« Un barrage contre l’Atlantique » de Frédéric Beigbeder

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi parce que son titre me rappelait un autre roman que j’avais adoré il y a longtemps : « Un barrage contre le Pacifique » de Marguerite Duras :

Résumé de l’éditeur :

« Ce livre a été écrit dans un endroit qui devrait être sous l’eau ».  F.B.


 Au hasard d’une galerie de Saint-Jean-de-Luz, Frédéric Beigbeder aperçoit un tableau représentant une cabane, dans une vitrine. Au premier plan, un fauteuil couvert d’un coussin à rayures, devant un bureau d’écrivain avec encrier et carnets, sur une plage curieusement exotique. Cette toile le fait rêver, il l’achète et soudain, il se souvient : la scène représente la pointe du bassin d’Arcachon, le cap Ferret, où vit son ami Benoît Bartherotte. Sans doute fatigué, Frédéric prend cette peinture pour une invitation au voyage. Il va écrire dans cette cabane, sur ce bureau.


  Face à l’Atlantique qui à chaque instant gagne du terrain, il voit remonter le temps. Par vagues, les phrases envahissent d’abord l’espace mental et la page, réflexions sur l’écriture, la solitude, la quête inlassable d’un élan artistique aussi fugace que le désir, un shoot, un paysage maritime. Puis des éclats du passé reviennent, s’imposent, tels « un mur pour se protéger du présent ». A la suite d’Un roman français, l’histoire se reconstitue, empreinte d’un puissant charme nostalgique : l’enfance entre deux parents divorcés, la permissivité des années 70, l’adolescence, la fête et les flirts, la rencontre avec Laura Smet, en 2004… Temps révolu. La fête est finie. Pour faire échec à la solitude, reste l’amour. Celui des siens, celui que Bartherotte porte à son cap Ferret. Et Beigbeder, ex dandy parisien devenu l’ermite de Guétary , converti à cette passion pour un lieu, raconte  comment Bartherotte, « Hemingway en calbute », s’est lancé dans une bataille folle contre l’inéluctable montée des eaux, déversant envers et contre tous des millions de tonnes de gravats dans la mer. Survivaliste avant la lettre, fou magnifique construisant une digue contre le réchauffement climatique, il réinvente l’utopie et termine le roman en une peinture sublime et impossible, noyée d’eau et de soleil.  La foi en la beauté, seule capable de sauver l’humanité.


  Une expérience de lecture, unique et bouleversante, aiguisée, impitoyable, poétique, et un chemin du personnel à l’universel.

Ce que j’en pense :

Dans la première partie l’auteur nous livre un exercice de style : après chaque phrase, non seulement il va à la ligne mais en profite pour en sauter une (ligne) tout en demandant au lecteur s’il va supporter encore longtemps l’exercice ! ce qui se révèle assez jouissif, en ce qui me concerne bien sûr !

Progressivement, les phrases s’allongent, les sauts de ligne se sont font plus rares, on est entré dans le vif du sujet, c’est-à-dire la vie de Frédéric Beigbeder : réflexions autour de moi-même, mon nombril, ma petite personne : sa famille, ses relations avec se mère, les femmes de sa vie, sa sexualité… C’est la partie du livre qui m’a le moins intéressée.

Mon histoire est celle d’un homme qui a tellement tout tourné en ridicule qu’il ne sait même plus comment retrouver le sérieux.

Peu à peu, le ton cesse d’être ironique, désabusé, laissant apparaître au grand jour les fragilités de l’homme qui s’interroge sur la Vie en général, la Terre qui va mal, à cause de l’homme, chez cet adulescent en proie au syndrome de Peter Pan et au départ de sa fille aînée pour vivre sa vie, ce qui lui a brisé le cœur. Refaire un enfant quand la cinquantaine approche, (entre parenthèse, quand on l’âge de devenir grand-père) c’est une manière de rester un éternel ado.

