« La nuit du décret » de Michel del Castillo

J’ai découvert ce livre grâce à ma bibliothécaire et c’est un véritable choc :

 La nuit du decret de Michel del Castillo

 

Quatrième de couverture

La joie de l’inspecteur Santiago Laredo, transféré à la brigade criminelle de Huesca, petite ville du nord de l’Espagne, est de courte durée. Famille, collègues, tous réagissent avec inquiétude. Et pour cause : Avelino Pared, son futur chef, a mauvaise réputation. Fasciné, Laredo enquête sur le passé trouble de cet ancien franquiste. Pourquoi son nom continue-t-il d’éveiller la terreur ?

« Qu’avait pu faire cet homme pour que la haine qu’il avait suscitée le poursuivît jusqu’au seuil de la vieillesse et de la mort ? »

 

Ce que j’en pense

Un roman magistral ! quel talent !

Michel del Castillo nous livre à travers ce roman qui se déroule dans les années 70, une belle réflexion sur le pouvoir, la dictature franquiste, les exactions commises par les deux camps : des horreurs aussi bien chez les partisans du Caudillo que chez les républicains.

Jusqu’où peut-on aller pour obtenir des aveux, en décortiquant chaque pan de la vie d’un suspect, pénétrant au plus profond de l’intime pour mieux le manipuler, le réduire à néant.

Don Avelino a été un véritable inquisiteur durant toute sa vie et il continue à officier dans la police malgré tout ce que l’on sait de ses méthodes. Sa conception de la justice fait froid dans le dos. Il est toujours plongé dans ses dossiers, notant tout, sur des fiches de couleurs différentes. On imagine un tel flic à l’heure actuelle, avec Internet et les réseaux sociaux !!!

La façon dont il tisse sa toile autour de Santiago est décrite de façon magistrale : le pervers dans toute sa splendeur, persuadé d’avoir raison, d’être le bras armé de Dieu. La description qu’en fait l’auteur est d’une telle intensité qu’on le visualise pratiquement devant soi et on sent le malaise engendré, presque la peur.

Il entre dans une pièce ou s’assoie en face du suspect, et déjà, les autres se sentent coupables même s’ils ne savent pas de quoi. Et il en joue et rejoue encore et encore comme tout pervers. Il n’a rien à envier à Josef Mengele, Klaus Barbie ou autres tortionnaires…

Un roman sur la fascination aussi : Santiago a fait son enquête auprès de ses supérieurs avant de partir, il a lu tout ce qu’il a pu trouver dans les archives de la police, a entendu les confidences d’une collègue qui l’a bien connu. Il va même visiter sa maison natale.

Il est fasciné par l’homme avant même d’avoir croisé son regard vide, froid, cruel. Cet homme est-il un reflet de lui-même, car après tout, lorsqu’il était enfant, il a fait quelque chose dont il n’est pas fier et peut-il y avoir un lien ? Sa mutation est-elle vraiment le fait du hasard.

Santiago a choisi d’entre dans la police, pratiquement dès l’enfance : « Je découvrais que la rétention d’une information vous faisait le maître absolu d’un homme. Il suffisait que le coupable sût qu’on la gardait. Ma vocation était née : j’entrerais dans la police. » P 106

Franco meurt pendant la période de transition entre les deux postes de Santiago, ce qui n’est pas anodin, car on voit les réactions des gens, les pleurs, la sidération puis le frémissement de la liberté qui va se retrouver.

J’ai particulièrement apprécié les pages consacrées à Barcelone en 1939 et la manière dont la peur a été distillée sur la Catalogne et également celles consacrées à la réflexion sur le sacré et le profane, la Question (on imagine bien Don Avelino en Torquemada) et la torture, la police et l’inquisition, l’œil qui torture dans la réalité comme dans la tombe avec Caïn.

Un petit mot sur le titre : la Nuit du Décret, « c’est l’ultime Nuit de Dieu… La Nuit de l’ultime Révélation qui précède le Jour de l’Éternité »

Michel del Castillo, dont je n’avais encore rien lu, alors que son œuvre est importante, a une très belle écriture, et tient le lecteur en haleine jusqu’au bout, avec une fin géniale. Ceux qui aiment l’imparfait du subjonctif, les phrases bien construites, avec une grammaire parfaite seront comblés.

