« La voyageuse de nuit » de Laure Adler

Je vous parle aujourd’hui d’un essai que j’ai mis du temps à terminer, contexte oblige :

Résumé de l’éditeur :

« C’est un carnet de voyage au pays que nous irons tous habiter un jour. C’est un récit composé de choses vues sur la place des villages, dans la rue ou dans les cafés. C’est une enquête tissée de rencontres avec des gens connus mais aussi des inconnus. C’est surtout une drôle d’expérience vécue pendant quatre ans de recherche et d’écriture, dans ce pays qu’on ne sait comment nommer : la vieillesse, l’âge ?

Les mots se dérobent, la manière de le qualifier aussi. Aurait-on honte dans notre société de prendre de l’âge ? Il semble que oui. On nous appelait autrefois les vieux, maintenant les seniors. Seniors pas seigneurs. Et on nous craint – nous aurions paraît-il beaucoup de pouvoir d’achat – en même temps qu’on nous invisibilise. Alors que faire ? Nous mettre aux abris ? Sûrement pas ! Mais tenter de faire comprendre aux autres que vivre dans cet étrange pays peut être source de bonheur…

Plus de cinquante après l’ouvrage magistral de Simone de Beauvoir sur la vieillesse, je tente de comprendre et de faire éprouver ce qu’est cette chose étrange, étrange pour soi-même et pour les autres, et qui est l’essence même de notre finitude.

« Tu as quel âge ? » Seuls les enfants osent vous poser aujourd’hui ce genre de questions, tant le sujet est devenu obscène. A contrario, j’essaie de montrer que la sensation de l’âge, l’expérience de l’âge peuvent nous conduire à une certaine intensité d’existence. Attention, ce livre n’est en aucun cas un guide pour bien vieillir, mais la description subjective de ce que veut dire vieillir, ainsi qu’un cri de colère contre ce que la société fait subir aux vieux. La vieillesse demeure un impensé. Simone de Beauvoir avait raison : c’est une question de civilisation. Continuons le combat ! »

Ce que j’en pense :

 Dans cet essai, l’auteure nous invite à réfléchir sur la vieillesse, sa définition, ce que cela représente selon qu’on est un homme ou une femme, pauvre ou riche…

Puis, on passe à la notion du « sentiment de l’âge », notion introduite avec cette citation de Elias Canetti dans Le livre contre la mort :

« Depuis quand es-tu vieux ? Depuis demain. »

J’ai aimé surtout dans cet essai, les auteures cités par Laure Adler : Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Annie Ernaux mais aussi des hommes Marcel Proust, Victor Hugo, Emmanuel Todd, ou encore des artistes : Hokusai, Sviatoslav Richter, Soulages entre autres.  

J’ai apprécié la comparaison entre Chateaubriand qui a décidé qu’il était devenu vieux à trente ans alors que Stéphane Hessel s’indignait encore à quatre-vingt-treize ans… ou les références à Philip Roth, la réflexion sur la difficulté à affronter le déclin de nos parents qui deviennent parfois nos enfants, quand la sénilité tente d’occuper la place.

Devenir la mère de sa mère jusqu’à l’épuisement ; réaliser la mort de celle qui vous a enfanté permet de se déprendre de soi.

Laure Adler a des mots durs parfois lorsqu’elle compare le prestige des temps grises des hommes qui épousent des jeunettes alors que les femmes à l’inverse sont des cougars qui « s’accrochent » ou ne veulent pas « raccrocher » et que dire de la sexualité ou de l’ombre d’Alzheimer, on a l’impression d’être à la limite des gros mots, là…

Ensuite, passons à la phase EHPAD… Sujet sensible, parce que j’ai dû me résoudre à y placer ma mère qui a 95 ans et que l’on a gardé chez elle jusqu’à 93 avec les auxiliaires de vie très dévouées, mais c’était devenu trop compliqué avec une chute tous les 2 mois, qui se terminait au CHU. C’est une décision terrible à prendre tant on se sent coupable de ne plus pouvoir assumer, d’y laisser sa propre peau…

J’ai fini ma lecture « en travers » comme disait une de mes profs de français car j’ai le même âge que Laure Adler, je suis plutôt d’accord avec elle, mais je suis restée sur ma faim (ma fin ?) car si le voyage avec des penseurs que j’aime m’a plu, je trouve qu’elle ne propose pas grand-chose. Et je dois le reconnaître, sa manière de jouer les « Madame Je-sais-tout donneuse de leçon, m’insupporte, chaque fois que je la vois à l’écran, je zappe ce qui n’a pas facilité ma lecture.

