« La Purge » d’Arthur Nesnidal

Voici donc le premier des cinq romans, qui est paru dans la presse il y a quelques jours :

 

La purge de Arthur Nesnidal

 

Quatrième de couverture :  

 

«  Vous, mademoiselle, dîtes-nous ce que vous en pensez, vous qui avez raté votre devoir. » Aucune forteresse ne résiste à cela. Blême, frissonnante, l’expression fissurée par la déflagration, l’estomac enfoncé, l’espérance perdue, elle se faisait violence avec un héroïsme en tous points admirable pour ne pas fondre en larme ou sombrer sous la table. »

Sans complaisance, un étudiant décrit le quotidien d’une année d’hypokhâgne, sacro-sainte filière d’excellence qui prépare au concours d’entrée à l’École normale supérieure. Face au bachotage harassant, au formatage des esprits et aux humiliations répétées des professeurs sadiques, la révolte gronde dans l’esprit du jeune homme…

Féroce et virtuose, « la purge » dénonce l’éducation élitiste à la française. Avec pour toutes armes la tendresse d’un Prévert et les fulgurances d’un Rimbaud, Arthur Nesnidal y taille en pièces l’académisme rance de ses professeurs et retourne contre l’oppresseur sa prose ciselée. Dans la plus pure tradition du roman d’apprentissage, un manifeste pour la liberté.

 

Ce que j’en pense :  

 

J’ai eu un peu de mal à terminer ce livre car le thème abordé est difficile mais il  est intéressant : la vie quotidienne des étudiants dans une classe prépa, ici Hypokhâgne, avec tous les travers de l’enseignement de ces jeunes gens appelés à être les élites de la France de demain, débouchant sur des postes prestigieux.

La description du travail acharné, du bachotage, du manque de sommeil, dans un lieu où même la nourriture laisse perplexe, de ces étudiants qui triment pou arriver à des meilleurs résultats, devenant des robots ou des « chiens savants », car leur pensée elle-même a été captée, cette description est parfaite, tellement précise qu’on ressent les choses dans son propre corps.

La maltraitance psychologique des élèves est bien décrite, avec ces professeurs sadiques qui n’aiment qu’une chose : dominer, humilier et casser, et bien sûr devant tous les autres élèves, sinon ce n’est pas source de jouissance. Ils entendent à longueur de journées qu’ils sont nuls et qu’ils ne réussiront pas, alors comment résister et continuer à travailler ? Certains professeurs sont pires que les autres :

« Il faut, pour qu’on saisisse ce qui m’aura poussé à me faire le juge de cette personne ignoble, le professeur d’Histoire, et de cet être terrible, le professeur de philosophie, qu’on redonne l’image de cette époque-là. » P 89

La manière dont réagit le héros est intéressante, notamment sa tentative de résistance au formatage et à la pensée unique. Seulement voilà, ce récit m’a un peu laissée sur ma faim. Peut-être parce que j’ai préféré la manière dont Jean-Philippe Blondel l’aborde dans « Un hiver à Paris », car le héros me plaisait davantage. Et, il a fait remonter de vieux souvenirs de harcèlement à l’hôpital lors de mes études, avec un médecin-chef qui adorait humilier, alors se rendre en cours la peur au ventre, je connais…

Je suis allée au bout de la lecture parce que l’écriture d’Arthur Nesnidal est magnifique et emporte le lecteur.  Les phrases sont bien construites, il y a ici un amour de l’écriture, du langage écrit et une grande poésie dans les mots :

« La conscience des hommes a ceci de superbe, qu’elle confine au divin par pure inadvertance. On veut l’Inde, on a l’Amérique, on veut l’espace, on a la lune. On s’attend à l’étude et l’on trouve le savoir. A tâtons, ignorants, nous tenons du génie. » P 25

La page trente-sept est magnifique et on a envie de l’apprendre par cœur. Parmi les cinq livres que la FNAC m’a proposé, celui-ci est sans conteste le mieux écrit.

