« Le scénario de Prague de Natalia Borodin

Aujourd’hui, je vous parle d’une découverte fort sympathique avec ce premier roman :

Résumé de l’éditeur :

Au tournant des années 1960 et 1970, des milliers de jeunes Tchécoslovaques rêvaient d’être admis à l’académie des Arts pragoise pour devenir scénaristes, métier alors central dans le cinéma.

La jeune narratrice de ce roman parvient à entrer dans cette prestigieuse école, qui plus est dans la classe de l’éminent professeur de scénario Roman Kantor, un personnage largement inspiré de l’écrivain tchèque Milan Kundera dont Natalia Borodin a réellement été l’élève. Elle est la seule fille au milieu de quatre garçons. C’est la relation entre ce maître ténébreux, brillant, séducteur, magnétique, exigeant, parfois brutal, et ses étudiants, que ce roman explore. « Nous sommes tous amoureux de lui ! » s’exclame l’un de ces derniers.

La jeune narratrice, sur qui Roman Kantor exerce une fascination quasi sexuelle, se voit chargée par lui de recevoir des écrivains tels que Philip Roth ou Gabriel García Márquez en visite à Prague. Lorsque les cours de scénario prennent fin, quelque temps après l’intervention des chars du Pacte de Varsovie en 1968, elle connaît l’expérience de l’exil en France – où le maître se réfugie lui-même après avoir été déclaré dissident – puis en Italie, en Allemagne, jusqu’aux États-Unis.

À travers les yeux d’une jeune femme de l’Est qui s’éveille au désir, à l’art et au monde, Le Scénario de Prague relate le pouvoir de fascination qu’un professeur aussi exceptionnel que Milan Kundera exerçait sur ses étudiants.

Ce que j’en pense :

Nous sommes dans les années soixante, une jeune femme, Lara, vient d’intégrer la prestigieuse Académie des Arts de Prague pour devenir scénariste. La sélection est dure mais elle réussit à suivre les cours du célèbre Roman Kantor, professeur dont l’aura est telle que ses étudiants, heureux d’avoir été choisis, se laissent peu à peu entraîner dans une relation dominant-dominé, et sont prêts à tout pour satisfaire le Maître.

Lara n’échappe pas à la fascination et noue avec Kantor une relation ambigüe mêlant admiration, et attirance sensuelle, ce qui la conduit à accepter tout et n’importe quoi, le Maître étant exigeant, faisant travailler ses étudiants sur des scenarii qu’il n’hésite pas à s’attribuer.

On comprend très vite que derrière Roman Kantor, se cache Milan Kundera et que le récit est largement autobiographique puisque Natalia Borodin a suivi l’enseignement de Kundera.

On revisite, avec ce récit l’histoire de la Tchécoslovaquie depuis les années soixante à la chute du Mur de Berlin, et la séparation entre République Tchèque et Slovaquie en passant par les espoirs du Printemps de Prague violemment réprimée avec l’entrée des chars soviétiques.

L’auteure nous donne de belles pages sur le Printemps de Prague, les chars, l’exil, l’asile politique, le visa avec lequel l’héroïne est partie pour fuir le Régime qui lui vaut une condamnation à la prison car elle n’est pas rentrée.

Natalia Borodin nous livre un récit très intéressant, photographie d’une époque, d’un pays, insistant au passage sur l’animosité pour ne pas dire la haine actuelle entre Slovaques et Tchèques, qui n’était pas perceptible avant, mais elle déclare quand même avoir été snobée au moment de son inscription à l’Académie, car elle n’était pas née à Prague et vient de la partie slovaque.

J’ai apprécié aussi la rencontre entre Roman Kantor et l’auteur américain Philip R. ou encore Garcia Marquez ainsi que la fascination de l’héroïne pour Luchino Visconti entre autres.

La relation d’emprise qu’exerce Roman Kantor sur ses étudiants m’a heurtée par son côté parfois franchement toxique, mais que Lara accepte, de même que les autres étudiants, les hommes comme les femmes d’ailleurs.