J’ai aimé la manière dont Frédéric Beigbeder compare la vie et un barrage contre l’Atlantique, des digues à ériger sans cesse pour se protéger, de soi et des autres, de la Nature qui reprend ses droits ainsi que les phrases vibrantes consacrées à Laura Smet, sa famille et sa vie compliquée, qui a partagé sa vie durant un temps, à la manière de Oona et Chaplin.

Ce livre pessimiste et mélancolique m’a bien plu, malgré quelques velléités de laisser tomber quand l’auteur tournait trop autour de la sexualité (la sienne en fait) car je partage en grande partie sa vision des choses sur l’inexorabilité de la disparition de la civilisation actuelle, en même temps que la montée des eaux qui fera disparaître les côtes telles que nous les connaissons, et ce n’est pas le dernier rapport du GIEC qui va nous restaurer une once d’optimisme. La littérature pourra-t-elle nous sauver ?

Petit hommage à Bartherotte, monarchiste, au passage, qui lutte contre l’enlisement proche du Cap Ferret, que l’auteur compare aux Pays-Bas, sous le niveau de la mer, dans son énergie à combattre en érigeant digue après digue… Comme l’écrivain qui construit son œuvre phrase après phrase.

Ce livre entre en résonance avec le roman de Marguerite Duras, que j’ai lu il y a très longtemps, cette famille qui se bat pour construire un barrage pour sauver sa terre de la puissance des vagues du Pacifique, comme Don Quichotte et les moulins à vents, dans un combat presque perdu d’avance.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur que j’ai très peu lu en fait : j’ai beaucoup aimé « Oona et Salinger » et j’aimais bien, jadis, son émission littéraire car l’homme m’est sympathique, il suffit de ne pas trop se limiter à son côté provocateur pour ne s’intéresser qu’à ses fragilités…

Si le sujet abordé et la manière de l’aborder m’ont plu, le côté victimisation m’a parfois énervée, bémol qui explique la note…

#UnbarragecontrelAtlantique #NetGalleyFrance !

8/10

Extraits :

L’intuition de Kafka était juste : il n’y a plus de différence entre l’humanité et le cafard.

Chaque phrase doit donner envie de lire la phrase suivante, mais exister aussi de façon autonome.

La dune du Pyla est un écran de cinéma où le soleil projette son film, dont les nuages sont les acteurs principaux.

Il est crucial de réinventer notre façon d’écrire si nous ne voulons pas que la littérature disparaisse au XXIe siècle.

L’idée est simple : pour sauver les phrases, il faut peut-être sacrifier le roman.

Planquées dans de longs développements, les phrases se serrent les coudes ; comme les hommes, elles sont plus courageuses en groupe.

L’avantage d’être né dans un milieu bourgeois est notre capacité à transformer tout drame passionnel en pièce de Feydeau.

L’âge ingrat dure toute la vie.

Conclusion : les hommes et les femmes ne sont pas égaux ; à la fin de leur existence, les femmes sont plus seules que les hommes parce qu’elles ne peuvent plus avoir d’enfants.

Je suis un enfant qui veut qu’on l’adopte.

Toute ma vie je me suis cherché des maîtres, comme un chien abandonné.

La famille des années 1970 est comme un jeu de Lego : ce jeu consistant à bâtir quelque chose afin de le détruire ensuite, puis à reconstruire autre chose, pour le déconstruire à nouveau.

Ma carte d’identité affirme que j’ai cinquante-cinq ans, alors que j’en ai quatorze.

On écrit pour être le meilleur, mieux que le vrai ? Ou bien on écrit pour être soi, pour être vrai ? Je ne sais pas, cela dépend du niveau d’angoisse.

Selon les psychanalystes les hommes adultes se prenant pour des gamins sont souvent des enfants dont le père était absent et qui ont été contraints de se comporter en adultes dans leur enfance. Pour simplifier : le garçon a été adulte trop, alors l’adulte veut rester enfant.

