Retour aux « Rougon Macquart » avec ce sixième tome :
Quatrième de couverture
Dans ce roman, on quitte Plassans pour revenir sur Paris et suivre Eugène Rougon, un des fils de Félicité. Eugène a suivi l’empereur, dès le coup d’État, puis fait partie de ses proches, pour devenir Président du Conseil d’État, gouvernant d’une poigne de fer, jetant les libertés au panier, comme les opposants en prison.
Mais, la puissance attire les parasites, le pouvoir peut changer de mains…
Ce que j’en pense
Il s’agit ici du pouvoir de l’homme, dans deux registres : l’animal politique et la vie privée. Ce qui intéresse Rougon, c’est le pouvoir pour le pouvoir, pour dominer les autres ; la conquête de ce pouvoir est intéressante, il connait tous les rouages pour y arriver, mais seule la jouissance de l’exercer a des limites : que se passe-t-il ensuite ?
Dans ce volume, Eugène Rougon arrive enfin en chair et en os ; jusqu’ici, il était présent, en filigrane, il tirait les ficelles à distance, et on avait envie de faire enfin sa connaissance.
Le roman étudie une période bien précise, de 1856 à 1861, inaugurée par les festivités nationales pour le baptême du petit prince, futur héritier présumé. Il y a beaucoup de mesures impopulaires. Son Excellence Eugène Rougon, au fait de sa gloire, décide de démissionner de ses fonctions, laissant la place à son ennemi juré : Monsieur de Marsy.
Il prétend être fatigué du pouvoir, et vouloir désormais créer un domaine dans les Landes, ne parlant plus que de cela avec ses amis, parasites intéressés par les miettes que le pouvoir de Rougon peut leur accorder : une ligne de chemin de fer pour l’un, une récupération d’héritage pour l’autre… Pour eux il est indispensable que Rougon revienne au pouvoir…
Dans la belle mécanique, de reconquête, une femme va jouer un rôle important : Clorinde Balbi, séductrice, elle apprend auprès de Rougon, se conduit en humble disciple, mais il l’a jadis repoussée, car les femmes ne l’intéressent pas, il n’en a pas une opinion extraordinaire, et il trouve leur intelligence limitée et se méfie du côté manipulateur de certaines… on se souvient de sa mère Félicité dans les volumes précédents.
Seulement Eugène Rougon se méfie des femmes qu’il ne tient pas en très haute estime, et pour être sûr de ne pas céder à la tentation, il repousse celle qu’il appelle mademoiselle Machiavel et lui fait épouser Delestang un jeune homme plein d’ambition et dont la langue est pleine de cirage à force de lécher les bottes. Et que va faire l’élève éconduite qui voulait l’épouser, sinon utiliser les mêmes méthodes que lui.
« Il disait d’ordinaire, d’un air convaincu, que « ce diable de Delestang irait loin » et il le poussait, se l’attachait par la reconnaissance, l’utilisait comme un meuble dans lequel il enfermait tout ce qu’il ne pouvait garder sur lui. » P 38
Alors que « la Curée » évoquait la spéculation immobilière, dans laquelle son frère était comme un poisson dans l’eau ; ce roman est basé sur une autre forme de spéculation : la spéculation politique.
Zola développe une fois de plus ses théories, peaufinant son étude de la jouissance par le pouvoir, avec un héros qui s’estime d’une intelligence supérieure, (il admire son intelligence comme Narcisse admirait son reflet !) ; de ce fait, tout le reste est secondaire, il n’a pas d’autre jouissance : les plaisirs de la table, de l’argent ou du sexe sont quasi inexistants, tant la joie du pouvoir prend de la place. Eugène Rougon, c’est l’amour du pouvoir et aussi l’ambition qui permet d’y accéder.
