« La revanche des orages » de Sébastien Spitzer

Comme je gardais un très bon souvenir de « Ces rêves qu’on piétine », ce dernier opus était très tentant à la bibliothèque, alors pourquoi résister ?

Résumé de l’éditeur :

Voici l’histoire vraie du jeune pilote Claude Eatherly qui, le 6 août 1945 a participé au bombardement d’Hiroshima. Démobilisé, il est accueilli en héros mais s’enferme dans le mutisme. Une étrange voix le hante. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Et si c’était la voix de sa conscience ? Tandis que les autorités le font passer pour fou, Eatherly entraîne sa femme et ses enfants dans une chute inexorable…

Ce que j’en pense :

Dans ce roman, l’auteur nous entraîne sur le parcours et les états d’âme du major Claude Eatherly. Nous faisons sa connaissance en décembre 1955 alors qu’il est hospitalisé en psychiatrie, bourré de neuroleptiques et d’électrochocs tandis que son mariage et sa famille sont en train d’exploser. Ensuite flash-back pour comprendre comment il en est arrivé là.

Claude a un parcours militaire hors du commun. Il est le plus jeune fils de la famille Eatherly qui exploite une ferme et mène une vie austère. Lorsque les USA entre en guerre, les fils aînés sont envoyés au front, cités en exemple, ce qui engendre chez lui une certaine frustration.

Il a épousé une jeune femme d’origine italienne, comédienne ce qui est difficile à une époque où les Américains assimilent tous les Italiens, même ceux nés aux USA, à des fascistes, idolâtres de Mussolini et n’hésitent pas à les placer dans des camps avec des Japonais, des Allemands… Et la belle Anna y a échappé grâce à un juge compréhensif.

Claude est pilote et s’entraîne dans le désert pour une mission : dont il ne connaît rien, top secret oblige, et après des heures d’entraînement direction la base de Tinian « un caillou qui affleure au ras de l’eau, aux confins de la mer des Philippines et du Pacifique Nord » où il va faire des missions de reconnaissance : Tokyo, Kyushu Shikoku, un avant-goût de Hiroshima et Nagasaki… Il ronge son frein, car on lui a parlé de larguer une bombe d’un nouveau genre : « le gadget » comme l’appelle le colonel Tibbets…

En plus, ce ne sera même pas lui que l’on va charger de larguer la bombe, ce qui entretient une énorme frustration et des comportements inappropriées pour manifester son mécontentement. Et pourtant, quand les deux bombes auront été lâchées, une voix va venir le hanter : elle s’appelle Hanae et elle est une des victimes…

Notre major souffre d’un syndrome de stress post-traumatique mais en 1945, l’armée n’en a cure et ne se penche même pas sur son état physique et mental, et de surcroît il devient malvenu d’émettre la moindre critique sur le bien-fondé du largage des bombes atomiques pour faire capituler le Japon, car l’ombre du Maccarthysme se profile à l’horizon.

Sébastien Spitzer alterne dans son récit passé et présent pour mieux faire comprendre le couple Eatherly, la difficulté de vivre avec un conjoint « qui entend des voix » et de cohabiter avec les parents de Claude, les exigences des uns et des autres, mais il donne aussi la parole à Hanae qui raconte le drame des irradiations des morts immédiates et des séquelles plus tardives, et on se plaît à penser que c’est la conscience de Claude qui vient le hanter.

L’auteur décrit bien l’ivresse de piloter, le désir de faire plier le Japon en lançant le « gadget » et la frustration de ne pas être désigné pour le faire, ainsi que le dur retour à la vie normale de celui qui est considéré comme un héros, mais personne n’a vraiment envie d’entendre de qu’il a à dire, ce qu’il ressent, le poids de la culpabilité. J’ai été très touchée par le témoignage d’Hanae retranscrit fidèlement par l’auteur.

Mais, je reste un peu sur ma faim probablement parce que le sujet est terrible, surtout dans le contexte actuel de guerre à nos portes alors qu’on sent que tout pourrait arriver… peut-être aussi parce que j’ai adoré « Ces rêves qu’on piétine » et espéré retrouver le même ressenti… J’ai encore « La fièvre » et « Le cœur battant du monde » en attente dans ma PAL.

