« Une terrible délicatesse » de Joe Browning Wroe

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi pour son titre, sa couverture, son résumé et l’engouement qu’il a suscité au Royaume Uni :

Résumé de l’éditeur :

L’événement littéraire de 2022 au Royaume-Uni. Un roman bouleversant et plein d’espoir sur la résilience, le pardon et la fragilité du bonheur.

Octobre 1966. William Lavery, dix-neuf ans, vient de recevoir son diplôme. Il va rejoindre, comme son père et son grand-père avant lui, l’entreprise de pompes funèbres familiale. Mais alors que la soirée de remise des diplômes bat son plein, un télégramme annonce une terrible nouvelle : un glissement de terrain dans la petite ville minière d’Aberfan a enseveli une école. William se porte immédiatement volontaire pour prêter main-forte aux autres embaumeurs.

Sa vie sera irrémédiablement bouleversée par cette tragédie qui jette une lumière aveuglante sur les secrets enfouis de son passé. Pourquoi William a-t-il arrêté de chanter, lui qui est doué d’une voix exceptionnelle ? Pourquoi ne parle-t-il plus à sa mère, ni à son meilleur ami ? Le jeune homme, à l’aube de sa vie d’adulte, apprendra que la compassion peut avoir des conséquences surprenantes et que porter secours aux autres est peut-être une autre manière de guérir soi-même.

Ce que j’en pense :

Le roman s’ouvre, en 1966, sur la brillante réussite de William à son examen d’embaumeur alors que se produit la catastrophe d’Aberfan : un glissement de terre dans une petite ville minière vient achever sa course sur une école et quelques maisons avec des dégâts considérables, des enfants morts en grand nombre.

William s’apprêtait à entrer dans l’entreprise familiale de Pompes funèbres, son destin était tracé, mais en entendant la terrible nouvelle il décide de se porter volontaire, malgré les efforts de son oncle Robert, pour aller prêter mainforte aux embaumeurs déjà sur place.

Ceci va changer complétement sa vie : il met un point d’honneur à rendre hommage à ces enfants, qu’il est parfois difficile même d’identifier, en faisant son travail le mieux possible, avec des rencontres avec les mères, parfois à la limite du supportable : comment fait-on face à la mort d’un enfant, alors qu’il n’y a même pas de nom pour qualifier ce qui leur arrive. Il décide de se rendre ensuite aux obsèques, caché dans les collines, par peur d’être considéré comme un voyeur mais lorsqu’un hélicoptère survole les lieux des funérailles c’en est trop, il se met à chanter pour un dernier hommage et lutter contre ce bruit sacrilège.

Au retour, rien ne sera plus pareil, il prend ses distances, notamment avec Gloria sa fiancée qu’il envisage même de quitter car pour lui il est impossible désormais d’envisager d’être père un jour.

Dans un constant voyage entre passé et futur comme je les aime, Joe Browning Wroe va nous entraîner en 1957 au chœur de l’internant de Cambridge, où William doté d’une voix magnifique vient d’être admis, avec la vie difficile dans ces établissements à l’époque : châtiments corporels, douche glacée le matin, discipline de fer, sur fond de « discrimination » certains ont tendance à snober cet enfant boursier, qui ne vient pas comme eux d’un milieu aisé. Seul Martin veille sur lui et deviendra son ami.

On comprend très vite qu’il s’est passé quelque chose de grave à l’internat mais l’auteur nous le révèlera en temps voulu.

Ce roman nous parle des difficultés de l’adolescence, du deuil, William ayant perdu son père alors qu’il avait seulement quatre ans, et sa mère Evelyn qui supporte mal de voir Robert le frère jumeau de son époux, et le couple homosexuel qu’il forme avec Howard. Comment se construire quand on a besoin des deux : de sa mère et de son oncle, le seul à pourvoir lui parler de son père…

Evelyn veut l’éloigner à tout prix pour qu’il ne rejoigne pas plus tard l’entreprise familiale. Donc une enfance sur fond de conflits, de non-dits qui le pousse à choisir un camp malgré lui. Alors quand survient à l’âge adulte la tragédie d’Aberfan, William va faire ce qu’il sait faire pour tenter de se protéger : fuir, ne pas parler pour oublier, pour mieux se fuir soi-même…

Joe Browning Wroe nous parle de fort belle manière de reconstruction, de résilience, de choc post traumatique avec les terribles cauchemars de William, les accès de panique ainsi que des bienfaits de la musicothérapie, avec le retour vers le chant.  Elle parle très bien de l’importance du pardon, de l’effet dévastateur des brouilles familiales, et du droit de chacun au bonheur : on a le droit de vouloir être heureux alors qu’on se sent coupable d’être vivant quand des enfants sont morts tragiquement.

La manière dont l’auteure nous livre les éléments à la manière d’un puzzle est très intéressante car elle permet au lecteur de laisser libre cours à son imagination, entretenant un peu de suspense et construisant au passage la personnalité du héros.

Joe Browning Wroe décrit très justement le métier d’embaumeur, qu’elle connaît bien, ayant grandi elle-même dans un crématorium et  auquel elle rend hommage avec ce roman.

