« Grossir le ciel » de Franck Bouysse

Je vous parle aujourd’hui d’un roman qui dormait dans ma PAL depuis longtemps, mais cet été, c’était le moment :

Résumé de l’éditeur :

Les Doges, un lieu-dit au fin fond des Cévennes. C’est là qu’habite Gus, un paysan entre deux âges, solitaire et taiseux. Ses journées : les champs, les vaches, le bois, les réparations. Des travaux ardus, rythmés par les conditions météorologiques. La compagnie de son chien, Mars, comme seul réconfort.

C’est aussi le quotidien d’Abel, voisin dont la ferme est éloignée de quelques centaines de mètres, devenu ami, un peu par défaut, pour les bras et pour les verres. Un jour, alors que l’abbé Pierre disparaît, tout bascule : Abel change, des évènements inhabituels se produisent, des visites inopportunes se répètent.

Un suspense rural surprenant, riche et rare.

Ce que j’en pense :

Je ne vais faire une énième chronique de ce roman, il y en a déjà tant, je vais simplement partager mon ressenti car cette lecture a une histoire : ce livre m’a accompagnée pendant ma cure thermale, et je lisais lorsqu’il y avait une attente entre les soins, car cure thermale et COVID, cela fut particulier…

Je voulais le lire depuis longtemps et, en fait, le format poche en 235 pages était le format idéal, pas trop lourd, solide, résistant plutôt bien à l’humidité omniprésente.

Trêve de plaisanterie, je ne m’attendais pas du tout à ça : roman noir plus que polar, dans cette campagne reculée, dans les Cévennes, les Doges, où le travail de la terre est dur, où le voisin le plus proche n’est pas très commode. A défaut d’amitié, il existe l’entraide entre les deux hommes, mais les mystères d’Abel sont souvent un frein à la confiance.

Devant son poste de télévision, alors que se déroulent les funérailles de l’Abbé Pierre qu’il aimait beaucoup, Gus se rend quand même compte que les éloges dithyrambiques sonnent parfois faux, et en descendant sa bouteille de prune pour combattre son rhume, car l’hiver est froid aux Doges, il pense à sa propre vie.

Franck Bouysse évoque ici des évènements étranges, mais on est loin du polar, on entre dans le domaine de la souffrance, de l’enfance maltraitée, des parents violents, des taloches pour un oui ou un non, de la haine, à part la tendresse de la grand-mère qui le protège comme elle peut.

Gus n’a jamais compris pourquoi ses parents le haïssaient, se demande ce qu’il a bien pu faire, et les violences et les moqueries continuent à l’école. On devine qu’il y a des secrets de famille lourds derrière tout ceci et cela aboutit un beau roman.

Une scène m’a marquée : la mort de la mère et la manière dont elle est ressentie par Gus et ce qu’il en fait.

Un regard tendre, au passage, au tracteur Massey-Fergusson, qui me rappelle tant de souvenirs : mon grand-père en avait un, c’était son premier tracteur, et il avait remisé le Percheron à l’écurie, ne lui confiant que des efforts pas trop durs pour entretenir sa forme…

J’ai découvert la plume de Franck Bouysse avec ce roman et j’ai vraiment beaucoup aimé l’histoire, les personnages, au caractère bien trempé, comme la nature, qu’il s’agisse de Gus ou de son voisin étrange Abel, ainsi que toute la réflexion sur la dureté de la vie, la solitude, le bon sens de Gus…

Le titre est magnifique, il évoque ces lignées de paysans qui s’éteignent peu à peu et s’en vont « grossir le ciel ».

9/10

L’auteur :

Franck Bouysse est né en 1965 et partage sa vie entre Limoges et sa Corrèze natale. Sélection du prix polar SNCF, « Grossir le ciel » a rencontré un succès critique et public.

