« La mauvaise rencontre » de Philippe Grimbert

J’ai décidé de continuer à explorer l’univers de Philippe Grimbert dont j’ai beaucoup aimé « Un secret » et plus récemment sa participation à « et toujours elle m’écrivait ».

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Quatrième de couverture

« Démesurément allongée par la lumière de ma lampe de bureau, l’ombre de ma main tremble sur le mur. Et une dernière question se précipite : qui de nous deux a fait la mauvaise rencontre ? »

 

Ce que j’en pense

L’auteur nous raconte l’histoire d’une amitié qui remonte à l’enfance des deux héros Loup, le narrateur et Mando, qui sont indissociables, presque des jumeaux. Ils font tout, ensemble depuis le bac à sable, les mères qui discutent, poussettes à la main, puis les bancs de l’école à part ce jour où le narrateur (probablement l’auteur lui-même) refuse au dernier moment de partir en colonie de vacance.

Mando, parti seul, revient avec un bras cassé, de la rancœur et ne dira jamais ce qui s’est passé, la version officielle : accident de ski. Il redonne une chance à leur amitié.

On découvre leurs jeux morbides au cimetière du Père Lachaise, les séances de spiritisme mais, peu à peu, ils s’éloignent, séparés par les études. Leurs chemins divergent. L’auteur découvre la psychanalyse, assistant aux séminaires d’un psy que Mando surnomme « le professeur psychopompe » et derrière lequel on imagine Lacan. Et un jour, c’est la rupture.

J’ai été frappée également par toutes les morts qui entoure le narrateur, les deuils successifs qu’il doit faire : Nine, la personne qui l’a élevé, puis sa mère… ainsi que les petites trahisons envers Mando mais aussi les autres membres de la famille (Nine qu’il n’est pas allé voir à l’hôpital, comme s’il y avait un déni de la maladie, de la mort…)

Loup évoque les relations de Mando avec sa mère, qu’il appelle par son prénom, avec une tirade à propos du Christ qui laisse perplexe, car lourde de signification :

« Une vingtaine de coups de fouet, une couronne d’épines qui lui a égratigné le front et puis, oui, la crucifixion ! Là, je veux bien, ça a dû être pénible, les clous, tout ça… mais qu’est-ce que c’est par rapport à ce qu’ils ont souffert à Auschwitz, des années durant… »  P 50

Philippe Grimbert laisse remonter ses souvenirs pour reconstituer l’histoire a postériori, s’appuyant sur le journal de son ami, car il  se sent coupable de ne pas avoir vu (ou peut-être voulu) voir que son ami n’avait pas un comportement, un discours normaux, qu’une fêlure s’était installée, avec une phrase choc : « on ne devient pas psychotique, on l’est » .

L’auteur nous livre une très belle évocation de la dissociation, la dualité dans la psychose (cf. les dessins de Mando).

Lequel des deux a fait la mauvaise rencontre ? telle est la question qu’on se pose, mais y-a-t-il une réponse ?

J’ai beaucoup aimé ce livre, cet auteur me plaît parles thèmes abordés, le style simple mais percutant.

 

Extraits

Otage d’un conflit que je n’ai pas déclenché, me voilà tenu de me ranger dans un camp, simplement parce qu’il est celui de mon ami. Situation qui me terrorise. P 19

Nous avons remisé le malaise dans lequel nous avait plongés l’affaire de la colonie de vacances. Mando et moi voulions nous penser jumeaux, si transparents l’un pour l’autre mais, après ma trahison du parc, cet épisode avait projeté une deuxième ombre sur notre amitié. Un trouble qui ne trouverait son explication que longtemps après, quand j’apprendrais la vérité sur cet accident de ski. P 40

Son journal restait le miroir d’une relation qu’il voulait fusionnelle, sans concessions. Une phrase en témoignait : c’est cela l’amitié vraie : être l’autre absolument. Il en a toujours été ainsi entre nous deux, et il en sera ainsi jusqu’à la mort, au-delà même. P 62

De cet épisode, comme de bien d’autres, son journal ne livrera rien. Ces blancs ne sont pas le fait d’une censure : ce qui n’y est pas relaté n’a tout simplement pas existé pour lui. P 81

Obstinément, Mando restera fidèle à sa ligne, tentant de maintenir le mythe de l’âme sœur avec un aveuglement qui me serrera le cœur lorsque j’aurai enfin accès à ses cahiers. Pas une ombre n’y plane, tout au moins jusqu’à l’épisode de notre rupture, avec sa phrase sèche comme un constat de décès. P 82

Lu en février 2017

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