Je vais m’éloigner un peu du contexte (vous pouvez sauter le passage si vous le désirez !) en évoquant, puisqu’on en arrive là, à ce que j’appelle la gérontophobie ou le racisme anti-vieux : on sent très bien qu’on gêne depuis quelques années :  nos retraites qui coûtent cher alors qu’on a payé celles de nos parents sans broncher, c’est à cause de nous qu’on est obligé de confiner, on prive les jeunes de liberté (c’est vrai quelle entrave porter un masque pour protéger les autres autant que pour se protéger soi-même). Idem pour la planète, alors qu’on trie nos déchets depuis des décennies, qu’on respecte l’environnement (les cannettes de bière ce n’est pas nous, le vélo d’appartement qu’on laisse sur le Mont-Blanc non plus…)

En gros, on nous dit restez chez vous, hors de notre vue, cassez-vous, laissez-nous la place…. Mais d’un autre côté, on nous refuse le suicide assisté, l’euthanasie : on va arrêter un septuagénaire qui milite pour une mort digne à six heures du matin, on lui passe les menottes, fouille son appartement à la recherche du médicament prohibé (ça s’est réellement passé et ils n’ont rien trouvé et toc) pour arrêter des dealers armés jusqu’aux dents on hésite mais menotter un septuagénaire pas de problème…

J’ai craché mon venin, cela fait du bien et je vais passer à une lecture plus douce, et je finirai sur cette citation de Amadou Hampâte Bâ qui est une compagne de ma vie : « Un vieillard qui meurt c’est comme une bibliothèque qui brûle »

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir cet essai ainsi que la plume de son auteure car Laure Adler m’a donné envie de me plonger ou replonger dans les livres de Nathalie Sarraute et Simone de Beauvoir entre autres.

#Lavoyageusedenuit #NetGalleyFrance

7,5/10

L’auteure :

Née en 1950, Laure Adler est essayiste, romancière, femme de télévision et de radio, auteure primée de nombreux ouvrages.

Extraits :

En considérant les vieux comme à mettre au rebut, comme quantité en surplus, on perd de notre humanité.

Nous sommes toutes et tous en droit et en capacité de vouloir devenir vieilles et vieux sans avoir à être jetés aux poubelles de l’histoire post-moderne.

Dans son ouvrage remarquable, mais qui reçut un accueil plutôt discret lors de sa publication, intitulé tout simplement « la vieillesse », elle (Simone de Beauvoir) voulait briser la conspiration du silence et s’inquiétait de la dangerosité d’une société qui méprisait et malmenait ses vieux.

Il y a pire qu’un vieux sans signe distinctif. C’est une vieille. Il y a pire qu’une vieille. C’est un vieux pauvre. Il y a pire qu’un vieux pauvre, c’est une vieille pauvre. Et aujourd’hui, ce sont ces femmes – de plus en plus nombreuses – qui constituent la classe la plus fragile.

Marcel Proust dans Le temps retrouvé nous fait ressentir que savoir son âge participe d’un type d’émotion, c’est un travail, volontaire ou involontaire.

Quarante ans, c’est la vieillesse de la jeunesse, mais cinquante ans, c’est la jeunesse de la vieillesse selon Victor Hugo

Vieillir, c’est savoir continuer à faire ce qu’on faisait auparavant sans donner l’impression qu’on est diminuée. Nathalie Sarraute

Le vieillissement de la population est le phénomène le plus central de notre civilisation et la soudaineté de cet évènement peut nous mènera à l’abîme, proclame Emmanuel Todd, depuis des années, du haut de ses connaissances de démographe. C’est l’angoisse, dit-il. Le cataclysme…

Les jeunes incarnent l’avenir, les vieux le passé présent… Il n’y a pas, d’un côté une humanité essentielle, positive, représentative et, de l’autre, une humanité affaiblie, une sous-humanité.

Cordélia morte, Lear porte son cadavre sur la scène. Cordélia, c’est la mort, dit Freud. Cordélia l’autorise à choisir la mort, à se familiariser avec l’idée de mourir.

Mais, il faut avoir un projet : c’est l’assurance que tout n’est pas fini. Finalement la vieillesse complique la vie physique et la vie matérielle mais simplifie la vie morale.