C’est le problème avec l’érosion : la terre devient définitivement de la mer.

La puissance de l’homme capable de dompter la nature (rêve des années 1950) est devenue ensuite la culpabilité de l’homme responsable de la destruction de la nature (dystopie des années 1970) et bientôt la disparition de l’homme exterminé par la nature (réalité des années 2020).

L’antinature est le combat du XXIe siècle. Ce que personne n’ose dire (parce que c’est trop horrible, c’est que la nature a cessé d’accepter l’homme.

Lu en avril-mai 2022

28 réflexions sur “« Un barrage contre l’Atlantique » de Frédéric Beigbeder

    1. c’est seulement le 2e que je lis car les premiers ne m’intéressaient pas du tout…
      Il faut différencier l’allergie primaire que déclenche sa personnalité et son écriture …
      Je ne suis pas devenue une fan 🙂

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  1. C’est un auteur que je n’ai encore pas lu, en fait je ne suis pas tentée au départ par ses livres mais il faudrait tout de même que je tente un jour, je n’aime pas avoir des aprioris et comme tout le monde de temps en temps j’en ai ! Merci en tous les cas de nous parler de ce dernier titre…

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    1. c’est pour cela que j’ai choisi de le lire, pour ne pas rester figée arc-boutée sur sa personnalité mais sur son écriture et ce livre m’a plu 🙂
      c’est comme Houellebecq ou Céline, il faut essayer de découvrir avant de juger.
      Sinon, j’aurais bien aimé le recevoir sur mon divan sur le plan psy c’est passionnant 🙂

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    1. il m’a bien plu, car il traite bien son sujet, et l’exercice de style de départ est amusant…
      je n’ai lu que « Oona et Salinger » qui m’a bien plu aussi par contre, je ne suis pas du tout tentée par ses autres romans 🙂

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    1. il m’a plu, à part sa vie sexuelle dont je me fous éperdument mais ce n’est pas le principal dans ce livre loin de là …
      j’aime bien sortir de ma zone de confort de temps en temps, pour connaître un auteur autrement que via l’image qu’il s’obstine à vouloir donner de lui-même et le syndrome de Peter Pan est bien abordé au passage 🙂

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    1. il faut faire abstraction du personnage public,de l’image qu’il tient absolument à donner de lui-même sinon on risque de se priver d’une réflexion intéressante (ce serait plutôt des réflexions avec ce livre!)
      si j’en était restée à certains a priori, je n’aurais jamais découvert Houellebecq ou surtout Céline (qui me révulse dans tous les sens du terme mais Bardamu c’est quand même un sacré souvenir) ou d’autres 🙂

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  2. moi non plus je n’apprécie pas le personnage public, et ses premiers livres ne me tentent toujours pas du tout mais comme j’ai aimé « Oona et Salinger » j’ai décidé de tenter et j’ai apprécié…
    sur le divan, en analyse évidemment, il doit être très intéressant 🙂

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    1. j’ai apprécié ce roman car il dénonce des dérives, l’avenir de la planète, les mutations dans la cellule familiale et le syndrome de Peter Pan est bien abordé, l’auteur est conscient de son désir de ne pas vouloir grandir (vieillir surtout) il ne faut pas se laisser impressionner par les a priori, il évolue dans le bon sens 🙂

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    1. je suis tout à fait d’accord, on est loin de Biegbeder provocateur à tout prix, il se livre avec ses fragilités et ses réflexions qui tiennent la route
      il y a encore une petite envie de faire le buzz quand il parle sexe mais cela ne dérange pas…

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    1. « Un barrage contre le Pacifique » m’a vraiment plu j’avais enchaîné plusieurs des livres de M. Duras après avoir refermé « L’amant » et j’aimais bine son style mais les années ont passé alors je ne sais pas ce que cela donnerait en relecture…
      J’ai passé un bon moment avec Beigbeder car il a évolué, il est moins dans la provoc que le personnage derrière lequel il se cache en public…

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