« Hamnet » de Maggie O’Farrell

Grande fan (le mot est mal choisi car ça fait groupie, un peu déjantée sur les bords !) de l’auteure, quand j’ai vu ce titre sur NetGalley, je me suis précipitée sur ce livre dès que je l’ai repéré :

Résumé de l’éditeur :

Un jour d’été 1596, dans la campagne anglaise, une petite fille tombe gravement malade. Son frère jumeau, Hamnet, part chercher de l’aide car aucun de leurs parents n’est à la maison…

Agnes, leur mère, n’est pourtant pas loin, en train de cueillir des herbes médicinales dans les champs alentour ; leur père est à Londres pour son travail ; tous deux inconscients de cette maladie, de cette ombre qui plane sur leur famille et menace de tout engloutir.

Porté par une écriture d’une beauté inouïe, ce nouveau roman de Maggie O’Farrell est la bouleversante histoire d’un frère et d’une sœur unis par un lien indéfectible, celle d’un couple atypique marqué par un deuil impossible. C’est aussi l’histoire d’une maladie « pestilentielle » qui se diffuse sur tout le continent. Mais c’est avant tout une magnifique histoire d’amour et le tendre portrait d’un petit garçon oublié par l’Histoire, qui inspira pourtant à son père, William Shakespeare, sa pièce la plus célèbre.

Ce que j’en pense :

L’histoire que nous raconte Maggie O’Farrell nous propulse au XVIe siècle dans la petite ville de Stratford. Une petite fille Judith est très malade, elle a beaucoup de fièvre, et son frère jumeau Hamnet, très inquiet, parcourt la ville à la recherche de sa mère partie cueillir des plantes pour faire les décoctions avec lesquelles elle soigne les gens du village.

Il n’arrive pas à la trouver, et tous les autres membres de la famille ont mystérieusement disparus, eux-aussi, quant à leur père, il est à Londres. Il finit par aller frapper à la porte du médecin, car la fièvre pestilentielle s’installe avec son cortège de souffrance et de morts.

Agnes, alias Anne Hattaway a épousé William quelques années auparavant, ils sont tombés amoureux, au grand dam du père, John, car ils viennent de milieux différents.

John, le père de William est gantier, il a été un notable de la ville de Stratford mais il a été exclu de la guilde pour des manquements divers, notamment un trafic de laine. Il est très autoritaire, aurait voulu que ce fils aîné prenne sa succession alors que ce dernier ne s’intéresse qu’aux livres, au théâtre.

Le récit alterne l’époque de la rencontre entre Agnes, dont la mère est morte, et dont le père, assez inconsolable, s’est remarié et William, les difficultés qu’ils rencontrent, la souffrance car la belle-mère d’Agnes est maltraitante, et un peu jalouse de la beauté de la jeune femme qui ne peut compter que sur son frère. Du côté de William, on est davantage dans la maltraitance psychologique.

Ils vont avoir trois enfants et sont obligés de vivre dans la même maison que John, même si les appartements sont séparés et Agnes n’est pas la bienvenue. Elle est jolie, un peu spéciale avec ses décoctions, les heures passées à chercher des plantes, racines, un peu « sorcière » sur les bords, ce qui leur déplaît. Elle sent les choses, selon les vibrations des personnes qui viennent la voir.

Maggie O’Farrell est partie du fait que l’enfant de William Shakespeare s’appelait Hamnet, décédé alors qu’il était encore enfant, et lui a donné vie à sa manière dans ce superbe roman ; elle a fait beaucoup de recherches pour construire son récit, sans anachronisme, se basant sur la vie des gens à l’époque.

Sa description de la peste, la manière dont elle s’est répandue, à partir de puces contaminées sur la tête d’un petit singe et la transmission par contact, piqures etc. bien-sûr, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la pandémie actuelle et les ravages qu’elle entraîne.

J’ai terminé ce roman il y a quelques jours déjà, et j’avais envie de rester sous le charme, dans l’atmosphère de l’époque, dans le destin tragique de l’enfant tel que l’a imaginé Maggie O’Farrell, dans la difficulté de faire son deuil, de manière différente selon le père et la mère d’Hamnet, l’une sombrant dans l’émotion, la dépression, l’autre essayant de transcender en écrivant une pièce de théâtre. Comment exprimer des sentiments dans une famille aussi rigide que celle de William ? il ne peut rester sur place à Stratford s’il veut rester en vie…

L’écriture est magnifique, les personnages, comme les lieux sont admirablement décrits, on a des images plein les yeux et l’auteure a bâti l’histoire sur Agnes, c’est la femme, son statut à l’époque, qui est l’héroïne, William est bien pâlot à côté d’elle, en artiste méprisé par son père, qui n’arrive à exister que loin de lui, comme s’il fonctionnait de manière quasi schizophrène.

