du malheur des autres. S’ils pouvaient en prendre un bout en douce, ils le feraient, mais ça   fonctionne pas comme ça, personne ne peut attraper le malheur de quelqu’un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c’est tout. (Né d’aucune femme)

Lu premier quadrimestre 2023

25 réflexions sur “« Des saisons et une rose » de Franck Bouysse

    1. c’était plombant au fur et à mesure que j’avançais j’avais besoin de respirer… D’où la pause en plein milieu de « Né d’aucune femme » que j’ai adoré en première lecture, et en fait repris la lecture la charme a fonctionné à nouveau 🙂

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  1. « Grossir le ciel » et « Glaise » restent à découvrir pour moi. Je ne savais pas que les 4 romans étaient réunis dans cette édition, c’est bon à savoir mais quel pavé tout de même, je n’aurais pas envie de tous les lire à la suite bien que j’aime beaucoup l’auteur. Or sujet du jour j’ai lu aussi de lui « Buveurs de vent », il m’en reste donc à découvrir c’est bon à savoir…Merci pour ta chronique et tes extraits.

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    1. je découvrais « Glaise » qui m’a beaucoup plu, et j’ai encore plus apprécié « Grossir le ciel » que la 1ere fois. Je vais faire une pause, et je vais lire ses autres livres… un peu dans le même registre, Je suis en train de découvrir Marie-Hélène Lafon qui me plaît beaucoup (j’apprécie beaucoup ses interventions il me restait juste à commencer 🙂

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    1. c’est « Plateau » que j’ai le moins apprécié mais c’est très relatif car ils sont vraiment intéressant et bien écrit. Et « Né d’aucune femme » m’a autant remuée que lorsque je l’ai découvert 🙂
      il est à l’aise quel que soit le thème ou la période de l’histoire qu’il aborde…

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  2. J’avais beaucoup aimé le premier « Grossir le ciel », le second m’avait paru quelque peu caricatural … Du coup, j’ai passé « Glaise ». Le goût des territoires reculés et perdus, des personnages torturés, je l’ai aussi, mais la plume de l’auteur, effectivement, hyper réaliste en même temps que lyrique, s’est fait trop prégnante pour moi.

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