« Les Filles comme nous » de Daphne Palasi Andreades

Après la déconvenue du prix Goncourt, je vais vous parler aujourd’hui, d’un premier roman très prometteur choisi pour son titre son résumé mais aussi sa couverture plutôt originale :

Résumé de l’éditeur :

Les murs du quartier du Queens résonnent d’une multitude de langues, le métro fait vibrer les bazars, le ciment est sillonné d’herbes folles et le parfum de l’océan Atlantique parcourt les rues depuis Rockaway Beach. Dans ce quartier hétéroclite et vibrant, des jeunes femmes tentent de conjuguer leurs origines métissées avec la culture américaine qui les a vues grandir. C’est ici qu’elles se jurent d’être meilleures amies pour la vie.

Débordantes d’énergie, les filles à la peau brune arpentent New York, chantent Mariah Carey à tue-tête, s’éprennent de garçons désintéressés et brisent des cœurs tout en essayant d’honorer l’image lisse de filles obéissantes que leur imposent leurs mères. Mais en grandissant, un fossé se creuse : là où certaines restent fidèles à leurs racines, d’autres s’évertuent à toucher les étoiles.

Premier roman embrasé par un chœur de voix inoubliables, Les Filles comme nous raconte la découverte de l’âge adulte, l’amitié féminine, et la quête poignante de femmes à la peau brune qui tentent de se forger une place dans le monde d’aujourd’hui. Tiraillées entre ambition et loyauté, liberté et engagement, aventure et sécurité, c’est à chacune, et au Queens, qu’elles s’en remettent.

Ce que j’en pense :

New-York, pleins feux sur un quartier, le Queens où l’on va suivre le quotidien de plusieurs  jeunes filles à la « peau brune » tout au long de leur scolarité, puis de leur vie d’étudiantes, de femmes dans une Amérique où tout est loin d’être facile pour elles.

Il y a les plus motivées, qui travaillent bien à l’école, choisissent un collège, souvent loin de chez elles impliquant de longs trajets en bus, afin d’avoir les meilleures chances alors que d’autres préfèrent rester dans leur quartier. Plus tard, elles choisiront une université cotée, qui leur permettra d’avoir un bon diplôme, côtoyant au passage, parfois en serrant les dents, les étudiants blancs dont les parents sont riches, et si possible, épouser un Blanc pour sortir définitivement de la misère.

Nos professeurs nous amusent, même si nos regards restent durs. Nos camarades de classe explosent de rire lorsqu’ils se trompent et font exprès de nous appeler par le mauvais prénom pour le restant de la semaine.

Elles se réunissent souvent entre elles, débordent d’une énergie communicative, le nez dans le guidon pour arriver à un travail qui leur plaît. Leurs parents sont souvent illettrés, venus de pays en guerre. Les mères qui s’en sont le mieux sorties travaillent dans le milieu médical, aides-soignantes qui se font souvent agresser verbalement par des patients Blancs jamais contents.

Souvent les frères ont laissé tomber les études, et sombré dans la délinquance, et galèrent pour trouver un emploi à cause de leur casier judiciaire ensuite.

Nos frères nous brisent le cœur encore et encore. Lorsqu’ils ne peuvent pas trouver de travail à cause de leur casier judiciaire, ils reprennent leurs anciennes habitudes. Ils n’ont pas besoin de nous le dire, nous le savons.

J’ai beaucoup aimé « ces filles comme elles », leur énergie, leur manière de se rebiffer contre les mains baladeuses ou les réflexions sexistes, leur culpabilité parfois de s’être éloignées de leurs familles, des traditions qu’elles ne connaissent pas…

Je vais retenir un chapitre en particulier : celui du retour aux sources dans les pays de leurs ancêtres, dont elles ne connaissent souvent même pas la langue et retrouve une tante, un oncle ou une grand-mère qui vont leur permettre de nouer des liens et retrouver une partie d’elles-mêmes qui leur manquait sans qu’elles en aient vraiment conscience…

Le roman évoque les années Trump et ses dérives, où les adeptes ne cherchent même plus à cacher leur racisme, les années Covid (une grippette n’est-ce pas Mister Trump ?) avec les hôpitaux surchargés où l’on sait vraiment rendu compte de l’importance des soignantes, de leur dévouement (prise de conscience également pour les « filles » qui ne savaient pas grand-chose des journées harassantes de leurs mères) …

Ce premier roman polyphonique est très fort, bien écrit, avec des chapitres courts mais intenses et une idée originale : elles s’expriment au nom du groupe, tout en racontant des histoires personnelles, on découvre des prénoms mais on ne sait pas forcément qui parle ce qui rend le récit encore plus vivant.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et la plume de son auteure en espérant la retrouver bientôt pour un autre roman.