Les relations intrafamiliales sont bien étudiées, tant du côté de William que du côté d’Agnes et le petit Hamnet (autre orthographe d’Hamlet) est très attachant, très mature.

« Hamnet et Hamlet sont en fait le même prénom, parfaitement interchangeables dans les registres de Stratford de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle. »

J’ai eu un immense coup de cœur pour « L’étrange disparition d’Esme Lennox » de Maggie O’Farrell, il y a quelques années, et depuis je lis tous ses livres au dur et à mesure de leur sortie en France, il ne me reste plus que les plus anciens à découvrir. Je n’ai jamais été déçue, même avec son recueil de nouvelles « I’am, I’am, I’am » le dernier en date, alors que j’ai plus de mal avec les nouvelles (surtout à rédiger des chroniques en fait plus que la lecture elle-même).

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver les talents de conteur de Maggie O’Farrell que j’aime tant et en plus, j’ai une énorme envie de me replonger dans l’œuvre de Shakespeare, ce qui ne m’est pas arrivé depuis un long moment, faute de temps et de PAL démentielle.

Vous l’avez compris, si l’auteure vous plaît, foncez, vous ne serez pas déçus…

#MaggieOFarrell #NetGalleyFrance

L’auteure :

Née en 1972 en Irlande du Nord, Maggie O’Farrell a grandi au pays de Galles et en Écosse. À la suite du succès de son premier roman, Quand tu es parti (2000, rééd. 2017), elle a abandonné sa carrière de journaliste littéraire pour se consacrer à l’écriture.

Après La Maîtresse de mon amant (2003 ; 10/18, 2005), La Distance entre nous (2005 ; 10/18, 2008), L’Étrange Disparition d’Esme Lennox(2008 ; 10/18, 2009), Cette main qui a pris la mienne (2011 ; 10/18, 2013), lauréat du prestigieux Costa Book Award 2010, En cas de forte chaleur(2014 ; 10/18, 2015), Assez de bleu dans le ciel (2017 ; 10/18, 2018) et I am, I am, I am (2019 ; 10/18, 2020), Belfond publie son huitième livre.

Extraits :

Les affaires, cependant, restent bonnes, car les gens auront toujours besoin de gants. Peu importe que ces hommes soient au courant de son trafic de laine, des rappels à l’ordre à cause de ses absences à l’église, des contraventions pour avoir jeter ses ordures en pleine rue. John n’a que faire de leur jugement, de leurs amendes, de leurs avertissements, de leurs messes basses sur la ruine de sa famille, de son exclusion des rassemblements. Sa maison est la plus belle de la ville – il y aura toujours cela…

Chaque arbre répond aux caprices du ciel à un tempo différent de son voisin, ploie, frémit, projette ses branches, comme par nécessité de fuir l’air, de fuir le sol même que le nourrit.

Ceux qui, par obligation, devaient traverser la forêt s’arrêtaient d’abord pour prier ; il existait un autel, une croix pour qui voulait s’en remettre aux mains de dieu avant d’y pénétrer, espérant être entendu, veillé, détourné du chemin où pourraient se trouver les habitants, esprits de la forêt ou créatures de la canopée…

En grandissant, elle est fascinée par les mains des gens, elle se sent attirée par elles, à toujours vouloir les toucher, les prendre dans les siennes. Ce muscle, entre le pouce et l’index, est une chose irrésistible pour elle. Il possède la particularité de pouvoir s’ouvrir et se fermer comme le bec d’un oiseau, de renfermer la force de la main toute entière, toute la puissance des doigts qui se serrent.

Son contact révèle les aptitudes, l’ampleur et l’essence des gens. Ce point contient tout ce qu’ils retiennent, renferment en eux, tout ce à quoi ils rêvent. Il suffit de pincer ce muscle pour connaître tout ce que l’on veut de quelqu’un, s’aperçoit-elle.

Elle songe à ce que l’on jette d’un animal, à ce qu’on lui vole pour en faire une bonne matière première : son cœur, ses os, son âme, son esprit, son sang, ses entrailles. Un gantier ne veut que la peau, la surface, la couche extérieure. Toute autre chose n’est que surplus, encombrement, futilité. Elle songe à la cruauté que recèle un objet pourtant aussi beau et parfait qu’un gant…

Il est maintenant clair pour Agnes, alors qu’ils entrent dans leur cuisine, alors qu’elle tisonne le feu et jette une bûche dans l’âtre, que son mari est double. Il y a d’un côté l’homme de leur maison et de l’autre, celui de la maison de ses parents. Il n’y a qu’entre leurs murs qu’il est celui qu’elle connaît et reconnait, celui qu’elle a épousé.

