« Écarlate » de Philippe Auribeau

Place à un polar aujourd’hui avec ce roman choisi d’abord pour son titre et également sur le résumé :

Résumé de l’éditeur :

Providence, 1931. Une troupe de théâtre est sauvagement assassinée alors qu’elle travaillait à l’adaptation du roman La Lettre écarlate. Si la piste d’un ancien anarchiste italien semble évidente pour la police locale, l’équipe fédérale de Thomas Jefferson flaire des raisons bien plus obscures. Une ombre plane sur ce meurtre… et sur ceux qui mènent l’enquête.

Après L’Héritage de Richelieu, roman de fantasy qui fait suite aux Lames de Cardinal de Pierre Pevel, Philippe Auribeau nous plonge dans un polar noir et fantastique dans l’univers du mythe de Cthulhu.

Ce que j’en pense :

J’ai choisi ce livre sur Babelio dans le cadre de l’opération « Masse critique mauvais genre » car j’ai flashé sur le titre et j’avais vraiment envie de retourner dans l’ambiance de « La lettre écarlate » de Nathaniel Hawthorne, que j’ai lu il y a quelques années et bien aimé.

L’intrigue se situe en 1931 à Providence, où une troupe de théâtre est sauvagement assassiné à l’arme blanche, les corps disposés d’une manière évoquant un meurtre rituel… Seule une comédienne échappe à la tuerie, mais elle a été frappée et abusée sexuellement. La police locale s’oriente sur le régisseur, Italien donc forcément suspect d’appartenance mafieuse, mais les policiers sont loin d’être à la hauteur, à part O’Riley alors on fait appel au BOI Bureau Of Investigation, l’ancêtre du FBI dirigé par Hoover.

C’est ainsi que débarque sur la scène de crime, à bord d’une belle Cadillac, Thomas Jefferson, accompagné de son chauffeur Noir Caleb Beauford et son assistante Diane Crane. Seul Thomas est agent du BOI, mais chacun à son rôle dans l’enquête. Au passage, on note que le directeur du théâtre est un harceleur notoire, aux mains baladeuses, et à la misogynie exemplaire, draguant même Diane lorsqu’elle l’interroge… on pense bien-sûr à Weinstein…

Les pistes sont multiples et je me suis replongée avec plaisir à l’époque de la prohibition, des gangs mafieux, les Irlandais et les Italiens, je m’attendais presque à retrouver Eliott Ness à un coin de rue ou Al Capone dans un speakeasy alias speaky, autrement dit les bars clandestins de l’époque.

Ce roman m’a énormément plu, de fait de l’époque certes mais aussi, pour les débuts du BOI sous l’égide de Hoover, avec les flics et les politiciens corrompus, tout le sexisme qui pouvait régner à l’époque, vis-à-vis des jeunes comédiennes qui devaient forcément se laisser violer sans rien dire, les risques du métier, n’est-ce-pas ?

Les cent cinquante dernières pages sont magiques, car elles font la part belle à Nathaniel Hawthorne et ses descendants, et on rencontre aussi Lovecraft, qui va jouer un rôle dans l’enquête,  avec un hommage à la littérature au passage, ainsi que toutes les légendes qui ont pu tourner autour de « La lettre écarlate », le fameux Homme Noir à qui on attribue tant de puissance maléfique, en passant par les sorcières de Salem ou les rites sataniques, sans oublier un établissement psychiatrique haut en couleur lui aussi.

A l’époque, on avait la gâchette facile, alors il y aura des morts, des coupables tout désignés d’avance, pour que les trafics en tout genre restent protégés, sur fond de rapport d’autopsie ou de dossiers qui disparaissent.

C’est aussi l’époque des luttes syndicales, des idées communistes, de Sacco et Vanzetti, ce qui permet de revisiter l’histoire et rappelle que la crise de 29 a laissé bon nombre de personnes sur le carreau.