Sortie prévue le 12 janvier ; s’il vous intéresse, il est proposé par Babelio pour Masse critique littératures …

#LesFillescommenous #NetGalleyFrance !

8/10

Diplômée de l’université de Columbia, Daphne Palasi Andreades a grandi dans le Queens, au sein d’une famille d’immigrés philippins. Les Filles comme nous, finaliste du Center for Fiction 2022 First Novel Prize, est son premier roman.

Extraits :

Nous vivons au fin fond du Queens, à New-York, là où les avions volent si bas que nous avons toujours l’impression qu’ils vont s’écraser sur nos têtes. Dans notre pâté de maisons pousse un arbre esseulé. Ses branches s’emmêlent dans les lignes électriques. Ses racines transpercent les trottoirs sur lesquels nous roulons avec nos vélos, avant qu’on nous les pique.

Les filles de couleur chantent, sautent, virevoltent. Les filles de couleur hurlent Mariah à pleins poumons, gloussent dans les cours d’école, jouent au handball, médisent.

Nous nous contentons donc de manger nos burgers au poulet cuits à 180 degrés dans des fours industriels, que nous arrosons de ketchup. Des déjeuners fournis par la ville de New-York via le gouvernement américain, précisément les repas que mangent les détenus en prison – c’est ce que nous a appris notre professeur de sciences sociales, Monsieur DiMarco…

Les plus déterminées et plus têtues d’entre nous ont été acceptées dans des lycées à Manhattan… Nous sommes celles qui ont contemplé les gratte-ciels de Manhattan de l’autre côté de la baie chaque fois que nous prenions le bus pour rentrer chez nous, celles qui rêvaient d’aventure, de glamour, d’échapper à nos quartiers, voire tout cela à la fois.

Certaines d’entre nous partent malgré tout. Dans des universités – Berkeley, Northwestern, UT Austin – à l’autre bout du pays. Sayonara, New-York ! lançons-nous, je me tire d’ici ! et partir ne nous attriste pas le moins du monde. Certaines vont dans l’unique université vraiment prestigieuse de notre ville à une dizaine de stations de métros – autant dire à des années-lumière – de chez nous.

Les patrimoines de nos familles, les histoires dont nous avons hérité : des grands-parents qui n’ont jamais appris à lire, des dictateurs soutenus pars les États-Unis, des bombes, des guerres, des camps de réfugiés, des bases navales, des canaux, de l’or, des diamants, du pétrole, des missionnaires, la fuite des cerveaux, le rêve américain.

Nous trouvons certains de nos camarades sympathiques. Mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Malgré tout, nous nous efforçons de rire avec eux, sachant que nos proches ont fait le ménage chez eux, ont ramassé la merde de leurs chiens, les ont élevés ainsi que tous leurs frères et sœurs. Ou, si nos parents étaient « mieux lotis », ont soigné leurs proches à l’hôpital où ils étaient infirmiers, aides-soignants, thérapeutes.

Un désir d’évasion, un désir de fuite nous submerge. Mais nous, nous sommes des filles sages – nous nous obligeons à rester. Car nous sommes celles qui ont « réussi », pas vrai ? Nous sommes celles qui ont travaillé si dur. Des filles américaines, qui vivent le rêve américain. Mais, pourquoi ? Pour qui ?

En découvrant les pays que nos proches ont toujours considérés comme chez nous, nous comprenons que nous ne connaissions ces endroits qu’en théorie : à travers une mosaïque de souvenirs, d’histoires familiales, de vieilles photographies, de recherche de cousins oubliés sur Facebook, d’articles de la presse et de films hollywoodiens où les imperfections n’existent pas et où tout es lisse.

Cependant, l’issue de nos voyages est toujours la même : nous partons, nous partons, nous partons. Nous partons toujours. Partir est dans notre sang.

Pourquoi avoir cru que chez soi se résumait inévitablement à un seul endroit ? Alors qu’exister dans ces corps signifie porter en soi plusieurs mondes.

Les hommes visent déjà de nouveaux territoires au-delà de notre planète, des surfaces et des lunes à creuser, desquels tirer profit, à coloniser et à peupler sans un coup d’œil au lieu qu’ils ont laissé ravagé par les flammes. La terre, une mère abandonnée.

Jamais de la vie nous n’aurions le courage de partir vivre notre rêve dans un autre pays, d’apprendre une langue inconnue, de fonder des familles sur un sol étranger, loin de ceux que nous aimons… Résilientes, fortes, déterminées, nos mères se sont façonné des foyers bien à elles. Cela aussi est dans notre sang.

Lu en janvier 2023

16 réflexions sur “« Les Filles comme nous » de Daphne Palasi Andreades

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.