Il n’y a que là-bas qu’il peut échapper au bruit, à la vie, aux gens qui l’entourent ; il n’y a que là-bas qu’il peut oublier le monde, se dissoudre, n’être plus qu’une main tenant une plume trempée dans l’encre, et regarder les mots se déverser de sa pointe. Et c’est alors que les mots viennent, les uns après les autres, qu’il parvient à s’absenter de lui-même, à se réfugier dans une paix si prenante, si apaisante, si intime, si joyeuse que plus rien d’autre n’existe.

Mais la magnitude, la profondeur du chagrin de sa femme exerce su lui une attraction invincible, pareille à un violent courant duquel il ne doit pas s’approcher car il l’aspirerait, le plongerait sous l’eau. Se tenir à distance est le seul moyen de survivre. S’il s’enfonçait sous la surface, il les entraînerait avec lui. S’il demeure au centre de cette vie, à Londres, rien ne pourra l’atteindre.

Lu en mai juin 2021

30 réflexions sur “« Hamnet » de Maggie O’Farrell

    1. il est du même niveau que Esme Lennox, j’ai vraiment adoré, elle décrit bien Sratford et Londres de l’époque et sa reconstitution de la transmission de la peste est prodigieuse…
      Tout m’a plu (une fois de plus avec cette auteure) on n’est pas dans le pathos, alors que la situation est dure! j’espère qu’il te plaira autant qu’à moi 🙂

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    1. je l’ai beaucoup aimé, Maggie O’Farrell étudie bien la vie des gens à l’époque où elle situe ses romans, on s’y croirait , et pas besoin d’être une groupie de Shakespeare (qui n’est pas le personnage principal!) dont elle donne envie de lire ou relire 🙂

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    1. il est sorti il y a peu! et comme je suis toujours à l’affut des publications de l’auteure depuis Esme Lennox, il ne devait pas m’échapper 🙂
      je l’achèterai sûrement car la couverture, aussi est belle, donc ne pas se priver 🙂

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    1. il faut lire au moins celui-ci et « L’étrange disparition d’Esme Lennox » pour faire la connaissance de sa plume et plus si affinité bien sûr
      je me précipité chaque fois car j’apprécie vraiment la plume de Maggie O’FARREL et tous les thèmes qu’elle a étudié m’ont touchée 🙂

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    1. la couverture est belle, comme tout le livre en fait. j’ai eu envie de ressortir « Hamlet » de ma bibliothèque alors que ça fait des lustres que je n’ai pas relu (ou lu pour certaines) les pièces de Shakespeare 🙂
      J’ai aimé aussi ses nouvelles et alors que j’ai souvent du mal à rédiger des chroniques avec ce genre littéraire, là, je n’ai pas eu de problèmes
      « Assez de bleu dans le ciel » m’a beaucoup plu aussi.

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    1. le nombre de pages ne m’a pas gênée car j’aime le style de Maggie O’Farrell donc pas vu le temps passer.
      pour certains livres par contre c’est presque rédhibitoire: je suis coincée depuis 3 mois dans « Julip… » de Jim Harrison et pour une autre de Chris Kraus(baiser ou faire des films) dont j’avais pourtant bien apprécié « La fabrique des salauds » et j’en bave je ne sais pas si je vais aller au bout…

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    1. même si la peste joue un rôle important dans une partie de l’histoire, cela n’entre pas en résonance avec ce qu’on vit avec le COVID ce n’est pas la même époque et les gens réagissent différemment…
      Le thème est intéressant et l’auteure le traite vraiment bien comme d’habitude 🙂

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  1. Ping : Hamnet, Maggie O’Farrell – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

    1. j’ai vraiment beaucoup l’histoire, les personnages, notamment Agnes qui a une personnalité hors du commun, les conditions de vie de l’époque..
      J’aime retrouver la plume de Maggie O’F’arrell ses livres sont vraiment à part, et ses thèmes sont traités en profondeur ;
      bon week-end à toi 🙂

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      1. c’est très puissant surtout le 1er accouchement seule dans la Nature, en harmonie avec elle et loin des « mauvaises ondes » de la famille…
        c’est un très beau portrait de femme, tout est réussi dans ce roman 🙂

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    1. il est superbe, comme toujours avec Maggie O’Farrell il y a des scènes très puissantes que je n’ai pas évoquées pour ne pas divulgâcher 🙂
      « I’am, I’am, I’am »est un recueil de nouvelles qui m’a vraiment plu alors que je ne suis pas toujours à l’aise dans ce style, c’est une vraiment une belle plume 🙂

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