« Les exilés meurent aussi d’amour » : Abnousse Shalmani

Et voici le dernier des romans proposés par la FNAC pour cette rentrée littéraire avec:

 

Les exilés meurent aussi d'amour de Abnousse Shalmani

 

Quatrième de couverture  

« Ma mère était une créature féérique qui possédait le don de rendre beau le laid. Par la grâce de la langue française, je l’avais transformée en alchimiste. C’était à ça que servaient les mots dans l’exil : combattre le réel et sauver ce qui restait de l’enchantement de l’enfance. »

Shirin a neuf ans quand elle s’installe à Paris avec ses parents, au lendemain de la révolution islamique en Iran, pour y retrouver sa famille maternelle. Dans cette tribu de réfugiés communistes, le quotidien n’a pas grand-chose à voir avec les fastes de Téhéran. Shirin découvre que les idéaux mentent et tuent ; elle tombe amoureuse d’un homme cynique, s’inquiète de l’arrivée d’un petit frère œdipien et empoisonneur ; admire sa mère magicienne autant qu’elle la méprise de se laisser humilier par ses redoutables sœurs ; tente de comprendre l’effacement de son père… et se lie d’amitié avec une survivante de la Shoah pour qui seul le rire sauve de la folie des hommes.

Ce premier roman teinté de réalisme magique nous plonge au cœur d’une communauté fantasque, sous l’œil drôle, tendre insolent et cocasse d’une Zazie persane qui, au lieu de céder aux passions nostalgiques, préfère suivre la voie que son désir lui dicte. L’exil oserait-il être heureux ?

 

Ce que j’en pense  

 

L’auteure nous raconte, par la voix de Shirin, petite fille âgée de neuf ans, l’histoire d’une famille qui a fui l’Iran et les persécutions, à l’époque du Shah, car ils étaient intellectuels et surtout communistes. Les parents de Shirin sont arrivés les derniers à Paris et sont logés par les sœurs de sa mère.

La mère de Shirin, est prête à tout pour être aimée et reconnue par ses sœurs, dominatrices, surtout l’aînée, qui est odieuse, narcissique, maltraitante. Elle devient leur esclave, fait la cuisine, le ménage, sans que personne, jamais, ne daigne lui dire merci.

Son père est professeur ; il supporte sans broncher le climat de haine et de mépris distillé par ses belles-sœurs, qui se comportent en mères maquerelles, monopolisant l’argent qu’il gagne sous prétexte qu’elles l’hébergent. C’est un homme plutôt brillant et la situation le désole. « Les sœurs » le dénigrent sans cesse devant sa femme et sa fille car il ne partage pas leur vision de la société et leur communisme aveugle qui les conduisent à des actes violents.

Les relations entre ses parents sont bien abordées également et avec les yeux de petite fille qui voit bien que la relation au corps est étrange, de même que l’amour ou les gestes de tendresse que la mère ne peut pas effectuer du fait du poids des traditions, et tente de transmettre son amour maternel par le biais de la cuisine : »je te nourris, donc je t’aime, mais je ne te le dis pas, ce n’est pas possible, ni envisageable…

« Ma mère, incapable de dire son amour et son ressenti depuis l’enfance, cuisinait pour compenser et sa cuisine-amour était forcément trop abondante, enrichie de tout ce qu’elle avait sur le cœur et qui n’était jamais passé par ses lèvres. » P 63

On a aussi le patriarche, le grand-père de Shirin, vieux, usé mais l’œil toujours aussi pervers. On comprend très vite qu’il s’est passé quelque chose de grave entre lui et ses filles.

Pour échapper à la violence psychologique qui règne dans la maison, Shirin fait une fugue et elle est ramenée à la maison par Omid, le « compagnon » de sa tante. C’est un homme à l’esprit ouvert qui va l’aider à maîtriser le français, la guider dans ses lectures et bien-sûr, la petite fille en tombe amoureuse, au grand dam de la famille.