« C’était son idéal, avoir un fouet et commander, être supérieur, plus intelligent et plus fort. » P 45
Eugène a aussi une théorie, il pense qu’il n’est rien sans les autres (la bande de parasites qui l’entoure) et que les autres ne sont rien sans lui, ce qui n’est pas sans risque …
Les parasites, comme je les appelle, sont épouvantables; ils le flattent pour qu’il revienne sur le devant de la scène, et obtenir ce qu’ils veulent et quand ils l’ont obtenu, se mettent à le dénigrer, à dire qu’ils ne lui doivent rien, car le vent a tourné et ils préfèrent se tourner vers un petit jeune dont ils espèrent obtenir encore plus :
« Croyant avoir usé Rougon à satisfaire leurs premiers rêves, ils attendaient l’avènement de quelque pouvoir jeune, qui contenterait leurs rêves nouveaux, extraordinairement multipliés et élargis. » P 328
C’est une belle analyse du pouvoir, de la politique (Zola pourrait écrire la même chose aujourd’hui !), de l’Empire avec ses dépenses, la spéculation, les élections plus ou moins truquées, le désir de régner sans partage, en annulant toutes les libertés. L’auteur voulait probablement prouver aussi, que l’Empire n’a pas eu un véritable homme d’État… L’empereur n’est pas présenté comme un personnage de caractère, il est même assez terne dans ce roman.
Tout est prédéterminé pour Zola, tout relève de la génétique, il ne laisse aucune chance d’évoluer à ses personnages, et à force cela devient pesant, on espère qu’Eugène aura tiré les leçons… certes, le phénix renaît de ses cendres, comme tout animal politique, il sent d’où vient le vent et quand il faut changer de cap, notamment à propos de la répression et de l’atteinte aux libertés mais in aimerait qu’il arrive à sortir de son schéma, sinon on risque de sombrer dans l’ennui !
J’ai bien aimé ce roman que j’ai dévoré même si la bande de parasites a fini par m’horripiler. Zola laisse la porte ouverte comme si c’était au lecteur de tirer les conclusions : on espère que Rougon va enfin retenir quelque chose de ses erreurs. Ce roman m’inspire et je pourrais en parler durant des heures, alors il est préférable que je vous laisse le découvrir ou le relire…
Challenge XIXe siècle
Extraits
Il était coquet de sa force, comme une femme l’est de sa grâce ; et il aimait recevoir les flatteries, à bout portant, dans sa large poitrine, assez solide pour n’être écrasée par aucun pavé. Cependant, il devenait évident que ses amis se gênaient les uns les autres ; ils se guettaient du regard, cherchant à s’évincer, ne voulant pas parler haut. A présent que le grand homme paraissait dompté, l’heure pressait d’en arracher une bonne parole… P 53
C’est pour vous qu’il s’agit de travailler à cette heure, n’est-ce pas Eugène ? On travaillera vous verrez. Il faut bien que vous soyez tout, pour que nous soyons quelque chose… P 61
… cette fille étrange, dont l’énigme vivante finissait par l’occuper autant qu’un problème délicat de haute politique. Il avait vécu jusque-là dans le dédain des femmes, et la première sur laquelle il tombait, était certes la machine la plus compliquée qu’on pût imaginer. P 67
Elle s’appuyait de l’autre main sur son arc, de l’air tranquillement fort de la chasseresse, insoucieuse de sa nudité, dédaigneuse de l’amour des hommes, froide, hautaine, immortelle. P 71
La gloire de l’Empire à son apogée flottait dans la pourpre du soleil couchant, tandis que les tours de Notre-Dame, toutes roses, toutes sonores, semblaient porter très haut, à un sommet de paix et de grandeur, le règne futur de l’enfant baptisé sous leurs voûtes. P 113
Et elle était vraiment irritante, tant elle paraissait certaine de vaincre. Depuis quelques temps, elle s’offrait à Rougon, tranquillement. Elle ne prenait plus la peine de dissimuler sa lente séduction, ce travail savant dont elle l’avait entouré, avant de faire le siège de ses désirs. Maintenant, elle le croyait assez conquis pour mener l’aventure à visage découvert…
… Rougon, grisé, piqué au jeu, mettait de côté tout scrupule, rêvait simplement de faire sa maîtresse de cette belle fille, puis de l’abandonner, pour lui prouver sa supériorité sur elle. Leur orgueil se battait plus encore, que leurs sens. P 122
C’était, chez lui, un amour du pouvoir pour le pouvoir, dégagé des appétits de vanité, de richesses, d’honneurs. D’une ignorance crasse, d’une grande médiocrité dans toutes les choses étrangères au maniement des hommes, il ne devenait véritablement supérieur que par ses besoins de domination. Là, il aimait son effort, il idolâtrait son intelligence. P 142
Ce qui le tint debout, ce fut l’impopularité dans laquelle il se sentait marcher. Sa chute avait comblé de joie bien du monde. Il ne se passait pas un jour, sans que quelque journal l’attaquât ; on personnifiait en lui le coup d’Etat, les prescriptions, toutes ces violences dont on parlait à mots couverts. P 143
Elle se gardait comme un argument irrésistible. Pour elle, se donner ne tirait pas à conséquence. Elle y mettait si peu de plaisir, que cela devenait une affaire pareille aux autres, un peu plus ennuyeuse peut-être. P 203
Elle couvait toujours Rougon des yeux, elle le voulait grand, comme si elle eût rêvé de l’engraisser de puissance, pour quelque régal futur. Elle gardait sa soumission de disciple, se mettait dans son ombre avec une humilité pleine de cajolerie. Lui, au milieu de l’agitation de la bande semblait ne rien voir… P 203
Il avait des besoins plutôt que des opinions ; il trouvait le pouvoir trop désirable, trop nécessaire à ses appétits de domination, pour ne pas l’accepter, sous quelque condition qu’il se présentât. Gouverner, mettre un pied sur la nuque de la foule, c’était là son ambition immédiate ; le reste offrait simplement des particularités secondaires, dont il s’accommoderait toujours. Il avait l’unique passion d’être supérieur. P 233
La liberté est une ; on ne peut la couper par morceaux et la distribuer en rations, ainsi qu’une aumône. P 383
Lu en juillet 2018
Bravo, tu es bien lancée, et tu alternes Zola avec un autre?
