« La clef et la croix » : Eric Giacometti & Jacques Ravenne

Aujourd’hui, je vous propose un voyage dans le temps, à différents époques de l’Histoire, y compris la nôtre avec ce roman :

Dans ce roman, on suit les aventures d’Antoine Marcas, policier, franc-maçon, à la recherche de son aïeul, Tristan, afin d’éclaircir un mystère : l’hôtel de son aïeul a été racheté par un homme d’affaire italien, très riche et pas toujours très honnête avec une clause particulière lorsque ce dernier viendrait à mourir.

Or le patriarche, Gianfranco Varnèse, périt dans le crash de son avion personnel, alors que l’Intelligence artificielle, qui lui apparaît sous la forme du Duce qu’il a autrefois adulé. Il préfère avaler une capsule de cyanure pour « finir en beauté » laissant sa progéniture, sa fille Giulia et ses deux fils assumer la suite.

Comme dans toute famille de ce type, les héritiers se détestent entre eux autant qu’ils ont détesté leur père, responsable de l’accident qui a coûté la vie à leur mère et cloué l’aîné dans un fauteuil. Le testament leur apprend qu’ils ont une énigme à résoudre pour désigner ce lui qui prendra la relève à la tête de l’empire.

D’Empire, il est question bien sûr, car les auteurs nous renvoient à 1805, Napoléon Ier, qui a mis l’Europe à feu et à sang, et piller tous les sites où il a été victorieux, désire divorcer de Joséphine, il a fait enlever le pape, veut mettre la main sur les richesses de l’Église, sous-entendu le trésor caché des Templiers, envoyés au bûcher par Philippe le Bel et Nogaret. En effet, il a besoin d’argent car il veut conquérir, l’Orient, l’Inde…

On navigue ainsi sur plusieurs périodes entre 1805 et nos jours, on retrouve des ministres de triste renommée : Fouché, Talleyrand, Cambacérès, entre autres, mais aussi Joséphine à la Malmaison, les soirées, les complots, de toutes sortes, Royalistes voulant rétablir un roi sur le trône, le rôle très influent de l’Église, et une place importante est accordée à ma Franc-Maçonnerie.

Que l’on soit à Paris soue l’Empire avec Étienne Radet ou de nos jours avec Antoine Marcas, on se retrouve en présence de deux personnes appartenant à la police, toutes deux investies de la même quête : retrouver le trésor des Templiers, objet de tant de fantasmes depuis toujours. Mais ne divulgâchons pas !

On voyage aussi géographiquement parlant : Paris, Nice, Milan Rome, visitant au passage des jardins célèbres, notamment les jardins Bomarzo que j’ai eu immédiatement l’envie d’aller faire un tour… ces jardins constituant, à eux seuls, un personnage important du roman.

C’est ma première incursion dans l’univers des auteurs, j’ai donc pris le train en marche, dans les aventures de Tristan, mais cela ne m’a pas trop gênée, juste donné envie de découvrir ses aventures précédentes, et j’ai beaucoup apprécié ce roman, même si l’Empire n’est pas ma période de prédilection, (déjà, en matière d’Empire je préfère le Second, probablement influencée par Zola) et je préfère l’Histoire plus ancienne, donc « re »flirter un peu avec les Templiers était agréable.

J’ai trouvé quelques longueurs, et contrairement à mes habitudes, cela n’a pas été une lecture addictive, j’ai dû faire des pauses pour digérer certaines informations. Il m’a été plutôt difficile de rédiger une chronique, en révélant le moins de choses possibles pour donner envie de se lancer dans l’aventure. J’aurais tellement aimé parler d’un autre personnage important : le tableau de David…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions J.C. Lattès qui m’ont permis de découvrir ce roman et ses auteurs.

#Laclefetlacroix #NetGalleyFrance !

8/10

Deux liens intéressants au sujet des jardins de Bomarzo

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jardins_de_Bomarzo

https://jevisiterome.fr/jardins-bomarzo/

L’intelligence artificielle, mon ami… j’ai choisi le Duce, si mes renseignements sont exacts, plus jeune, tu militais pour un parti nostalgique de ce dictateur. Mais, j’aurais pu prendre n’importe quel visage. Le Pape, Poutine, Hitler, Ronaldo…

Depuis des siècles, tout l’or que l’Église engrangeait convergeait vers Rome. Lui-même (Radet octobre 1809) avait été ébloui par tant de luxe ostentatoire. Le Christ, qui avait prôné la pauvreté et le partage des richesses, s’était fait rouler par ses successeurs dont la rapacité sans pareille avait saigné à blanc l’Ancien comme le Nouveau Monde.

Après tout, la Sainte Église avait déjà fait tuer deux rois de France, Henri III et Henri IV, un empereur ne pouvait que rehausser le tableau de chasse et prouver à tous qu’on ne l’offensait pas impunément. Voilà pourquoi le ministre de la Police craignait plus que tout ce qui venait d’Italie.

Pour un homme d’Église, Fouché était le diable incarné. Le grand inquisiteur des temps modernes. Celui dont les victimes erraient par centaine, comme des âmes en peine. L’homme qui avait condamné Louis XVI, anéanti Robespierre, tué en Vendée et massacré à Lyon. Il n’y avait pas que les mains de Fouché qui étaient recouvertes de sang, toute sa vie en suintait…

Étienne ( Radet) repassa sous les arcades. Lui aussi avait combattu pour la République et pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Une liberté devenue très surveillée – Fouché y veillait – quant à l’égalité, il suffisait de faire dix pas dans Paris pour voir qu’elle n’existerait jamais. Rousseau s’était trompé, l’homme n’était pas naturellement bon, il était un tyran de naissance.

Radet, songea à ces centaines de loges maçonniques à Paris, en province, à l’armée et dans tout l’empire. La base d’une pyramide gigantesque qui convergeait vers une seule pointe : Cambacérès. Même Fouché, avec ses nuées d’espions, ne pouvait être aussi bien informé. Il suffisait d’un seul correspondant fraternel dans une loge et Cambacérès savait ce que pensait le paysan, comme le noble, le médecin du village comme le sous-préfet. Quand la France chuchotait un matin Cambacérès le savait le lendemain.

Les régimes politiques changent, mais la franc-maçonnerie, elle, s’adapte. Elle peut se draper dans les plus purs principes mais n’a qu’une seule loi : durer. Et pour cela elle est prête à tout.

Grâce à des dons en argent vous pouvez racheter à l’avance votre temps passé au purgatoire. Sixte (IV) a appelé cela les indulgences : un système tarifé où, en échange d’une somme précise, le pape, seul représentant habilité de Dieu sur terre, pouvait diminuer votre attente pour le paradis...

