« Le portrait de mariage » de Maggie O’Farrell

Aujourd’hui, je vous emmène au XVIe siècle, en Toscane, sur les pas de Lucrèce de Médicis avec ce roman :

C’est un grand jour à Ferrare. On y célèbre les noces du duc Alfonso et de Lucrèce de Médicis. La fête est extravagante et la foule n’a d’yeux que pour le couple.

La mariée a quinze ans.

Rien ne l’avait préparée à ce rôle. Elle n’était que la troisième fille du grand-duc de Toscane, la discrète, la sensible, celle dont ses parents ne savaient que faire. Mais le décès soudain de sœur aînée a changé son histoire.

La fête est finie, Lucrèce est seule dans un palais immense et froid. Seule face aux intrigues de la cour. Seule face à cet homme aussi charismatique que terrifiant qu’est son mari.

Et tandis que Lucrèce pose pour le portrait de mariage qui figera son image pour l’éternité, elle voit se dessiner ce que l’on attend d’elle : donner vie à un héritier. Son propre destin en dépend…

La forteresse, région de Bondeno 1561 : alors qu’elle partage le repas avec son époux Alfonso II d’Este, Duc de Ferrare, dans ce sinistre pavillon de chasse où il l’a emmenée soi-disant pour se reposer, Lucrèce comprend qu’il va la tuer. Sinon, pourquoi ne pas l’avoir emmenée à la Delizia, la villa où ils ont vécu juste après leur mariage, il y a un an à peine ?

Mais revenons à Lucrèce de Médicis, qui avait à peine quinze ans lors de son mariage pour tenter d’en savoir plus sur son enfance en famille. Elle est la fille de Cosme, (alias Cosimo de Medici) grand-duc de Toscane et d’Eléonore de Tolède, un couple auréolé de gloire, avec une progéniture digne de l’époque.

Lucrèce est différente des autres enfant, bébé difficile, insomniaque qui ne s’endort que dans les bras de la nourrice, Sofia, dont elle est infiniment plus proche que de sa mère, ce qui n’est guère étonnant. Elle s’avère douée pour le dessin, la peinture, d’une intelligence rare, ses frères et sœurs la rejettent car elle est différente, plus sensible, et plus rebelle à ce qu’on demande à une fille à l’époque.

A l’âge de treize ans, quand sa sœur Maria, promise à Alfonso décède brutalement, c’est Lucrèce que ses parents vont proposer en mariage à sa place, on ira même jusqu’à retailler la robe de mariage de Maria. En dépit de sa révolte, Lucrèce doit s’incliner…

Après le mariage, elle n’aura plus aucun contact avec ses parents, et devra affronter la cour, la famille de son époux, notamment les sœurs et Leonello Baldassare, le sinistre homme à tout faire : conseiller, surveillance de tous les membres de la cour (et donc dénonciations). Lucrèce est sous surveillance constante ; Une des sœurs d’Alfonso, Elisabetta, est plutôt gentille avec elle, mais l’autre Nunciata ne cesse de l’espionner et de rapporter ses moindres faits et gestes.

Très vite Lucrèce comprend que sa vie est en danger, car pas de grossesse à l’horizon, malgré un régime épouvantable prescrit par le médecin… Seul moment moins stressant : les séances de pose pour le fameux portrait de mariage, où elle est en présence d’un apprenti du peintre.

L’auteure nous brosse un portrait d’Alfonso sans concession : homme aux multiples visages, pouvant passer en une fraction de seconde de la « tendresse » à la violence, ce qui entretient la peur et la suspicion chez Lucrèce. Quand la main de son époux se pose sur la sienne, cela ressemble davantage aux serres d’un aigle sur sa proie.

En fait, on connaît peur de choses sur Lucrèce, car elle est morte très jeune, et il y a peu d’écrits à son sujet, alors Maggie O’Farrell a tenté de lui inventer une vie, aussi courte soit-elle. La vie à la cour est bien abordée, le statut (l’absence de statut serait mieux approprié) de la femme à l’époque, qui doit obéir à son époux, à peine plus considérée qu’un meuble, et dont la fonction est d’engendrer, si possible un fils afin que la lignée perdure …

L’auteure fait alterner les époques : le mariage, l’enfance, l’ambiance sinistre de la cour, ce qui donne du piment au récit, et évite au lecteur de tomber dans la sinistrose, avec le portrait comme fil rouge.

J’ai beaucoup aimé la scène où Lucrèce a réussi à s’approcher d’une tigresse en cage qui son père avait fait capturer, pour sa beauté, et surtout comme trophée à exhiber, comme si ces deux âmes rebelles avaient perdu l’envie de vivre, en étant privées de liberté.

J’ai décidé de lire ce roman, après avoir beaucoup aimé « Perspectives » le roman épistolaire de Laurent Binet qui nous parlait d’une sœur de Lucrèce au destin plutôt funeste également mais elle, au moins aura connu l’amour et également parce que j’adore la plume de Maggie O’Farrell.