8/10

L’auteur :

Sébastien Spitzer est l’auteur de « Ces rêves qu’on piétine » 2017, lauréat du prix Stanislas, du prix Emmanuel-Roblès et du prix Méditerranée des lycéens. Son second roman, « Le cœur battant du monde » a été finaliste du prix Goncourt des lycéens. « La fièvre » a obtenu le prix bibliothèques pour tous.

Extraits :

Elle sait que l’heure approche. Elle a hâte de retrouver son beau pilote chéri avant qu’il ne s’envole. Où ça ? Elle l’ignore. Lui aussi, il l’ignore. Personne ne sait vraiment à quoi il s’entraîne, ni où il va se rendre…

L’Amérique faisait la guerre aux Italiens comme elle. Et ses compatriotes, même naturalisés, étaient tenus en respect. Des camps avaient été construits, comme à Crystal City. On y parquait les Ritals comme les Japonais et les Allemands. Une dizaine de camps dont la presse parlait peu. Des camps par précaution… Elle y avait échappé de peu grâce à l’intervention du collaborateur d’un juge très influent, bien introduit dans l’armée.

Mais, ce qui le rend heureux, c’est surtout le mouvement. Non pas le but, parce que dans le but, il y a fatalement une fin. Mais l’élan. Le fait d’être porté vers un ailleurs, comme au temps de son enfance, quand il partait chasser. La prise importait peu. Ce qu’il aimait plus que tout, c’était la poursuite, le prétexte de la traque.

Hirohito est un dieu et leur devoir suprême est de défendre l’empereur coûte que coûte. Pas de défait possible. Aucune reddition. Formuler les contours, même vagues d’une capitulation, c’est l’assurance de devoir se crever le ventre d’un long sabre ou d’une fourche selon l’estime et le rang… La défaite de cet Empire est une apostasie.

Tibbets leur avait dit, pourtant, qu’ils marqueraient l’Histoire avec une nouvelle arme qu’il appelle le « gadget » … Voilà, c’est tout. Il faudra s’adapter à l’agenda mystère, à cette arme réduite à une expression ridicule, si banale qu’elle semble inoffensive : le « gadget ».

L’ambition, c’est que de la sauvagerie. Ça vous piétine l’ego, ça vous rapetisse l’âme jusqu’à ce qu’on vous accroche une breloque sur le poitrail.

Lui revient ce que lui confiait Pa’ lors de cette foire géante pleine de tracteurs, de batteuses, de moissonneuses-batteuses et de herses rotatives. Il l’avait mis en garde contre ces Prométhée, tous ces voleurs de feu, ces génies imbéciles, qui faisaient courir à l’homme le plus grand des dangers en promettant le progrès, la fin de la peine des champs, la coupe réglée du monde, taylorisant le bien, mécanisant le soleil au nom d’un intérêt plus élevé que la morale…

Il n’y a eu aucun bruit. Rien qui ressemble au fracas que fait la poudre qui se répand en pétards ou qui explose en bombe. Pourtant, j’ai vu cette boule prendre le ciel de court, le déchirer d’un coup. Un embrasement soudain, furieux, total. Comme si une main géante décrochait le soleil et le projetait sur nous. Sa lumière était blanche. Pas jaune comme le feu. Blanche. Crue. Absolument radieuse…


… C’est sans doute cela, la mort ; quand on ne s’appartient plus ; quand l’esprit se découple de tout ce qui nous retient. Respirer. Sentir. Se demander pourquoi. Bouger. Vouloir. Se souvenir. Espérer. Tenter de se relever.

Sa mère, Belle, prétendait que l’homme était fait de trois choses. Une tête. Un cœur. Un ventre. C’est la sainte trinité de notre humanité. Le reste, précisait-elle, c’est que de la chorale, de la flûte, de l’encens, de la matière à serments.

Lu en décembre 2022

15 réflexions sur “« La revanche des orages » de Sébastien Spitzer

    1. C’est un bémol car l’histoire est intéressante mais j’aurais aimé qu’il creuse davantage les « voix » du major et Anna est parfois trop caricaturale mais c’est une histoire intéressante d’où la note 🙂

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    1. ce roman est intéressant bien écrit mais il n’est pas toujours convaincant… J’aurais aimé qu’il creuse davantage, comme il l’avait fait avec « Ces rêves qu’on piétine » il avait placé la barre très haut alors j’attendais probablement trop 🙂

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