… Depuis 1475, ses successeurs (du pape Sixte) n’ont cessé de perfectionner le système et des centaines de millions de catholiques ont payé pour échapper à l’interminable attente. Payé de leur vivant en achetant des années ou des décennies d’indulgence, mais payé aussi après leur mort en faisant des legs innombrables à l’Église.

« Au nord de la frontière » de R.J. Ellory

Aujourd’hui, départ pour les USA, pour un intermède polar offrant un complet dépaysement, avec ce dernier opus de l’auteur :

Bienvenue dans les Appalaches, où Victor Landis est shérif dans une petite ville de Géorgie alors que son frère Franck officie dans le Tennessee, ils sont très proches, géographiquement parlant, mais sont fâchés à mort, depuis plusieurs années. Lorsque la nouvelle de la mort de Franck parvient à Victor, il doit faire face. Il s’avère très vite qu’il ne s’agit pas d’un accident, la voiture ayant roulé sur son corps à trois reprises. Il va donc devoir affronter les démons et mener l’enquête qui est au point mort. Qui Franck dérangeait-il ? Sur quoi enquêtait-il ?

Victor aurait volontiers laissé les autres policiers enquêter mais il fait la connaissance de sa belle-sœur et de Jenna, sa nièce de onze ans qui lui fait bien comprendre qu’elle compte sur lui pour établir la vérité, et son opiniâtreté va marcher…

Ce roman nous entraîne sur une enquête pour meurtre à élucider, multipliant les fausses pistes, /Franck était-il un policier véreux comme certains voudraient bien persuade Victor, ou un preux justicier ? D’autre part, Victor va devoir affronter son passé et ses démons pour comprendre comment il en est arrivé à se brouiller ainsi avec son frère au point de ne plus vouloir en entendre parler et ne même pas savoir qu’il était marié et père de famille, analyser en fait le pourquoi et le comment de cette rancœur tenace qui l’a transformé en misanthrope revenu de tout.

Tous les personnages sont décrits avec finesse, R.J. Ellory étudiant les personnalités avec profondeur et rigueur, les bons comme les méchants, sans jamais tomber dans le facilité, nous sommes dans un thriller, avec des scènes violentes quand même, et non dans une romance. Les truands sont abordés comme ils sont, bruts de décoffrage, tutoyant la drogue, les violences sexuelles, prostitution et autres « raffinements »

Enfin, l’auteur donne la part belle à cette région pauvre des Appalaches autrefois amérindienne, mais l’homme blanc est passé par là, où la vie est rude, parfois il s’agit même plutôt de survie et ses descriptions sont belles, donnant envie d’aller s’y immerger…

C’est mon baptême concernant les livres de R.J. Ellory dont j’ai au moins deux opus dans ma PAL « Seul le silence » et « Le chant de l’assassin » qui vont remonter de plusieurs étages. J’ai une excuse (piètre, j’en conviens !) à ce retard : les éditions Sonatine m’ont longtemps snobée et mon amour propre en avait pris un coup et j’avais fini par renoncer mais j’ai refait une tentative car ce livre me tentait vraiment, alors mon Ego s’est mis en veilleuse et… Cela a fonctionné alors je les remercie vivement.

Vous l’aurez compris, c’est presque un coup de cœur.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Sonatine qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur et m’ont fait une petite place dans leur univers.

#Aunorddelafrontière #NetGalleyFrance !

9/10

Leur entrée dans la police – qui les avait reliés avant de les séparer encore plus – était un fil tordu de plus dans le barbelé de leur passé. Et pour l’un comme pour l’autre, ce passé était semblable à des sables mouvants – plus ils tentaient de s’en échapper, plus il les entraînait vers l’arrière.

Tout ce qu’il savait, c’était que le corps froid de son frère serait étendu sur la table métallique du légiste et qu’il devrait prononcer quelques paroles au sujet d’un homme qui était plus un étranger qu’un parent.

Franck et Victor Landis descendaient d’une lignée de personnes dures et laconiques. Leurs ancêtres se méfiaient des mots qui excédaient trois syllabes, des banques, des assureurs, des machines automatiques, des végétariens, des choses faites rapidement quand elles demandaient de la patience et du temps…

Les Indiens Appalaches avaient été les premiers à élire domicile ici, mais – comme à travers tout le pays – ils avaient été pourchassés et acculés, et finalement refoulés. Ils étaient venus de la Panhandle de Floride, simplement pour découvrir que la cupidité des hommes serait un adversaire bien plus féroce que tout ce que la nature avait à offrir.

Les évènements récents l’avaient forcé à contempler ce qu’il était devenu et, par là même, à affronter le fait qu’il n’avait pas grand-chose à faire de la personne qu’il était…

… Un homme ne pouvait se mentir que pendant un temps, car la vérité était toujours là, et elle ne pouvait pas être éternellement dissimulée.

La vie était tout sauf une ligne droite. Parfois, les choses s’emmêlaient tellement qu’il était impossible de les démêler. Les mauvais souvenirs avaient le don d’évoluer au fil du temps, comme si l’esprit s’arrangeait pour les rendre plus acceptables. Personne ne se remettait jamais vraiment du passé ; on trouvait juste un moyen de s’en sortir avec aussi peu de dommages que possible. Rien n’était jamais oublié non plus. On choisissait juste de ne pas s’en souvenir…

« La liseuse de visages » de Sebastian Fitzek

Aujourd’hui, je vous propose un intermède polar qui nous entraine en Allemagne, pour retrouver un auteur dont j’ai déjà parlé avec ce roman :

Hannah Herbst est une experte renommée en décryptage d’expressions faciales, et on fait appel à elle pour tenter de démasquer les criminels les plus dangereux. Elle enquête actuellement sur les crimes commis par celui qu’on a surnommé le pêcheur en collaboration avec un policier.

Elle a un problème qui la handicape beaucoup : chaque fois qu’elle subit une anesthésie, sa mémoire récente s’efface. Elle a recours à des stratagèmes, des notes, un répertoire où se trouvent toutes les personnes importantes de sa vie pour réveiller les souvenirs.

Étrangement, elle se retrouve à l’hôpital pour une intervention chirurgicale (elle a reçu un coup de couteau) sur le point d’être opérée lorsqu’elle est prise en otage par un tueur en série qui va ainsi réussir à s’évader. Il s’autoproclame justicier et Hannah figure parmi les êtres à supprimer.

Hannah s’est auto-accusée du crime de son mari, la fille de celui-ci et Paul leur propre fils, prétextant qu’il est impossible de vivre dans ce monde pourri…et la vidéo de l’interrogatoire par la police circule sur Internet… elle ne dispose que de cette vidéo pour tenter de comprendre ce qui s’est passé et dont elle ne garde aucun souvenir. Mais, stop ne divulgâchons plus.

