« 4 3 2 1 » de Paul Auster

Je vous parle aujourd’hui d’un livre volumineux qui m’a accompagnée un bon moment, dans une période plutôt difficile :

4 3 2 1 de Paul Auster4 3 2 1 de Paul Auster la 4eme de couv

 

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR :

À en croire la légende familiale, le grand-père nommé Isaac Reznikoff quitta un jour à pied sa ville natale de Minsk avec cent roubles cousus dans la doublure de sa veste, passa Varsovie puis Berlin, atteignit Ham- bourg et s’embarqua sur l’Impératrice de Chine qui franchit l’Atlantique en essuyant plusieurs tempêtes, puis jeta l’ancre dans le port de New York au tout premier jour du XXe siècle. À Ellis Island, par une de ces bifurcations du destin chères à l’auteur, le nouvel arrivant fut rebaptisé Ferguson.

Dès lors, en quatre variations biographiques qui se conjuguent, Paul Auster décline les parcours des quatre possibilités du petit-fils de l’immigrant. Quatre trajectoires pour un seul personnage, quatre répliques de Ferguson qui traversent d’un même mouvement l’histoire américaine des fifties et des sixties. Quatre contemporains de Paul Auster lui-même, dont le “maître de Brooklyn” arpente les existences avec l’irrésistible plaisir de raconter qui fait de lui l’un des plus fameux romanciers de notre temps.

 

CE QUE J’EN PENSE

Archibald Fergusson est un petit garçon juif qui naît en 1947 à Newark de l’union quelque peu improbable de Rose, photographe de son métier, et Stanley qui tient un magasin de meubles avec ses deux frères. L’auteur nous raconte comment son grand-père a fui Minsk pour entrer à New York le premier jour du XXe siècle et choisi malgré lui le nom de Fergusson pour entamer sa nouvelle vie :

« Votre nom ? demanda l’agent. Se frappant le front de frustration l’immigrant épuisé laissa échapper en Yiddish, Ikh hob fargessen ! (J’ai oublié !) Ainsi, Isaac Resnikoff commença-t-il sa nouvelle vie en Amérique sous le nom de Ichabod Fergusson. » P 7

Cette présentation constitue le temps 0 quel l’auteur désigne par le code 1.0. Ensuite, Paul Auster nous propose quatre avatars d’Archie pour démontrer que s’il se produit tel ou tel évènement, tel ou tel choix des protagonistes, la vie prendra un autre sens, une autre signification. Ainsi commence la narration où se succèderont en alternance les 4 vies : 1.1, 1.2 etc. le rythme se faisant en fonction du déroulement dans le temps.

On va ainsi explorer toute l’histoire des USA, croisant au passage les Kennedy, Martin Luther King, Malcolm X, les émeutes raciales, les milieux étudiants, sans oublier la guerre du Vietnam, la société américaine, avec ses travers, le racisme, la ségrégation, l’exil… l’auteur nous entraîne aussi dans ses autres centres d’intérêt : le journalisme, le cinéma, Laurel et Hardy, le théâtre et surtout la poésie (les traductions des poètes français sont savoureuses) et… Paris.

Paul Auster nous parle ainsi de l’effet domino, loi de causalité… selon l’endroit où on se trouve et dans quelle situation personnelle, familiale, si les parents s’entendent ou non, le lieu où l’on travaille, l’endroit où l’on habite, où l’on fait ses études, ou selon son orientation sexuelle, on évoluera de manière différente… même si on rencontre les mêmes personnes, si on a les mêmes aspirations, la vie peut prendre une direction toute autre.

