« Jolis, jolis monstres » de Julien Dufresne-Lamy

 

Je vous parle aujourd’hui d’un livre dont le titre m’a attirée d’emblée sur NetGalley, alors je ne pouvais que me laisser tenter :

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Certains disent qu’on est des monstres, des fous à électrocuter. Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme. Les plus jolis monstres du monde.

Au début des années sida, James est l’une des plus belles drag-queens de New York. La légende des bals, la reine des cabarets, l’amie fidèle des club kids et des stars underground. Quand trente ans plus tard il devient le mentor de Victor, un jeune père de famille à l’humour corrosif, James comprend que le monde et les mentalités ont changé.

Sur trois décennies, « Jolis jolis monstres » aborde avec finesse et fantaisie la culture drag, le voguing et la scène ballroom dans un grand théâtre du genre et de l’identité. Au cœur d’une Amérique toujours plus fermée et idéologique, ce roman tendre mais bruyant est une ode à la beauté, à la fête et à la différence. Une prise de parole essentielle.

 

Ce que j’en pense:

On explore le monde des Drag Queens à deux époques différentes, sur trois décennies, en fait. D’un côté on fait la connaissance de James devenu Lady Prudence en entrant dans la maison Xtravaganza, où elle fait la connaissance de Venus et Angie mais aussi de Lady Bunny. Ces maisons permettaient à ces femmes de trouver une deuxième famille, car elles avaient été exclues sans ménagement par leur vraie famille.

Le « père Xtravaganza, Hector par exemple a été humilié dans l’enfance : « Sa première expérience avec un gars, Hector avait sept ans. Du genre précoce, l’enfant béni. Quand sa mère l’a appris, elle a commencé à le traiter comme de la merde. Tu veux être une femme, commence à nettoyer. Hector est devenu son esclave. Puis il s’est enfui… »

On découvre ainsi la manière dont elles vivaient, les spectacles avec le côté paillettes, les heures passées à se maquiller mais aussi à faire disparaître tout signe de masculinité avec des méthodes de « scotchages » barbares. Mais il y a aussi l’envers du décor, les moqueries, les insultes, les agressions quand elles sortent des clubs après le spectacle. Elles passent parfois tout près de la mort.

De nos jours on a Victor Santiago, marié à Kate, une petite fille, une famille comme tout le monde alors que lui sent au fond de lui autre chose… L’achat de sa première robe, qu’il n’ose pas mettre. La fête foraine où il emmène sa fille, même sur la grande roue alors qu’il a le vertige, comme un cadeau d’adieu, car il sait qu’il va s’en aller et tenter de se trouver en Mia de Guadalajara.

Victor Mia rencontre alors James qui a tout laissé tomber pour s’occuper d’un ranch, mais revient sur les traces de ce qui fût sa vie autrefois. Il va lui servir de mentor, lui apprendre à marcher sur des talons aiguilles, s’habiller, se maquiller et en même temps évoquer pour lui sa vie du temps de la célébrité, ses relations avec Angie, Venus et d’autres.

Toutes ces Drag-Queens ont eu des enfances particulières, et se sont heurtées à l’incompréhension, au rejet et les relations de Victor avec sa mère Maya sont vraiment très particulières.

Tout change brutalement quand le Sida fait son entrée en scène, avec les dénis de l’époque, les ravages que cette maladie a pu faire. Il y aura un avant et un après.

Le choix du nom de scène est important : « Victor, ton nom de scène est ton identité. Dans le milieu, chacun son blase, chacun sa planète d’origine. Si tu ne te bénis pas, tu ne peux pas savoir qui tu deviendras. »

On croise au passage des personnalités connues, Madona, David Bowie ou encore RuPaul, compagne de route de la famille Xtravaganza, qui sera une vedette de la télévision, ce qui donne encore (s’il y en avait besoin) du piquant au livre.

Ce livre bouleversant rend hommage à ces drags Queens célèbres (et les autres) sans jamais tomber dans le sensationnel, ou le voyeurisme. Il décrit leurs parcours, leurs souffrances, leurs vies et nous propose à la fin du livre toute une série de photos… j’ai beaucoup aimé entrer dans cet univers que je ne connaissais pas. Je les ai côtoyées, accompagnées au fil des pages et je n’avais pas du tout envie de les quitter…

Donc un livre bouleversant, qui va rester longtemps dans ma mémoire. Un des romans de cette rentrée littéraire qui m’a particulièrement touchée. La plume de Julien Dufresne-Lamy est pétillante et dégage une énergie très communicative, nous met des paillettes dans les yeux… Bip-bip ! je deviens lyrique, alors je m’arrête là…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui ont permis cette découverte.

#Rentreelitteraire2019 #NetGalleyFrance

Je vous propose deux photos en annexe dans le livre:

 Angie Xtravaganza,

Angie Xtravaganza drags

 

Venus Xtravaganza,

Venus Extravaganza Drag

 

et quelques liens

Lady Bunny et RuPaul : https://www.linternaute.com/actualite/societe/1226859-ces-stars-ont-change-de-sexe-les-100-transsexuels-et-transgenres-les-plus-influents/1227817-lady-bunny-artiste

Vidéo Angie : https://www.youtube.com/watch?v=-YrP3Ajf6qM

Vidéo Venus : https://www.youtube.com/watch?v=4ekU2KVP2HE

 

L’auteur

Julien Dufresne-Lamy a trente et un ans et vit à Paris. Après Les Indifférents (Belfond, 2018), Jolis jolis monstres est son quatrième roman. Il est aussi l’auteur de plusieurs textes pour la jeunesse.