Ce roman se lit en apnée, suspense garanti à chaque page, Sebastian Fitzek prenant un malin plaisir à nous orienter sur des pistes pour mieux nos perdre. Et évidemment j’ai marché à fond, je n’ai pas pu poser le livre avant la dernière page, j’ai même lu tous les remerciements car on apprend encore des choses…

En fait, j’avoue que j’ai choisi ce livre pour sa belle couverture, et son auteur, en survolant à peine le résumé ! J’ai passé un très bon moment avec cette lecture, même si quelques invraisemblances ont parfois alourdi le récit. Et le dénouement, que je n’ai pas vu venir, est génial …

J’aime bien cet auteur que j’ai découvert avec Thérapie, Le cadeau, L’accompagnateur ou encore Le Briseur d’âmes…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions de l’Archipel qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

#Laliseusedevisages #NetGalleyFrance !

8/10

La raison pour laquelle je m’intéresse tant au langage non verbal est donc évidente. Je ne veux plus jamais, jamais, me retrouver en situation d’entendre un appel au secours sans pouvoir y répondre. Je ne veux plus jamais abandonner quelqu’un.

Au fait, je souffre toujours de spectrophobie. Dès que je m’observe moi-même, j’ai peur. J’étouffe, je me sens oppressée.

En Inde, un homme a porté plainte contre ses parents pour l’avoir fait naître. Ils avaient décidé seuls, sans évidemment lui avoir posé la question. Et maintenant, il est obligé de supporter toutes les horreurs du monde ? les enfants qui meurent de faim, les catastrophes climatiques, les guerres, la prostitution forcée, l’esclavage moderne…

Non, je n’invente rien ! Vous avez raison : je souffre de spectrophobie. J’ai peur de moi-même. C’est lié à un traumatisme subi dans mon enfance. Un instant avant que ma mère se suicide, j’ai vu dans ses yeux le mal absolu. Depuis, j’ai peur de le voir en moi aussi.

Mamie Margarete aimait donc le suspense. Les gens qui n’apprécient pas ce genre de littérature s’imaginent que ceux qui ne lisent sont des êtres assoiffés de sang, ou totalement insensibles. Ils se trompent. Ils ne comprennent pas que, dans ce monde où la réalité déborde déjà d’horreur, on puisse avoir envie d’occuper son temps, en se plongeant dans une violence fictive.

Dans le monde réel, les atrocités sont souvent d’autant plus effarantes que les entrefilets des journaux ou les brefs reportages télévisés ne leur fournissent guère d’explications. Les polars et les thrillers, eux, se préoccupent des mobiles et essaient d’expliciter l’inconcevable. Et ils ont souvent un happy end, leur différence majeure avec la vraie vie.

« Kaddour » de Rachida Brakni

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un petit livre, écrit par une comédienne, chanteuse, metteuse en scène (quel terme horrible!), multi-casquette en fait que j’apprécie beaucoup et depuis longtemps. Il s’agit de :

Samedi 15 août 2020 : on annonce à Rachida Brakni la mort de son père Kaddour. Alors qu’elle rejoint Paris, en train, elle évoque sa peine tandis que les souvenirs commencent à remonter. Elle va devoir faire face aux contingences administratives : nous sommes alors en plein COVID et de surcroît c’est la période des vacances. Kaddour a toujours voulu être enterré en Algérie, il a payé pendant des années une assurance censée s’occuper de la logistique, mais celle-ci a fait faillite depuis plusieurs années.

On va suivre les évènements sur une période de cinq jours avec la famille au gré des repas de funérailles, des discussions entre hommes, entre femmes, avec la difficulté de s’isoler pour respirer un peu et laisser le chagrin s’installer, au gré des souvenirs qui remontent. On découvre un homme discret, son humour, de l’arrivée en France, avec les difficultés d’un travail souvent lourd qui a laissé des séquelles dont il ne se plaint jamais.

Il a pris soin de sa famille, de l’éducation des enfants, et Rachida se rappelle les échanges, les vacances en Algérie, les  traumatismes aussi (ce jour noir  du 17 octobre 1961 et de la répression violente qui a coûté la vie à de nombreux algériens). Comment ne pas se sentir proche de cet homme, étranger partout : considéré comme Algérien en France, Français en Algérie, avec une tristesse liée à l’exil.

L’exil, jusque dans la mort sépare et déchire les familles.

Il est fier de la réussite de sa fille, même si parfois il ne la comprenait pas avec cet échange savoureux lorsqu’elle choisit d’apprendre le latin : « une langue morte qui ne sert à rien », et qui pour lui relève du catholicisme. Le soin qu’il met à choisir son costume pour la première de Ruy Blas, afin de lui faire honneur « pour qu’elle n’est pas honte de lui »…

Ai-je déjà éprouvé de la honte à ton égard ? Je ne crois pas. Ne serait-ce pas plutôt de la gêne ou de l’embarras ? Le dire ou l’écrire m’écorcherait le cœur et briserait le tien. Si la honte est une seconde peau dont on voudrait se défaire, alors non, tu étais tout au plus comme un pull angora qui gratte, une gêne intolérable pour un vêtement si beau qui ne mérite pas de rester au fond du placard ou qu’on s’en débarrasse.

J’ai beaucoup aimé ce récit plein de pudeur et de tendresse qui évoque le deuil, la tristesse mais aussi les moments heureux. Il m’a profondément touchée, j’ai eu l’impression de partager l’intimité alors c’est pour cela que ma chronique sera brève pour ne rien trahir de l’émotion ressentie…

J’ai aimé la façon de Rachida Brakni évoque la dureté de l’exil, les difficultés à s’intégrer lorsqu’on est coincé entre deux cultures, ne voulant pas risque de perdre ses racines…

L’écriture est belle, sobre, mais elle touche directement au cœur. C’est la première expérience de l’auteure en littérature, et c’est très prometteur… et la couverture belle et très évocatrice : un olivier, qui résiste à tout, et s’adapte aux climats comme celui que Kaddour a planté dans le jardin : on ne plante que arbre qui donnent des fruits, et peuvent nous nourrir… (cette phrase a beaucoup plu à mon époux, qui a fui la dictature de Salazar très jeune et va sûrement se sentir proche de Kaddour quand il va lire ce témoignage)

Ce livre, très court, m’a tentée immédiatement, dès la première fois où j’ai entendu Rachida Brakni en parler à la TV, et comme je suis son parcours depuis longtemps ainsi que celle de son célébrer compagnon, résister à la tentation n’a pas été envisagé, même l’espace d’un quart de seconde.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure

#Kaddour #NetGalleyFrance

9/10

Après le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, Rachida Brakni entre à la Comédie-Française en 2001. Elle obtient avec Chaos de Coline Serreau le César du Meilleur Espoir Féminin, puis le Molière de la Révélation Féminine. Rachida Brakni poursuit ensuite une carrière aussi bien au cinéma, à la télévision qu’au théâtre. En 2017, elle chante dans le groupe Lady Sir créé avec Gaëtan Roussel. Elle joue dans la série Baron Noir et, en 2023, elle est au casting de la série Les Espions de la Terreur.