Au passage, on retrouve aussi un questionnement sur Dieu, maître ou non de l’univers pour tenter d’expliquer ce qui nous échappe :

« Était-ce pour cette raison que l’homme a inventé Dieu ? se demandait Fergusson. Afin de dépasser les limites de la perception humaine en alléguant l’existence d’une intelligence divine toute puissante et capable de tout embrasser. »  P 288

L’auteur montre aussi comment un malheur peut se transformer ou non, en bienfait selon ce qu’on en fait, et donc soit on est acteur de sa vie soit on reste simple spectateur, soit on agit, soit on subit, seul ou avec les autres…

J’ai A.DO.RE ce roman, c’est un festival, et pourtant il est volumineux 1020 pages et pèse 1,2 kg donc on ne peut pas le lire n’importe où, il faut s’installer confortablement… Je n’arrivais pas à le lâcher (au propre comme au figuré !). Chaque fois que je passais à côté, en dehors des moments de lecture, je me disais, « j’adore ce bouquin, il est génial » j’ai dû le dire des centaines de fois tant j’étais subjuguée… Bref, j’étais devenue en deux temps et trois mouvements, une groupie de Paul Auster

L’histoire m’a énormément plu. Je me suis attachée à tous les avatars, quelque soit leur destin, je les ai accompagnés. Au début je prenais des notes pour ne pas me perdre, ne rien oublier et peu à peu je me suis laissée porter.

Je ne mets qu’un seul bémol, l’omniprésence du base-ball : je ne comprends rien à ce sport, et quand l’auteur se branche sur les matches, les scores, je me lasse très vite, mais je n’ai pas sauté les pages. Par contre j’ai eu moins de problèmes avec le basket, très présent également.

Ce n’est un secret pour personne, je connais peu la littérature américaine, à part quelques auteurs dont Philip Roth que j’aime beaucoup (en fait j’exagère, j’en ai quand même lu quelques-uns !) car les USA me tapent un peu sur le système, par leur histoire, leurs manières et l’ère Trump n’arrange rien… donc, c’est le premier livre de Paul Auster que je lis, j’avoue, mais quelle rencontre !

J’aime son style, son écriture, les phrases longues, dans lesquelles il est si bon de se laisser porter, comme dans les vagues de l’océan, la manière dont il parle de poésie, de littérature, de politique, de musique…

« … ces soirées au concert n’étaient rien moins qu’une révélation sur le fonctionnement de son propre cœur car il comprit que la musique était le cœur même, l’expression la plus parfaite du cœur humain, et après avoir écouté ce qu’il avait écouté, son oreille commençait à s’affiner, et mieux il écoutait plus il ressentait profondément la musique, à tel point que parfois son corps tremblait. » P 265

Immense coup de cœur donc !

Pour l’anecdote : j’ai emprunté ce livre à la bibliothèque et en tant que nouveauté, on a quinze jours pour le lire, donc il aurait fallu, au minimum, 80 pages par jour. Très rapidement, j’ai décidé de l’acheter car j’avais besoin de prendre mon temps, de me l’approprier, de revenir sur les différentes histoires, de relire des passages encore et encore…

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EXTRAITS

Une sélection difficile à faire, vue l’abondance de phrases qui m’ont plu…

 

Pour les Fergusson, la notion débile de Tous pour Un et Un pour Tous n’existait pas. Dans leur petit monde, c’était Tous pour Tous, ou rien. P 9

 

… Mais de tous les écrivains qu’elle découvrit pendant sa retraite forcée, ce fut Tolstoï qui la toucha le plus, ce démon de Tolstoï qui selon elle comprenait tout de la vie, tout ce qu’il y a à savoir du cœur humain et de l’esprit humain, que le cœur ou l’esprit soient ceux d’un homme ou ceux d’une femme, et comment se pouvait-il, se demandait-elle émerveillée, qu’un homme sache tout ce que Tolstoï savait des femmes, ce n’était pas possible qu’un homme puisse être tous les hommes et toutes les femmes, elle entreprit donc de lire presque tous ce que Tolstoï avait écrit, non seulement les grands romans comme « Guerre et Paix », « Anna Karénine » et « résurrection » mais aussi des œuvres plus courtes… P 39

 

Fergusson n’avait pas encore cinq ans mais il savait déjà que le monde se composait de deux royaumes, le visible et l’invisible, et que les choses qu’il pouvait voir étaient souvent plus réelles que celles qu’il voyait. P 47

 

