« Enfant de salaud » de Sorj Chalandon

J’avais très envie de retrouver la plume de Sorj Chalandon et la Seconde Guerre Mondiale, donc ce livre était forcément pour moi :

Résumé de l’éditeur :

Un jour, grand-père m’a dit que j’étais un enfant de salaud.

Oui, je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre papa, de tes bottes allemandes, de ton orgueil, de cette folie qui t’a accompagné partout. Ce n’est pas ça, un salaud. Ni à cause des rôles que tu as endossés : SS de pacotille, patriote d’occasion, résistant de composition, qui a sauvé des Français pour recueillir leurs applaudissements. La saloperie n’a aucun rapport avec la lâcheté ou la bravoure.

Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans trace, sans repère, sans lumière, sans la moindre vérité. Qui a traversé la guerre en refermant chaque porte derrière lui. Qui s’est fourvoyé dans tous les pièges en se croyant plus fort que tous : les nazis qui l’ont interrogé, les partisans qui l’ont soupçonné, les Américains, les policiers français, les juges professionnels, les jurés populaires. Qui les a étourdis de mots, de dates, de faits, en brouillant chaque piste. Qui a passé sa guerre puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes.

Le salaud, c’est le père qui m’a trahi.

Ce que j’en pense :

Comment se construire quand on a, face à soi, un père qui ment tout le temps, et en plus vous maltraite ? L’enfant avait besoin de croire que son père était un héros, résistant, au passé glorieux, mais le grand-père lui explique un jour, qu’il est en fait un « enfant de salaud » car le père a fait la guerre du mauvais côté.

Alors qu’un problème de santé lui fait côtoyer la mort de près, le père laisse un message sur le répondeur de Sorj, où il lui explique, qu’il a fait partie de la division Charlemagne et a protéger le bunker d’Hitler !!! malgré le choc il pense qu’enfin il lui dit  la vérité … Hélas…

L’auteur va se livre à sa propre enquête sur le passé paternel, jugement, témoignages… Et, en même temps, il couvre pour son journal le procès de Klaus Barbie devenu Altmann (et « conseiller de dictateur » en Bolivie !

Évidemment, le père de Sorj veut un passe-droit pour assister au procès, (qu’il obtiendra sans peine vues ses « relations ». Ce qui l’intéresse, à part, voir le nazi et le numéro de maître Vergès, digne d’un One man show hélas, c’est que Barbie-Altmann lâche le nom de celui qui a trahi Jean Moulin et que… cela fasse le buzz bien sûr…

L’auteur revient sur la rafle d’Izieu, retourne sur les lieux pour visiter cette colonie gérée par Madame Zlatin, elle-même chassée d’un hôpital lyonnais parce que juive. Il n’est d’ailleurs pas très bien accueilli par la personne qui fait visiter les lieux, car la suspicion règne et règnera encore longtemps sur ce village : qui a trahi ?

J’ai aimé la manière dont Sorj Chalandon a construit son récit, avec d’un côté ce père, menteur pathologique, qui s’en sort par une pirouette même lorsqu’il est pris en flagrant délit de mensonge, versus le Boucher de Lyon, qui, fort habilement conseillé par son avocat, affirme qu’en tant que Klaus Altmann, il n’a rien à se reprocher, et ne devrait pas être là…

« Je venais de faire entrer le procès de mon père dans la salle d’audience qui jugeait Klaus Barbie. La petite histoire et la grande rassemblées. Dans le box vide de l’accusé, il y avait de la place pour les aventures de ce jeune Français. Pour ce père, en fond de salle, entré là par ruse.« 

On ne peut s’empêcher de les comparer : la barbarie nazie et le père qui cogne son fils en hurlant en allemand. On comprend pourquoi l’un ne peut qu’être fasciné par l’autre, avec le négationnisme jamais très loin. Pour le père, l’Histoire a été écrite par les vainqueurs ! et il n’éprouvera pas le moindre intérêt, la moindre empathie, envers les victimes dont les témoignages seront d’une dignité absolue, mais pour lui ce ne sont que jérémiades…

Dans ma région, on a attendu le procès du boucher de Lyon comme on l’a toujours appelé, car notre enfance a baigné dans les récits de la Résistance dans le Vercors, les trahisons, les massacres… Et le voir monter les marches, voir la tête à la chevelure argentée propre sur lui, émerger, dans un silence absolu, c’est un souvenir qui sera à jamais dans ma mémoire. Tout autant d’ailleurs que son refus d’assister au procès par la suite.

