« Et c’est ainsi que nous vivrons » de Douglas Kennedy

Depuis sa sortie j’ai eu envie de lire le roman dont je vous parle aujourd’hui, et vue le retard accumulé dans mes chroniques comme dans mes lectures, j’ai attendu sagement qu’il soit disponible à la médiathèque :

Après Les hommes ont peur de la lumière, Douglas Kennedy poursuit sa fresque d’une Amérique plus divisée que jamais. Un roman choc, glaçant de réalisme, le constat effrayant de ce que pourraient devenir bientôt les États-Unis…


2045. Les États-Unis n’existent plus, une nouvelle guerre de Sécession en a redessiné les frontières.

Sur les côtes Est et Ouest, une république où la liberté de mœurs est totale mais où la surveillance est constante. Dans les États du Centre, une confédération où divorce, avortement et changement de sexe sont interdits et où les valeurs chrétiennes font loi.

Les deux blocs se font face, chacun redoutant une infiltration de l’autre camp.

C’est justement la mission qui attend Samantha Stengel. Agent des services secrets de la République, cette professionnelle reconnue, réputée pour son sang-froid, s’apprête à affronter l’épreuve de sa vie : passer de l’autre côté de la frontière, dans un des États confédérés les plus rigoristes, sur les traces d’une cible aussi dangereuse qu’imprévisible.

Dans ces États désormais Désunis, Samantha devra puiser au plus profond de ses forces pour échapper aux mouchards de son propre camp et se confronter aux attaques de l’ennemi.

Est-ce ainsi que nous vivrons ?

Bienvenue aux USA en 2045 avec cette dystopie fascinante ! le livre s’ouvre sur l’exécution moyenâgeuse d’une femme condamnée au bûcher pour mœurs inappropriées tintées d’espionite aigüe et Samantha Stengel qui travaille aux services secrets de la République Unie assiste sur écran à cette exécution en présence de ses chefs. Elle n’a pas pu maîtriser totalement ses émotions ce qui lui vaut une mission sous contrôle dans le camp adverse pour éliminer un agent responsable de l’interrogatoire et la condamnation de celle qu’elle considérait comme une amie.

Pour corser la mission, il s’avère que la cible est la demi-sœur de Sam. Il va donc falloir modifier son apparence physique : on lui refait le nez, on lui colore les iris et les cheveux. Pour la mission, elle devient critique de cinéma pour une maison en zone neutre et se rend au cinéma du coin pour visionner des films anciens et rendre sa copie ensuite…

Voilà, c’est arrivé, la sécession a bien eu lieu aux USA avec d’un côté la Confédération Unie, (GU) théocratie pure et dure où règne la bible dans son interprétation la plus opprimante : exit avortement, adultère, homosexualité, LGBTQ, théorie de l’évolution ; le blasphème a été remis au goût du jour, les femmes à la maison avec les enfants. On brûle les nouvelles sorcières (et sorciers) ; le créationnisme a le vent en poupe (Dieu n’aurait peut-être pas dû se reposer le septième jour quand on voit les humains actuels…

De l’autre, la République Unie (RU) où est censée régner la liberté, mais tout est relatif : le président Chadwick, mixte d’Elon Musk et Jeff Bezos, a mis au point une puce à côté desquelles les nôtres sont largement obsolètes, implantée derrière l’oreille, combinée à l’Intelligence Artificielle avec montre connectée (en fait tout est connecté) qui permet de suivre les gens à la trace (Big Brother s’est incarné)

Ce roman se lit comme un thriller, on n’a qu’une seule envie tourner la page pour continuer à suivre les héros, avec au passage des morts violentes, des trahisons, la gâchette est toujours facile dans ce pays, des rebondissements.

J’ai beaucoup aimé l’intrigue, et surtout la vision apocalyptique de Douglas Kennedy, car son raisonnement est très étayé, il explique le pourquoi du comment de cette évolution des USA, amorcée déjà sous l’ère Reagan mais nettement amplifiée avec G.W, pour atteindre une ampleur phénoménale sous l’ère Trump et ses théories conspirationnistes, l’assaut du Capitole, la victoire qu’il estime qu’on lui a volé en 2020, mais ici, les Républicains qui ont suivi ont continué dans le même schéma. Ce qui m’a beaucoup plu c’est le choix réduit : ou la théocratie ou Big Brother, on en vient à choisir le moins pire (comme dans les élections de nos jours) et je suis aussi pessimiste que lui sur la nature humaine.

Je retiens aussi la description du mur entre la GU et la RU, qui se veut plus « gai » du côté « libre », digne du mur de Berlin, l’auteur n’ayant pas hésité à nommer le point de passage Check-point Charlie, les descriptions sont tellement réalistes qu’on se croirait de retour à la guerre froide.

