« Une vie heureuse » Ginette Kolinka et Marion Ruggieri

Le retard se comble peu à peu, moins vite que je ne l’espérais, mais la motivation et l’énergie reviennent et je partage aujourd’hui, une lecture qui m’a beaucoup touchée :

Résumé de l’éditeur :

Ginette Kolinka, qui va fêter ses 98 ans, habite le même appartement depuis qu’elle a dix ans. Elle a toujours vécu là, rue Jean-Pierre Timbaud, au cœur de Paris, à l’exception de trois ans : de 1942 à 1945.

Cet appartement, c’est sa vie qui défile devant nos yeux. Il y a les portraits de ceux qui ne sont pas revenus de Birkenau : son père, son petit frère, son neveu.

Les disques d’or de son fils unique, Richard, batteur du groupe Téléphone.

Les photos de ses cinq sœurs, Ginette est la cadette, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants.

Les dessins des écoliers, à qui elle raconte désormais son histoire, tous les jours, aux quatre coins de la France.

Et même les meubles qu’ont laissés les « collabos ».

Ginette nous fait la visite.

On traverse le temps : l’atelier de confection de son père, la guerre, ce mari adorable et blagueur. Les marchés, qui l’ont sauvée. Et les camps qui affleurent à chaque page, à chaque pas.

Mais Ginette, c’est la vie ! Le grand présent. « On me demande pourquoi je souris tout le temps, mais parce que j’ai tout pour être heureuse ! »

Ce que j’en pense :

Ginette Kolinka nous invite dans cet appartement dans lequel elle habite depuis qu’elle a une dizaine d’années, comme elle le dit « Toute ma vie, j’ai habité ici. À l’exception de trois années, de 1942 à 1945. ». Après avoir monté les escaliers, dans ses pas, le couloir, on entre dans le vestibule et on la suit dans les différentes pièces. Chacune va faire remonter des souvenirs, au gré des photos, elle évoque pour nous ses parents ses frère et sœurs au temps de la vie en famille avec les marchés et leur dureté, l’atelier de confection de son père.

Elle évoque surtout le passé, l’arrestation dans le Sud, sur délation, le retour, la culpabilité de revenir seule se sentant coupable d’avoir envoyé son père et son frère dans la chambre à gaz à leur arrivée. Elle parle peu des camps, si ce n’est pour le devoir de mémoire : après une longue période de silence (elle n’en parlait ni à ses sœurs, ni même à son mari, elle avait peur de ne pas être crue) et explique l’importance d’aller témoigner, parler devant les collégiens, lycéens. Elle a décidé, une fois pour toute, de vivre l’instant présent et de profiter de la vie, « une vie heureuse » dit-elle.

De Auschwitz Birkenau, elle parle des lourds travaux de terrassement, de la faim, des amies Simone Veil et Marceline Loridan, deux femmes admirables elles-aussi.

Elle évoque pour nous son mari, Albert, son côté facétieux, volontiers blagueur avec lequel elle a repris les marchés ainsi que le goût de la vie.

J’ai beaucoup aimé la manière dont elle évoque son fils Richard, le génial batteur du groupe Téléphone que j’aime tant, et sa fierté devant les disques d’or. Ginette Kolinka est une femme lumineuse, son sourire nous emporte et ce court récit autobiographique, écrit à quatre mains avec Marion Ruggieri est magistral, nous faisant entrer dans son intimité, sans que l’on se sente voyeur en la suivant dans son appartement.

Petite réflexion personnelle : il est important que les personnes revenues des camps nazis continuent de témoigner, car la montée actuelle des nationalismes notamment en Europe, alors qu’il y a quelques années à peine, on était persuadé que « plus jamais ça » fait froid dans le dos, et maintenant la guerre est à nos portes, mais comme disait Jacques Chirac à propos de la planète : « La maison brûle et nous regardons ailleurs » alors que les flammes se rapprochent. Mais certains diront que je vieillis mal…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce livre et la personnalité extraordinaire de Ginette Kolinka.

#Unevieheureuse #NetGalleyFrance !

9/10

Extraits :

Parfois je me demande pourquoi je n’ai pas posé de questions. J’étais jeune, indifférente à tout ce qui s’était passé avant. Je me contentais du présent. Et c’est toujours le cas.

J’ai envoyé mon père et mon frère à la mort. Je m’entends encore leur crier, en arrivant à Auschwitz et jusqu’à la fin de ma vie ; « Gilbert, papa, prenez le camion, vous vous fatiguerez moins. » Le camion les a conduits au gaz…

Et puis Simone m’offre cette robe que la pire des Kapos de Birkenau lui a donnée. Je me suis sentie jeune fille. Sans ça, je me serais peut-être laissée partir. La robe de Simone, tout le monde m’en parle. Elle ne s’en souvenait plus.

Les marchés, il faut rester des heures debout par grand froid ou sous des chaleurs épouvantables. Peut-être que celles qui travaillaient dans des bureaux ont eu plus de mal dans les camps. Je ne sais pas.

Toutes ces médailles, je ne sais plus où les poser. Je les garde car c’est offert avec plaisir même si ça n’est pas mérité. Autrefois, la Légion d’honneur, c’était pour les héros. Qu’est-ce que je suis moi ? Un zéro. Mais les témoins se font rares.

Lu premier semestre 2023

17 réflexions sur “« Une vie heureuse » Ginette Kolinka et Marion Ruggieri

  1. Un beau et important témoignage en effet. Il faut aussi écouter Ginette Kolinka de vive voix si on en a l’occasion, sa personnalité pétillante ressort encore plus et ça accentue le contraste avec ce qu’elle a vécu. Je l’ai entendue à la radio et le Mémorial de la Shoah a mis des témoignages audio en ligne sur son site. Je partage tes craintes, hélas, et il faut écouter et lire les témoins tant qu’ils et elles sont là.

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    1. j’aime beaucoup ses passages à la TV La Grande Librairie, ou d’autres moins « littéraires » elle est tellement pétillante, qu’elle donne le punch … j’aimais beaucoup aussi Marceline Loridan et Simone Veil
      j’ai toujours lu beaucoup sur la deuxième guerre mondiale, l’holocauste, et chaque fois qu’un témoignage est publié je fonce c’est tellement important la mémoire 🙂

      Aimé par 3 personnes

    1. ce témoignage est très fort, la capacité de résilience de Ginette Kolinka est admirable. comme « L’enfant des camps » de Francine Christophe ou « Et tu n’es pas revenu » de Marceline Loridan entre autres 🙂
      La BD est dans ma PAL mais a priori, elle n’est pas à la médiathèque …

      J’aime

    1. chaque fois que je la vois (à la TV car je n’ai pas encore pu la voir de visu) elle me touche et me donne la pêche…
      j’ai aimé partagé son intimité dans son appartement, comme si elle m’avais invitée à prendre le thé 🙂
      j’avais coutume de dire que Simone était ma mère de substitution, je me suis sentie orpheline quand elle nous a quittés…
      je n’ai pas encore lu sa biographie elle m’attend sur une étagère et je remets toujours à demain 🙂

      Aimé par 1 personne

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