 

Extraits

 

Après le fard, l’étape scotch. Faire disparaître tout ce qui dépasse. Les parties intimes, les zones de James. J’enveloppe le bazar d’adhésif et le remonte par derrière. Il faut y aller à pleines mains et à trois collants. Ça fait un mal de chien, mais être un monstre, c’est une douleur aussi.

 

Je m’appelle James et je suis exquise… Dans la famille des drag-queens, je suis la beauté, l’altesse. Pas l’animatrice de garderie. Courtoise, je souris façon grande dame, la mise ne pli impeccable… On chuchote que j’ai le regard de Naomi Campbell, le sourire acier de Grace Jones et la chevelure tempête de Diana Ross….

 

Avant d’être un monstre, j’ai grandi avec deux parents frapadingues et trois chats de gouttière… Ma mère était jardinière, mon père entraîneur de chevaux. Deux têtes dures qui vieillissaient en colère…

 

Ton passé est ainsi. Emmuré de violence. Tu grandis comme ça, un gouffre temporel dont tu es prisonnier, petite bouche chaude qu’on appelle enfance. Tu as deux, quatre, six ans et tu grimpes sur des trottoirs léchés de sang. Des flaques de cartouche tirées contre les murs, des balles laiton qui traînent au sol, noircies sue le devant, que le petit Victor voudrait cueillir comme des châtaignes…

 

Tu me dis être originaire de la Ville des Roses, Guadalajara, Mexique. La capitale de l’Etat de Jalisco, étau entre Zapopan et Tonalà. Tu n’y es jamais allé… Guadalajara, tout en rebond, en accent, en histoires de familles, alors que tu doutes de la punaiser correctement sur le planisphère. Malédiction des fils d’immigrés…

 

Au bal, tu viens montrer ton arrogance. Tu es vue, tu es venue, tu vaincras, c’est notre devise. Dans la vie, on nous ignore, on nous rejette, on nous brise les genoux à coup de battes de fer. Voilà pourquoi on se retrouve là. C’est notre façon d’exister. Notre manière à nous de faire comme les blancs. D’être des superstars.

 

Nous avons passé l’après-midi devant nos miroirs à créer nos monstres et quand je regarde mes copines se préparer, je réalise à quel point nous aimons la beauté… Personne ne sait à quel point c’est difficile de ressembler à des femmes.

 

Avec les drags, les hommes se comportent comme des trouducs. Ce doit être écrit dans la Bible ou le code génétique. Dans la hiérarchie des proies, les hommes nous situent entre la jeune fille « qui l’a bien cherché » et la catin immigrée.

 

Mais ce truc coriace prend racine. En silence. Comme un tsunami, quand la mer se retire avant la grande vague. Nos amis, nos proches, nos sœurs tombent malades.

 

Les new-yorkais ne s’inquiètent jamais. Ils sont bouffis d’ignorance, égoïstes, sales comme leurs trottoirs…

 

C’est pour ça que le milieu les adore. Ces filles-là ont l’aura des grandes divas. Et la simplicité de gens comme nous. Parce qu’elles sont comme nous au fond. Des gays bourrés de complexes, d’histoires, de névroses, qui se métamorphosent le soir. Sur scène, ils viennent se soigner et nous soignent.

 

Après sa contamination, Angie ne dira jamais séropositive, elle ne prononcera jamais le mot sida. Elle remplacera, enjolivera. Fanfreluche, falbala, bagatelle. Angie a la guipure et elle et moi en feront des confettis.

 

Certaines copines pactisaient avec le peuple. Dame Edna Everage papotait avec les ménagères, Willi Ninja défilait en direct pour Gauthier et Rupaul s’invitait dans les late-shows pour sa première autobiographie, vendue comme des donuts dans tous les hypermarchés de l’Amérique…. Succès fureur des spectacles de drags de la Nouvelle Orléans à Key West en passant par Princetown. Le drag s’exportait à l’international.

 

Certains disent toujours que nous sommes des monstres. D’autres pensent que l’on est les plus belles choses de ce monde. C’est Venus qui disait ça. Elle avait ton âge quand elle est morte, mais elle avait tout compris. Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme. C’est vrai que nous sommes les plus jolis monstres du monde.

 

N’oublie jamais qui nous sommes, Victor. Nous sommes un petit pays fou dans la doublure du monde. Bric-à-brac de bric et de broc, clandestin, caché dans les replis des consciences. Nous devons montrer nos nuances, nos ratures, nos erreurs de la nature. Nous sommes une chose et une autre, tout et son contraire, nous sommes la perfection et ses défauts.

 

CHALLENGE 1% 2019

Lu en septembre 2019

25 réflexions sur “« Jolis, jolis monstres » de Julien Dufresne-Lamy

  1. J’étais certaine de t’avoir laissé un commentaire hier mais je suis tellement dérangée sans cesse (j’ai des travaux à la maison)…que plus rien ne m’étonne.
    En tous les cas je trouve ce sujet très intéressant car pour moi c’est la découverte d’un autre monde totalement inconnu pour moi, même si on a déjà vu des documentaires à ce sujet ou des films. Je comprends bien en lisant tes extraits que le ton employé et la façon dont les personnages parlent de leur vie et de leur difficulté sont d’autant plus importants…Je le note donc et je verrai si je le croise en médiathèque. Merci pour cette présentation

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    1. c’est ce qui m’a poussé à demander ce roman,découvrir un milieu particulier et il est tellement bien écrit qu’il va rester longtemps dans ma tête.
      Un film docu avait été tourné sur Venus Angie, la famille Xtravaganza à l’époque, mais il faut bien maîtriser l’anglais et j’ai pas mal perdu 🙂

      Aimé par 1 personne

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