« Impossibles adieux » de Han Kang

Aujourd’hui, destination la Corée du Sud avec ce roman :

Gyeongha fait régulièrement le même rêve, cauchemar même, depuis plusieurs années, et décide de laisser ses dernières volontés ; mais à qui les confier ? C’est alors qu’elle reçoit un appel de son amie Inseon qu’elle n’a pas vue depuis près d’un an. Cette dernière, qui réside sur l’île de Jeju a été hospitalisée car elle s’est tranché deux doigts en coupant du bois. C’est grâce à l’intervention de ses voisins qu’elle a pu être prise ne charge.

Mais, un de ses deux perroquets est resté sur place et n’aura pas assez à manger et surtout à boire, alors elle demande à son amie de se rendre sur l’île. Une tempête de neige s’abat sur le pays, le voyage est long, avion, car, et ensuite plusieurs kilomètres à pied sous la neige. Au cours de son périple elle se perd, puis retrouve son chemin, finit par arriver à la maison de Inseon, mais le perroquet est mort… Ainsi commence un long voyage, parmi les documents, témoignages qu’Inseon a pu recueillir au fil des ans sur la guerre fratricide de Corée, entre les partisans du communisme et ceux du « libéralisme », les milliers de morts dans les deux camps, l’omerta qui entoure les faits, notamment ceux qui se sont déroulés au cours de l’année 1948-1949.  

Han Kang nous livre un récit plein de poésie sur cette tragédie, où les faits sont rapportés avec exactitude, mais entrecoupés d’onirisme, on ne sait pas toujours si on est dans le réel ou dans le rêve, dans le présent ou un passé assez récent, la tempête de neige étant tellement violente que l’on se demande si Gyeongha a pu en réchapper.

Je connaissais comme tout le monde cette guerre qui a abouti au partage du pays en 1953 entre la Corée du Nord, communisme où règne d’une main inflexible « Rocketman » et la Corée du Sud démocratique, mais je ne savais rien de l’ampleur des massacres.

J’ai beaucoup apprécié l’écriture, l’histoire entre les deux amies, et l’Histoire tout court ainsi que la réflexion sur l’adieu, qu’il s’agisse des relations présentes ou du passé douloureux : peut-on vraiment dire adieu, et qu’en est-il des souvenirs. C’est un livre qui va rester longtemps dans ma mémoire. Je l’ai terminé il y a une quinzaine de jours, mais j’ai eu besoin de laisser les émotions retomber.

Han Kang a reçu le prix Médicis Étranger pour ce roman.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont à nouveau fait confiance en me permettant de découvrir ce roman et son auteure

#Impossiblesadieux #NetGalleyFrance !

9/10

C’est étrange, cette sensation de toucher un être vivant. Sans que nous ne soyons ni brûlé ni blessé, cette sensation ne s’efface pas de notre peau. Aucune autre créature que j’avais pu toucher jusque-là ne m’avait donné ce sentiment de légèreté que ces oiseaux.

Une maison sans voisins ni éclairage public. Une maison qui se retrouve isolée dès les premières neiges, sans eau ni électricité. Une maison où toute la nuit un arbre s’avance en agitant ses longs bras. Une maison avec d’un côté une rivière à sec, tandis que de l’autre côté se trouve un village brûlé de suppliciés.

Je ne mange plus de poissons de mer. A cette époque, il y avait la famine et j’avais un nourrisson. Si je ne mangeais pas, je n’aurais pas de lait, mon bébé allait mourir, alors j’en ai ingurgité autant que j’ai pu. Mais, depuis qu’on arrive à vivre sans soucis, jamais plus je n’en avale un morceau. Ces gens-là, les poissons les ont tous mangés. (Témoignage)

Alors qu’il y avait tant de gens dans les camions, il ne restait rien, pas un vêtement, pas une chaussure. La plage où s’était produit le massacre était propre, tout avait été emporté par la marée durant la nuit, le sang aussi avait été lavé. Je me suis dit que c’est pour cela qu’ils étaient venus les exécuter sur la plage.

Je venais de lire le récit des exactions dans la région montagneuse, le massacre de trente mille civils, débuté à la mi-novembre 1948 jusqu’au début 1949. L’opération de terre brûlée s’était achevée sans qu’ait été débusquée la centaine de militants armés. A ce moment-là, vingt mille civils se dissimulaient encore dans le mont Halla…

Plus j’accumulais de données, plus les contours des affaires devenaient nets, je me sentais comme changée. En un état dans lequel je n’étais plus surprise de découvrir tout ce que des humains pouvaient infliger à d’autres humains…  En un état dans lequel quelque chose au fond de mon cœur s’était déjà brisé, où le sang qui passait par là ne jaillissait plus si vigoureusement.

Ce n’est pas une suite de hasards si trente mille personnes ont été massacrées sur cette île cet hiver-là, et deux cent mille sur le continent l’été suivant. Il y avait un ordre du gouvernement américain, il fallait empêcher le communisme de gagner du terrain, fut-ce en assassinant trente mille habitants de l’île.

Mille cinq cents enfants de moins de dix ans ont été tués de cette façon ; avant même que le sang versé sur l’île ait coagulé, la guerre a éclaté et suivant le modèle élaboré sur cette île, deux cents mille personnes, triées dans chaque ville et village, ont été déportées par camions entiers, emprisonnées, fusillées et enterrées en secret, avec interdiction aux familles de réclamer les dépouilles…

12 réflexions sur “« Impossibles adieux » de Han Kang

  1. J’ai vu en effet qu’il avait eu le Médicis étranger et comme j’ai eu l’occasion de découvrir et d’aimer certains auteurs coréens je l’ai noté ! Je vois que j’ai bien fait car tu nous livres des extraits sympa et une belle chronique enthousiaste.

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