Ce roman, qui est un premier roman, il ne faut pas l’oublier, est prometteur et si l’auteur réussit à introduire plus d’émotion et de chaleur, le plaisir du lecteur sera au rendez-vous. Je rappelle au passage qu’il est âgé de vingt-deux ans !

 

Extraits :  

 

Tranquille, perdu dans l’immensité d’une nuit bornée de quatre murs, d’un calme que même le grésillement effréné de la mouche conforte, le studieux ne craint pas de s’y voir englouti ; la nuit lui donne la main ; la fatigue patiente pour la prendre à son tour, elle qui conduira notre homme dans sa couche. Les âmes éveillées se subliment un instant, on touche à l’infini, le crâne ne connaît plus ses frontières et l’entendement soudain s’évade et s’éparpille dans le songe éveillé, et l’on n’est point surpris de se voir transcendé ; ce miracle ordinaire fait partie de l’humain. L’abîme se déchire, l’image nous envahit, bienveillante et amie. P 22 

 

Être aveugle, c’est espérer ; voir, c’est perdre envie. On ne se désillusionne jamais qu’avec regret. P 27  

 

Le réfectoire ce n’est pas le restaurant ; comme le second nourrit, le premier ravitaille. On y venait chercher son content calorique dont on avait besoin pour finir la journée. On ne demande pas à la locomotive si elle goûte volontiers le charbon qu’elle consomme. P 37   

 

Le corps privé de sommeil exige réparation ; il ne veut pas comprendre que le latin vaut mieux. Il se cabre, il hurle, fait sa révolution ; du pain, du pain ! rien ne peut contenir son appétit de vivre. Il ne laisse pas tuer si aisément. Même dans la misère, il combine le souffle ; son ordre impérieux interdit le suicide… P 37   

 

La fierté des parents a de ces prophéties qui lorsqu’elles s’écroulent semblent tuer l’enfant. Étau insoutenable dans lequel se glisse la progéniture qui ne veut en sortir. Pressé d’amour, serré, serré jusqu’à la mort par cette bienveillance tranquille, le fils veut demeurer dans ce supplice sans nom. S’extirper, décevoir, qui sait, perdre peut-être l’amour que dispensaient une voix maternelle, une tape paternelle et quelques compliments sincères et précieux ? Rien n’est plus obligeant que la confiance d’un proche. L’enfant est l’éternel mendiant de l’amour.   P 43   

 

Plaindre, c’est écraser le misérable de honte. Plaindre, c’est tendre la main vers le misérable parce qu’il est misérable ; il y a dans ce geste une forme de hiérarchie qui compare les malheurs et désignent le faible ; aimer relève l’autre parce qu’il est un homme. La pitié est la pire humiliation que reçoit celui qui ne peut faire autrement que l’accepter. Ceux que la pitié meut ne sont jamais tombés, ou ne connaissent pas ce qu’est la dignité. O pitié, pudibonde salope.  P 55   

 

La victime humiliée protège son bourreau ; son silence est complice. Je veux que mes paroles soient comme immaculées ; qu’on y trouve toujours ces précieux témoignages dont on ne doute pas. P 88   

 

… Car les hommes sont aveugles sans les mots, comme ils sont aveugles sans amour ; l’amour est la pupille, et les mots leur soleil. Que peut-on voir sans le soleil ? Les muets sont invisibles. P 88  

 

Lu en juin 2018

12 réflexions sur “« La Purge » d’Arthur Nesnidal

      1. Taillade

        Une merveille d’écriture, de la justesse dans l’émotion, une juste observation des personnages ! un régal! cela fait longtemps que je n’avais pas lu si bonne littérature…..

        Aimé par 1 personne

  1. Avant même d’ouvrir le livre, son titre démontre déjà une si grande violence : « La purge ». Ça fait froid dans le dos. Il est vraiment bien question donc de « survivre » à cette ou ces année(s). Ce concept me dépasse un peu et je ne peux m’empêcher de me demander si toutes ces souffrances ne pourraient pas être évitées ou tout au moins moindres. Tout ceci semble tellement sadique quand même. Vous ne trouvez pas ?

    Aimé par 1 personne

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