On peut même plus partir ailleurs car il ne reste plus de partie du monde où la sagesse et le respect de la nature et de l’autre sont préservés.

J’ai retrouvé dans ce livre le brio dans premiers opus de Douglas Kennedy et j’ai vraiment passé un bon moment. Ce livre m’a tentée dès le début, et le passage de l’auteur à La Grande Librairie a fini de me convaincre. Je me suis rendue compte qu’il avait déjà écrit un ouvrage sur le fondamentalisme chrétien « Au pays de Dieu » que j’ai bien envie de lire…

8,5/10

Je me sens mal, ce soir, à attendre de voir Maxime traînée jusqu’au bûcher. A vrai dire, je suis même effondrée, mais je sais pertinemment que je ne peux pas me permettre de le montrer. D’autant que je m’apprête à assister à ce spectacle moyenâgeux en compagnie de mon chef et de son supérieur.

Peu importait que j’aie évité à tout prix de verser dans le mélodrame ou les déclarations théâtrales – qui n’auraient valu immédiatement d’être rétrogradée. Le simple fait d’avoir témoigné de l’agitation, sans compter ma proposition de désobéir à un ordre de l’état-major, allait me coûter cher. Autrement dit, j’étais sur la sellette – et ce, en dépit de mon ancienneté.

Moi, en RU, disait-elle, on nous martèle à tout bout de champ que notre liberté est sacrée et absolue… mais la vérité, c’est qu’on nous gouverne avec une main de fer dans un gant de velours.

Mon « budget carnivore » est calculé en fonction de mon taux de cholestérol : une puce électronique, implantée dans mon cerveau surveille chaque aspect de mon existence, y compris la quantité de viande rouge que je mange. La plupart des entreprises exigent aujourd’hui que leurs employés limitent leur consommation d’alcool, de médicaments et de malbouffe.

Cependant, le massacre de Cleveland avait été la goutte d’eau de trop, la sécession avait donc constitué notre seule issue – et avec elle le renoncement à un ancien monde.

Le nouveau, modelé par Chadwick et ses puces, inaugurait une ère où la dissidence de citoyens en colère contre une possible surveillance généralisée faisait pâle figure face à un système qui les avait sauvés du totalitarisme théocratique d’une minorité.

Le Système est notre dispositif de contrôle électronique. Un peu comme les caméras de surveillance du début du siècle, il est installé à tous les coins de rue et sur toutes les routes de notre République, ainsi qu’aux entrées de chaque établissement public et de tous les bâtiments collectifs. Quiconque veut se rendre à un concert, au cinéma, dans un musée ou même dans un club de jazz doit d’abord être identifié par le Système.

Mais, ce que je trouve le plus impressionnant, c’est que Chadwick ait ordonné la construction d’une réplique exacte de Checkpoint Charlie de notre côté du mur. Le message est clair : nous sommes le monde libre.

De notre côté, le mur ressemble à celui d’un immense sauna scandinave de quatre mètres de haut. Une gigantesque porte métallique, assez large pour laisser passer un trente-huit tonnes, et une autre plus petite sur le côté – réservée aux piétons – en constituent les seules ouvertures.

A l’image des cellules biologiques qui nous composent, il est dans notre nature de nous diviser. L’histoire de l’humanité, individuelle et collective, n’est qu’une longue succession de schismes et de ruptures. Nous brisons nos familles, nos couples. Nous brisons nos nations. Et nous rejetons la faute les uns sur les autres. C’est un besoin inhérent à la condition humaine : celui de trouver un ennemi proche de nous afin de l’exclure en prétextant ne pas avoir le choix.

16 réflexions sur “« Et c’est ainsi que nous vivrons » de Douglas Kennedy

    1. il est vraiment réussi, étayé et la situation qu’il décrit est très plausible plus rien ne m’étonne après l’ère Trump 🙂
      bonne semaine à toi j’espère que la météo est plus clémente (chez nous c’est canicule pas une goutte d’eau au presque depuis l’été 🙂

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    1. c’est sûr, il ne brille pas par son optimisme sur l’avenir de la société (et de la planète) j’ai préféré celui-ci aussi, les hommes ont peur de la lumière était encore plus noir mais construit un peu sur le même mode: thriller, roman noir
      j’espère qu’il va continuer sur le même registre
      🙂

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    1. il se réveille depuis quelques temps déjà, car il surfait vraiment sur la vague de la notoriété et ça ronronnait ( comme Amélie Nothomb !)
      j’espère qu’il va continuer sur cette voie, et la société américaine n’allant pas en s’arrangeant on a de l’espoir 🙂

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