La description de la morgue d’Aberfan est très forte, ainsi que certaines scènes notamment l’évocation de la résilience avec le Chœur du Minuit que Martin anime avec des hommes qui ont beaucoup souffert… l’image de cette mère qui se réjouit quand William lui montre le bras de son enfant, car elle sait enfin à quoi s’en tenir.

Ce roman m’a énormément touchée, car il traite de thèmes que j’apprécie particulièrement et je pense qu’il est impossible de ne pas finir en larmes de certaines évocations. J’ai beaucoup aimé la sensibilité et la justesse du ton de l’auteure qui ne tombe jamais dans le pathos.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et la plume prometteuse de son auteure.

#Uneterribledélicatesse #NetGalleyFrance !

Jo Browning Wroe a grandi dans un crématorium à Birmingham, en Angleterre. Elle est titulaire d’une maîtrise en écriture créative de l’Université d’East Anglia et est maintenant superviseure de l’écriture créative au Lucy Cavendish College de Cambridge.  Une terrible délicatesse est son premier roman.

Extraits :

Il s’est passé quelque chose de terrible hier, au Pays de Galles, mais c’était le jour de la remise des diplômes, alors William n’y a guère prêté attention. Il vient de terminer sa formation au Thames College of Embalming avec des résultats exceptionnels, du jamais vu.

Au moment où les mineurs ont vu les masses de terre commencer à s’effondrer, les villageois n’avaient pas la moindre idée qu’un mur de douze mètres de débris dévalait dans leur direction à une vitesse de quatre-vingt kilomètres à l’heure. Après avoir dévasté une ligne de chemin de fer, un canal désaffecté et une ferme, l’avalanche et venue s’arrête sur l’école primaire Pantglas et deux rangées de maisons.

William comprend le réconfort et le soulagement qu’il y a à enfin savoir où est son enfant, et qu’il ne peut plus lui arriver aucun mal. Quel est ce monde affreux où les chanceux sont ceux qui réussissent à identifier le cadavre de leur petit ?

Dans les moments où il craint d’oublier, la simple idée qu’oncle Robert existe sert à la réconforter. Non seulement parce que Robert et son père étaient frères et meilleurs amis, mais également parce qu’ils étaient jumeaux et se ressemblaient comme deux gouttes d’eau.

William comprend combien ce doit être dur pour sa mère de se retrouver face à un homme qui est e portrait vivant de son défunt mari, mais il est triste lorsqu’elle donne l’impression de ne pas aimer Robert. Ni Howard.

Les meilleurs souvenirs, le prêtre ne les connaît pas, et puis William n’est pas certain de savoir ce que c’est un « meilleur souvenir » ; tout est un mélange de bon et de mauvais, de chaud et de froid…

« Tu ne te dis pas, des fois, que ça peut être douloureux pour eux ? De chanter l’amour, et que le monde est beau ? » William est adossé au mur tandis que Martin ferme la salle.

Ce n’est pas parce qu’ils ont tout perdu qu’ils ne sont plus humains. Je pense que la plupart ont été un jour amoureux. La plupart ont dû aussi penser un jour que le monde était beau. Selon moi, chanter ces choses-là les aide à rester en lien avec ceux qu’ils ont été, sont, pourraient être…

Lu en août 2022

22 réflexions sur “« Une terrible délicatesse » de Joe Browning Wroe

    1. il m’a beaucoup plu tous les personnages sont intéressants , bien décrits
      Will m’a plu par ses capacités de résilience car son histoire est quand même dure 🙂
      côté choix, c’est toujours aussi compliqué pour moi car je ne sais pas résister à la tentation et il y en a eu quand même pas mal 🙂

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    1. bel oxymore en effet et qui plairait bien à notre ami Boris (Cyrulnik) …
      j’ai aimé vraiment cette histoire, autant pour le thème de la résilience que l’hommage au métier d’embaumeur et à la tragédie d’Aberfan 🙂

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    1. il es intéressant, bien construit j’aime bien ces récits qui mêlent présent passé récent ou ancien et il n’est pas difficile à lire, malgré le sujet l’auteure sait accrocher la sensibilité du lecteur… J’espère qu’on va vite la retrouver 🙂

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    1. c’est un univers très spécial que je connaissais très peu et j’ai aimé la façon dont le récit est structuré, l’impact de la tragédie d’Aberfan dont je ne me souvenais pas du tout… Et la manière dont ce gamin essaie de se construire écartelé entre ses oncles, sa mère et comment avancer 🙂

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    1. c’est vraiment une belle histoire, peine de sensibilité, et la manière de parler de la tragédie d’Aberfan m’a plus presque autant que la manière de pratiquer le métier d’embaumeur:-)
      je me suis habituée à la lecture sur liseuse ne qui n’était pas couru d’avance mais c’est tellement pratique… Je n’avais plus de place pour les livres mais quand un e-book me plaît vraiment beaucoup je l’achète quand même 🙂
      je suis incorrigible 🙂

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