Qu’est-ce qui se joue entre l’annonce et la mise en terre ? Quelle est la marche à suivre ? Comment remplir cet espace et comment me glisser dans cet interstice sans que le costume soit trop grand ou trop écrasant ? Je n’ai pas le mode d’emploi.

Posséder un bout de France si infime soit-il ne faisait pas partie de tes projets – or, cette modeste maison t’ancrait un peu plus et mettait en péril ton retour en Algérie.

La liste des doléances était longue, il fallait satisfaire tout le monde. Faire des heureux. D’une certaine manière, ces cadeaux maintenaient l’illusion de notre opulence. De notre réussite. Sans le vouloir, tu faisais la promotion d’une France faste, prospère et généreuse.

Durant quarante-cinq jours, vous êtes roi et reine d’un royaume éphémère. On vient de toutes parts pour vous saluer, vous célébrer. Vous êtes l’incarnation de la réussite. Le conte de fées est trop beau, pourquoi en briser la magie ? Pourquoi révéler la face sombre de votre condition d’immigrés ? A quoi bon remuer la fange pour faire remonter à la surface, la pénibilité, les brimades, les humiliations ? La blessure est une tache indélébile invisible à l’œil nu, l’honneur est sauf et le trompe-l’œil parfait.

Pourtant tu persistais à ne te parfumer que le dimanche pour ne pas gâcher, me disais-tu, mais aussi par habitude, non ? Après une semaine de labeur, le parfum était ta récompense ; un onguent pour apaiser l’effort enduré. Ce faisant, tu marquais une rupture et une mise à distance de ta condition d’ouvrier.

Chez nous, la pudeur est un langage. Une attitude, un rapport à l’autre pour préserver sa liberté et pour ne pas brusquer l’intime. Une grammaire qui nous est propre. Une science que je peux déchiffrer dans la gamme chromatique de tes yeux verts ; dans la rigidité ou la souplesse de ton corps ; dans les moindres inflexions de ta voix – le rythme, le ton, l’hésitation, le silence, le souffle même. Rien ne m’est étranger.

Le corps fourbu et brisé, tu t’étais juré de repartir avec tes restes. On ne cassera pas la croûte sur ta dépouille, toi qu’on a suffisamment accusé d’ôter le pain de la bouche des Français. Les vrais. Toi l’Arabe, tu ne veux pas être enseveli dans cette terre sur laquelle tu as déversé ta sueur sans jamais te plaindre, travaillant d’arrache-pied, refusant en bon élève les arrêts maladie préconisés par le médecin quand pourtant ton état le nécessitait…

« Rebelles venus de l’Est » : Ikena Okeh

Aujourd’hui, je vous emmène vers le Nigeria, avec ce roman assez étrange et déroutant :

Direction Port Harcourt, au Nigeria où l’on fait la connaissance de Luciano, un écrivain qui peaufine un manuscrit dont personne ne veut, mais qui s’accroche, se promenant partout avec son ordinateur portable, guettant l’inspiration. Sa compagne a fini par se lasser et le quitte.

Soudain, Ofodile un homme influent, à la recherche d’Aniète, un fils dont il n’a jamais voulu s’occuper, va le contacter et le charger, moyennant une jolie somme, de le ramener à la maison. Luciano va donc se lancer sur les traces de d’Aniète qui a disparu sans laisser de traces.

La mission est donc plus compliquée que prévu, car Aniète est recherché par des malfrats. Luciano va dont se retrouver dans une sombre affaire d’enlèvement sur fond de trafics divers, notamment de drogues et de menaces de mort…

J’ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce roman, je l’ai posé, repris, reposé…  tout d’abord parce que je suis restée perplexe devant la personnalité de Luciano rêveur et écrivain raté, dépassé par sa mission donc j’ai eu du mal à l’apprécier vraiment ce qui n’augure rien de bon quand je me lance dans la lecture d’un thriller.

Le roman nous dépeint une société violente, où tous les moyens sont bons pour obtenir ce que l’on veut, tout en attirant l’attention sur la précarité des étudiants dont les fins de mois sont difficiles, la faim, le logement précaire, les conditions dans lesquelles sont fait les cours…

J’ai apprécié la façon dont l’auteur raconte l’histoire, en alternant le présent, ce qui a provoqué la situation d’Aniète, et surtout les passages du roman de Luciano qui nous plongent dans les légendes locales avec des personnages attachants. Ce procédé a le mérite d’atténuer la violence de certaines scènes.

Roman déroutant qui m’a permis de faire la connaissance d’Ikena Okeh, présenté comme le plus grand auteur de polar du Nigeria, mais qui me laisse quelque peu frustrée, en dépit d’une écriture originale. Il s’agit quand même d’une découverte intéressante !

Ce n’est pas ma première incursion en littérature nigériane, j’ai beaucoup aimé « La prière des oiseaux » de Chigozie Obioma, hélas, « Americanah » de Chimamanda Ngozi Adichie,m’attend toujours dans ma PAL mais le temps passe si vite…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#REBELLESVENUSDELEST #NetGalleyFrance !

7/10

Il savait qu’il n’était pas normal, qu’il n’était pas comme les autres. Les autres ne voyaient jamais la situation dans son ensemble ; ils étaient trop occupés, le nez dans la saleté, à chercher un morceau de pain à grignoter pendant que la vie s’écoulait sans eux. Lui, il avait remarqué l’horizon, et avait été assez fou pour s’embarquer dans un voyage à sa rencontre. Il n’avait jamais pu se satisfaire des miettes, et avait voulu goûter à la vie comme un être humain. Ce ne fut que lorsque les doutes se dressèrent comme une légère brume au loin qu’il sentit le pessimisme lui ronger le cœur.

C’était d’ailleurs ce qui avait privé les jeunes de leur bon sens et de leur instinct de survie, dans une société d’hommes qui n’était en réalité qu’une jungle située au centre d’une toile de lois tissée pour fixer des limites aux espèces tout en bas de la chaîne alimentaire.

L’obtention de n’importe quel diplôme d’études supérieurs était perçue comme un aller simple pour une vie remplie de bonheur, l’opportunité idéale de vivre heureux pour toujours. Au point que les Nigérians payaient parfois de lourds pots-de-vin, pour s’assurer une place dans les universités.

« Les Mangeurs de nuit » de Marie Charrel

Aujourd’hui, je vous emmène au Canada, pour un dépaysement total et une plongée dans une autre époque, avec ce roman qui m’a été vivement conseillé par la bibliothécaire :

Le récit s’ouvre sur une scène particulièrement intense, où une jeune femme est victime de l’attaque d’un ours, et tous deux plongent dans l’eau glacée… Ensuite, les récits vont s’entrecroiser, pour remonter dans le passé, le présent des personnages.

