« Femme à la mobylette » de Jean-Luc Seigle

Place aujourd’hui au dernier livre de Jean-Luc Seigle avec :

 Femme à la mobylette de Jean-Luc Seigle

 

 

QUATRIÈME DE COUVERTURE

Abandonnés par tous, Reine et ses trois enfants n’arrivent plus à faire face. Sa vie finit par ressembler à son jardin qui n’est plus qu’une décharge. Tant de richesses en elle voudraient s’exprimer et pourtant son horizon paraît se boucher chaque jour davantage. Seul un miracle pourrait la sauver… Il se présente sous la forme d’une mobylette bleue. Cet engin des années 1960 lui apportera-t-il le bonheur qu’elle cherche dans tous les recoins de ce monde et, surtout, à quel prix ?

Jean-Luc Seigle dresse le portrait d’une femme au bord du gouffre qui va se battre jusqu’au bout. Ce faisant, c’est une partie de la France d’aujourd’hui qu’il dépeint, celle des laissés-pour-compte que la société en crise martyrise et oublie.

 

CE QUE J’EN PENSE

Ayant beaucoup aimé « En vieillissant les hommes pleurent », je me suis laissée tenter par ce nouveau roman qui trônait sur la table consacrée aux nouveautés de la bibliothèque, donc difficile de résister…

Ce roman démarre sur une scène magistrale : Reine est assise près de la table de la cuisine, un couteau à côté d’elle et redoute d’avoir tué ses enfants car il règne un silence inquiétant dans la maison. Que s’est-il réellement passé?

L’auteur nous raconte l’histoire d’une femme, Reine, sur laquelle le destin s’acharne : elle est au chômage, a pris du poids car elle a enchaîné trois grossesses de suite et son mari l’a quittée pour une femme plus jeune, plus aisée. Elle a du mal à nourrir ses enfants et il est parfois difficile de payer la cantine pour qu’ils puissent avoir au moins un repas correct dans la journée. En plus, les services sociaux menacent de lui prendre ses trois enfants, son cher mari prétendant qu’elle est une mauvaise mère…

Comment trouver un travail quand on habite dans une maison assez retirée, sans moyen de locomotion et sans avoir suffisamment d’énergie pour s’accrocher à la vie ? Un jour, elle trouve la force de nettoyer le jardin, enseveli sous des tonnes de ferraille, bric-à-brac en tout genre, car elle veut voir l’herbe… et surprise, sous les gravats : une mobylette en état de marche.

On va assister à une transformation de cette femme, qui devient thanatopractrice, s’occupe des morts pour les rendre plus beaux pour les familles ; elle coud des sortes de patchworks avec des restes de tissus pour en faire des oreillers, des scènes qui symbolisent la vie des autres ou ses propres émotions.

Durant ses voyages à mobylette pour se rendre au travail, elle fait la connaissance d’un routier avec lequel elle va découvrir le véritable amour : il la traite avec délicatesse, elle se sent à nouveau vivante, femme, mais l’a-t-elle jamais été vraiment ?

Jean-Luc Seigle raconte cette femme, lui redonne une légitimité, une dignité qu’on lui a prise, (ou qu’elle ne s’est jamais vraiment sentie en droit d’avoir). Il lui donne vie, alors qu’elle a surtout vécu pour les autres, en s’oubliant au passage. Reine est inscrite dans une longue lignée de femmes qui ont eu des vies difficiles : l’exil, la nécessité de s’en sortir en faisant des travaux difficiles, les unes confortées par leur foi en Dieu, puis sa grand-mère, avec les rêve d’une utopie communiste chevillée au corps.

L’auteur excelle à décrire ces êtres dont la vie est difficile, un combat au quotidien pour survivre, avec les illusions d’un monde meilleur, les inégalités sociales, l’injustice dans ce monde qui se déshumanise, le travail des mains qui ne signifie plus rien à l’heure où tout se dématérialise… une histoire magnifique qui touche le lecteur…

Jean-Luc Seigle nous propose ensuite une réflexion qu’il a appelé « A la recherche d’un sixième continent » partant à la recherche de ce qu’on appelle le roman populaire, et les vrais portraits de femmes (une femme comme personnage principal, qui soit autre chose qu’une nunuche… il faut attendre Lamartine !). Cette réflexion qui nous emmène jusqu’à New-York, la statue de la liberté, les immigrants, Ellis Island, est magistrale.

J’ai beaucoup aimé Reine, son histoire, son combat et le regard sans complaisance que jette l’auteur sur la société de consommation.

 

EXTRAITS

En s’enfuyant, la nuit ne laisse plus derrière elle qu’une sorte de laitance grisâtre. « Tout finit dans l’absence et le silence absolu du monde ». Ça lui arrive parfois d’avoir des phrases qui lui viennent. Pas des phrases du dedans, des phrases du dehors qui s’encastrent en elle. Loin de la calmer, la phrase excite encore davantage une chose monstrueuse qui ne l’a pas laissée tranquille toute la nuit. P 11

Travailler avec des morts ne pouvait pas être pire que travailler à l’usine. Et puis, les morts, sûrement à cause de sa proximité depuis l’enfance avec les ancêtres, lui faisaient au fond moins peur que les vivants. P 32

Jamais Edmonde n’aurait pu imaginer jeter sa petite-fille dans un néant où le travail des mins n’aurait plus aucune valeur. Impossible pour une femme qui avait traverser le XXe siècle de prévoir une telle désolation malgré tous les coups portés aux ouvriers dont elle témoignait dans un petit carnet de moleskine noir que Reine avait bien pris soin de déposer dans son cercueil. P 55

Toute dépense devait produire une certaine éternité, et chaque chose devait durer parce qu’elle avait été durement acquise. P 62

Elle eut la nette impression d’avoir attendu le regard de cet homme toute sa vie. Un regard sans jugement, sans inquiétude et d’une infinie bonté… C’est peut-être ce qu’elle attend sans le savoir, un regard qui ne serait pas un regard de désir, plutôt un regard qui la soulèverait jusqu’à elle-même, jusqu’à lui faire croire en elle. P 63

Edmonde l’avait dit : croire, c’est faire comme les arbres qui poussent en direction du soleil, plus la forêt est épaisse et sombre, plus les arbres grandissent et s’étirent parce qu’ils ont plus à espérer de la lumière du ciel que des ombres de la terre. Ses ancêtres avaient fait la même chose pour échapper à l’obscurité du monde ordinaire. P 64

Mélanger le lait au chocolat, c’est renoncer aux siècles ! Les siècles ne sont pas le passé, ils sont l’histoire. P 119

Et puis, ce ne sont plus les idées, les combats des hommes qui font changer le monde, c’est l’argent, le seul Dieu auquel tout le monde se soumet et qui a aussi perverti le monde de l’art. P 147

 

 

LU EN AVRIL 2018

15 réflexions sur “« Femme à la mobylette » de Jean-Luc Seigle

    1. moi aussi j’aime ce regard sur la société et chacun de ses héros pour l’instant m’a plu: Reine est très attachante, comme l’était Albert. Et le texte qui suit le roman est très réussi , sans concession 🙂

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