Franck Bouysse est également l’auteur de « Vagabond », « Pur-Sang » et « Plateau » ou encore « Né d’aucune femme », « Glaise » …

Extraits :

Gus l’observait attentivement en se disant que le vin apportait plus de choses qu’il n’en prenait, que c’était une des grandes lois de la nature, étant donné que son père était bien plus calme quand il avait picolé, comme apaisé…

Pour autant que Gus s’en souvienne, ses parents étaient comme chien et chat, et lui il était bien souvent au milieu, à ne pas savoir qui avait raison ou tort. A ne pas savoir pourquoi il finissait toujours par prendre une torgnole de l’un ou de l’autre, et souvent des deux à la fois.

Ces fragments d’enfance remontaient à la surface comme des corps sans vie gorgés d’eau, et ça n’était visiblement pas prêt de s’arrêter.

Il avait ressenti une sorte de jouissance, un pouvoir tombé du ciel, lui donnant droit de vie et de mort sur celle qui avait toujours apparemment souhaité la sienne, pour d’obscures raisons.

Gus se disait qu’une vie comme la sienne ne se fabriquait pas au milieu des vaches et des cochons, et devait nécessiter l’envie et le besoin de vouloir du bien aux autres sans qu’il soit question de le rendre pour autant. (A propos de l’Abbé Pierre)

A bien y réfléchir, maintenant qu’elle avait quitté ce monde, Gus se disait que, si elle avait vécu aussi longtemps, c’était qu’elle craignait probablement de le laisser seul avec ses parents.

Le vieil homme était d’une ancienne famille de meuniers qui s’était éteinte avec lui. Ici, les lignées, elles s’éteignent toutes les unes après les autres, comme des bougies qui n’ont plus de cire à brûler. C’est ça le truc, la mèche, c’est rien du tout s’il n’y a plus de cire autour, une sorte de pâte humaine, si bien que l’obscurité gagne un peu plus de terrain chaque jour ; et personne n’est assez puissant pour contrecarrer le projet de la nuit.

Il trouvait sacrilège que personne n’ait entretenu l’endroit pour que la mémoire des temps anciens ne se perde pas définitivement, mais c’était plus compliqué que de goudronner une route électorale.

Lu en août septembre 2020

30 réflexions sur “« Grossir le ciel » de Franck Bouysse

  1. Ta réflexion sur la classification en « genre » est très juste… Une coïncidence fait que j’ai eu l’occasion de voir et écouter Franck Bouysse au salon Lire en poche de Gradignan samedi (l’une des rares interventions qui avaient été maintenues…) et il expliquait qu’il avait lui-même été très surpris d’obtenir un prix « polar » pour ce titre, qu’il a lui-même classé, s’il devait être classé, dans du roman noir… J’avais aimé moi aussi ce roman, ainsi que Plateau, mais j’avais été un peu gênée par un lyrisme parfois excessif, que je ne trouvais pas forcément en cohérence avec le propos. Je n’ai pas exprimé ce bémol à la lecture de Glaise, et j’ai bine l’intention de poursuivre avec « Né d’aucune femme »..

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    1. roman noir est préférable car on sort largement du contexte polar pur et dur, il brosse un portrait des conditions de vie très dures, de la solitude…
      Normalement je devrais récupérer bientôt « Né d’aucune femme » à la BM mais vu le contexte cela risque de traîner un peu 🙂

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    1. la cure était très contraignante, masque, gel, pas de contact… morosité, les curistes ne parlaient presque pas…
      comme à Lamalou, on a une double indication : neuro + rhumato, pour les personnes un peu désorientées c’était dur, car on pouvait plus difficilement les toucher, pour ne pas dire pas du tout
      la dernière remontait à mai et j’en avais besoin…

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  2. Le premier titre de cet auteur que j’ai lu, et si mon enthousiasme s’est depuis modéré, je comprends le tien pour ce roman noir. Il y a un équilibre parfaitement tenu entre les paysages et le cadre. C’est drôle, mais je me souviens particulièrement des scènes de neige …

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    1. ce roman est d’une telle puissance! on se sent presque prisonnier du décor et de l’histoire…
      J’ai préféré « Né d’aucune femme » 🙂
      maintenant je fais une pause j’ai le temps de découvrir ses autres romans 🙂

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