On fait la connaissance d’Hannah, qui vient de trouver devant sa porte la photo d’une jeune femme en kimono, qui n’est autre que sa mère. Comment cette photo a-t-elle bien pu arriver devant chez elle, une maison où elle vit recluse depuis des années ? Cela va faire remonter des souvenirs et nous permettre de connaître son histoire.

Hannah est la fille de Aïka, qui a quitté son Japon natal pour aller épouser un homme en Colombie Britannique, dont elle n’a vu que la photographie. Mais son père ayant perdu beaucoup au jeu, il s’agit de sauver l’honneur perdu et il sera impossible à Aïka de trouver un mari. Elle fait partie de ce que l’on appelle les « Picture Bride » jeunes filles immigrées pour se marier.

Après une traversée difficile, où elle fait la connaissance d’autres jeunes femmes comme elles, elle rencontre enfin son époux, mais on est loin de l’homme jeune et riche : la photo date de quinze ans, et Kuma est pauvre… ils auront un enfant Hannah…

On fait également la connaissance de Jack, dont on apprendra qu’après le décès de sa mère, son père a épousé Elle, une amérindienne, plus exactement une Gitga’at qui l’a élevé ainsi que son petit frère Mark. Jack est un « Creekwalker, il recense les saumons que la surpêche a mis en danger et parcours ainsi forêts, rivières, avec des rencontres souvent agressives.

Marie Charrel nous fait vivre des années 1920, avec l’arrivée de Aïka, première génération de Japonaises arrivant en Colombie Britannique, qu’on appelle les Isseï, la discrimination qui les a accueillies, alors que tous se faisaient discrets, et travaillaient dur, relégués le plus loin possible. Puis la deuxième génération avec Hannah, qu’on appellera les Niseï, pour lesquels ce ne sera pas facile non plus, car la seconde guerre mondiale et Pearl Harbor font encore monter d’un cran (voire plusieurs) l’hostilité envers les « sales jaunes » comme les Blancs les surnomment.

De son côté, Jack subi la même discrimination, car sa belle-mère est amérindienne, et son petit frère Mark va être enlevé pour être confié à un orphelinat pour les christianiser, et où la maltraitance va le traumatiser à vie.

L’auteure nous entraîne dans un univers passionnant, avec un hymne à la Nature sauvage, les mythes et légendes, qu’elles soient japonaises comme les histoires que racontait le père d’Hannah ou les contes et croyances amérindiens Tsimshian notamment le Moksgm’ol, l’ours esprit qui est en fait un ours qui est blanc car il est porteur d’un gène rare, ce qui fait douter de son existence.

J’ai failli oublier : le titre est magique, les Mangeurs de nuit désigne en fait des grosses lucioles, qui éclairent l’obscurité de la nuit.

Je connaissais un peu l’histoire de ces jeunes Japonaises arrivées en Amérique du Nord : au Canada mais aussi aux USA, mais je n’avais jamais abordé la deuxième génération et connaissant la discrimination et le rejet de toutes les communautés par les Blancs, cela ne surprend guère : après avoir exterminé les Amérindiens pour prendre leurs terres, toutes les personnes différentes d’eux ne pouvaient qu’être soumises à représailles.

J’ai vraiment adoré ce roman, l’écriture splendide de Marie Charrel, les termes parfois obscurs qu’elle utilise pour décrire cette nature sauvage, même si parfois les allers et retours à différents époques peuvent désorienter un peu, cela ajoute à la magie du récit. J’aime ce genre de récit qui allie la petite et la grande histoire, les mythes et légendes, la sagesse des autres cultures.

Je remercie infiniment l’équipe de la médiathèque car, si je n’avais pas aperçu ce roman en exposition, je n’aurais peut-être pas été tentée de le découvrir… maintenant que ma curiosité est éveillée, je me laisserais bien tenter par son roman précédent « Les danseurs de l’aube ».

Bref, vous l’aurez compris, il faut se précipiter sur ce roman !

Marie Charrel est journaliste au Monde. « Les Mangeurs de nuit » signe son retour sur la scène littéraire après le remarqué « Les danseurs de l’aube ».

L’étendue de tout ce qu’elle ignore du monde en général et des hommes en particulier la terrorise. Elle n’est soudain plus tellement pressée de débarquer. Affronter ce nouveau pays seule lui semble inimaginable. Quelle folie a-t-elle commise en acceptant cette demande en mariage ?

A Vancouver, à Toronto, les citadins pensent que l’agitation est synonyme de vie alors ils courent, hurlent ; ils confondent la fin et les moyens. Convaincus que le mouvement est fertile, ils se perdent dans leur cavalcade insensée. Ils ont oublié l’harmonie. Celle que Jack recherche chaque fois qu’il remonte un ruisseau ou s’installe sur la rive en compagnie de ses chiens.

Un matin de pluie fine, Jack s’était levé et avait observé le ciel. Des nuages bas formaient une chape grise et opaque. Le vent d’est charriait des effluves d’algues pourrissant sur la batture. Il comprenait, enfin : l’obscurité ne tuait pas la lumière. Elle la révélait. Les souffrances et les deuils, les blessures que lui infligerait la vie, ses propres faiblesse et échecs ne rendraient que plus intense et précieuses l’étincelle qui brûlait en lui.

Là, dans ces quelques rues, les Issei se sentent bien. Ils sont chez eux. Vu de l’extérieur, Powell Street a tout d’un ghetto marmiteux, mais peu importe : ils prennent soin les uns des autres. La solidarité compense les désagréments matériels et le manque de tout. Malgré le déracinement dont ils souffrent, les Issei redoublent d’efforts pour s’intégrer… Vancouver dans les années 1930

Jack n’avait jamais entendu parler de ces pensionnats où l’on internait les jeunes autochtones pour en faire de bons chrétiens. Dans ces écoles qui n’en étaient pas vraiment, le gouvernement prétendait favoriser leur assimilation. Mauvais traitements, solitude, faim.

Les pensionnaires étaient soumis à une discipline de fer. On leur inculquait une nouvelle langue et la religion chrétienne, on dénigrait leur culture, on les humiliait. On les battait. Beaucoup en mouraient. Ceux qui en revenaient étaient marqués à vie. Ravagés.

Le jeune Jack se heurtait pour la première fois à la brutalité du monde. Certains hommes ont le cœur souillé, ils fracassent le bonheur des innocents et s’en retournent sans un mot, laissant derrière eux pleurs et désolation. Il ne savait que faire d’une pareille découverte.

