« Le crocodile » de Fiodor Dostoïevski

Après un épisode polar, je retourne à l’exploration de cet auteur qui me plaît décidément beaucoup avec cette nouvelle, trouvée sur le site « bibliothèque russe et slave »  :

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Résumé

Un ami du narrateur rend visite à un crocodile dans un lieu appelé « Le passage » dont le propriétaire est un Allemand. Il le titille tant qu’il se fait gober par l’animal.

Il s’en suit un affolement général, notamment de sa compagne, mais, à la surprise générale, il est vivant dans le ventre du crocodile et parle, tire des plans sur la comète pour devenir célèbre, alors qu’il est un fonctionnaire prétentieux dont l’épouse est une jolie femme.

 

Ce que j’en pense

Ce récit ne se limite pas au simple fait divers, avec des moments drôles (rester vivant dans le corps de l’animal, le propriétaire qui exige une rançon, la réaction des autres personnages, notamment de l’épouse qui a tendance à s’émanciper… ) il est à prendre au second degré.

Dostoïevski nous livre une critique sans concession de l’administration, ses lenteurs, sa paperasserie, sa hiérarchie mais aussi de la société russe de l’époque, comment la faire changer : capitalisme à n’importe quel prix, ou refaire le monde au risque de l’utopie.

Il se moque de la presse russe qui déforme les évènements, chacun donnant une version des faits de façon très affirmative sans rapport avec le fait réel (est-ce que cela a vraiment changé ?) et l’image qu’il donne d’Ivan, pérorant dans l’antre de son crocodile et donnant des leçons aux autres est savoureuse, tel un nouveau prophète éclairé ou pas.

Il nous livre, via cette courte nouvelle de quarante-deux pages, une réflexion sur l’intérêt personnel par rapport à l’intérêt général ainsi que la vanité de l’être humain : un vrai « voyage en Absurdie ».

Je prends goût à la façon dont l’auteur raisonne, sans complaisance et livre son analyse sur la société de l’époque. Ce récit est drôle et surprenant, Dostoïevski nous offrant ici une autre facette de son art, mais dans ce registre, j’avoue que je préfère Gogol  … Il semblerait d’ailleurs que cette nouvelle, écrite en même temps que « Crime et châtiment » soit restée inachevée ?

Elle a été adaptée au festival d’Avignon :

http://culturebox.francetvinfo.fr/theatre/theatre-contemporain/avignon/le-off-2015/avignon-coup-de-coeur-pour-le-crocodile-comedie-d-apres-dostoievski-224157

Challenge XIXe siècle

Extrait :

J’eus une inspiration :

— Ne pourrait-on faire en sorte que, s’il doit rester dans le ventre du crocodile et que la grâce de Dieu lui conserve la vie sauve, il puisse adresser à qui de droit une demande afin d’être considéré comme étant néanmoins au service ?…

— Hem !… Comme en congé sans appointements.

— N’y aurait-il pas moyen de lui conserver ses appointements ?

— À quel titre ?

— Au titre d’employé en mission.

— En mission ? Où ça ?

— Mais, dans les profondeurs du crocodile, dans ses profondeurs… pour y recueillir des renseignements, pour y étudier les faits sur place. Évidemment, ce serait une innovation, mais aussi un progrès, une preuve que l’État se préoccupe de l’avancement de la science…

Timotheï Semionitch s’absorba dans une profonde méditation. Enfin, il répondit :

— Il me semble que le fait d’envoyer un employé en mission dans le ventre d’un crocodile constituerait une absurdité. Cela ne saurait s’accorder avec le tableau de service. Quelle mission pourrait-on accomplir là-dedans ?

— Mais une mission d’études naturelles, si je puis m’exprimer ainsi ; il s’agirait de surprendre la nature sur le vif. Les sciences naturelles, la botanique, sont fort à la mode actuellement… Il serait en résidence dans le crocodile et nous enverrait des communications… sur la digestion des sauriens, par exemple, sur les mœurs internes de ces animaux, quoi ! Il pourrait ainsi réunir des faisceaux de faits…

— Oui, des études statistiques, sans doute ? Je ne suis guère ferré sur ces questions… et puis je ne suis pas philosophe. Vous parlez de faits. Mais nous en sommes encombrés, de faits ; nous ne savons plus qu’en faire. De plus, cette statistique me paraît dangereuse…

— En quoi ?

— Elle est dangereuse. Et puis, convenez-en : il va nous établir ses rapports, couché sur le côté. Est-ce couché sur le côté que l’on peut faire son service ? C’est encore une innovation et tout aussi dangereuse ; et il n’y a pas de précédent ! Si nous avions un précédent, ça irait tout seul.

— Comment pourrions-nous avoir un précédent quand c’est le premier crocodile vivant que l’on amène à Pétersbourg, Timotheï Semionitch ?

https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Dostoievski%20-%20Le%20Crocodile.htm

Lu en Février 2017

5 réflexions sur “« Le crocodile » de Fiodor Dostoïevski

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