« Dans bien longtemps tu m’as aimé » de Yann Verdo

J’ai choisi le livre dont je vais tenter de parler aujourd’hui, attirée par la couverture et le titre, et surtout pour aller à la rencontre d’un poète que je connaissais assez mal et  il va rester longtemps dans ma mémoire, c’est certain :

Résumé de l’éditeur :

Mardi 22 février 1944 : trois gestapistes font irruption au deuxième étage du 19, rue Mazarine, où le poète et résistant français Robert Desnos vit avec sa compagne, Youki. Arrêté, Desnos est interrogé rue des Saussaies, enfermé à Fresnes puis transféré au camp de Compiègne. Avant de prendre le chemin de l’Allemagne nazie, déporté de camp en camp. Ce calvaire, le narrateur du livre entreprend d’en faire le récit, entrecoupé de flashbacks évoquant les différentes périodes de la vie du poète, la turbulente troupe des surréalistes, ses amours, le réseau Agir…

Parce que c’est autour de la figure de Desnos que s’est nouée une histoire d’amour, aussi passionnée que brève, entre lui et une inconnue rencontrée dans une librairie. Parce que c’est sur la tombe de Desnos que cette femme, étrangement fuyante, lui a annoncé leur rupture.

 Parce que, prisonnier de ses souvenirs, il ressent comme une brûlure la nécessité d’écrire le « tombeau » du poète, qui sera aussi celui de son amour perdu.

Ce que j’en pense :

L’histoire commence au cimetière du Montparnasse, où un jeune couple d’amoureux déambule entre les tombes à la recherche de celle de Robert Desnos. Leur rencontre s’est faite autour d’un livre de l’auteur « Corps et Biens » que le jeune homme a offert à la jeune femme alors que celle-ci hésitait à le choisir. Il va lui transmettre sa fascination pour le poète et leur histoire se construire autour de son œuvre.

Yann Verdo va nous raconter en parallèle l’histoire de Robert Desnos, son ascension au sein du mouvement surréaliste, les querelles entre les membres du mouvement, les dissidences, son amour à sens unique pour Yvonne, puis sa rencontre avec Youki, qui quitte son compagnon pour lui, son arrestation par la Gestapo, son internement au camp de Compiègne, la déportation, Auschwitz, Terezin…

L’alternance des deux histoires d’amour, qui se répondent tant elles se ressemblent : en désespoir de cause Robert Desnos choisit Youki, mais ne cessera jamais d’aimer Yvonne, l’une étant le pâle reflet de l’autre, comme deux versions de la même femme. Le jeune homme sera quitté par sa compagne, manu militari ou presque, sans véritable raison ; la rupture se fait sur la tombe du poète, qui est la véritable trame de leur amour, ce qui permet à l’auteur de nous citer des poèmes superbes.

Heureusement qu’on ne demande pas souvent aux poètes ce que leurs vers veulent dire ! D’ailleurs, s’ils voulaient dire quelque chose, ils écriraient en prose, comme tout le monde. La poésie ça ne sert pas à ça. Ça sert à se faire la belle. Se faire la belle d’endroits comme ici…

J’ai aimé me promener sur les traces de ce couple, autant que dans la vie de Robert Desnos, bien sûr leur histoire est un reflet et un hommage au poète, ce qui la rend moins passionnante, mais il ne pouvait en être autrement, tant les pages consacrées à l’arrestation, les tortures, la déportation du poète sont émouvantes et forcent l’admiration devant le courage dont il fait preuve.

J’ai beaucoup aimé le procédé de narration : Yann Verdo entrecoupe les récits sur la période qui aboutit à Terezin, de flashbacks sur l’évolution de son passé : amour, surréalisme, poésie… Ce qui permet de respirer entre deux scènes tragiques. Comment ne pas penser par exemple à Primo Levi ?

Parmi les scènes qui m’ont beaucoup touchée : lorsque Robert arrive enfin après une longue marche de plus de cent kilomètres à pied où ses amis l’ont porté sinon il serait mort, Alena la jeune infirmière qui connait son œuvre et parle avec lui de son poème « Dans bien longtemps » qui a inspiré le titre à Yann Verdo. Son empathie profonde permet à Robert Desnos de s’accrocher encore un peu mais il a cessé d’y croire, surtout depuis qu’il a perdu le roman qu’il a composé lors de sa déportation, prenant des notes sur des petits bouts de papier, piqués çà et là et qu’on lui a dérobé …

Mais peut-être le savait-il déjà, avant même de tomber malade ? Peut-être, au fond de lui, avait-il déjà perdu tout espoir de retour ? Comme si revenir sans les brouillons du Cuirassier nègre eût été impossible. Ce larcin, c’était un signe. Le deuxième coup de sonnette de la fatalité.