Toutes les Japonaises rêvent de mettre au monde un héritier afin de transmettre le nom de famille paternel, preuve du respect témoigné à la mémoire des ancêtres. La naissance d’une fille est un échec. Hannah ne se fait aucune illusion : sa mère aimera son petit frère bien plus qu’elle.

Regarde les oiseaux, les arbres, les insectes, la pluie, la beauté de chaque chose. La Lune se couchant sur l’océan. Écoute le chant de la cascade offrant sa fraîcheur à la nuit. Savoure les premières baies du printemps, et dis-toi que ton père est en chacune de ces choses. Il te manquera toujours autant, mais ton cœur sera rempli par la chaleur de son souvenir.

« Le parieur » de David Baldacci

Intermède polar, direction la Californie à une autre époque, avec le roman dont je vous parle aujourd’hui :

Après avoir purgé sa peine et sa liberté provisoire, Aloysius Archer se dirige vers l’ouest, plus exactement Bay Town, en Californie, où il a rendez-vous avec un détective privé, Willie Dash avec promesse d’embauche. Lors d’une escale à Reno, il tente sa chance au jeu, ce qui lui réussit et il rencontre Liberty Callahan, qui veut entamer une carrière d’actrice à Hollywood.

Il s’en suit un épisode rocambolesque et musclé, il achète une belle automobile française et les voilà partis tous les deux, direction Bay Town. Le premier entretien avec Willie Dash est étrange : le bureau est dans un quartier « populaire », un liftier l’accepte avec défiance dans l’ascenseur. Il est accueilli par la secrétaire de Dash, son ancienne épouse en fait et il apprend, que le privé était autrefois policier, et qu’il a eu des « périodes difficiles ».

Mais, presque aussitôt, un homme richissime, Douglas Kemper qui brigue la mairie, fait irruption dans le bureau avec son acolyte directeur de campagne, leur offre un contrat juteux pour découvrir qui lui a fait parvenir une lettre anonyme l’accusant d’avoir une aventure extraconjugale, avec une jeune femme qui se produit dans un club de la ville. Douglas est marié à Beth la fille d’un individu peu recommandable obsédé par l’argent, qui n’est pas à une malversation près.

C’est alors que les meutes vont de succéder de façon vertigineuse, en commençant par la vedette du club, et on se retrouve dans un milieu glauque où tous les coups son permis pour arriver à ses fins.

On plonge ainsi dans les USA de l’après-guerre (1949) avec les policiers corrompus, les règlements de compte, l’univers du jeu, la manière dont les jeunes filles en quête d’Hollywood dont traitées comme du gibier etc. j’ai aimé retourner à cette époque, avec des vieux souvenirs des Incorruptibles avec Eliott Ness, que certains ont connu dans ce récit.

Je mettrais un bémol : le récit démarre vraiment très lentement, et j’ai eu de la peine à m’intéresser aux protagonistes, au départ, mais l’auteur sait faire monter le suspense et dévoiler la véritable nature des personnages, et une fois entrée dans le vif du sujet, j’ai beaucoup apprécié ce roman à tel point que j’ai tenté ma chance pour obtenir le précédent: « Une bonne action » pour connaître davantage le passé du héros.

J’ai beaucoup apprécié, entre autres, le dialogue surréaliste entre Archer et Earl, le liftier qui vit dans l’ascenseur où se situe le bureau de Dash.

C’est, encore une fois, ma première incursion dans l’univers de David Baldacci et je prends vraiment le train en marche, car il s’agit de la suite des aventures d’Aloysius Archer mais ce n’est pas gênant, car l’auteur nous livre des éléments du passé au fur et à mesure de l’implication d’Archer auprès de Dash.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Talent qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#Leparieur #NetGalleyFrance !

7,5/10

Alors qu’une nouvelle décennie approchait à grands pas, Aloysius Archer se trouvait dans un autocar antédiluvien en route vers l’ouest et la Californie, où il comptait bien faire son possible pour s’organiser une nouvelle vie. Tout ce qu’une personne dans sa situation pouvait raisonnablement espérer consistait en un toit au-dessus de sa tête, trois repas décents par jour, un bon petit verre de temps en temps et un stock de Lucky Strike, ses préférées, pour lui occuper la v bouche et garder ses lèvres bien souples. Et dénicher un boulot, ou plutôt une profession. Il en avait besoin d’une, et vite. C’était comme chercher de l’eau dans le désert, un besoin vital…

L’homme tira sur son cigare pour l’empêcher de s’éteindre. La cabine s’éleva doucement au-dessus du premier étage et se lança à l’assaut du deuxième. « Il était avec les gars de Hoover. C’était un agent spécial avant qu’il parte à Frisco pour être flic, vous le saviez ?

– Non, je l’ignorais.

– c’était l’un des meilleurs. Il a bossé pour Eliott Ness…

Y a rien qui m’surprend, jeune homme. Plus maintenant. Quand on arrive à mon âge et avec la mauvaise couleur de peau par-dessus le marché, la vie n’a plus de surprises en stock. Sauf si c’est pour m’expliquer pourquoi aucun homme blanc m’a pas abattu à un moment donné, sans d’autre raison que ça lui f’sait plaisir, voyez ?

« Terre fragile » de Claire Fuller

Aujourd’hui, je vous propose un petit voyage dans la campagne anglaise avec ce roman :

La scène s’ouvre sur un cottage, à la campagne, dans un petit village anglais, Inkbourne, alors que la neige tombe, recouvrant tout sur son passage. Mais, dans ce cadre idyllique, un drame se produit : Dot est en train de mourir d’un problème vasculaire, sous l’œil vigilant et attristé de la chienne. Tout va basculer, les deux jumeaux de Dot, Julius et Jeanie, qui vivent toujours chez leur mère, à 51 ans vont devoir faire face à une succession de mauvaises nouvelles.

Ils vivaient tous sur le cottage, hébergés gratuitement par le propriétaire du « château » voisin en échange du silence de Dot sur les conditions dramatiques de l’accident mortel de leur père. Accord tacite, non écrit bien sûr auquel la femme du châtelain va mettre brutalement fin en réclamant les arriérés de location.

Alors qu’ils vivaient, en harmonie chichement des produits du cottage (légumes, fruits, œufs…) en s’adonnant à la musique, Julius à la vielle, Jeanie à la guitare (et avant, Dot au banjo) ils vont devoir affronter les dettes, une précarité de plus en plus importante, les secrets qui vont refaire surface et il va falloir faire preuve de ténacité pour aborder tout cela, y compris l’expulsion.