Thomas Jefferson (ses parents avaient de l’humour !)  est issu de ce que l’on appelle une grande lignée, il se déplace en Cadillac alors qu’il ne sait pas conduire, mais confie sa précieuse automobile à Caleb, alors que le racisme envers les Noirs se pratique ouvertement (est-ce que cela a beaucoup changé depuis les années trente, je ne crois pas…) et notre agent a des petits rituels : une croix dans son carnet chaque fois que quelqu’un lui demande s’il est de la même famille que l’ancien président pour jouer les chiffres à la loterie, ou qui ne voyage jamais sans un nombre impressionnant de costumes.

Caleb fait le sale boulot, récoltant des passages à tabac, Diane a toujours une idée d’avance, un flair, ou de l’intuition, une intelligence aigüe de l’aspect criminologique (cela n’existe pas encore à l’époque) des liens entre les évènements et le passé et elle note tout sur son carnet. Chacun a une personnalité particulière et cela les rend sympathiques. L’enquête est pleine de rebondissements ce qui rend le livre passionnant, une fois commencé il est difficile de le lâcher.

Notre trio fait marcher ses « petites cellules grises » comme dirait Hercule Poirot, car on est loin des techniques actuelles, ADN, spectromètre de masse, et autres joyeusetés que l’on peut retrouver dans les séries qui ont enchantés toute une génération, en particulier « Les experts » : un poil pubien bien caché qui n’échappe pas à l’œil exercé et permet d’identifier le criminel en deux temps trois mouvements… Je plaisante, je fais partie des mordus de ces séries…

La couverture rouge et noire est sublime, le titre et le nom de l’auteur sont en relief, y compris pour la quatrième de couverture, avec en minuscules, le texte de « La lettre écarlate » du moins je le suppose, car c’est écrit à la main, en rouge sur fond noir aussi, et vraiment en petites caractères….

Philippe Auribeau a une belle écriture, le rapide est rapide et le choix de chapitres courts entretient le suspense et capte l’attention du lecteur pour ne plus la lâcher.

Ce roman environ 460 pages et je l’ai littéralement englouti en à peine quarante huit heures, mon insomnie chronique n’a soudain pas dérangée !

Un grand merci à Babelio (opération masse critique mauvais genre) et aux éditions ACTUSF qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur qui est connu sa série « L’héritage de Richelieu » qu’il me reste à découvrir dans une autre vie, vu l’état de ma PAL…

9,5/10

L’auteur :

Philippe Auribeau est né en 1974 à Aix-en-Provence et il lui a été impossible de s’en éloigner depuis. Il est passionné par les civilisations américaines, en particulier celle des Amérindiens, et aussi grand lecteur de Shakespeare, Dumas, Beaumarchais, Rostand… et de thrillers.

Il organise également tous les deux ans un événement ludique et littéraire nommé « Les Chimériades ».

Il est auteur d’une série « L’Héritage de Richelieu » (2016), qui prend pour cadre « Les lames du Cardinal » de Pierre Pevel et s’inscrit dans la continuité du jeu de rôle.

Extraits :

Caleb Beauford gara la Cadillac le long du trottoir. C’était une conduite bleu pâle, aux chromes rutilants et aux sièges de cuir blanc ivoire. Des passants suspendirent leurs pas pour s’émerveiller devant les courbes de la luxueuse automobile, avant que leurs visages ne se ferment en découvrant que son chauffeur était noir. Nombre d’entre eux passèrent alors leur chemin.

Je vais me renseigner auprès des flics. O’Riley m’a parlé de quelques risques dans le quartier, sans compter les Italiens et les Irlandais qui se chauffent régulièrement. Il doit bien y avoir quelques « speakies » ici et là… Mais ceux qui les tiennent assurent la sécurité dans les coins où ils se trouvent.

L’agent fédéral déboucha dans une grande salle emplie de fumée de cigares et de cigarettes. S’y déployaient une trentaine de tables. Elles étaient, pour la plupart, occupées par des noctambules en costume chic, des femmes aux tenues légères et quelques hommes d’affaires ou truands. La différence n’était pas toujours évidente.