Ce livre, assez dur mais passionnant, souvent glaçant, qui a reçu le prix Renaudot, est sorti en 1981 et décrit de fort belle manière la société espagnole de l’époque et certains de nos contemporains tentés par les extrémismes devraient s’y plonger…

MAGISTRAL donc mais je l’ai déjà dit…

 

L’auteur

Né à Madrid en 1933,  de père Français et de mère Espagnole, Michel del Castillo fuit avec ses parents l’Espagne Franquiste pour le sud de la France. Déporté par la guerre, il retourne en Espagne après celle-ci. Il est envoyé en maison de correction pendant 5 ans au bout desquels il regagne Paris et commence à écrire.

Il a reçu plusieurs prix littéraires .

 

Extraits

Quelle plus efficace police, dans un village, que les moines et les confesseurs, détenteurs des plus intimes secrets ? Aujourd’hui encore, c’est chez les prêtres que nous recrutons nos agents les plus sûrs. P 24

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… Une haine entretenue avec une patience plus puissante que le désespoir. Et, c’est la pugnacité, la violence de cette rancune qui m’emplissaient d’un étonnement mêlé de peur. Qu’avait pu faire cet homme pour que la haine qu’il avait suscitée le poursuivît jusqu’au seuil de la vieillesse et de la mort ? P 36

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La police ne se fait pas avec des faits, elle se fait avec des indices, comme la poésie. P 42

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« …Parfois, je me représente Dieu comme un immense fichier contenant des millions de noms qui engendreront l’héroïsme et le crime, le mensonge et l’amour. Dans les ténèbres et le silence, Dieu contemple cet écheveau fantastique, et Il attend, recueilli, que tous les fils soient dévidés. Alors, arrivera la Nuit du Décret et une aube triomphante éclairera l’humanité, arrivée au terme de son destin. » P 44

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L’héroïsme n’a rien à voir avec le courage. Un héros, c’est un lâche qui fuit en avant. Le courageux, lui, endure. P 49

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L’école n’était-elle pas le champ de bataille où se jouait le sort de cette guerre opposant les lumières aux ténèbres ? et nous, petits paysans engourdis de sommeil, n’incarnions-nous pas l’humanité future, celle qui briserait ses chaînes pour entonner le chœur de la liberté ? P 89

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Notre destin ne nous appartient pas : le décret qui fixe notre sort repose dans les archives de la nuit. P 104

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Un monde où le scandale cesserait serait un monde mort. Dans les sociétés vraiment et pleinement vivantes, les infirmes, les estropiés, les malades, les cadavres même ont leur place. Leur présence maintient les consciences éveillées. Dans notre monde, au contraire, la conscience s’endort dans le confort. Nous sommes un peuple de dormeurs qui marchent à tâtons. P 134

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Ce sont moins les hommes qui massacrent que l’époque. P 142

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« Un homme, mon cher Laredo, ne se résume pas aux opinions qu’il professe ni même, quoi qu’on en dise, aux actions qu’il accomplit. Des millions d’hommes bafouent chaque jour leurs opinions et il arrive aux pires lâches de se comporter en héros sans que ce courage d’un instant les rende moins couards. Un homme, c’est un style. » Celui de Don Avelino était dur et vertical, sans débordements ni épanchements. P 166

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Dans ma jeunesse, je ne voyais dans la nuit que la complice de mon désir et je n’en percevais que la pulsation fiévreuse. La vraie nuit appartient à la vieillesse. P 341

 

Lu en avril 2017

7 réflexions sur “« La nuit du décret » de Michel del Castillo

    1. ma bibliothécaire me l’a conseillé parce qu’on parlait de l’adaptation en BD de « Et Perreira prétend » de Tabucchi que j’ai beaucoup aimé (et qui se passe sous la dictature Salazar…
      je ne savais pas avec lequel enchaîner, je vais essayer de trouver « Le temps de Franco » c’est un essai?

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