Claire Fuller nous décrit de façon magistrale cette « terre fragile » dans une société où les inégalités sociales sont criantes, la précarité de cette famille, sa marginalité qui s’accentue au fil de révélations, mais également la résilience de Jeanie en particulier, qui fait face à tout, alors que Julius parle mais n’agit pas vraiment. L’amour familial est là malgré tout, et soude les jumeaux. Amour, résilience sont au rendez-vous et la description de cette Angleterre rurale est très belle, laissant des images plein la tête. Je redoutais une romance et fait non, pas du tout…

J’ai beaucoup aimé la manière dont l’auteure décrit la mort de Dot, pleine de douceur avec la seule compagnie de la chienne, et toutes les pensées qui défilent dans sa tête, ainsi que « l’enterrement » : comment payer le cercueil et la cérémonie quand on n’a plus d’argent ?

C’est ma première incursion dans l’univers de Claire Fuller alors qu’un de ses précédents romans « Un mariage anglais » figure en pense-bête dans ma PAL depuis sa sortie…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce roman et de découvrir enfin la plume de son auteure

#TerreFragile #NetGalleyFrance !

Le ciel du matin se dégage, la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait, comme moulé sous une tasse, au-dessus du portail moisi. Incipit

Dot s’effondre sur le canapé de la cuisine comme si on l’avait poussée d’une paume fermement plaquée sur la poitrine. La chienne s’assied et pose sa tête sur le genou de Dot, cherchant sa min jusqu’à la déposer entre ses deux oreilles. Alors, toutes ces pensées de poules et d’enfant, de lits et d’anniversaires toutes ces pensées dans tous les sens s’évanouissent et se taisent.

Soixante-dix ans d’inquiétudes – l’argent, l’infidélité, les petites trahisons – cessent d’un coup, et lorsqu’elle regarde sa main, elle n’arrive plus à dire où son corps finit et où commence celui de la chienne. Elles sont une seule et même substance, énorme et libre, de même que le canapé, le sol en pierre, les murs, la porte du cottage, la neige, le ciel. Tout est connecté.

La serre, c’est l’endroit où elles se parlaient entre mère et fille, ou bien l’endroit où elles partageaient un silence serein. C’est l’endroit où elles se tenaient côte à côte tandis que Dot expliquait des choses à Jeanie dans sa jeunesse.

« L’homme sans sommeil » d’Antonio Lanzetta

Aujourd’hui, détour par l’Italie, pour une histoire sombre, dans une époque tout aussi sombre avec :

Nous faisons la connaissance de Bruno, âgé de treize ans, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il vit dans un orphelinat près de Salerne, où il semble avoir été abandonné à la naissance. Il est soumis au harcèlement constant, non seulement de la part de ses camarades mais aussi du personnel : il est régulièrement envoyé dans la cave, battu, privé de nourriture. Un jour, apparaît Nino qui prend sa défense et tente de lui donner confiance en lui-même.

L’été, les enfants sont envoyés dans des fermes ou des ateliers, afin de travailler et cette année-là, par chance, il est choisi, avec Nino, par Gennaro, pour aller travailler à la ferme de la famille Aloïa, où ils sont bien traités et il fait la connaissance de Caterina, une petite fille cloîtrée dans sa chambre durant la journée, terrorisée par celui qu’elle surnomme « L’homme au chapeau »,   et qui lui fait « visiter « parfois les recoins de la grande maison, la nuit. D’autres personnes vivent dans la maison : Gennaro, sorte de régisseur, et sa mère Pia, la cuisinière.

Le maître de maison est féru de littérature, possède une immense bibliothèque et se passionne pour un ouvrage, publié seulement en deux exemplaires et ce livre va servir de fil conducteur au récit. Le « De codex animorum » est chargé d’histoire, un exemplaire a coûté la vie : en 806, l’abbaye d’Iona, aux îles Hébrides, a été incendiée et les moines ont péri. Mystérieusement, ils auteurs de l’incendie n’ont pas pu mettre la main sur le livre.

Tout pourrait sembler merveilleux, car plus de coups, plus de brimades, et pourtant Bruno fait des cauchemars qui le laissent épuisée au réveil. Puis, un jour tout s’emballe, lorsqu’on découvre des cadavres en état de décomposition avancée. Tout aussi étrangement, il y a des statues dans le jardin, comme des totems pour éloigner le mauvais sort.

Ce récit nous entraîne vers un mystère de plus en plus opaque, à la limite de la folie, car on ne sait plus si les personnages sont réels ou issus de l’imagination, Antonio Lanzetta nous fait découvrir certes des cadavres, mais aussi de lourds secrets de famille, de vieilles histoires locales sur fond de rancune. En parallèle, il évoque l’histoire de Bruno, des années plus tard, alors qu’il est devenu grand-père.

J’ai adoré ce récit, l’histoire compliquée de Bruno et des autres membres de la famille Aloïa et les ravages de la rancune voire, de la haine. Comment cet enfant qui n’a jamais reçu la moindre marque de tendresse, a été battu, torturé psychologiquement et physiquement pourra-t-il s’en sortir ? En s’inventant un autre univers ? En plongeant dans la folie ?

L’écriture est belle, pleine de poésie, l’univers de l’auteur est intrigant, certes, mais je m’y suis plongée avec délice et je n’avais pas du tout envie d’en sortir. Antonio Lanzetta livre ici, un roman passionnant, addictif, et mérite bien son surnom de « Stephen King italien ». Ce livre m’a fait penser à un autre roman envoûtant : « Le nom de la rose » d’Umberto Eco.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Mera qui m’ont permis de découvrir ce roman et l’univers de son auteur

#LHOMMESANSSOMMEIL #NetGalleyFrance !

Antonio Lanzetta, surnommé le « Stephen King italien », fait partie du renouveau qui s’amorce dans le thriller italien. Son premier roman, Le mal en soi, traduit et publié en France, au Canada et en Belgique par Bragelonne, est nommé par le Sunday Times comme l’un des cinq meilleurs thrillers étrangers de l’année 2019. Écrivain, musicien, chroniqueur littéraire, Lanzetta alterne les points de vue et les époques avec beaucoup de rythme et un sens affûté de l’intrigue pour mieux semer le doute au cœur d’une Italie rurale, profonde, tour à tour cuite par le soleil et détrempée par la pluie, l’Italie du Sud, où il a grandi et vit aujourd’hui.

Abbaye d’Iona.  Îles Hébrides, 806

La peur. Callum ne peut se retenir de trembler de peur. Il referma l’ouvrage, et s’agenouilla à la lumière de l’unique bougie. Des ombres s’étiraient telles des araignées sur les murs de la pièce, le long des étagères de la bibliothèque qu’il avait construite de ses mains.

Elle parcourut la page du bout des doigts et soupira. Elle connaissait le roman par cœur. Chaque passage, chaque dialogue, chaque description : elle avait pénétré dans le monde que Charlotte Brontë avait bâti et l’avait fait sien. Un monde meilleur dans lequel se réfugier. Jane Eyre était son talisman, l’amulette qui la protégeait des mauvais rêves. 