J’ai passé un bon moment, j’ai aimé l’exercice consistant à « inventer » une vie à cette jeune femme, qui m’a beaucoup plu d’ailleurs, mais je suis un peu restée sur ma faim malgré la belle écriture et le retour à une époque que j’affectionne particulièrement. Peut-être parce que j’ai placé la barre bien trop haute, j’ai tellement aimé « Hamnet » et surtout « L’étrange disparition d’Esme Lennox », mais il faut reconnaître que l’exercice était difficile.  Peut-être aussi parce que la féministe en moi, hurle de rage intérieurement et d’envie d’occire le duc et son âme damnée, complice…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume d’une auteure que j’apprécie.

#MaggieOFarrell #NetGalleyFrance !

9/10

Lucrèce s’installe à la longue table de dîner, une table au plateau lisse et miroitant comme de l’eau, recouverte de plats, de coupes retournées, d’une couronne de sapin tressée. Son époux est assis non à sa place habituelle, à l’extrémité opposée, mais à côté d’elle, assez près pour qu’elle puisse poser sa tête sur son épaule si l’envie lui prenait ; il déplie sa serviette, rajuste la position de son couteau, approche la chandelle quand vient à Lucrèce, avec une évidence soudaine – comme si un fragment de verre coloré devant ses yeux avait été placé ou peut-être retiré – la certitude que son époux projette de la tuer. Incipit

Pendant un long instant, Lucrèce et la tigresse se regardèrent, la main de l’enfant sur le dos de la bête. Le temps s’arrêta et la Terre cessa de tourner. La vie de Lucrèce, son nom, sa famille et tout ce qui l’entourait s’évaporèrent, se muèrent en un vide. Il ne restait plus que son propre cœur et celui de la tigresse, battant entre leurs côtes, pompant le sang écarlate pour le réinjecter dans leurs veines inondées.

La voilà qui arrive, précieusement tenue dans les bras de  deux servantes. Elle voyage, telle une voile gonflée par le vent, jusqu’à l’endroit où se trouve Lucrèce dans sa robe de chambre et coiffée de son voile, prête. L’étoffe ondule comme de l’eau qui coule ; la soie porte en elle une myriade de bleus, du céruléen d’un ciel clair jusqu’à un bleu d’encre profond, insondable. L’organza d’or, route brillante, scintillante, le sépare en son milieu.

Arrivé devant elle, il se penche en avant, plié en deux et, glissant une main autour de son cou, se courbe encore un peu pour poser ses lèvres sur les siennes – une pression brève, insistante. Ce geste lui rappelle son père apposant son sceau sur un document, marquant par là son appartenance.

Elle est capable de décoder une posture, une tenue vestimentaire, une gestuelle, le positionnement d’une tête, une expression faciale, et même d’un simple coup d’œil. Dès l’instant où elle pénètre dans une pièce, Lucrèce est capable de dire qui possède e plus de pouvoir, qui est le rival de qui, qui est allié, qui peut détenir un secret.

Lit : autrefois, un lieu pour dormir, ou pour rester étendue à écouter la respiration de ses frères et sœurs, les bruits nocturnes du palais. Et voilà qu’à présent, quelqu’un se retrouve en droit d’ouvrir ses draps, de se glisser dessous et de lui faire – ça.

Lucrèce, brusquement, réalise qu’elle se sent elle-même absente de cette salle, ou disparue, évaporée. La duchesse est présente sur le tableau. Là, debout. Mais, Lucrèce, elle, n’est pas nécessaire ; Lucrèce peut s’en aller. Sa place est occupée ; le portrait prendra son rôle dans sa vie.

20 réflexions sur “« Le portrait de mariage » de Maggie O’Farrell

    1. on a tendance à être exigeant avec les plumes qu’on aime (et je n’ai pas corrigé la faute en fait je me suis laissée influencer par le correcteur c’est nul)
      jusqu’à présent elle ne m’a pas déçue. Même si Esme Lennox reste ma préférée parmi ses héroïnes

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    1. c’était compliqué de créer une personnalité à partir d’une femme plutôt une ado dont on connaît peu de choses. Elle lui a donné une vie conforma à l’époque: soumise à son époux, dont le seul rôle était de lui donner un héritier et de se soumettre…
      l’auteure a su la rendre attachante et retrouver la Toscane, les Médicis c’était une grande joie pour moi 🙂

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    1. l’exercice est différent on est dans la fiction, l’auteure invente la vie de Lucrèce et elle restitue très bien les mœurs et la soumission des femmes de l’époque : tu te soumets tu as un enfant, (alors que le problème n’est pas de son côté! ) ou tu meurs

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    1. j’aurais volontiers déchaîner mes instincts meurtriers sur cet ignoble Alfonso et son comparse!!! C’est une bonne analyse de l’époque au passage!
      jusqu’à présent je n’ai jamais été déçue par la plume de Maggie, je fonce dès qu’elle publie un nouveau roman.. Esme Lennox (le 1er que j’ai lu) reste mon préféré 🙂

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