« Dis-moi pour qui j’existe » d’Abdourahman A.Waberi

Ayant beaucoup aimé « Pourquoi tu danses quand tu marches » le précédent livre de l’auteur, découvrir le livre dont je vous parle aujourd’hui était une évidence :

Résumé de l’éditeur :

Aden est un professeur épanoui et un père heureux.

Mais la maladie subite de sa fille réveille des souffrances anciennes. Lui aussi, enfant, est tombé malade et soudain, son corps se souvient de tout : de la vie à Djibouti, du garçon solitaire qu’il était, de la seule douceur d’une grand-mère, du réconfort des livres.

Chaque jour, il téléphone et écrit à sa fille. Il lui raconte les paysages de sa jeunesse, convoque les mânes de ses ancêtres, faiseurs de pluie ; elle lui parle de son quotidien, l’impatience de courir à nouveau. Le père retranscrit leurs mots pour garder une trace de la lutte et vaincre le mal grâce à ce qu’ils ont de plus précieux : l’espoir.

Un roman bouleversant qui sonde l’enfance, sa part heureuse et sa part d’épouvante, le dialogue lumineux d’un père et d’une fille qui triomphent en s’appuyant sur la mémoire et la poésie.

Ce que j’en pense :

Aden est professeur à l’université, son métier lui plaît, il est heureux en famille, et tout à coup le destin lui réserve une mauvaise surprise : Béa, sa fille tombe malade, atteinte d’une pathologie qu’on met du temps à diagnostiquer : ses articulations sont déformées douloureuses. Cette souffrance ramène Aden à sa propre enfance : au même âge que Béa il a contracté la poliomyélite et le passé remonte.

Aden doit retourner aux USA assurer ses cours tandis que son épouse Margherita reste au chevet de leur fille. La décision est prise d’un commun accord, mais cela n’empêche pas la culpabilité de faire son grand retour. Sur les conseils d’un soignant il décide d’écrire les évènements ses ressentis comme un journal intime et il viendra discuter via Skype avec Béa aussi souvent que possible.

Un soignant m’a suggéré d’assembler mes notes pour pallier les défaillances de la mémoire, darder une trace. J’aurais pu me mettre aussitôt au travail, mais je manquais d’audace. Mon corps ne disposait pas de la sève nécessaire, du moins pas au cours du mois suivant.

La maladie de Béa fait donc remonter ses souvenirs, comment la polio lui a abimé sa jambe et lui laissera une boiterie pour la vie, la moquerie des autres enfants, sa mère qui se désintéresse de lui, la difficile construction quand on est différent des autres dans son pays d’origine Djibouti. Ce retour du passé dans la mémoire lui permet au passage de renouer avec ses racines, sa culture, les croyances du pays, les souvenirs de sa grand-mère bien aimée, la sage Cochise ou son Papa la Tige et de faire connaitre à Béa la culture paternelle.

Ce récit m’a beaucoup touchée, par la réflexion sur la maladie, le handicap, la différence, mais aussi la culpabilité d’Aden qui se sent responsable génétiquement de la maladie de Béa. On comprend bien sûr qu’Aden et Abdourahman A.Waberi ne font qu’un et le pouvoir de guérison des livres qui ont accompagné l’auteur dans son enfance, tout en continuant à accentuer la différence.

En effet, on ne décèle aucune victimisation dans le récit ; dans les lettres que s’envoient Aden et Béa, il n’y a pas de plainte, de sentiment d’injustice, au contraire la maladie n’est pas là par hasard, pour obliger l’être humain à avancer. Un magnifique roman sur l’amour qui unit un père et sa fille, leur complicité, à travers la maladie !

L’écriture est belle, pleine de poésie, de légendes. J’ai retrouvé ce style particulier de l’auteur que j’avais tant aimé dans « Pourquoi tu danses quand tu marches ».

Un grand merci à NetGalley et aux éditions J. C. Lattès qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur.

#Dismoipourquijexiste #NetGalleyFrance !

D’autres avis : https://vagabondageautourdesoi.com/2022/08/19/abdourahman-a-waberi/

ou encore https://livresdunjourblog.wordpress.com/2022/08/15/rentree-litteraire-2022-dis-moi-pour-qui-jexiste-de-aboudrahman-a-waberi/

Couronné par la Grande Médaille de la Francophonie, Abdourahman A. Waberi est né en 1965 à Djibouti. Il enseigne les littératures françaises et francophones et la création littéraire à l’université à Washington. Il est l’auteur de nombreux livres dont Le Pays sans ombre (1994), Cahier nomade (1996), Aux États-Unis d’Afrique (2006), La Divine Chanson(2015, prix Louis Guilloux) et Pourquoi tu danses quand tu marches ? (2019). Son œuvre est traduite dans une douzaine de langues.

