« Le sang des Mirabelles » de Camille de Peretti

Petit détour par le Moyen-Age, aujourd’hui avec ce roman choisi sur NetGalley:

 

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

« Depuis le début de la cérémonie, la tête légèrement penchée en avant, elle avait gardé les paupières baissées comme l’aurait fait une fiancée soumise, mais son corps criait la roideur et l’orgueil. Malgré son jeune âge, il n’y avait en elle aucune douceur, aucune fragilité, aucune enfance. La parfaite beauté de la jeune fille, sa peau d’une pâleur extrême, ses petites mains jointes en prière, la finesse pointue de ses articulations que l’on devinait sous le lourd manteau vert doublé de fourrure, tout cela était tranchant comme la lame d’une épée.  »

Au cœur du Moyen Âge, le destin de deux sœurs en quête d’émancipation à une époque vouant les femmes au silence. Un magnifique voyage dans le temps, qui dépoussière le genre du roman historique.

 

Ce que j’en pense

 

Avant de partir en croisade avec le roi Neuf, Lion marie sa fille aînée Eléonore à Guillaume, dit Ours, pensant protéger ainsi son fief et en son absence la jeune sœur, Adélaïde sera sous la « protection » de Cathaud, la sœur tyrannique de Guillaume.

Le roi Neuf désire se faire pardonner après avoir donné l’ordre d’incendier une église dans laquelle s’étaient réfugiés des femmes, des enfants… pour mettre la main sur le domaine du comte des Mirabelles, vassal pourtant exemplaire, et le confier à son cousin.

L’ordre a été exécuté par le meilleur ami de Guillaume, Tancrède qui va suivre le roi dans cette croisade.

Il s’agit d’un mariage de raison, car Guillaume est un veuf inconsolable : sa femme est morte en couches ainsi que le bébé, et la nuit de noces est plutôt sinistre, car il a beaucoup bu…

Rien ne se passe comme prévu : un voisin ambitieux, le duc des Ronces, lorgne sur les terres de Guillaume, et de Lion et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins, il a même épousé la fille du roi de l’Autre Côté de la Mer…

Ils ont tous des noms, des surnoms : Guillaume Ours, Lion, Tancrède dragon, ou Loup pour le neveu de Guillaume, et pour les femmes : Éléonore Salamandre, Adélaïde Abeille, ou Cathaud l’Araignée…

On note déjà que le roman démarre en force avec, en exergue, cette phrase : « Femme, tu es la porte du diable. » Tertullien (155-222). Cela nous met tout de suite dans l’ambiance…

Camille de Peretti raconte, dans une langue truculente du Moyen-Age, la soif des hommes de conquérir les terres, d’étendre leur influence, leur désir de se battre, leurs beuveries tout comme leur camaraderie, car l’amitié qui unit Guillaume et Tancrède est belle et sincère.

Elle nous parle aussi du statut des femmes : elles doivent se taire, être soumises, au service du mari, subir l’acte sexuel, les dents serrées… et le destin de ses deux sœurs emporte le lecteur, leur opiniâtreté, la manière dont elles doivent éviter les pièges que l’on tente de refermer sur elles.

Si Éléonore réussit à endosser le rôle de « maitresse de maison », d’épouse soumise, même si elle batifole un peu avec un ménestrel, c’est beaucoup plus difficile pour Adélaïde, qui doit obéir à la sœur de Guillaume, broder à contre cœur, alors qu’elle est un esprit libre. Elle ne retrouve sa joie de vivre qu’en découvrant les plantes médicinales, décoctions et autres remèdes que prépare « l’apothicaire » juif, le Hibou. Cette gamine m’a beaucoup plu !

« Adélaïde ne se laissera pas emprisonner, elle comprend qu’elle doit se libérer elle-même, découvrir ses propres dimensions, refuser les entraves. »

L’auteure évoque aussi très bien la maltraitance des domestiques qui sont battus, et se taisent, subissent le maître.

Le maître rend lui-même la justice : juger les voleurs, mais aussi les animaux, tel un percheron qui a renversé une enfant et qui est jugé coupable, condamné à avoir la tête tranchée.

Camille de Peretti décrit aussi très bien, le rôle de l’Église, des prêtres qui voient des sorciers partout et aiment tant les persécuter, les brûler… avec un bonus particulier pour le chapelain complètement tordu, pervers, qui ne cherche qu’à nuire à Adélaïde alias l’Abeille. Elle a découvert la joie d’apprendre : les plantes, mais aussi les maladies, (l’ergotisme fait alors des ravages). Et bien-sûr, il faut tuer cette joie suspecte dans l’œuf. Une femme doit rester dans l’ignorance et surtout ne pas penser, ni même rire.