C’est grâce à Alena et à son collègue que le poète sera incinéré seul ce qui permettra de rapatrier, plus tard, ses cendres…

Je connaissais mal l’œuvre de Robert Desnos, je l’avoue, comme les Surréalistes en général, car je préfère les Romantiques, mais tous les poèmes cités par l’auteure de ce livre m’ont plu et depuis que je l’ai refermé, je rattrape le temps perdu…

Le style, la construction du livre et l’écriture de Yann Verdo m’ont beaucoup plu et donc donné envie de lire son autre roman « Noone », par contre j’avais noté son essai « Le violon d’Einstein » mais le temps passe…

Vous l’aurez compris, ce livre est un coup de cœur…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Elidia qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#Dansbienlongtempstumasaimé #NetGalleyFrance !

Yann Verdo est journaliste au quotidien Les Échos. Il a publié, en 2018, aux éditions Odile Jacob, un essai scientifique, Le Violon d’Einstein, et un très beau roman remarqué aux éditions du Rocher en 2020 : Noone.

Extraits :

Mais le bonheur ne se raconte pas, il se sent. C’est quelque chose comme le grand vent du large quand il vous cingle au visage. Il n’y a rien à en dire sinon qu’il faut le humer à pleins poumons, cet air si vivifiant, l’avaler yeux fermés jusqu’à ce que la tête vous en tourne, lui laisser votre visage aussi longtemps que vous le pourrez.

Pour tous les habitants du quartier, il est l’homme à l’éternel pardessus de tweed et aux grosses lunettes en écaille. Cordial et serviable, mais discret. On le dit poète et écrivain. Il paraît même qu’il aurait été « surréaliste », comme on  les appelait, une bande d’agités qui défraya la chronique littéraire il y a de cela vingt ou vingt-cinq ans. Folie de jeunesse…

« Le surréalisme est à l’ordre du jour et Desnos est son prophète », n’hésite pas à déclarer bientôt, ubi et orbi, André Breton, pape de la religion nouvelle…

Cette femme dans la lumière, c’est Yvonne George bien sûr. Et parmi les milliers d’anonymes tapis dans l’ombre en cette soirée du 21 octobre 1924, lui, Desnos. Pour la première fois, il la voit, il l’entend.

C’est pour elle qu’un Desnos plus en proie que jamais à la fièvre amoureuse et créatrice écrira les plus beaux poèmes de ce qui deviendra Corps et Biens. C’est elle qu’il mettra en scène dans son Journal d’une apparition. C’est en songeant à elle qu’il placera en tête de son roman La Liberté ou l’amour ! cette dédicace enflammée : « A la révolution, A l’amour, A celle qui les incarne. »

Se pourrait-il que les différentes femmes aimées par un homme au cours de sa vie – ou tout aussi bien les différents hommes aimés par une femme au cours de la sienne – ne fussent qu’autant de « fragments arbitraires » d’un seul et même amour ?

« Et dire que c’était là le berceau de Goethe (à propos de Buchenwald) … » Eh oui, le berceau de Goethe. Il parait qu’il venait méditer ici, à l’ombre d’un chêne, sur cette même colline d’Ettersberg. C’est ce que les deux amis ont appris de la bouche d’un assez vieil homme un érudit sans doute, dont ils n’ont pas songé à demander le nom et qu’ils n’ont jamais revu par la suite.

C’est souvent par ce qu’elles ne disent pas que les lettres d’amour sont les plus belles.

Dans ce monde à part qu’est un camp de concentration, dans le langage propre à ce monde, on les appelle les « musulmans ». Ceux qui ont passé le point de non-retour, qui ont abandonné toutes espérance de s’en sortir, qui se sont résignés à leur sort et que plus rien n’intéresse, pas même l’avancée des troupes alliées et la victoire prochaine sur les forces de l’Axe, pas même leur propre vie.

… D’ailleurs, c’est comme ça qu’ils meurent, les musulmans : ils s’éteignent tout doucement. Dans leur sommeil, le plus souvent.

De plus en plus souvent on le soutenait, on le portait même. Un de chaque côté, mains croisées sous les fesses. Singulier contraste entre la solidarité des uns opposée à l’indifférence cruelle des autres. La guerre réveille le loup dans l’homme, mais pas que.

Quelle heure peut-il bien être ? D’abord ce fantôme de clarté et puis la première lueur de l’aube, le point du jour. Éternel retour des choses auquel l’homme participe le temps d’un éclair, d’une parenthèse qui s’ouvre et se refaire dans le néant.

Lu en juillet 2022

5 réflexions sur “« Dans bien longtemps tu m’as aimé » de Yann Verdo

    1. j’ai vraiment beaucoup aimé ce livre, l’histoire de Desnos que je connaissais assez peu, et la manière de structurer le récit: alternance entre les 2 histoires d’amour et alternance passé-présent dans la vie du poète!!! de l’émotion du début à la fin 🙂

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