S’il avait fait une invite à un élève ou à une élève, tous l’auraient suivi sans ciller, et auraient accepté tout de lui : discours délirant, humiliation, acte sexuel déviant, violence, injustice…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Cherche Midi qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#LescenariodePrague #NetGalleyFrance !

8/10

Natalia Borodin est franco-américaine, née en Tchécoslovaquie. Scénariste, elle a fait ses études à l’Académie des arts à Prague (la FAMU) dans la classe de Milan Kundera. Le Scénario de Prague, inspiré de cette expérience, est son premier roman.

Extraits :

Nous vivons dans une angoisse irrépressible, dans une agitation perpétuelle. Être renvoyé de l’école, cela signifierait ne plus être l’élève du maître, et nous ne connaissons pas de pire catastrophe que d’en être séparé. Nous écrivons, nous travaillons au détriment de notre santé, de notre équilibre mental et physique, c’est l’écriture qui commande notre vie.

Notre maître sape notre travail scénaristique en se moquant de nous avec la devise de Wittgenstein : « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit. » Il nous pousse à écrire des textes « inadaptables » à l’image, textes que nos autres professeurs, scénaristes chevronnés, démolissent.

J’apprends que malgré les chars dans les rues de banlieues, l’école continue et qu’il faut passer l’examen d’histoire du cinéma.

L’école est notre îlot et il vaut mieux rester sur une île, loin d’un continent plein d’amertume, de peur et de résignation.

La chambre où je travaille donne sur la mer et les collines où a vécu Ezra Pound. Comment a-t-il pu accomplir quoi que ce soit avec cette vie sur la mer ? Quand je la contemple, après un certain temps, je perds ma concentration et j’observe tout bêtement le paysage et la mer changeants.

… notre visité avec Simon, après tant d’années, dans une Tchécoslovaquie qui n’existait plus, nous rentrions en « Slovaquie » et en « République tchèque », division absurde de notre ancien pays que nous n’avons jamais pu accepter. Je lui ai raconté la haine soudaine exprimée contre nous à Prague, lorsque nous sommes sortis d’une voiture louée, immatriculée en Slovaquie, haine que nous n’avons jamais connue quand c’était encore la Tchécoslovaquie…

Comme votre personnage, nous brûlions d’envie de raconter ce que nous avions vécu après avoir quitté la Tchécoslovaquie. Mais, personne ne s’y intéressait, personne ne nous pouvait de questions. Toute la famille attendait seulement et uniquement des cadeaux, pas n’importe lesquels, des cadeaux de valeur, car l’époque, la certitude que tous les Occidentaux étaient fortunés persistait encore…

J’ai observé qu’un émigré, s’il ne réussit pas, on le méprise, s’il réussit, on le jalouse, quoi qu’il fasse, il dérange. Mais, c’est peut-être le propre de la nature humaine que de regarder si le voisin ne possède pas davantage que nous, même si dans le cas d’un émigré, ce penchant humain est plus fort.

Lu premier quadrimestre 2023

7 réflexions sur “« Le scénario de Prague de Natalia Borodin

  1. Un roman très intéressant et dont tu nous parles très bien. J’ai très peu lu sur l’histoire de la Tchécoslovaquie alors forcément ce livre est à noter pour le découvrir un jour. Pour l’instant il n’est pas dans mes deux médiathèques mais puisqu’il est récent, il y sera peut-être à la rentrée. Je le note. Merci pour cette belle chronique

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  2. Patrice

    Merci pour cette chronique très intéressante. Je suis un peu étonné par cette « haine actuelle » entre Tchèques et Slovaques. Il y avait du ressenti à l’époque de la Tchécoslovaquie car les Slovaques se sentaient dénigrés, mais la partition du pays a beaucoup apaisé les relations qui sont aujourd’hui très bonnes.

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