« … à se tenir correctement, à ne parler de rien et surtout à ne pas rire car « le rire est une souillure de la bouche » lui rabâche cette ennuyeuse. »

Les propos sur les femmes font frémir, mais sont hélas des idées répandues encore dans les milieux intégristes…

J’ai bien-sûr cherché à trouver des ressemblances avec des personnes ayant existé (on ne se refait pas !) mais ce n’est pas évident. Le roi Neuf fait penser à Louis VII, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine, qui avait mis le feu à l’église de Vitry-en-Perthois… Mais pour les autres c’est plus difficile, je m’y connais peu en blasons, emblèmes, alors il n’est pas aisé de repérer qui que ce soit derrière, Lion, Ours, Loup…

J’ai bien aimé ce roman qui m’a permis de me replonger dans le Moyen-Age, sa langue truculente, ses coutumes et ses côtés monstrueux.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Calmann-Lévy qui m’ont permis de découvrir ce roman ainsi que son auteure.

 

#LeSangDesMirabelles #NetGalleyFrance

 

L’auteur

 

Camille de Peretti est née en 1980 à Paris. Elle est l’auteur de six romans dont Thornytorinx (prix du Premier roman de Chambéry), et Blonde à forte poitrine (Kero, 2016).

 

Extraits

 

Défendre sa religion est une chose juste et bonne, quels qu’en soient les motifs. Tous les grands barons du royaume ont été invités à prendre la croix. Le père Lion ira, car la religion est sa vie. Peu lui importent les fautes que le roi doit se faire pardonner.

 

Le chapelain lui avait affirmé que la femme est faible. Cela, elle ne l’a pas cru. Elle se sait forte. Elle n’a pas eu peur mais elle a gardé les yeux fermés. Le mari est le tenancier du corps de sa femme. Son père lui a rappelé que la femme est soumise à l’homme et doit toujours se tenir prête à le servir. Elle est prête.

 

Car la disparition d’un être cher ne fait pas le vide autour de vous, elle vous oppresse. C’est une matière mobile qui vous épreint pour faire couler la bile de votre détresse, elle vous pénètre et vous engloutit. Les remembrances surgissent malgré lui, comme si on le forçait à garder les yeux ouverts sous la vase.

 

Elle s’emparait du scion et le grandissait à la face de la jeune femme qui ne baissait pas les yeux pour autant. Cette insolence calculée était le véritable déclencheur de l’enfuriosement de l’Araignée. Dès lors, elle estimait que Manon méritait d’être fouettée. 

 

Et des livres. Jamais elle (Adélaïde) n’en a vu autant. Il y en a peut-être une vingtaine. Sur les tranches, elle voit des lettres romaines, mais aussi des alphabets inconnus. Des livres en latin, en arabe, en hébreu. Elle sait que les juifs ne sont pas médecins, cela leur est interdit, mais que leur savoir est très recherché.

 

Comme Ève avant elle, Adélaïde goûte au fruit de l’arbre de la connaissance, elle sait que c’est interdit, que c’est mal. Et surtout elle a le sentiment que cela pourrait changer le cours de sa vie.

 

Guillaume en avait été sincèrement désolé. Il s’était fait la réflexion qu’il était terrible que les hommes, qui sont capables de tant souffrir, puissent infliger à leurs semblables de si grandes douleurs.

 

Le percheron, lui, a commis un infanticide. C’est autrement plus grave. L’animal a donc été capturé et incarcéré dans la prison avec les autres condamnés.

 

Certains souvenirs, quand ils sont rapportés par des gens qui nous sont chers, nous marquent tant qu’on finit par penser qu’ils sont un peu les nôtres aussi.

 

Le contact du corps féminin souille l’âme des hommes.

 

Le roi Neuf était un roi lunatique, tantôt colérique, tantôt faible et impressionnable, mais personne n’aurait pu lui reprocher de n’être pas pieux. Pourtant, la rumeur d’aujourd’hui rapportait qu’il était le pire des impies car il avait donné l’ordre d’incendier une église.

 

Adélaïde aime son aînée sans pouvoir lui parler, et réciproquement, car elles sont femmes. Depuis l’enfance, tout leur est interdit et elles ont appris à se taire pour se protéger.

 

 

Lu en avril 2019

13 réflexions sur “« Le sang des Mirabelles » de Camille de Peretti

    1. ce roman sort de l’ordinaire: on n’est pas dans le même registre que Clara Dupont-Monod (que j’aime bien) par exemple, la partie Histoire est à retrouver tout est plaisant et les personnages exécrables sont bien étrillés 🙂

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