J’adresse au passage un grand merci à Robert Badinter car il a réservé un « chambre sur mesure » au nazi à la prison de Montluc où Jean Moulin a été torturé. Il a dû apprécier la délicate attention mais cet homme pouvait-il éprouver quoi que ce soit…

J’ai aimé retrouver la plume de Sorj Chalandon, la manière dont il parle de sa relation toxique avec son père, qui prétend avoir porté tous les uniformes, vert de gris, pétainiste tricolore (sous oublier le coup de maître de la division Charlemagne alors qu’il était incarcéré en quand Hitler a tiré sa révérence) et sa capacité de résilience…

L’idée de faire un roman sur celui qu’était son père en transposant « son procès » à l’époque de celui de Barbie, est vraiment géniale. Cf.Vidéo)

Et comme il le dit si bien, le salaud n’est pas seulement celui qui a choisi le mauvais côté, mais :

« Le salaud, c’est le père qui m’a trahi ».

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur, ce qui est toujours très fort en émotion pour moi,depuis la lecture de « Le quatrième mur » et il m’en reste encore quelques uns dans ma PAL sans fond. .

#Enfantdesalaudrentreelitteraire2021sorjchalandon #NetGalleyFrance

9/10

L’auteur :

Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est l’auteur de neuf romans et Enfant de salaud sera le dixième, tous parus chez Grasset.

 Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon traître (2008), La Légende de nos pères(2009), Retour à Killybegs (2011, Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013, prix Goncourt des lycéens), Profession du père(2015), Le Jour d’avant (2017) et Une joie féroce(2019).

Extraits :

Izieu n’en pouvait plus de s’entendre dire que le bourg s’était couché devant les Allemands. Qu’un salopard avait probablement dénoncé la colonie d’enfants juifs…

…Oui, le crime pouvait être l’œuvre d’un félon, incorporé plus tard dans la Wehrmacht et arrêté à Sarrebruck par l’armée américaine, sous l’uniforme d’un gardien de camp de prisonniers.

Il m’a expliqué que la guerre, c’était plus compliqué que dans les films. Un jour, on tuait les uns, et le lendemain on pouvait tuer les autres. Il fallait faire attention avec les mots « amis et « ennemi » parce que l’Histoire avait été écrite par les vainqueurs… (Week-end à Zuydcoote avec Belmondo)

J’ai passé mon enfance à croire passionnément tout ce qu’il me disait, et le reste de ma vie à comprendre que rien de tout cela n’était vrai. Il m’avait beaucoup menti. Martyrisé aussi. Alors j’ai laissé sa vie derrière la mienne.

Une fois les plaies refermées, je me suis demandé combien de faussaires vivaient en lui. Combien de tricheurs lui griffaient le ventre. Est-ce qu’une seule fois une seule minute, ce charlatan avait dit vrai ?

Mais nous, on était des Français qui combattions le communisme sous un informe français. Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Depuis toujours, mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldats.

Mon père avait été un SS. J’ai compris ce qu’était un enfant de salaud. Fils d’assassin. Et pourtant, face à lui, je suis resté silencieux. Je ne lui ai rien opposé. Pas un mot. Et c’était terrible.

On a défendu le bunker d’Hitler jusqu’au 2 mai 1945.

Tu m’as menti, une fois de plus. Pendant que tes camarades de roman mourraient dans les plaines de Russie et d’Ukraine, tu étais emprisonné dans le nord de ton propre pays. Comme des centaines de malfrats français.