Le « speakeasy » était luxueux. Il accueillait une bonne partie de la jeunesse de la ville, pour qui le parfum de l’interdit était aussi grisant que l’alcool et la drogue. Quelques notables, plantés autour des tables centrales, pavoisaient auprès de charmantes ingénues dont les regards trahissaient le manque d’intérêt pour leur projets politiques.

Cette citation plaira aux férus de la littérature et de sa petite histoire :

Vous le savez peut-être Nathaniel Hawthorne était le descendant direct du juge Hathorne, qui présida au procès des sorcières de Salem en 1692…

… Nathaniel Hawthorne eut beaucoup de mal à assumer cet héritage. La honte d’avoir un aïeul ayant présidé à un massacre d’innocentes a sans doute semé le trouble dans son esprit. C’est la raison pour laquelle il a fait le choix de changer de patronyme, devenant Hawthorne. Ceci est l’histoire connue. Ce qui l’est moins est que Nathaniel Hawthorne, avant de rédiger sa lettre écarlate, se lança dans des recherches minutieuses sur les mœurs de l’époque. Il éplucha les notes du juge Hathorne.

Alors que celle-ci est terriblement d’actualité :

Pour beaucoup, les valeurs qui nous sont proposées – imposées pourrai-je dire—nous ont conduit dans une situation inextricable de malheur et de pauvreté. L’âme a été sacrifiée sur l’autel du progrès et de la course aux richesses. La famille s’est morcelée. Ce qui a uni notre peuple est aujourd’hui prétexte aux déchirements…

Lu en octobre 2020

14 réflexions sur “« Écarlate » de Philippe Auribeau

    1. Je me suis éclatée avec ce roman l’intrigue, le contexte historique et social et surtout l’implication d’un descendant de Nathaniel Hawthorne le contexte dans lequel a été écrite « La lettre écarlate » et Lovecraft il avait tout pour me plaire 🙂
      en plus retour aux sources: j’adorais « Les incorruptibles » le feuilleton j’étais raide dingue de Robert Stack alias Eliott Ness … 🙂 🙂

      Aimé par 1 personne

    1. une lecture géniale c’est sûr, il faut aimer les références à la littérature et l’histoire de « La lettre écarlate » je l’ai dévoré, je le relirai sûrement (et pas qu’une fois!) pour retrouver l’ambiance 🙂
      si tu voyais ma pile: NetGalley a accédé pratiquement à toutes mes demandes et parfois assez tard, donc je n’y croyais plus… Le confinement peut durer j’ai des munitions 🙂

      J’aime

    1. je note Ray Celestin je le connaissais pas!
      cette lecture a été géniale a tous points de vue et m’a donné du peps je me revoyais devant le petit écran, les yeux rivés sur Eliott Ness qui me fascinait à l’époque… Il était beau et incorruptible 🙂

      J’aime

    1. j’avais zappé la précédente masse critique, j’étais trop crevée, je ne me suis pas réveillée assez vite… cette fois j’en avais noté plusieurs alors la motivation a été là 🙂
      j’ai adoré ce roman intrigue bien ficelée, une trame très intéressante c’est rare quand je mets une telle note à un polar 🙂 🙂

      J’aime

    1. si tu préfères les polars plus actuels, hémoglobine, tortures en tous genre (il y en a quand même un peu) alors ce n’est pas sûr qu’il te plaise… Moi c’est la société de l’époque,et les méthodes qui allaient avec qui m’ont plu mais, ils ont quand même tous la gâchette facile 🙂

      J’aime

    1. j’ai bien aimé la lettre écarlate, mais ce n’est pas capital de ne pas l’avoir lu car l’auteur en parle, l’explique assez bien, c’est le contexte qui est important, les descendants des Hawthorne par exemple, le statut des comédiennes à l’époque, la prohibition, les mafia

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.