Extraits :

J’ai manqué de courage et d’audace, ce n’est pas la première fois. Je connais ce sentiment de détresse, je le reconnais de loin. Je suis resté le nez à terre, sonné comme un boxeur en sang avant la fin du match. Je tente à présent de me relever, de refouler le paysage de mon enfance. Avec difficulté, avec application…

J’ai rencontré beaucoup de personnes sur mon chemin. Elles m’ont aidé à affronter l’inattendu. A vaincre la douleur, l’inertie, le manque de confiance plus que le trauma ou la maladie.

La maladie soudaine de Béa avait réveillé de vieilles blessures. Le passé s’était rappelé à moi. Il voulait me tenir dans les griffes de l’enfance. Il voulait me garder vulnérable comme autrefois, corseté de l’intérieur.

Avec le temps, la douleur s’est mue en habitude, la colère s’est peu à peu évanouie. La douceur a pointé le bout de son nez, puis le reste de son minois.

Et en remontant dans le passé, je fais œuvre utile. Je veux dire que j’instruis ma fille sur sa culture et son héritage, du côté africain et paternel…

La vie est une maîtresse mystérieuse, elle ne cesse de nous donner des leçons.

Dans la famille, c’est moi la base de données, l’enquêteur à la mémoire d’éléphant… Notre pacte est clair, j’ai accepté l’éloignement, et elle a hérité de la somme des tâches essentielles. Elle gère seule parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Les médecins nous l’ont redit.

Nous sommes à trois blocks de la Maison-Blanche occupée, je te cite, par un ogre à demi-fou, un ours à la chevelure orange. Je t’avais dit en rigolant qu’il passait pour le fils naturel d’un orang-outan et de la gardienne de zoo new-yorkais. Tu m’avais répondu que ce n’était pas très gentil pour l’orang-outan.

Ma mère est désormais sur une autre planète. Elle ne se soucie plus de la vérité. Le passé n’a plus d’importance pour elle. Le présent non plus. Tout est silence autour d’elle. De cette enfance je suis orphelin et comme tous les orphelins, je déteste ce passé en forme de paysage, car je déplore sa vacuité, son absence, sa béance…

Avant de connaître les cinq piliers de l’Islam, nos ancêtres ont longtemps cru que le Ciel était un homme et la Terre une femme. Lorsque le Ciel grondait et qu’il y avait des éclairs, pas de doute, c’est que le Ciel faisait la cour à la Terre. Tôt ou tard, le Ciel allait faire l’amour à la Terre et la pluie n’était rien d’autre que la semence de l’un inondant l’autre. Cette semence touchait la Terre pour faire naître les fleurs, les arbres, les fruits, les forêts…

Notre patronyme, Robleh, porte la marque de cet héritage, Béa. Il ne doit rien aux saints musulmans. Il raconte que nous sommes de la lignée des faiseurs de pluie, ma fille.

La maladie n’est pas une atteinte, une brisure. C’est la voie par laquelle l’être tout entier parvient à s’éveiller à sa vraie nature d’être humain.

Les paroles de Joe Dassin dans sa célèbre chanson Et si tu n’existais pas ont égayé mon adolescence. Son thème m’intriguait beaucoup. L’amour était un horizon lointain, alors autant l’approcher par les oreilles.

Mes succès à l’école ne faisaient que m’éloigner de mon quartier et, partant, donner du grain à moudre au moulin de ma culpabilité.

Enfant, à la maison, il n’y avait pas de livres. Pas de livres, et donc pas de lecture. « Lire » était un verbe qui n’existait pas. « Étudier » était une expérience rare, toute récente, accessible seulement pour quelques esprits touchés par la grâce.

Je me suis extrait de la glaise pour me hisser vers la surface. Jamais je ne serai un éclopé, jamais je ne serai un handicapé. Je suis aujourd’hui un homme qui danse. Juste un homme qui danse à chaque pas, avec une pointe d’élégance dans la hanche.

Lu en août 2022

10 réflexions sur “« Dis-moi pour qui j’existe » d’Abdourahman A.Waberi

    1. j’ai beaucoup aimé le précédent donc quand j’ai vu passer celui-ci je n’ai pas hésité! j’adore l’écriture, la manière dont il parle des choses de la vie, des souffrances il sait mettre les mots adéquates …

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