Shirin, coincée entre deux cultures, a du mal à trouver sa place :

« Et puis je n’avais pas la gueule de l’emploi : ni celle de ma famille, ni celle de la France. Trop occidentale pour l’Iran, pas assez typée pour la France. Et pourtant. Il y avait quelque chose de métèque en moi qui persistait et que je ne voulais pas effacer. Quelque chose me disait que la boue où j’avais grandi était la bonne matière à travailler pour trouver mon vrai visage. » P 265 

 Abnousse Shalmani étrille au passage cette famille communiste pure et dure qui reste aveuglée par le mythe, la pensée unique (« il vaut mieux avoir tort avec le parti que raison sans le parti » comme le prétendait un ténor communiste il n’y a pas si longtemps), refusant de voir les dérives, n’hésitant pas à commettre des attentats au nom de la cause.

Elle nous parle aussi très bien et de manière parfois drôle de la dureté de l’exil, d’être à cheval sur deux cultures dans un pays où le statut de la femme est totalement différent. Les tantes continuent les fêtes, les coutumes, et le poids des traditions est omniprésent. Je suis sortie de cette lecture avec des saveurs et des odeurs plein la tête. Elle écrit ceci :

« On était bien obligé de s’y faire et de choisir son clan. De s’ancrer pour ne pas être écrasé. (Ce fut une illusion aussi : j’ai longtemps cru qu’en me plongeant dans la France, je finirais par avoir son visage. Mais l’exilé n’a pas d’autre visage que celui de l’exil :il ne sera jamais son pays d’adoption, pas davantage que le pays natal. J’ai fini écrasée comme tous les exilés entre un souvenir et un espoir.) » P 97

J’ai beaucoup aimé ce roman, les personnages de cette saga familiale, avec son lot de secrets, de haine et jalousie. L’écriture est belle et invite au voyage. C’est mon préféré parmi les cinq romans que la FNAC m’a proposé.

Ce roman est un véritable coup de foudre et j’espère qu’il aura le succès qu’il mérite et ne sera pas trop noyé dans la masse des romans de la rentrée, parmi les auteurs reconnus et encensés qui produisent un roman à chaque rentrée et qu’on verra partout pontifier (pour certains du moins !)

 

 

L’auteure  

 

Née à Téhéran en 1977, Abnousse Shalmani s’exile avec sa famille à Paris, en 1985, suite à la révolution islamique. Après un début de carrière dans le journalisme et le cinéma, elle revient à sa vraie passion, la littérature, et signe un premier livre très remarqué : « Khomeiny, Sade et moi » (Grasset, 2014)

 

Extraits :   

 

L’exil, c’est d’abord ça, un espace confiné, entouré d’un monde inconnu et vaste, et d’autant plus inaccessible qu’il paraît impossible de s’échapper de la cage où s’amassent les restes misérables du pays natal. P 18  

 

Quand le doute de l’exil vous prend, vous êtes foutu. P 19  

 

Ma mère était un elfe qui possédait le don de rendre beau le laid. Par la grâce de la langue française, de boniche, je l’avais métamorphosée en alchimiste. Et c’était exactement à ça que servaient les mots, tous les mots : à colorer autrement les humains en leur donnant une forme nouvelle. La langue française se métamorphosait en baguette magique pour combattre le réel et sauver ce qui restait de l’enchantement de l’enfance.  P 59   

 

Le « ghazal 250 » de Hâfez est une sorte d’hymne familial maudit. Celui qui impose le silence. Celui dont nous ne réciterons jamais les vers. P 75  

 

La religiosité n’avait jamais cessé de nourrir la morale familiale, l’athéisme n’était qu’une posture sociale qui allait bien avec le communisme. P 77  

 

Ce que rappelle ce « ghazal » à ma famille, c’est que pour elle, il ne faut jamais regarder la vérité en face et encore moins la dire (la dire, c’est l’accepter et c’est intolérable) et si le mari est homosexuel, mieux vaut raconter une histoire qui deviendra un mythe, une plaie béante dans le cœur des descendants. P 78  