Amusé par les objectifs qui se bousculaient, par la salle qui frémissait, par les bancs surchargés des parties civiles. Amusé comme un homme pris pour un autre, qui va suivre un procès qui n’est pas le sien.

Le petit coup de théâtre du patronyme avait dû le ravir. Ils voulaient juger Barbie et c’est Altmann qui s’est avancé. Le vieux nazi allait rendre coup pour coup.

Les victimes ? Il manquerait le choc entre elles et leur bourreau.

C’était comme si la présence du Klaus Barbie lui avait redonné de la force, de la morgue, de la haine. Voir le SS, observer son sourire, écouter sa tranquille assurance l’avait galvanisé.

Ce 14 mai, les débats porteraient sur Altmann le Bolivien. Nous passerions de la guerre à l’après, lorsqu’une poignée de nazis à travers le monde espéraient encore reprendre le pouvoir.

Confronter deux hommes qui nient. L’un qui se dit Altmann, l’autre qui s’est prétendu patriote. Pour narguer deux orgueils. Mais, ce jour-là n’était pas encore venu.

Mon père, jeune traître français habillé en Allemand aurait pu effectivement croiser cet officier SS entre deux coups de cravaches. Et toutes ces années après, il en goûtait le vertige.

Lu en septembre 2021

21 réflexions sur “« Enfant de salaud » de Sorj Chalandon

    1. c’est sa manière à lui de survivre au traumatisme de l’enfance qu’il a subi…Un père qui vous cogne dessus en hurlant en allemand…
      Je trouve qu’il s’en sort pas trop cabossé, je ne sais pas si je m’en serais tirée aussi bien 🙂
      son livres est bien construit et il fallait oser 🙂

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  1. J’ai vu très récemment des documentaires sur Robert Badinter sur France 3 et sur la guillotine donc sur la peine de mort évidemment….. Quel homme bien et juste 🙂 Pour ce roman j’avais lu Profession du père que j’avais aimé mais je ne sais si je lirai celui-ci ou tout du moins je vais sûrement attendre un peu car j’ai tellement écouté d’émissions et d’interviews que j’ai l’impression de l’avoir déjà lu……. 🙂

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    1. le thème m’a plu d’emblée donc j’étais résolue à le lire, en sachant très bien ce qui m’attendait…
      il m’a vraiment plu mais c’est vrai qu’il est omniprésent sur les plateaux, alors je me suis limitée à « La Grande Librairie pour garder la tête froide !
      je n’ai pas encore lu « Profession du père » car il me fait peur… Mais c’est quand même prévu…
      J’ai beaucoup aimé « La légende de nos pères » mais aussi « Le jour d’avant »

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    1. la violence n’est pas un gros problème ici, c’est le procès du père à travers celui de Barbie et le parallèle est génial,bien fait.
      « Profession du père » est toujours dans ma PAL car il me fait plus peur… je me sens plus prête à l’ouvrir depuis que j’ai terminé celui-ci…

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  2. Je n’ai pas tout lu de cet auteur, (cinq seulement de ses romans) mais presque (!) et bien entendu j’ai déjà noté celui-ci pour le lire un jour mais pas tout de suite, j’ai besoin de faire un break côté guerre. Sorj Chalandon nous offre des romans poignants toujours avec des éléments autobiographiques, dont je ne sors pas indemne…alors j’attendrais. Merci pour cette belle chronique

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    1. j’ai enchaîné beaucoup de récit autour de la guerre moi aussi, mais celui-là je ne pouvais pas passer à côté…
      C’est un récit qui remue et qui a fait remonter tellement de souvenirs de ce procès… Ce qu’on en attendait…Son idée de faire le procès du père via celui de Barbie (des années après en fait car il a appris la réalité il y a quelques années seulement) est géniale…
      je suis tombée sous le charme avec « Le quatrième mur » et depuis J’ai aimé tous ceux que j’ai lus mais il en reste encore notamment « Profession du père » que je redoute beaucoup plus et « Mon traître » et son roman sur l’Irlande dont j’ai perdu le titre…
      je ne sais pas comment il a pu se construire avec une telle enfance 🙂

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