« Brassens, Jeanne et Joha » de Maryline Martin

Puisque nous sommes dans les commémorations, je vais vous parler aujourd’hui d’un joli petit livre :

Résumé de l’éditeur :

Août 1981. Georges Brassens souffre d’un mal dont il cache le nom, même à ses proches. Puisque la Camarde affûte sa faux, il compte profiter du temps qui lui reste pour composer de nouvelles chansons, auprès de Joha Heiman, surnommée Püpchen, prendre du bon temps avec ses amis et remonter sur scène à Bobino…

Comme chaque été, Georges a regagné sa résidence secondaire Ker Flandry, son havre de paix situé non loin de Paimpol. Pendant ces quelques jours, il navigue sur le flot de ses souvenirs : Sète, ses frasques adolescentes, son professeur de français Alphonse Bonnafé, le début du succès avec Patachou… Et surtout il pense aux deux femmes qui ont marqué sa vie : Jeanne Planche, de trente ans son aînée – qui l’avait caché impasse Florimont, pour qu’il échappe au STO – et Püpchen, dont il fait la connaissance en 1947.

En se promenant sur la plage de Lézardrieux, des scènes, des visages lui reviennent en mémoire… et Georges replonge dans ce chassé-croisé amoureux.

Ce que j’en pense :

Août 1981, ce sont les dernières « vacances » de Georges Brassens, dans sa maison Ker Flandry à Lézardrieux, en Bretagne. Il vit ses derniers jours, ayant refusé la chimiothérapie pour son cancer. Le voyage en compagnie de Joha a été pénible.

Peu à peu, avec la mort qui rôde de plus en plus près, les souvenirs remontent : Sète, Paris, la guerre, le STO, la clandestinité, la faim, le refuge chez Jeanne qui devient sa maîtresse malgré la différence d’âge, la période de vaches maigres, les premiers textes, le piano sur lequel il s’acharne pour composer dans le silence absolu…

On va accompagner l’ami Georges, dans ces moments difficiles, entrant dans son intimité autant que dans son parcours, mais ce n’est jamais une biographie, l’auteure ayant choisi de nous montrer avant tout le chanteur poète, tel qu’il est avec ses proches, ses amis, sa fidélité de chaque instant à ceux qui l’ont aidé au temps des vaches maigres, comme dans le succès.

Cela donne un beau portrait de l’homme, mais aussi de ces deux femmes qui se trouvent ainsi mises en lumière à leur tour.

J’ai aimé la poésie de l’écriture de Maryline Martin, poésie qui aurait beaucoup plu à un de mes poètes préférés de l’époque dont voici un exemple :

« Cependant, sa Püpchen, pour laquelle il éprouve une tendresse inouïe, il ne veut pas la brusquer. Tendresse et déférence, désir et pudeur sont les quatre points cardinaux de son cœur. En silence, ils se dévisagent. Histoire sans paroles de deux êtres qui s’aiment sans compter malgré le temps qui passe et ne se rattrape plus. »

Je voulais rendre hommage à l’ami Georges, qui aurait cent ans et dont on célèbre les quarante ans de la disparition (on aime bien célébrer par chez nous, les gens sont plus grands morts que vivants, comme le Duc de Guise !) alors je voulais apporter ma petite pierre, mais je n’avais pas envie de me lancer dans une biographie-pavé alors ce livre était pour moi.

J’aime bien Georges Brassens, sa sensibilité derrière son apparence d’ours moustachu, certains de ses textes sont sublimes. Il faisait partie de mon Panthéon, au début des années 80, en bonne compagnie : Jacques Brel, Léo Ferré, ou Jean Ferrat… et le jour de sa mort, avec mes proches, nous étions sonnés, et pourtant, on le savait très malade, mais on sa mort a laissé un vide, une génération de chanteurs en train de s’éteindre, tandis que de jeunes talents commençaient à poindre.

Voici ce que disait de lui Jacques Prévert :

« Il ne demandait rien à personne, tout le monde l’a écouté. Il avait quelque chose à dire, à rire, à chanter et même quelquefois à pleurer. La plupart lui en ont su gré. »

Un grand merci à NetGalley et à Elidia éditions du Rocher, qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure que je ne connaissais pas du tout et dont le style m’a bien plu, ainsi qu’à Matatoune dont la chronique m’a emballée. https://vagabondageautourdesoi.com/2021/09/08/maryline-martin/

BrassensJeanneandJoha #NetGalleyFrance

8/10

L’auteure :

Maryline Martin a écrit des nouvelles et des romans dans lesquels elle s’interroge sur la place et le rôle des femmes dans l’Histoire. Son roman-récit autour de la Goulue (éditions du Rocher) a reçu un bel accueil du public et des médias, et a été couronné par le Prix Région Normandie.

Extraits :

Depuis 1956, une grande histoire d’amour lie le chanteur à la Bretagne et en particulier aux Côtes d’Armor. C’est la Jeanne, celle de la chanson, Jeanne-Marie Le Bonniec née à Lanvollon, qui lui a fait découvrir cette contrée.

Respect, pudeur. Georges tient à son intimité. Quant à l’amour, il l’entoure d’un halo sacré. Le quotidien pour lui revêt un caractère trivial ? Drôle de spectacle que d’assister à la toilette de l’être aimé. La femme, la sienne, doit garder un part de mystère…

Georges soupire. Les fantômes du passé reviennent plus souvent qu’à l’accoutumée peupler ses nuits et maintenant ses journées. La camarde rôde. Le vent disperse ses pensées les plus secrètes vers le large.