Un vrai vieillard est celui qui a vécu sa vie, tant d’autres se contentent de la voir s’écouler. La vie est un voyage ininterrompu si rapide que nous pouvons passer à côté en nous distrayant.

Et puis un jour on a un âge. Et cette révélation a un goût désagréable. On sait qu’on ne pourra pas recommencer sa vie, qu’on pourra moins l’inventer, que le passé va sans doute préétablir l’avenir.

On a le même âge, Montand et moi. S’il a vécu mon vieillissement à ses côtés, moi j’ai vécu son murissement à ses côtés. C’est comme ça qu’on dit pour les hommes ils murissent : les mèches blanches s’appellent des mèches argentées. Les rides le butinent alors qu’elles nous enlaidissent. Simone Signoret dans « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était »

Terminé en février 2021

25 réflexions sur “« La voyageuse de nuit » de Laure Adler

  1. 40 ans de France Culture en ayant côtoyé les plus grands, ça laisse des traces … Aussi, j’avoue ne pas la regarder. Mais, et c’est selon l’invité, je peux plus accepter ses interviews sur France Inter. Non, je te rejoins elle ne donne pas de solutions mais énonce des vérités que l’on n’a pas l’habitude d’entendre condensées dans un bouquin plaisant à lire ! Au niveau de la gerontophobie, on s’en fout. Tant qu’on pourra échapper à l’Ehpad, on leur fait des pieds de nez !😉

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  2. Il est certain qu’elle est cultivée, qu’elle a croisé tous les intellos de ce monde depuis des lustres mais aussi qu’elle m’agace. Moi aussi je suis de son âge alors certains de ses coups de gueule m’ont bien plu mais je pense qu’un jour il faut passer la main. Il y a certainement plein de jeunes de 50 ans qui sont capables de faire des émissions aussi intéressantes qu’elle!

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    1. on ne vieillit pas forcément bien mais pour moi, c’est surtout dans la tête il y a des gens qui sont « vieux » avant l’heure… Ma mère n’est pas un cadeau (et entre nous elle ne l’a jamais été! ) alors je fais avec mais je me protège…

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  3. J’ai noté ce livre mais je ne sais pas si je le lirai car je n’aime pas trop cet auteur même si je reconnais qu’elle a une grande culture. Mais je comprends ton ressenti et je t’ai lu jusqu’au bout. Les médias jouent un rôle très négatif en ce moment encore une fois avec le Covid pour provoquer ces pensées de rejets concernant les personnes âgées. Heureusement certaines personnes jeunes font la part des choses…c’est réconfortant ! Merci pour ta chronique détaillée

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    1. comme je l’ai déjà dit j’ai un peu le blues et les JT ne nous balancent (il n’y a pas d’autres mots car ce ne sont plus des infos mais du spectacle) des affirmations de tous bords qui visent à augmenter les clivages. Vivent les infos sur ARTE les seules dignes d’intérêt pour moi ou la presse écrite…
      on se passe des élucubrations de François de Closet…

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  4. Lorsque j’oublie d’éteindre la radio avant son émission sur Radio France, je me prends d’énervement rien qu’au son de la voix de Laure Adler … Et si jamais j’écoute quelques phrases, c’est toute la famille à table qui m’écoute m’énerver toute seule contre les poncifs prétentieux … Alors, évidement, pas question de lire ! Tu as été bien courageuse !

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  5. Pas pour moi ! Je n’aime pas le style « je donne des leçons / j’enfonce des portes ouvertes / je tape sur tout ce qui bouge » . Et en lisant les extraits, je vois que c’est un peu ça de la part de l’auteur. Ta critique me le confirme.
    Bises.

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    1. copieur!!!!
      j’ai bientôt 71 ans et mon mari en a 85 mais très jeune dans sa tête et on ne lui donne pas son âge dixit les médecins que l’on voit par ci par là 🙂
      il m’entraîne dans son dynamisme souvent il faut le voir s’activer au jardin ou au bricolage moi je soutiens moralement on s’est réparti les tâches 🙂

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    1. Ce n’était pas le bon moment pour moi en tout cas, j’étais déjà assez remontée contre les idioties des JT entre autres et les non-décisions les incivilités de tous ordres…
      Hier soir j’avais ma séance de balnéo à la piscine de l’hôpital, (gestes barrière gel tout est bien respecté) on n’emprunte même plus les ascenseurs pour ne pas toucher les boutons et dans le hall: 3 hommes sans masques no comment

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