Il avait ce regard qui donnait toujours à Bruno le sentiment d’être à nu, vulnérable, comme si sa vie en dehors de la cave n’avait aucun sens, et que le froid, la douleur, et le goût du sang étaient tout ce qu’il représentait.

Les aboiements rageurs d’un chien l’avaient entraîné hors de la maison, au milieu des statues, au-delà du portail et des murs tapissés de lierre. Loin de son lit, des ronflements de Nino, et de la musique de monsieur Aloïa, le monde lui semblait infini, et pourtant tout petit, si petit qu’il avait beau marcher et avancer, il restait toujours au même endroit.

Depuis qu’il était entré dans la maison des Aloïa, la nuit représentait pour lui le franchissement d’un seuil invisible qui séparait le monde des vivants de celui de la Mort.

Il repensa à l’orphelinat, aux fissures dans les murs, au sol poussiéreux sous son lit, et à l’erreur qu’il avait commise en croyant que la maison était un endroit sûr où se cacher. Il n’y avait aucun endroit sûr dans ce monde. Il n’y avait que des hommes et le mal qui leur collait à la peau.

Le ciel, sans étoiles, était noir comme de la poix versée dans un puits. La lune elle-même était noirâtre, mais il la distinguait : elle flottait au-dessus de la cime des arbres, telle une sphère aux contours agités d’un tremblement. Elle semblait bouillonner et gargouiller, comme si elle était sur le point d’exploser et de se déverser sur la terre en une pluie de fragments poisseux. Aucune lumière ne filtrait, et pourtant Bruno pouvait voir…

« La maison noire » de Yûsuke Kishi

Aujourd’hui, direction le Japon avec ce roman haletant d’un auteur que j’ai découvert en 2022 avec « La leçon du mal » :

Shinji Wakatsuki travaille dans un cabinet d’assurances où il fait figure d’employé modèle. Méticuleux, rigoureux, il traque sans relâche les incohérences dans les avis de décès à la recherche d’incohérences pour tenter de dépister d’éventuels profiteurs, lesquels ne sont pas dénués d’imagination.

Un jour, il reçoit un appel curieux d’une femme qui lui demande si le suicide est couvert par l’assurance-vie. Pensant qu’elle est sur le point de passer à l’acte il tente de la rassurer et lui démontrer que le suicide n’est pas la meilleure solution, n’hésitant pas à lui parler du suicide de son grand frère, dont il se sent responsable. Pensant l’avoir convaincue il raccroche, en lui laissant son nom.

Quelques jours plus tard, alors qu’il a oublié cette communication, il reçoit l’appel d’un certain Komoda qui le sollicite pour un constat à son domicile, insistant sur le fait que Wakatsuki se n en personne se déplace. Il arrive devant « la maison noire » lugubre, assailli par la puanteur lorsqu’il pénètre et constate que le  fils de Komoda se balance au bout d’une corde. Le premier choc passé, il trouve le comportement du père étrange, comme s’il faisait semblant d’éprouver du chagrin et celui de ma mère, déconcertant.

Wakatsuki va étudier ce dossier de fond en comble pour arriver à prouver qu’il s’agit d’un meurtre, le père ayant déjà sollicité l’assurance après s’être coupé le pouce volontairement (mais jamais prouvé). Ainsi va commencer le cauchemar pour notre ami.

Yûsuke Kishi évoque, au travers d’une analyse sans concession de l’escroquerie à l’assurance, les profiteurs, et surtout les criminels qui tentent d’avancer masqués, sur fond de Yakusa aussi, les personnalités perverses, la difficulté de mettre à jour leurs actes, leur mode de pensée… Il nous entraîne sur un faux rythme au départ, où on s’ennuierait presque, pour faire monter un suspense qui devient de plus en plus insoutenable et addictif, multipliant les fausses pistes, avec un final explosif absolument génial.

Le récit est entrecoupé par les cauchemars récurrents de Wakatsuki, au cours lesquels une araignée géante le poursuit de son agressivité, qui le laisse trempé de sueurs le matin au réveil, et qu’il tente d’analyser avec son amie Negumi, psychologue.

J’ai beaucoup aimé l’opiniâtreté de Wakatsuki, pour rechercher la vérité sur ce qui s’est réellement passé, j’ai aimé sa fragilité apparente, sa culpabilité de ne pas avoir pu sauver son frère, ses relations avec les autres protagonistes.

L’auteur ne se contente pas de proposer une intrigue « policière » (en fait les policiers se désintéressent totalement de ce qui peut arriver) mais il étaye son raisonnement avec une analyse psycho-sociologique de ces personnalités :  psychopathes, enfance maltraitée…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

#YusukeKishi #NetGalleyFrance !

9/10

Apprendre la mort de personnes dont il ne savait même pas qu’elles avaient existé, il y avait plus plaisant comme manière de commencer la journée.

Par le truchement de Negumi, Wakatsuki s’était piqué de curiosité pour la psychologie et avait lu quelques livres. Il ne se sentait pas en mesure d’interpréter ses propres rêves pour autant. Negumi venait de lui rappeler qu’il n’était pas le mieux placé pour se comprendre lui-même. Il attendrait qu’elle se réveille pour lui raconter son cauchemar et lui demander ce qu’elle en pensait.

Dans les affaires de meurtre d’enfant pour obtenir l’argent des assurances, il arrivait souvent que l’un des adultes supprime le rejeton issu d’une précédente union.

Il avait été prouvé que les enfants dont un des parents ou un membre de la famille s’était suicidé sont bien plus nombreux que la moyenne à avoir, plus tard, eux-mêmes recours à cette extrémité. Le suicide était de toute évidence contagieux.

Les sentimentaux se classent en deux catégories totalement opposées. La première, comparable à ce que ressentent les jeunes femmes durant leur crise d’adolescence, ses définit par une sensibilité très vive, où les émotions sont vécues à pleine puissance. La seconde est le résultat d’un endiguement des émotions quotidiennes qui trouve ainsi un exutoire.

Ces personnes ne ressentent pas d’attachement envers leurs propres enfants. Comment pourraient-ils en concevoir envers quiconque ? Les abandonneurs sont des créatures égocentriques dénués d’émotions. Les humains de ce genre n’hésitent pas à commettre tous les crimes pour s’emparer de ce qu’ils désirent.

L’araignée, c’était le monde, le destin, la croissance et la mort, la destruction et la renaissance, mais en particulier, dans les rêves, c’était le symbole de « la Grande Mère » dans l’inconscient collectif. La Grande mère, selon Jung, est une figure maternelle, qui veille sur chacun. Une autorité féminine magique. Une élévation intellectuelle et spirituelle que dépasse la raison, l’impulsion et l’instinct de secourir la miséricorde profonde.