 

Moi, je ne savais pas ce qu’était l’amour. Personne ne s’aimait d’amour dans ma famille, ils étaient en couple pour plein de raisons mais jamais pour l’amour. P 92  

 

Pour ma famille, le corps n’était pas tabou, juste médical. Le corps était omniprésent mais jamais sexué. On ne se touchait jamais, on ne s’embrassait jamais. Le sexe passait par les blagues, jamais par la chair. P 93  

 

Raciste : ce mot barbare qui irritait la gorge marquait la frontière entre ceux qui nous aimaient et les autres. C’est un mot de l’exil, raciste. Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu ce mot à Téhéran, mais il devait exister puisque ma famille n’aimait pas grand monde et encore moins ceux qui étaient différents (ils détestaient les Arabes et n’aimaient pas les Kurdes, ils le disaient à haute voix, mais comme tous les autres Iraniens en faisaient autant, je croyais que c’était normal. P 119  

 

Les idéalistes ne comprennent pas, ou alors trop tard, que le geste révolutionnaire est un conte, une longue épopée de prince amoureux. Ils ne peuvent concevoir que c’est la littérature qui réussit les meilleures révolutions. P 129  

 

Parfois, j’avais l’impression de vivre dans une pension de famille dont j’étais locataire. Dedans et dehors. L’exil fait ça aussi : il tue la filiation, il renverse le rapport de force. P 192  

 

La démocratie était pour eux une vaste arnaque et l’alternance politique un retour en arrière un coup sur deux. Ils ne comprirent jamais rien à la démocratie, à la France, à la droite, à la gauche. Ils ne connaissaient que les gammes de la table rase. P 200  

 

C’était un acte de rupture. En rajoutant du rouge sur mes lèvres, je ne me reconnaissais plus, je m’étais donc trouvée. Changer de costume, c’est affirmer une conviction. Rien de ce qui recouvre le corps n’est anodin. L’innocence disparait avec la première robe rose ou le pantalon à pinces… P 204  

 

Tout commence toujours par le corps. Prendre le corps en main, le faire suer pour donner assez de courage à l’esprit et s’arracher à son malheur. P 219  

 

Je n’étais plus un rouage familial, je n’étais plus obligée de subir, je ne devais plus me taire. Je pouvais fuir. Je pouvais dire. Je devais dire. Un lien se faisait jour entre le corps qui se dépasse et la parole qui se prend. P 220  

 

Mais, l’Histoire avance quand même. Et à chaque fois, les hommes avancent avec l’Histoire. Malgré les morts, les crimes, les salauds, les idées pourries, on avance. Et, c’était vrai à peu près partout dans le monde. Et on recommençait jusqu’au prochain génocide. C’était moche. Et alors ? P 236  

 

Les Français aiment l’exilé quand il se plaint, quand il remercie, quand il ne veut pas épouser votre fils ou votre fille, préférant garder son accent, rappeler son histoire, baisser la tête et demeurer tel qu’il était le jour de sa naissance. P 265  

 

Il est impossible de pleurer la nostalgie, c’est l’hymne national de l’exil. L’exil est une identité, un langage, un passé sans avenir. L’exil est une île où se retrouvent tous ceux qui n’ont ni le visage du pays natal ni celui du refuge : ceux qui sont trop vieux pour oublier et pas assez jeunes pour se fondre, ceux qui restent toute leur vie sur une île qui flotte sur des océans qui ne leur appartiendront jamais. P 374   

 

 

Lu en juin 2018

24 réflexions sur “« Les exilés meurent aussi d’amour » : Abnousse Shalmani

    1. Tout est bien dans ce roman y compris le titre! très bien choisi car il est en harmonie avec l’histoire… L’exil à travers les yeux de la petite fille qu’elle était autorise tout en fait (pas de langue de bois ou autre 🙂

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