A l’inverse, son père et oncle Dan étaient dévorés par leurs ambitions, qui paradoxalement rendaient leur monde plus étriqué et moins confortable que ceux qui échappaient à cette malédiction, car l’ambition revenait à n’être jamais satisfait, à toujours désirer davantage, à aller toujours de l’avant car aucun succès ne pourrait jamais être assez grand pour calmer le besoin d’autres succès encore plus grands, l’envie copulative de transformer un magasin en deux magasins…   P 115

 

… Mais si on prend le temps d’y réfléchir attentivement, papillon et âme ne sont pas si différents, après tout, tu ne trouves pas ? Le papillon débute dans la vie sous la forme d’un vilain vermisseau insignifiant et terre à terre, puis un jour la chenille fabrique un cocon, au bout d’un certain temps le cocon s’ouvre et il en sort un papillon, la plus belle créature du monde. Il en va de même pour l’âme, Archie. Elle se débat dans les profondeurs de l’obscurité et de l’ignorance, elle traverse dans la douleur des épreuves et des malheurs, et petit à petit elle est purifiée par ces souffrances, aguerrie par les difficultés qu’elle rencontre et un beau jour, si cette âme est digne de ce nom, elle sort de son cocon et prend son essor dans les airs comme un magnifique papillon. P 139

 

Fergusson le puritain moralisateur et sévère, Fergusson l’ennemi des us et coutumes de la classe moyenne enrichie, l’imprécateur omniscient qui fustigeait et méprisait cette nouvelle race d’Américains qui rêvaient d’ascension sociale et faisaient étalage de leur richesse – Fergusson, le gamin qui voulait prendre le large. P 283

 

Le temps se déplaçait dans deux directions parce que chaque pas dans l’avenir emportait avec lui un souvenir du passé, et même si Fergusson n’avait pas encore quinze ans, il avait déjà assez de souvenirs pour savoir que le monde qui l’entourait était façonné par celui qu’il portait en lui, tout comme l’expérience que chacun avait du monde était façonnée par ses souvenirs personnels, et si tous les gens étaient liés par l’espace commun qu’ils partageaient, leurs voyages à travers le temps étaient tous différents, ce qui signifiait que chacun vivait dans un monde légèrement différent de celui des autres. La question était de savoir dans quel monde vivait Fergusson aujourd’hui et de quelle façon ce monde avait changé. P 412

 

LU EN AVRIL 2018

17 réflexions sur “« 4 3 2 1 » de Paul Auster

  1. beatrice

    suis fan!! et presque comme ta première citation, Paul Auster c’est tout ou rien! enfin pour moi. J’osais pas me lancer dans son dernier écrit… suite aux critiques du Masque et de la Plume. Mais la tienne me fait changer d’avis! Merci 🙂

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    1. j’ai eu envie de le lire lors de son passage à la grande librairie car j’aime l’entendre parler… cette lecture a été magique pour moi car son idée des avatars est excellente et surtout elle l’a bien exploitée sans en faire des tonnes (à part le base-ball!) quels romans as-tu préférés? je voulais tenter la trilogie new-yorkaise 🙂

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  2. J’ai bien l’intention de le lire, j’aime beaucoup Paul Auster mais j’ai fait l’impasse sur ses derniers titres et le thème de celui-là me tente terriblement ! J’attends sa sortie poche, parce que je lis généralement dans les transports en commun, et que 1 kilo 2, c’est en effet pas très pratique..

    Aimé par 1 personne

    1. c’est un bel exercice de style, réussi en ce qui me concerne car les avatars sont tous différents, les thèmes abordés multiples… en poche il sera plus léger car il est quand même lourd et avec des mains douloureuses il fallait adapter la posture 🙂

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    1. j’ai vraiment beaucoup aimé ce roman, son idée est géniale.
      Le seul handicap c’est le poids (1,2 kg) quand on a des problèmes aux mains, il faut trouver la position idéale et c’était parfois épique! sinon, je l’aurais dévoré. Seul le baseball est rébarbatif…
      je viens de me procurer « La trilogie new-yorkaise » dans un accès de fièvre acheteuse 🙂

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