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au début, je fais immersion totale mais après l’aventure de l’abbé Mouret, j’ai décidé d’alterner! et j’ai mis un objectif plus réaliste : aller jusqu’au T7 car j’ai adoré « l’assommoir » à l’ado…
je lis un polar où il y a beaucoup d’action… 🙂
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Bravo et bon courage !
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celui-ci m’a plu et redonné l’envie de continuer mais en alternance avec d’autres romans…
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Tu as raison, rien n’a changé pour la joie du pouvoir !
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il se régalerait devant notre époque!
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Une série que tu ne lâches pas.
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je commence à alterner depuis l’abbé Mouret, j’ai besoin de respirer…
c’est une belle plume quand même 🙂
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celui-là, je ne l’ai jamais lu et je sais pourquoi : ce thème de la spéculation politique me fait peur!!!
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Zola explique bien tous les mécanismes, et en fait, ce roman n’est pas dérangeant car les choses semblent encore pires de nos jours. Et Eugène est un personnage haut en couleurs 🙂
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Je suis admirative car même si j’adore Zola, je suis incapable de lire comme ça les tomes à la suite.
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l’avantage, c’est qu’on reste bien connecté, notamment dans les liens familiaux, mais il faut respirer de temps en temps (surtout depuis l’abbé Mouret en fait!)
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Oui, c’est sûr mais une bouffée d’oxygène, comme tu le dis, ce n’est pas plus mal ! 😉
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J’étais sûre d’être venue te mettre un commentaire sur ce titre-là…j’avais au moins lu ta chronique. Tu fais bien d’alterner je ne pourrais pas relire tout Zola sans faire des pauses…Mais je retiens ton idée de les relire dans l’ordre pour s’y retrouver dans l’arbre généalogique de la famille et découvrir des facettes que l’on ne peut pas voir autrement. Je suis moi aussi très admirative de ta démarche
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on garde en mémoire les liens familiaux et cela étoffe toute l’histoire. Donc c’est une bonne idée, mais pas en apnée car depuis l’abbé Mouret j’ai plus de mal… Heureusement Eugène m’a bien plu et m’a relancée, et il faut que cela reste du plaisir 🙂
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le cycle des Rougon Macquart m’a marqué, je pourrais en parler des heures tout comme toi Eve.
Merci de nous rappeler ce si beau souvenir.
bonne soirée.
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en fait j’ai écrit cette chronique il y a longtemps, mais hier j’ai eu un bug, mon site ne me reconnaissait pas idem pour les commentaires que je voulais laisser… Le summum: quand il m’a demandé si je voulais m’abonner à mon propre site… J’ai dû emprunter un lien ancien et cette chronique est passée en mode brouillon… J’ai pu rétablir la situation mais violente envie de passer l’ordinateur par la fenêtre… Vive l’informatique 🙂
je voulais lire toute le cycle car je n’ai lu que certains livres. Curieusement je me suis bloquée sur « L’Assommoir » que j’ai adoré à l’adolescence… Je ne l’ai pas terminé… J’aurais dû en lire un de temps en temps au lieu d’enchaîner 🙂
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