 Il aime se comparer à un vieil Indien qui traîne dans sa musette les ossements de ses ancêtres. Il déteste la mort et conchie cette idée révoltante de s’habituer à l’absence de l’autre même si les souvenirs restent vivaces…

Jeanne aime la fantaisie, les gens qui ne marchent pas dans les clous, le swing, Charles Trenet et les mots doux… L’existence n’a pas toujours été tendre avec elle. Sa vie ressemble à celle d’un bon nombre de paysannes bretonnes montées à Paris au début du siècle. Pour trois francs six sous, elle effectue, le dos courbé sur la machine des travaux de couture.

Dans cet univers à la marge, véritable cour des miracles, Georges à l’abri de la folie des hommes, va trouver l’inspiration de ses futures compositions.

Les signes extérieurs de richesse sociale, il s’en fout comme de l’an 40 ; d’ailleurs il a toujours su cultiver un sens de l’inconfort exceptionnel. Au milieu de ses livres, de ses pipes et des guitares, il est heureux. Le reste appartient à un décorum auquel il n’attache guère d’importance.

Il lui arrive parfois d’ouvrir sa bibliothèque, de prendre un livre qu’il ouvre au hasard et capturer des vers qui lui inspirent une nouvelle composition. Ainsi, quelques lignes du Jardin d’Épicure d’Anatole France se retrouvent déguisées dans « la non-demande en mariage ». Il ne crée pas, il recrée.

Par la porte restée entrouverte, Joha scrute silencieusement Georges. Le buste est légèrement penché sur sa table de travail…

… Fragilité d’un instant où son Autre ne peut imaginer qu’elle l’observe à la dérobée. Signaler sa présence serait trahir le pacte passé entre eux depuis leur première rencontre.

Malgré ce côté précieux, de petite poupée, c’est également une femme de caractère qui peut sortir les griffes, et son humour s’avère corrosif. De son pays natal, l’Estonie, Joha a gardé en héritage, le charme slave, un accent à faire rouler les pierres dans un ruisseau dont Georges se moque parfois…

Georges compare ses pattes d’oie à des marque-pages liés à son existence.

Pierre, c’est l’homme de confiance, le copain d’abord. C’est un roc sur lequel Georges peut s’amarrer quand il sent qu’il va sombrer. Pierre deviendra Gibraltar. A la vie, à la mort, mais ils ne le savent pas encore. L’ami qui partage son couvert avec l’affamé, et les désillusions après les auditions au retour des cabarets.

Jeanne l’amante laisse place à une mère de substitution, la mère éternelle, celle qui dans ses roses et dans ses choux n’a pas trouvé d’enfants. Jeanne décrite parles familiers comme un personnage de roman.

Lu en novembre 2021

8 réflexions sur “« Brassens, Jeanne et Joha » de Maryline Martin

    1. il est très intéressant, on apprend encore de choses sur Brassens intime: je connaissais Jeanne mais pas Joha ou sa courte histoire avec Patachou par exemple…
      ou encore sa méthode de travail à partir de poèmes qu’il modèle à son goût…
      ce n’est pas un pavé, alors le plaisir dure…

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  1. Le parti pris de l’écrivaine est audacieux ! Faire raconter par les femmes que Brassens a aimé et auxquelles il est resté très fidèle son chemin de vie, était un pari très risqué. Ici, le portrait correspond à cet homme amoureux des mots jusqu’à l’obsession, farouchement introverti sur scène et aimant les copains, la rigolade et la bonne bouffe en privé qu’on imaginait bien !
    J’ai eu la chance d’assister à son dernier Bobino : enchaînant ses chansons, suant par la chaleur des projecteurs, juste disant une expression entre chaque chanson, ne bougeant absolument pas derrière son micro, un peu nul… niveau spectacle quand- même ! Mais dès les premiers accords de ses chansons sur sa guitare , un plaisir fou ! Merci bcp pour le lien !

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    1. je n’ai jamais pu le voir sur scène à mon grand regret…
      j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce récit et à découvrir Joha dont je ne connaissais rien ou si peu…
      Brassens ses amours, ses amis, ses emm… Dirait un autre grand qui me manque 🙂

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  2. Un monument ce Brassens qui a marqué notre jeunesse. Il avait beaucoup de choses à nous dire à travers ses chansons et j’aime ce que Jacques Prévert a dit de lui, c’est tellement vrai. Je ne sais pas si je le lirai un jour, mais je sais à qui je vais l’offrir c’est certain ! Merci de nous en parler et de nous avoir choisi tous ces extraits

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    1. c’est un bon moment de lecture, pas un un pavé, donc le plaisir est constamment présent (plaisir de lectures, car il n’a pas eu une vie simple, mais un cœur en or: il a dit à ses potes de servir dans sa bibliothèque (énorme!) après sa mort par exemple…
      la phrase de Prévert est en avant-propos mais elle m’a tellement plu que je n’ai même pas essayé de m’empêcher de la proposer…
      un seul regret, ne pas l’avoir vu sur scène mais à la TV, il passait très bien 🙂
      j’ai eu du mal à choisir les extraits, finalement j’ai choisi ceux qui parlaient de Jeanne et Joha autant que les autres pour leur rendre un hommage bien mérité 🙂

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    1. ce livre insiste sur e côté intime, la sensibilité de Brassens, sa fidélité en amitié en amour aussi finalement l’idée de le faire découvrir par Jeanne et Joha est très intéressante…
      Ah les Beatles!!!! j’en suis toujours aussi fan… (comme d’ABBA aussi! Agneta est née exactement le même jour que moi, je ne sais pas pour l’heure 🙂 nostalgie quand tu nous tiens 🙂

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